Hazrat Inayat Khan
L'âme, son origine et son but : L'Âme

(Revue La Pensée Soufie. No 1. 1964) L’âme Les chercheurs de vérité ont demandé aux sages et aux penseurs de toutes les époques l’explication du mot âme. Certains d’entre eux ont essayé de l’expliquer et d’autres ont donné des réponses qui peuvent être difficiles à comprendre pour tout le monde. Maintes définitions de penseurs diffèrent, […]

(Revue La Pensée Soufie. No 1. 1964)

L’âme

Les chercheurs de vérité ont demandé aux sages et aux penseurs de toutes les époques l’explication du mot âme. Certains d’entre eux ont essayé de l’expliquer et d’autres ont donné des réponses qui peuvent être difficiles à comprendre pour tout le monde. Maintes définitions de penseurs diffèrent, quant au sens du mot âme, quoique tous les mystiques arrivent a une même compréhension de l’idée de l’âme. De même que l’air capte dans l’eau devient pour le moment une bulle et que les ondes de l’air captées dans un vaisseau creux deviennent un son, ainsi l’intelligence captée par le mental et le corps devient l’âme – et c’est pourquoi l’Intelligence et l’Âme ne sont pas deux choses – c’est un état seulement de l’Intelligence qui est l’Âme. L’Intelligence, sous son aspect originel, est l’Essence de, la Vie, l’Esprit ou. Dieu. Mais mi moment. ou cette Intelligence est captée dans une capacité telle que le corps et le mental, sa nature dont l’origine est connaissance, connaît,et alors cette Intelligence qui connaît devient conscience. La différence entre la conscience et l’âme est que l’ âme est comme un miroir et la conscience est un miroir qui montre en lui un reflet.

Le mot persan « ruh » et le mot sanskrit « atma » signifient la même chose: âme. (en anglais« soul »). Il y a en anglais un autre mot: « sole », qui veut dire: un seul. Quoique orthographié différemment, il exprime pourtant la même idée, l’idée que 1’âme est cette partie de notre être en laquelle nous nous réalisons comme un seul être. Si l’on pense au corps, il a différents organes; si l’on pense à l’esprit il a diverses pensées; si l’on songe au cœur il a plusieurs sentiments; mais si l’on songe à l’âme, dans le véritable sens du mot, elle est un seul être. Elle est au-dessus des divisions; par conséquent, c’est l’âme qui réellement peut s’appeler l’individu, terme également employé très souvent par les philosophes pour designer tout à la fois le corps, l’esprit et la conscience. Soufisme vient originellement du mot saf qui signifie pur. Cette pureté peut être atteinte par la purification de l’âme de tous les attributs étrangers acquis par elle; découvrant ainsi sa véritable nature et son caractère réel. Une eau pure est une eau qui existe en son élément originel. S’il se trouve qu’il y ait dans l’eau du sucre et du lait, celui qui voudra l’analyser en séparera les éléments et tâchera de voir l’eau en son état pur Le Soufisme, par conséquent, est l’analyse du moi qui est devenu momentanément un mélange de trois choses: corps, mental et âme. Ayant séparé de l’ âme ses deux revêtements extérieurs, le Soufi en découvre la véritable nature, le caractère réel et c’est en cette découverte que gît le secret de la vie tout entière.

Roumi a dit dans le Masnavi que la vie sur terre est une captivité pour l’âme. Quand on regarde la bulle en laquelle l’air a été capté par l’eau, on saisit le sens de cette parole: qu’une chose libre dans ses mouvements devient captive des atomes de l’eau pendant un certain temps et, à ce moment, perd sa liberté. L’homme, dans toutes les conditions de la vie, quelles que soient son rang, sa position, ses possessions, est soumis aux peines, aux douleurs, aux difficultés. D’où viennent-elles? De ses limitations. Mais si la limitation était naturelle, pourquoi ne serait-il pas satisfait de ses peines? C’est que la limitation n’est pas naturelle à l’âme. L’âme, qui de nature est libre, se sent mal à l’aise dans la vie de limitation, en dépit de tout ce que ce monde peut offrir. Au moment ou l’âme éprouve l’extrême degré de la douleur, elle refuse tout ce que ce monde peut lui offrir, pour s’envoler des sphères de la terre chercher les sphères d’indépendance et de liberté qui sont sa prédisposition. Un désir se cache sous tous les autres désirs de l’homme, celui de liberté, désir qui trouve parfois sa satisfaction dans une promenade solitaire, dans les bois ou il peut rester seul pendant un moment, ou dans un profond sommeil au cours duquel même les rêves ne troublent pas, ou dans la méditation alors que les activités du corps et de l’esprit sont momentanément suspendues. C’est pourquoi les sages ont préféré la solitude et ont toujours montré de l’amour pour la nature et ont adopté la méditation comme méthode pour atteindre ce but: la liberté de l’âme.

Le Zat, l’Intelligence primaire, devient captif de la connaissance. Ce qui forme sa subsistance le limite, le réduit; et la douleur et le plaisir, la naissance et la mort, l’Intelligence en fait l’expérience dans cette captivité que nous nommons la vie. La mort, en fait, n’appartient pas à l’âme. Ainsi, elle n’appartient pas à la personne. La mort survient à ce qu’un être connaît, mais pas à l’être lui-même. La~vie vit, la mort meurt. Mais l’esprit qui n’a pas sondé les profondeurs du secret de la vie devient perplexe et malheureux devant l’idée de la mort. Quelqu’un alla voir un jour un Soufi et lui demanda:« Qu’arrive-t-il après la mort? » Celui-ci répondit: « Pose cette question à quelqu’un qui mourra, à un être mortel, ce que je ne suis pas. » L’intelligence n’est pas seulement une faculté de connaissance mais elle est en même temps créatrice. La manifestation tout entière est la création de l’Intelligence. Le temps et l’espace ne sont rien autre que connaissance pour 1’Intelligence. L’Intelligence liée à cette connaissance devient limitée, mais lorsqu’elle devient libre de toute connaissance elle a l’expérience de sa propre essence, de son être propre. C’est cela que le Soufi appelle le procédé de désapprendre qui purifie l’Intelligence en la libérant de connaissance. Ce sont les lueurs de cette expérience qu’on appelle extase, car, à ces moments l’Intelligence possède une joie indépendante qui est le vrai bonheur. Le bonheur de l’âme est en elle-même ; rien ne peut rendre l’âme pleinement heureuse, sauf la réalisation de soi.

Les phénomènes que l’Intelligence crée; par son pouvoir créateur deviennent comme la source de sa propre illusion. Comme l’araignée se prend dans sa toile, l’âme devient captive en tout ce qu’elle a créé. Ce tableau nous le voyons dans la vie des individus et de la multitude. Un mobile donne du pouvoir, et c’est en même temps le mobile qui limite le pouvoir; car le pouvoir de l’âme est plus grand qu’aucun mobile. Mais la conscience du mobile stimule le pouvoir et, cependant, ravit à l’âme son pouvoir. Les Hindous. ont appelé tout le phénomène de la vie du nom de Maya, qui veut dire énigme. Et quand une fois la vraie nature, le vrai caractère de cette énigme ont été compris, le sens de chaque mot du langage devient mensonger, sauf une seule Vérité que les mots ne peuvent expliquer. C’est pourquoi l’âme peut être considérée comme étant un état de Dieu, un état qui limite le Seul Être pendant un temps. Et l’expérience obtenue pendant ce temps avec ses, joies et ses peines, toujours changeantes, est intéressante. Plus l’expérience est complète, plus vaste devient la vision de la vie. Et ce qu’on doit expérimenter dans la vie c’est son véritable être. La vie que chacun connaît est cette période momentanée de la captivité de l’âme. Au-delà, il ne connaît rien. C’est pourquoi il appelle chaque changement apparent mort ou décomposition. Quand une fois l’âme s’est élevée au-dessus de cette phase illusoire de la vie en surmontant tout ce qui existe outre elle-même, elle éprouve à la fin ce bonheur en vue duquel toute cette création a eu lieu. Le dévoilement de l’âme est la découverte de Dieu.

Le mot intelligence, tel qu’il est employé et compris de nos jours ne donne pas une idée complète de son sens réel, surtout lorsque la science moderne nous présente l’ intelligence comme une chose issue de la matière ou de l’énergie. Mais, selon le mystique, l’Intelligence est l’élément primaire, ou la cause aussi bien que l’effet. Alors que la science l’admet comme effet, la mystique y voit la cause. Comment dira-t-on, l’Intelligence peut-elle créer cette dense terre qui est matière? Il doit y avoir une énergie derrière elle. Cette question se présente à l’esprit parce que nous séparons l’Intelligence de l’énergie ou de la matière. En fait, l’esprit est matière et la matière est esprit; la densité de l’esprit est matière et la finesse de matière est esprit. L’Intelligence devient intelligible en se convertissant en densité. Cette densité manifeste à sa propre vue crée deux objets: Zat, le Moi et Sifat, ce qui :est connu du Moi. Et puis, la nécessité d’un troisième objet, du médium, moyennant lequel le Moi connaît ce qu’Il connaît: Nazar, la vision ou l’esprit. Les. poètes soufis ont figuré ces trois aspects dans leur vers comme .Baagh, Bhar et Bulbul, le jardin, le printemps et le rossignol. Et ces trois aspects de la vie sont à la racine de l’idée de Trinité. Dés qu’ils ont été réalisés comme un seul le but de la vie est accompli. À mesure que la matière évolue, elle montre de l’intelligence, et si on étudie 1’évolution croissante du monde matériel, on trouvera qu’à chaque pas de l’évolution le monde matériel s’est montré plus intelligent et qu’il atteint le sommet de son développement dans la race humaine.: Mais ce n’est que la prédisposition de ce que nous appelons matière qui se manifeste à la fin. Toute chose dans la nature est l’évidence de cette vérité. Même dans le monde végétal nous voyons que la graine, qui est à la racine de la plante, est aussi son résultat. Et c’est pourquoi l’Intelligence vient comme l’effet, et l’effet même est la cause.

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