Frédéric Lionel
La liberté-principe

L’édifice occidental se lézarde. Il est temps que ceux qui l’habitent prennent conscience des valeurs fondamentales dont ils sont, tant les bénéficiaires que les garants, pour colmater les brèches avant qu’il ne soit trop tard. La mission de l’Occident fut et reste la promo­tion d’un Art de Vivre, fort éloigné d’un savoir-exister, qui n’est rien […]

L’édifice occidental se lézarde. Il est temps que ceux qui l’habitent prennent conscience des valeurs fondamentales dont ils sont, tant les bénéficiaires que les garants, pour colmater les brèches avant qu’il ne soit trop tard.

La mission de l’Occident fut et reste la promo­tion d’un Art de Vivre, fort éloigné d’un savoir-exister, qui n’est rien d’autre qu’une technique de l’existence. L’homme existe intelligemment ou sottement, passionnément ou gravement, sensuellement ou sagement, c’est-à-dire, d’une façon personnelle, alors que la Vie qu’il manifeste à sa manière est Universelle.

Elle chante en tout ce qu’il voit, touche, sent, perçoit ou exprime. « La Vie est la lumière des hommes », est-il précisé dans les textes sacrés. Montaigne, dans l’un de ses ouvrages, évoque une science, « celle de savoir vivre cette vie, bien et naturellement ».

Les mots changent, mais l’idée qu’ils transmet­tent reste la même. L’Art de Vivre intègre le savoir et l’aspiration de l’Être, en le libérant des contrain­tes administratives, des vices technocratiques, et des dogmatismes intellectuels qui s’opposent aux forces créatives, don naturel et spontané de la Vie. L’Art de Vivre englobant l’existence et la Vie jette un pont entre l’éphémère et l’éternel. Il fait appel à l’harmonie, donc à la Beauté qui défie l’espace et le temps pour susciter l’émoi qui gagne l’âme, prenant conscience du mystère qui se situe à l’arrière-plan du monde visible.

L’homme, dans sa plénitude peut collaborer au Grand Œuvre de la Nature et doit, pour réaliser son destin, pratiquer « l’Art Royal », dont parlent les alchymistes, soit l’Art de Vivre.

L’homme évolue, le milieu ambiant aussi. L’homme, en évoluant, exerce une influence de plus en plus active sur le monde ambiant. Conscient d’être conscient, il est le seul sur Terre à exercer un libre pouvoir sur les règnes minéral, végétal et animal.

Libre, mais pas toujours conforme à « l’Art Royal » qui a pour assise la Connaissance de la Loi d’Ordre et d’Harmonie. Il élève des animaux qui lui fournissent moult denrées qu’il consomme. Il cultive des plantes, des céréales et des légumes, mais peut-on affirmer, tout en souriant au curieux emploi du langage, qu’il dispose de légumes bien cultivés et d’animaux bien élevés ? Hélas, non !

Les engrais chimiques et les méthodes d’élevage, favorisent le profit, mais leur emploi s’oppose à la juste compréhension de la Loi d’Harmonie qui requiert une responsabilité d’autant plus grande qu’est grand le pouvoir que l’homme s’est arrogé en voulant dominer la nature. L’homme la viole au lieu de lui obéir et ses déboires sont une lourde rançon qu’il paye en maugréant.

Les problèmes non résolus s’accumulent et se multiplient, ainsi que les réactions psychologiques qui donnent naissance à des remèdes non adaptés aux problèmes de notre temps.

On pourrait s’inquiéter du sort de l’homme plongé dans la confusion du monde. Il n’est pas armé pour se défendre des pressions du milieu et du trouble qu’engendre le rythme accéléré des événements politiques, économiques, scientifiques, techniques et religieux. L’homme moderne apparaît dévoyé de sa mis­sion, par un désir de posséder. En lui se dessinent tous les contrepoints de l’avidité et il se lance à la poursuite de ce qui la nourrit. Toutes ses activités sont fiévreuses. La vie humaine est d’un poids fort léger. Elle est allègre­ment sacrifiée à n’importe quelle passion.

Reconnaissons-le et comprenons que, même si de-ci de-là des révolutions ont l’air de tout bousculer, l’inertie mentale réinstalle sous différentes étiquettes un processus identique qui profite, il est vrai, à d’autres, sans rien résoudre. L’homme déboussolé, victime de la fièvre de la vitesse, ne peut s’empêcher de s’écrier : « Mon Dieu, que le temps passe vite ! J’avais hier vingt ans et j’ai aujourd’hui quatre fois cet âge. Entre ces deux bornes, ai-je vécu ? »

Le dernier stop s’annonce et, anxieux, il écoute la réponse qui sourd du tréfonds : « Tu as existé, mais sans être vivant. » Pour être vivant, il faut être conscient et mettre son comportement en accord avec sa réalité secrète, qui correspond à la Réalité transcendantale.

Cette révolution psychologique, il faut oser l’accomplir. Les aînés, dont le physique et l’âme sont burinés par l’âge et l’expérience, devraient pouvoir communiquer aux jeunes générations qui cherchent leur voie et leur raison le souffle de l’espoir en une prédestination humaine qui les engage à découvrir l’Art de Vivre, dans le quoti­dien, dans ses difficultés et ses contraintes.

Adolescents et adolescentes se garderaient alors de gâcher sur un coup de tête la chance qu’offre leur jeunesse en regardant l’avenir en face, sans craindre l’âge adulte et sans oublier qu’il est suivi de l’âge mûr.

Le troisième âge offre, en fait, une chance à la communauté qui, de nos jours, se prive des fruits de l’expérience vécue. Il est absurde d’évoquer des considérations pseudo-sociales pour éliminer de la vie active des hommes et des femmes, lorsqu’ils atteignent la plé­nitude de leurs moyens.

La retraite, mot à la consonance magique, per­met sans doute à d’aucuns de se reposer après de durs labeurs et à d’autres de s’adonner à des tâches qui conviennent à leurs aptitudes. Il ne s’agit malheureusement pas de la majorité qui se désespère de se sentir inutile en essayant par tous les moyens, trop souvent peu adaptés aux apti­tudes de chacun, d’échapper à ce sentiment. Néfaste attitude de la communauté, qui va à l’encontre de l’évolution.

La retraite devrait permettre de dégager la quin­tessence des expériences dues à un passé laborieux, donc de dégager une élite. Assigner au troisième âge la tâche, non de poursuivre dans la voie des efforts précédents, mais de transmettre, en fonc­tion du niveau évolutif de chacun, une capacité ou une sagesse acquise, transformerait la société, donnant un sens au prolongement de l’existence que la médecine rend possible.

Alors, l’être mûri par les vicissitudes du périple assumerait, au niveau qui est le sien, sa vraie sta­ture et quitterait, le jour venu, son corps comme on quitte un repas. Dignement. Mais nous n’en sommes pas là !

Aussi faut-il commencer par penser de juste façon, afin de ne pas subir le joug des idéologies qu’étayent de fausses notions. À ce titre, il est indispensable de bien connaître le mécanisme de la pensée. Il est mystérieux par sa complexité et conditionné par différents ressorts physiologiques, sensoriels et affectifs auxquels se superpose l’in­fluence qu’exercent la mémoire, le milieu et les croyances.

La pensée se déroule en fonction de postulats dont il faut remettre en question la valeur. Le savoir, qui est leur base, varie constamment et les notions qu’on voudrait définitives correspondent au mieux à une vérité du moment. Les paroles de Platon méritent grande attention : « Notre prison est le monde de notre vision. »

Prisonniers de notre vision du monde, il faut s’ingénier à l’élargir. Pour penser juste, il faut prendre conscience des secrets spirituels de l’Uni­vers. Si la matière peut s’évaporer en lumière et la lumière se condenser en matière, une Réalité trans­cendantale se révèle à l’arrière-plan des phéno­mènes visibles ou invisibles de notre monde. C’est ce que Max Planck, l’éminent physicien atomiste constate en écrivant : « Je dis, en conclusion de ma recherche sur l’atome, ce qui suit. Il n’y a pas de matière en soi, toute matière prend naissance et subsiste unique­ment grâce à une force qui fait osciller les petites particules de l’atome et les assemble en minuscules systèmes solaires. Nous devons, à l’arrière-plan de cette force, admettre un esprit conscient et intelli­gent. »

La Réalité de l’Univers se dévoile peu à peu au chercheur, mais il serait bon de ne jamais oublier que, pour appréhender cette Réalité, il faut être libre de reconnaître la Loi et les principes qui gou­vernent tout ce qui existe. Fort de cette certitude, l’Art de Vivre conduit à la découverte de Soi et permet une adaptation constante à tout ce qui est perceptible.

Le monde nouveau dans lequel, à tout moment, on entre, est différent de celui qu’on vient de quitter et, vouloir se raccrocher aux vestiges du récent passé, c’est se priver de la fraîcheur des impressions de l’instant. C’est admettre le retard de la pensée, prisonnière de la mémoire et des atta­ches conservatrices qu’engendre l’inertie psycholo­gique qui conditionne le comportement.

À l’heure de la bombe H, il faut comprendre que l’Art de Vivre engage l’homme à dépasser ses limites, tant psychologiques qu’autres, pour dissou­dre les ombres qui l’empêchent d’être lui-même. N’est-ce pas là tâche exaltante à laquelle pour­rait s’atteler la jeunesse de l’âge nouveau ?

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AUTORITÉ ET POUVOIR

Dans la vision audacieuse d’une possible mise en place des élites de connaissance, il importe de définir ce qu’implique cette suggestion. La scène est vide et l’on cherche des acteurs capables de l’occuper, mais peut-être les cherche-t-on mal, là où ils ne sont pas. Ou peut-être y a-t-il moins une recherche qu’une attente ?

L’attente incite à l’engourdissement et à l’inertie, surtout si l’on ignore comment s’y prendre et par quel bout commencer. Une chose semble indiscutable. Il n’est pas concevable de poursuivre la dégradation humaine sans risquer l’anéantissement de la race blanche. Le mode d’emploi du suicide, le sexe déifié, la drogue banalisée et l’exploitation éhontée d’une licence généralisée baptisée liberté, apanage, claironne-t-on, d’une génération dans le vent, conduisent à l’inexo­rable déchéance.

À moins d’un salutaire revirement, qui ne saurait s’effectuer par des interdits, lesquels ne feraient que refouler ce qui doit être dissous, la mission de l’Occident serait définitivement compromise. Seule une meilleure compréhension des lois de la nature qui reflètent l’Ordre Supérieur des choses de la Vie, un Ordre auquel l’homme est soumis, peut conduire au revirement.

Pour y parvenir, il faut reconnaître les mobiles d’intérêts pour aboutir à des solutions pertinentes, ce qui postule une acuité de perception capable de déceler à travers les faits extérieurs, les racines qui les font proliférer. Il faut un idéal de vérité capable de compenser l’amertume, le vide, la déception et la difficulté d’intégration qui sont, entre autres, les éléments déterminant d’une fuite en avant, que caractérise une délectation morbide à détruire ou à s’autodétruire.

La démocratie est un régime mal compris et doit, pour se parfaire, dépasser les vices qui, par réaction, conduisent périodiquement à la dictature. Il doit être possible, pour obtenir des suffrages, de ne pas avoir à faire de la surenchère démago­gique, de ne pas être forcé d’inventer de fausses justifications ou d’assener des coups bas à ses adversaires politiques.

Il doit être possible de se référer aux conseils d’une assemblée de sages ayant abandonné toute ambition, inclus celle d’accéder aux postes clefs ou aux honneurs dont ils ne sauraient que faire. Une assemblée d’hommes capables de réfléchir au bonheur des hommes auxquels leurs conseils pour­raient bénéficier.

Cela s’est vu dans le passé. La théocratie égyp­tienne a, grâce à cette pratique, perduré des millé­naires. L’assemblée des Amphictyons, en Grèce, en est un autre exemple et il n’est pas absurde d’inférer que le miracle économique japonais soit, en partie, le résultat de conseils péremptoires que donnent d’anciens chefs d’industrie retraités des affaires, mais réunis en une association dont l’occulte pou­voir est déterminant.

L’estime à accorder à l’homme doit donc faire l’objet d’une appréciation lui donnant des moyens d’action qui, aujourd’hui, font défaut. L’estime peut se situer sur un plan particulier. Celui, par exem­ple, de la réalisation technique ou scientifique, mais alors ses moyens d’action devraient se limiter à ce plan.

Les élites de technique conserveraient un ascen­dant sur ceux qui travaillent sous leur direction. Les élites de connaissance situent, néanmoins, leur action à un autre niveau. Ils pensent par eux-mêmes et maîtrisent la pensée, sans être maîtrisée par une idéologie qui débouche nécessairement sur l’élaboration d’une théorie ou d’un système, impo­sant un carcan dont ils ne sont pas totalement libérés.

Dans une époque de développement technique et scientifique, il ne s’agit pas de minimiser l’importance des élites de compétence. Bien au contraire. Ils doivent assumer leur rôle profession­nel et affirmer l’ascendant que leur assurent leurs compétences. Ils pourraient se grouper suivant une série d’ordres correspondant à leurs qualifications. Il ne s’agirait pas de syndicats, dont le rôle est diffé­rent, mais de cénacles de réflexion aux niveaux des compétences. Des confrontations inter-cénacles permettraient de dégager des lignes de conduite allant dans le sens de l’intérêt général.

De cénacle en cénacle, se constituerait une hiérarchie consultative qui épaulerait à tous les niveaux de l’activité économique, administrative, culturelle, artistique et politique, les tenants du pouvoir qui disposeraient, ainsi, d’éléments pré­cieux pour décider de l’action à mener.

Ce n’est qu’une indication, mais elle suscite une question souvent posée. Comment reconnaît-on une élite ? À quoi la reconnaît-on. ? Qu’est-ce qui justifie ce titre d’élite ?

On ne reconnaît pas une élite en énumérant ses titres et qualités. Une fois la compétence établie, elle s’impose par une compréhension qui dépasse la faculté d’adapta­tion nécessaire aux différents niveaux de l’activité humaine.

Elle s’impose par la compréhension de la phéno­ménologie humaine, qui relève d’un intérêt appliqué à l’homme et non aux choses, n’étant là que pour répondre à des besoins. L’intelligence susceptible de s’adapter à toutes les circonstances incite l’homme d’élite à servir l’homme, à améliorer les conditions d’existence de l’homme, à l’aider à dégager et à affirmer ses qua­lités en lui facilitant le choix qui lui convient.

L’homme d’élite, conscient que chaque problème individuel s’insère dans un problème général cher­chera, pour le résoudre, le concours des partici­pants au problème général susceptible d’aider à sa résolution. Il ne les nommera pas dans l’espoir de s’assurer de leur dévouement, mais sollicitera leur concours, en fonction de leurs aptitudes et de leur ouverture d’esprit. Sa sérénité l’empêchera d’être pris de court et de réagir là où l’homme enfermé dans ses limites conceptuelles, n’envisageant que son propre intérêt, se trouve désarmé.

Préoccupé par le développement des facultés qui sont le propre de l’homme, il s’adaptera aux condi­tions mouvantes de la Vie pour être à chaque instant présent, c’est-à-dire conscient des facteurs dont l’appréhension conditionne la liberté du choix, donc des moyens appropriés à résoudre le problème du moment.

Tout va très vite en ce monde dans lequel tout change constamment. L’homme d’élite doit se dé­faire des habitudes qui entravent le jugement. Il doit continuellement veiller à adapter au rythme mouvant du moment les solutions envisagées, afin de les intégrer à la réalité de l’instant. Seul l’homme ayant dissous le voile que tisse les conditionnements national, social, politique, fami­lial, religieux ou autre, peut voir juste, penser juste et agir juste.

Son action peut, évidemment, assumer toutes les formes du conseil à la main tendue, du sourire à la sévérité. L’homme d’élite s’impose par un état d’Être, permettant de reconnaître qu’il est à même d’apporter la solution qui s’impose et de la mettre en application. Cet état d’Être, issu de la Connais­sance englobant la compétence et la compréhension des problèmes humains, ainsi que la faculté de choi­sir, entraîne non seulement l’action juste, mais aussi le juste choix de tous ceux qui doivent y collaborer pour la rendre telle.

La compétence engendre la confiance des colla­borateurs, la confiance engendre l’acceptation volontaire des décisions se justifiant à un certain moment, et l’acceptation suscite l’adhésion sponta­née et, par voie de conséquence, la joie de l’accom­plissement. Elle favorise le développement des facultés néces­saires à l’achèvement de l’œuvre et c’est ainsi que l’homme d’élite donne l’exemple et devient le modèle vers lequel il faut tendre pour comprendre sa raison et le sens de son devenir.

Ajoutons que tout un chacun est sollicité et peut s’autodésigner, à condition de persévérer, lorsque surgissent des obstacles, à condition de se connaître pour envisager son action au niveau de ses moyens et en fonction de ses aspirations qui tracent une voie qu’il doit découvrir.

Y étant parvenu, il faut résolument s’engager à la suivre, mais, comme certaines conditions sont à respecter, une ascèse s’impose. Elle n’a pas un caractère contraignant et il ne s’agit pas d’une péni­tence. L’ascèse bien comprise doit favoriser l’épa­nouissement des facultés de perception, tant senso­rielles que suprasensorielles, soit l’éveil des facultés latentes du cerveau.