R.P. Kaushik
La relation gourou-disciple

Traduction libre C’est notre dernier exposé de la série. À mon avis, c’est un exposé important, car je vais aborder un sujet très controversé, le gourou, ou la relation. Il y a maintenant deux opinions sur la nécessité d’avoir un gourou. L’une est qu’il est indispensable d’avoir un gourou si l’on veut apprendre des choses […]

Traduction libre

C’est notre dernier exposé de la série. À mon avis, c’est un exposé important, car je vais aborder un sujet très controversé, le gourou, ou la relation. Il y a maintenant deux opinions sur la nécessité d’avoir un gourou. L’une est qu’il est indispensable d’avoir un gourou si l’on veut apprendre des choses sur la vie, la vérité, la conscience. L’autre opinion est qu’aucun gourou n’est nécessaire. Naturellement, la question se pose : laquelle des deux est vrai ? Pouvez-vous décider si un gourou est une nécessité, ou pouvez-vous décider qu’un gourou n’est pas du tout nécessaire ?

Avant que vous puissiez prendre une décision, nous devons examiner le sens même d’une opinion. Qu’est-ce qu’une opinion, que signifie vraiment ce mot ? Une opinion est une conclusion à laquelle vous arrivez à la suite de vos expériences dans la vie, à la suite de votre expérience, c’est votre conclusion. Deux personnes vivant dans des circonstances similaires peuvent avoir deux opinions différentes. La question est de savoir dans quelle mesure ces opinions sont valables pour ceux qui sont encore en mouvement. Les personnes qui s’intéressent vraiment à l’enquête sont celles qui ne sont pas rigides. Si vous décidez de choisir l’une de ces deux opinions comme étant la bonne, alors en acceptant et en choisissant, vous n’exercez que votre propre conditionnement. Si vous avez lu de la littérature traditionnelle ou même les œuvres du sage moderne Ramana Maharshi, vous en êtes peut-être venu à la conclusion que le gourou est un plus. Si vous avez lu les œuvres de J. Krishnamurti ou d’autres philosophes semblables, vous en êtes peut-être venu à la conclusion qu’un gourou n’est pas nécessaire.

À mon avis, commencer la question par des conclusions, c’est arriver à une mauvaise réponse. Une question ne peut être abordée de cette manière, car vous utilisez les opinions de deux personnes différentes. Ce que dit Krishnamurti aurait pu être valable pour lui ; ce que dit Ramana Maharshi aurait pu être valable pour lui. Comment savez-vous ce qui est valable pour vous ? Intellectuellement, vous pouvez en discuter, voir les mérites de ces deux opinions, ou peser ces deux opinions, mais ce à quoi vous arrivez est la vérité de l’opinion, pas la vérité elle-même. Vous êtes toujours dans le cadre de vos opinions et conclusions ; vous n’avez qu’une troisième opinion.

Pour aborder cette question, l’important est de savoir ce que vous entendez par le mot « gourou  ». Si vous n’êtes pas clair sur le mot que vous utilisez, il ne sert à rien de discuter de ses implications. Si le mot gourou signifie autorité, c’est la chose la plus destructrice dans la vie : l’autorité ne vous laisse pas fonctionner, ne vous laisse pas penser ou expérimenter. L’autorité, de par sa nature même, devient oppressante et destructrice. Si vous rencontrez une personne bien informée, quelqu’un qui a accumulé une énorme quantité de connaissances, ce qui implique une énorme quantité d’opinions fossilisées et cristallisées, vous constaterez qu’avec une telle personne, vous ne pouvez pas fonctionner ; vous ne pouvez qu’être répétitif et mécanique. Vous êtes très en sécurité avec une telle personne, car elle a une formule pour chaque événement possible qui peut survenir dans votre vie. Elle peut vous dire quoi faire dans différentes situations ; elle peut presque vous donner un guide pour chaque situation. Mais cela détruira votre intelligence, et fera de vous un automate. Il est donc évident que le gourou, en tant qu’autorité, est destructeur.

Ce mot gourou a un autre sens, il signifie une source d’apprentissage : quelqu’un qui peut vous éveiller, qui peut dissiper votre ignorance ou votre obscurité. Il est évident qu’un esprit cristallisé, un esprit concrétisé plein d’opinions, fonctionnant comme une autorité, ne peut pas dissiper l’ignorance et l’obscurité, ne peut pas vous éveiller. Il ne peut que détruire la possibilité de votre illumination. L’apprentissage implique une relation dans laquelle vous pouvez commencer à voir, à percevoir. Dans la plupart des relations, vous réagissez par des réactions ; vous n’apprenez pas. La plupart des relations entre esprits conditionnés sont basées sur le plaisir, visant à en tirer du plaisir, et ne servent qu’à notre autosatisfaction. L’esprit conditionné, mécanique, ne comprend pas ce qu’est une relation bien qu’il utilise sans cesse des mots comme père, mère, frère, sœur, enseignant et ami.

Il est important que vous ayez vraiment une relation avec celui qui vous enseigne, quel qu’il soit, qui n’est pas quelqu’un qui a beaucoup de connaissances, mais qui comprend la voie de son propre esprit. Parce qu’il comprend la voie de son propre esprit, il comprend aussi la voie de votre esprit, et il n’y réagira pas. En l’absence de réactions de l’autre, il est possible que vous commenciez à observer vos propres réactions. Bien souvent, lorsque vous avez une relation avec des personnes qui sont dans un état de réaction, elles ne font qu’alimenter votre réaction et vous alimentez leur réaction ; un retour d’information automatique a lieu et il n’y a aucune possibilité d’apprentissage. Si vous pouvez trouver une relation dans laquelle ce feedback n’a pas lieu, alors il y a une possibilité que vous pourriez voir. Il n’est pas nécessaire que cette personne vous enseigne quoi que ce soit consciemment ; vous n’avez pas à reconnaître consciemment qu’il s’agit d’une relation enseignant-disciple. La seule possibilité est que votre réaction soit réfléchie sur vous afin que vous puissiez voir comment vous réagissez, car l’autre personne n’alimente pas votre réaction, ne l’améliore pas.

Lorsqu’une personne devient libre ou déconditionnée, elle devient automatiquement un enseignant, non pas parce qu’elle veut ou essaie de l’être, mais parce que les personnes qui entrent dans la sphère d’influence de cet esprit sont forcément affectées par l’énergie de l’esprit déconditionné, le rayonnement de cet esprit. La mesure dans laquelle vous êtes affecté dépend de votre sensibilité. De près, de loin, d’un simple regard, en parlant ou en touchant, la manière dont cela se passe varie selon votre sensibilité. C’est cet impact, cette confrontation, que j’appellerais initiation, non pas en termes de rituel ou de méthode que l’on adopte, mais comme premier contact, le contact intérieur qui a lieu entre deux esprits. Ça peut ne pas être conscient du tout. Le seul problème est que les personnes réellement libres qui aiment leur liberté, et qui aiment la liberté de tous les autres sont très rares aujourd’hui. Il n’est pas facile de rencontrer de telles personnes, et donc trouver un gourou devient une question très difficile.

Une chose qu’il est important de comprendre est que si votre esprit est vraiment très sensible, vous n’avez pas nécessairement besoin d’une telle personne. Si vous êtes sensible, vous pouvez commencer à voir le fonctionnement de votre propre esprit partout, dans chaque événement, dans chaque relation, vous pouvez prendre conscience de votre propre mouvement. Si l’esprit est très sensible et que vous avez le courage de regarder, peut-être qu’aucun enseignant n’est nécessaire. Mais comme la plupart des gens n’ont pas ce courage et cette sensibilité, une aide doit donc venir de l’extérieur. Mais alors, dans une relation gourou-disciple, il est important de savoir jusqu’où le gourou est vraiment désintéressé pour aider le disciple à se dépasser, à dépasser ses attachements, sa dépendance. Et même si vous trouvez un gourou aussi désintéressé de qui vous recevez ce premier impact, cette première ouverture ou initiation, une responsabilité égale vous incombe d’utiliser ce contact ou ce toucher comme un moyen d’auto-éducation ou d’apprentissage. Il fait partie de l’autodiscipline de ne pas utiliser une telle relation comme une source de plaisir ou d’autosatisfaction. Sinon, cette relation peut être tellement agréable que vous ne voudrez pas en sortir. Le secret de cette relation est d’être libéré de cette dépendance.

Avant de pouvoir commencer à apprendre, il est important que vous ayez une soif urgente et sincère de savoir. Si cette intensité n’est pas là, aucune personne éveillée ou super-éveillée ne vous aidera. Si vous êtes avide et possessif, même si vous trouvez vraiment un dieu vivant quelque part, tout ce que vous voudrez faire, c’est vous emparer de lui et le mettre dans votre poche. Même si vous trouvez la personne la plus intelligente au monde, la personne la plus éveillée au monde, votre sérieux est beaucoup plus important que la qualification du gourou.

S’il y a un esprit déconditionné, l’énergie de cet esprit crée une sphère autour de lui et affecte chaque esprit qui entre en contact avec lui et qui vient dans son orbite. De même, lorsqu’un grand nombre de personnes deviennent honnêtes, sérieuses et assoiffées de connaissances – non pas de connaissances intellectuelles mais de véritables connaissances intérieures – et sont imprégnées de ce feu de la découverte, alors cette intensité crée une réponse. Une flamme est allumée et cette même intensité crée un autre pôle : un pôle opposé mais complémentaire. Tôt ou tard, ces deux intensités – l’intensité du chercheur et la flamme de la compréhension – ne manqueront pas de se rejoindre. C’est régi par une loi. Vous ne pouvez pas décider un jour de trouver un enseignant éveillé, acheter un billet de tour du monde et penser qu’en faisant ce tour vous trouverez un enseignant. Vous ne le trouverez jamais ; vous pourriez le croiser sur la route, il pourrait même être votre voisin d’à côté ou votre chauffeur de taxi. Vous ne le verrez jamais si vous le cherchez dans l’Himalaya, mais avec une véritable intensité, vous pourriez le rencontrer à New York.

La durée de ce contact entre l’enseignant et le disciple, entre la soif de recherche et la flamme de la compréhension, n’a rien à voir avec le temps. Cette relation peut durer un instant, un seul flash, ou cette association peut durer toute votre vie. Le temps n’est pas un facteur. Le temps n’est pas important, car vous avez affaire à quelque chose de beaucoup plus profond, de beaucoup plus subtil : l’intensité de cette énergie. Ce n’est pas une question de choix délibéré et humain. Aucun gourou, aussi élevé ou puissant soit-il, ne peut éveiller une personne selon son caprice ou sa fantaisie. Même pour l’amour, la grâce ou autre du gourou, l’intensité du disciple devient tout aussi importante.

Nous en arrivons donc à la question suivante : puisque de telles personnes sont très rares dans le monde, qu’est-ce que la plupart d’entre nous vont faire ? Dans ce cas, ce qui est important, c’est de comprendre la vie elle-même. Peut-on concevoir la vie sans relation ? Y a-t-il un seul moment de votre vie qui soit sans relation ? Peu importe que cette relation soit avec votre père, votre frère, votre mère, votre voisin, votre chien ou votre chat, votre maison ou vos vêtements ou votre solde bancaire, mais y a-t-il un seul moment de votre vie qui ne soit pas en relation ? Et chaque relation, chaque moment vous donne l’occasion de réfléchir sur vous-même. La beauté de la vie humaine ne réside que dans ce seul point. Le règne animal peut peut-être fonctionner intelligemment sans intellect, et même faire preuve d’une intuition et d’une sensibilité beaucoup plus profondes que les êtres humains. Mais ce que les animaux n’ont pas, c’est le pouvoir de réflexion ; ils ne peuvent pas réfléchir sur leur propre pensée, sur leur propre conscience. L’animal est incapable d’être conscient de sa conscience et ne peut donc pas aller au-delà de sa conscience. Il ne peut pas aller au-delà de ses peurs, il ne peut pas aller au-delà de son comportement instinctif. L’être humain est capable de réfléchir sur sa propre conscience, sur son propre processus de pensée, et il a donc la capacité unique de se comprendre lui-même. Il existe une possibilité de se comprendre soi-même. Et dans la compréhension de soi-même, il y a une possibilité d’aller au-delà de soi-même, au-delà de son conditionnement.

Il n’y a pas moyen de dépasser son conditionnement si ce n’est par cette compréhension de soi. À chaque instant, chaque relation se dévoile votre propre moi, vous mettant à nu devant vos propres yeux. Voyez comment vous réagissez à votre mère, comment vous réagissez à votre père, comment vous réagissez à votre mari, à votre femme, à vos enfants ; à vos amis, à votre voisin, à votre serviteur ; à votre chien, à vos plantes. Observez comment vous réagissez à vos chaussures, comment vous réagissez à vos vêtements, comment vous faites attention à tout dans la vie, à l’ensemble de la vie. Sans cette attention, sans cette affection pour chaque particule de la vie, chaque fragment de la vie, il n’y a pas de relation. La relation implique l’affection. Si vous avez une orientation anthropomorphique et que vous pensez que le monde entier est fait pour l’homme, non pas que vous faites partie de cette création, de cet univers, mais que Dieu a créé le monde entier pour vous, alors vous assumez le droit d’être libre et de tout prendre dans la vie. Cette absence de souci ou d’affection n’est pas de la liberté, c’est de l’insensibilité. Mais si vous vous souciez, si vous avez de l’affection, si vous avez de l’amour envers toute la vie, envers tout ce qui entre en contact avec vous, qu’il s’agisse d’êtres humains, d’animaux ou de plantes, qu’ils soient vivants ou non, alors vous pouvez apprendre à chaque instant de votre vie, dans chaque relation. Et chaque relation subira des changements de jour en jour, d’instant en instant.

J’ai entendu certaines personnes dire : « Docteur, je ne vous prends pas pour mon gourou, mais pour mon ami  ». Je suis vraiment très heureux si quelqu’un me prend comme ami. Mais j’ai découvert que pour la plupart des gens, appeler quelqu’un un ami, c’est pouvoir se disputer avec lui, se battre avec lui, l’insulter. Les gens pensent que l’amitié est une relation d’égalité et que là où il y a égalité, vous avez le droit de blesser, le droit d’être insensible, le droit d’être négligent et inattentif. À mon avis, la relation entre deux amis est la plus noble des relations, la plus belle, à condition que vous sachiez prendre soin l’un de l’autre, et des autres êtres humains. Mais vous utilisez le mot « ami  » pour vous faire plaisir. Vous voulez l’égalité dans la relation, mais il n’y a d’égalité nulle part dans ce monde. Il y a tant de diversité, tant de différenciation. Si vous savez comment gérer cette diversité, cela ne crée pas de problèmes. Dans cette diversité, il y a une unité, non pas une égalité, mais une unité. Lorsque vous inventez l’égalité, vous créez une classification intellectuelle. Il n’y a pas d’égalité, mais il peut y avoir une unité. Et lorsque vous comprenez cela, peu importe comment vous appelez un autre être humain, que vous l’appeliez gourou ou ami, frère ou sœur, mari ou femme, cela ne fait aucune différence.

La question fondamentale est de comprendre si vous utilisez une relation avec soin et affection ou si vous l’utilisez de manière insensible, pour promouvoir vos propres fins égoïstes. La plupart des relations entre des esprits conditionnés sont basées sur la satisfaction et le plaisir de soi. Si vous regardez bien, personne n’aime vraiment l’autre. Tout le monde vous aime pour ce que vous pouvez leur donner. Si vous ne leur donnez pas quelque chose, ils ne vous aimeront pas. Sous cette soi-disant relation, il y a le commerce, le troc. Par conséquent, au niveau conditionné, toute relation est destructrice, laissez de côté la relation entre le gourou et le disciple. Toute relation est destructrice, car lorsque vous recherchez plaisir et sécurité à travers un autre, vous êtes tenu de le détruire tôt ou tard.

Sur le plan conditionné, l’esprit humain ne sait pas ce qu’est l’amour. Chaque fois qu’il aime quelque chose, il a tendance à le détruire au nom de l’amour. Il ne peut pas laisser une chose rester telle quelle. Si vous aimez votre chien, vous voulez lui couper la queue. Si vous aimez une plante, vous voulez tailler ses branches. Et si vous aimez les êtres humains, vous voulez leur couper les ailes pour qu’ils ne puissent jamais s’envoler. Cette destruction systématique de l’autre, que nous appelons relation et amour, ne dure naturellement pas ; elle est si pleine de souffrance, si pleine de conflits. Et lorsque vous êtes tellement accablé de conflits que vous ne pouvez pas y faire face, alors vous trouvez soit un psychiatre, soit un gourou, en espérant que quelqu’un résoudra votre douleur, mais personne ne peut le faire. Si vous n’avez pas cette qualité de sensibilité qui vous permettra d’envisager la vie avec amour et affection, si vous ne faites pas preuve d’une grande attention et d’une grande sensibilité, vous ne verrez pas comment vous réagissez, combien vous êtes insensible aux besoins d’autrui, à quelle vitesse vous arrivez avec vos propres jugements, vos propres projections. Un esprit humain conditionné n’a pas d’autre choix que de se répéter mécaniquement. Lorsqu’il parle de choix, il ne sait même pas que c’est mécanique, et qu’il n’a qu’un seul choix : se répéter. Il y a énormément de confusion dans cet ordinateur. Mais lorsque vous êtes simplement conscient, parce que vous n’avez pas le choix, alors cette conscience elle-même, si on lui permet de fonctionner, transforme l’esprit. La conscience qui sort de la relation est votre enseignant, votre gourou. Si vous commencez à voir cela, aucun gourou humain n’est nécessaire.

Notre question ne peut donc pas être simplement écartée en disant qu’un gourou est nécessaire ou qu’un gourou n’est pas nécessaire ; la question ne peut pas être abordée de cette façon. Une autre chose à comprendre est que si vous croyez avoir une épouse, si vous croyez en la possibilité d’avoir un mari, si vous croyez en la possibilité d’avoir un père et une mère ou un fils ou une fille, alors dire que vous ne croyez pas dans le besoin d’avoir un gourou équivaut à rien. Si vous dites qu’une relation gourou-disciple n’existe pas, alors vous devrez également accepter qu’une relation mari-épouse ou une relation père-fils n’existe pas. Comment se fait-il que vous puissiez accepter quatre relations dans lesquelles vous désirez avoir du plaisir, mais que vous n’acceptiez pas une relation dans laquelle vous devez vous soumettre, vous abandonner et vous priver de plaisir ? Le mot gourou fait peur parce qu’un gourou est une autorité qui vous enlève votre liberté. Naturellement pour un esprit déconditionné, pour un esprit libre, gourou et disciple n’existent pas ; aucune relation n’existe en tant que telle car pour un tel esprit il n’y a pas de division. Si vous fonctionnez sur le plan de la dualité, alors vous devrez remettre en question chaque relation, chaque mot, chaque concept que vous utilisez. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire « je l’accepte  » ou « je le rejette  », ce qui n’équivaut à rien. Peu importe que vous ayez un gourou ou non, l’important est de ne rien accepter aveuglément. Remettez en question, et pas seulement lorsque ça vient d’une personne extérieur. C’est un gourou extérieur ; vous pouvez refuser cette autorité. Vous devez également refuser l’autorité de votre propre expérience, car votre propre expérience est conditionnée. Vous devez remettre en question votre propre expérience encore et encore pour arriver à l’essence ou à la source réelle de l’expérience. Avec cette quantité énorme de questions et d’interrogations, vous pouvez réellement être libéré de l’autorité et fonctionner de manière déconditionnée et sans entrave dans la vie. Rejeter une autorité extérieure tout en acceptant une autorité intérieure n’a pas de sens. Accepter une autorité peut être relativement mieux que d’en accepter une autre, mais cela n’a pas de sens.

La liberté totale signifie aller au-delà de chaque gourou, qu’il soit intérieur ou extérieur. Vous pouvez apprendre, vous pouvez utiliser n’importe quelle relation. Mais en utilisant cette relation pour vous comprendre, vous allez au-delà de la relation. Vous allez au-delà de cet enseignant ou ce gourou, quel qu’il soit. Et quand vous le dépassez, cela ne signifie pas que vous ne lui parlerez plus jamais si vous le rencontrez sur la route ; cela ne signifie pas que vous vous éloignerez de lui en disant : « Cette relation crée une dépendance, donc je ne dois pas être proche de mon enseignant, je ne dois pas le voir. » Aller au-delà signifie commencer à comprendre votre propre dépendance, votre propre besoin de sécurité, et comment cette dépendance ou ce besoin de sécurité détruit l’amour.

Lorsque vous commencez à vous comprendre, cette compréhension vous libère des rouages de votre esprit. Vous n’avez pas besoin de chercher à vous libérer de quelqu’un d’extérieur. La liberté vis-à-vis de votre gourou, de votre femme ou de votre mari ou d’un autre être humain est un mythe – un mythe qu’un esprit conditionné invente pour entretenir une relation destructrice. Il n’y a de liberté pour personne. Si vous vous libérez de quelqu’un dans une relation extérieure, vous tomberez tôt ou tard dans un autre piège, car vous ne pouvez pas vivre dans le vide. Se libérer de quelqu’un est donc une réaction. La vraie liberté est une attitude intérieure. Lorsque vous vous comprenez, lorsque vous comprenez le fonctionnement de votre esprit, – comment vous réagissez, comment vous agissez, comment vous relevez les défis – en voyant ces défis, en voyant ces réponses par une simple prise de conscience que vous pouvez appeler méditation, vous allez au-delà. Vous n’êtes plus entravé par eux, vous n’êtes plus lié par eux. Une fois que vous êtes libre de votre propre ego, une fois que vous êtes libre de votre propre égoïsme, vous êtes libre de tous les gourous extérieurs, de tout ce qui est extérieur. Personne ne vous attachera.

Le problème est d’être libre de son propre égocentrisme, et non de ce qui est extérieur. Alors, peu importe que vous viviez avec dix personnes ou seul, que vous viviez avec une femme ou un homme. Mais si vous ne comprenez pas cette complexité, toute cette nature mécanique de votre esprit, alors vous ne pouvez que croiser des oppositions. Si vous êtes avec une femme ou plusieurs femmes et que vous êtes malheureux, alors vous pourriez aimer vivre sans femmes pour le reste de votre vie et appeler cela le célibat. Vous pourriez appeler cela la liberté sexuelle, vous pourriez vénérer des images et des idées comme celle qu’un homme éveillé ne couche pas avec une femme. Parce que vous êtes tellement orienté vers le sexe, que vous projetez une image opposée à vous-même sur ce que vous pensez être libre, mais toute image opposée est la même. Les opposés sont liés et donc similaires. La vraie liberté vient de la conscience de soi, de la compréhension de soi. Personne de l’extérieur ne peut vous donner la liberté ; mais à condition que vous ayez cette intensité, quelqu’un peut vous aider à avancer sur la route. Si vous n’avez pas cette intensité, personne ne peut vous aider à en faire autant. C’est toujours une affaire à double sens, jamais à sens unique. À mon avis, c’est juste une histoire d’amour ; on ne peut pas tomber amoureux d’une autre personne si les deux n’ont pas la même intensité d’énergie. Même cette conversation ne peut avoir lieu si l’auditeur et l’orateur n’ont pas la même intensité, le même sentiment, la même urgence.

La vie est si complexe. Si vous n’abordez pas cette complexité de la vie par la simplicité, non pas en remettant en cause les notions des autres mais en vous remettant en cause vous-même, vos propres concepts, vos propres notions, votre propre langage, vos propres mots, votre propre comportement, à moins d’être vous-même simple, vous ne comprendrez jamais cette complexité. En acceptant et en niant, en théorisant, en verbalisant et en philosophant sur les concepts, vous rendez toute la question si complexe que vous ne comprenez rien du tout. Lorsque vous commencez à aborder cette complexité par la simplicité, la complexité commence à devenir simple. La simplicité devient profonde, et vous arrivez à un point de simplicité totale où rien n’est plus compliqué pour vous.

Alors, s’il vous plaît, ne dites pas simplement que vous croyez ou ne croyez pas en ceci, que vous croyez à la nécessité d’avoir un gourou ou que vous n’y croyez pas ; s’il vous plaît, arrêtez de dire cela. Commencez à remettre en question vos croyances, commencez à remettre en question vos concepts, commencez à remettre en question les mots que vous utilisez. Commencez à remettre en question le langage que vous utilisez, votre comportement, vos réactions. C’est là que réside la liberté. Il n’y a pas d’autre chemin vers la liberté.

7 janvier 1974