Je regardais les images du scanner apparaître à l’écran, une par une. La tête du bébé était en grande partie vide. Il n’y avait que de minces fragments de cerveau — un peu de tissu cérébral à la base du crâne, et une fine bordure autour des bords. Le reste, c’était de l’eau.
Ses parents craignaient cela. Nous l’avions vu à l’échographie prénatale ; le scanner, effectué quelques heures après la naissance, était beaucoup plus précis. Katie avait l’apparence d’un nouveau-né normal, mais elle avait peu de chances de mener une vie normale. Elle avait une sœur jumelle dizygote dans l’incubateur à côté d’elle. Mais Katie n’avait qu’un tiers du cerveau de sa sœur. J’ai expliqué tout cela à sa famille, en essayant de maintenir une lueur d’espoir pour leur fille.
J’ai pris soin de Katie pendant sa croissance. À chaque étape de sa vie jusqu’à présent, elle a excellé. Elle s’est assise, a parlé et marché plus tôt que sa sœur. Elle a été inscrite au tableau d’honneur. Elle va bientôt obtenir son diplôme de fin d’études secondaires.
J’ai eu d’autres patients dont le cerveau était bien en deçà de leur esprit. Maria n’avait que les deux tiers d’un cerveau. Elle a eu besoin de quelques opérations pour drainer du liquide, mais elle s’épanouit. Elle vient de terminer sa maîtrise en littérature anglaise et est musicienne publiée. Jesse est né avec une tête en forme de ballon de football, à moitié remplie d’eau — les médecins avaient dit à sa mère de le laisser mourir à la naissance. Elle a désobéi. C’est un collégien normal, heureux, qui adore le sport et porte les cheveux longs.
Certaines personnes ayant un cerveau déficient sont profondément handicapées. Mais ce n’est pas le cas de toutes. J’ai traité et suivi des dizaines d’enfants qui grandissent avec un cerveau déficient, mais un esprit florissant. Comment cela est-il possible ? Les neurosciences, et Thomas d’Aquin nous indiquent la réponse.
L’esprit est-il mécanique ?
En tant qu’étudiant en médecine, je suis tombé amoureux du cerveau. C’est un organe impressionnant : un ensemble de cellules, d’axones, de noyaux et de lobes repliés dans des formes exotiques. J’ai dû apprendre à quoi il ressemble lorsqu’il est découpé par un tomodensitomètre, puis à quoi il ressemble lorsque je le découpe moi-même. Ma fascination pour la neuroanatomie était métaphysique : c’était de là que venaient nos pensées et nos décisions, c’était une carte de notre moi humain, et j’apprenais à la lire comme on lit un livre. Je croyais que c’était la vérité sur nous.
Mais j’avais tort. Katie m’a obligé à affronter mon erreur. C’était une personne entière. L’enfant dans mon cabinet ne correspondait en rien, de manière significative, à l’image de son cerveau sur le scanner ou au schéma dans mon manuel de neuroanatomie. La carte s’était trompée.
Quel est le lien entre l’esprit et le cerveau ? Cette question est au cœur de ma vie professionnelle. Je pensais avoir la réponse. Pourtant, un siècle de recherche et trente années de pratique neurochirurgicale ont remis en cause tout ce que je croyais savoir.
La vision que partageaient ceux qui m’ont formé, c’est que l’esprit est entièrement un produit du cerveau, lequel est lui-même compris comme une sorte de machine. Francis Crick, neuroscientifique et lauréat du prix Nobel, codécouvreur de la structure de l’ADN, écrivait que « les activités mentales d’une personne sont entièrement dues au comportement des cellules nerveuses, des cellules gliales, et des atomes, ions et molécules qui les composent et les influencent ».
Cette philosophie mécanique repose sur deux étapes. Elle a commencé avec René Descartes, qui soutenait que l’esprit et le cerveau étaient deux substances distinctes, immatérielles et matérielles. D’une manière ou d’une autre (comment, ni Descartes ni personne d’autre ne peut le dire), l’esprit est lié au cerveau — c’est le fantôme dans la machine.
Mais à mesure que l’approche de Francis Bacon pour comprendre le monde s’est imposée au cours du siècle des Lumières, il est devenu à la mode de limiter l’enquête sur le monde aux seules substances physiques : étudier la machine et ignorer le fantôme. La matière était abordable, et nous l’avons étudiée à l’obsession. Le fantôme a été ignoré, puis nié. C’est ce que la logique du matérialisme exigeait.
Le matérialiste affirme que nous sommes esclaves de nos neurones, sans véritable libre arbitre. Le matérialisme se décline en plusieurs versions, qui ont tour à tour été en vogue, puis abandonnées au cours du siècle passé, à mesure que leur insuffisance devenait manifeste. Les béhavioristes soutenaient que l’esprit, s’il existe, est sans importance. Ce qui compte, c’est ce qui est observable — l’entrée et la sortie. Pourtant, le béhaviorisme est en déclin, car il est difficile de nier la pertinence de l’esprit en neurosciences.
La théorie de l’identité, qui a remplacé le béhaviorisme, soutenait que l’esprit est le cerveau. Les pensées et les sensations sont exactement la même chose que le tissu cérébral et les neurotransmetteurs, simplement compris différemment. La douleur que vous ressentez dans le doigt est identique aux impulsions nerveuses dans votre bras et dans votre cerveau. Mais, bien sûr, ce n’est pas vraiment vrai. La douleur fait mal, et les impulsions nerveuses sont électriques et chimiques. Elles ne sont même pas similaires. Les théoriciens de l’identité ont lutté pendant une génération contre une réalité récalcitrante, puis ont abandonné.
Le fonctionnalisme computationnel est venu ensuite : le cerveau est le matériel, l’esprit est le logiciel. Mais cela aussi pose problème. Le philosophe allemand du XIXe siècle Franz Brentano a souligné que la seule chose qui distingue absolument les pensées de la matière est que les pensées sont toujours à propos de quelque chose, tandis que la matière n’est jamais à propos de quoi que ce soit. Cette intentionnalité est la marque de fabrique de l’esprit. Chaque pensée a une signification. Aucune chose matérielle n’a de signification.
La computation est l’établissement d’une correspondance entre une entrée et une sortie selon un algorithme, indépendamment de toute signification. La computation n’a pas d’intentionnalité ou d’à-propos (aboutness) ; elle est l’antithèse de la pensée.
Neurosciences et métaphysique
Fait remarquable, les neurosciences nous apprennent trois choses sur l’esprit : l’esprit est métaphysiquement simple, l’intellect et la volonté sont immatériels, et le libre arbitre est réel.
Au milieu du XXe siècle, des neurochirurgiens ont découvert qu’ils pouvaient traiter un certain type d’épilepsie en sectionnant un large faisceau de fibres cérébrales, appelé corps calleux, qui relie les deux hémisphères du cerveau. Après ces opérations, chaque hémisphère fonctionnait indépendamment. Mais qu’advient-il de l’esprit d’une personne dont le cerveau est coupé en deux ?
Le neuroscientifique Roger Sperry a étudié des dizaines de patients au cerveau divisé. Il a constaté, de manière surprenante, que dans la vie quotidienne, les patients montraient peu d’effets. Chaque patient restait une personne unique. L’intellect et la volonté — la capacité à avoir une pensée abstraite et à choisir — demeuraient unifiés. Ce n’est qu’à travers des tests minutieux que Sperry a pu trouver des différences : leurs perceptions étaient altérées par l’opération. Des sensations — provoquées par le toucher ou la vision — pouvaient être présentées à un hémisphère du cerveau sans être ressenties dans l’autre. La production de la parole est associée à l’hémisphère gauche du cerveau ; les patients ne pouvaient pas nommer un objet présenté à l’hémisphère droit (via le champ visuel gauche). Pourtant, ils pouvaient pointer l’objet avec leur main gauche (contrôlée par l’hémisphère droit). Le résultat le plus remarquable du travail de Sperry, qui lui valut le prix Nobel, fut que l’intellect et la volonté — ce que l’on pourrait appeler l’âme — restaient indivis.
Le cerveau peut être coupé en deux, mais pas l’intellect ni la volonté. L’intellect et la volonté sont métaphysiquement simples.
L’un des neurochirurgiens ayant contribué à la mise au point de la callosotomie pour les patients épileptiques fut Wilder Penfield, qui travailla à Montréal au milieu du XXe siècle. Penfield a étudié les cerveaux et les esprits de patients épileptiques d’une manière remarquablement directe, dans le cadre de leur traitement. Il opérait des personnes éveillées. Le cerveau lui-même ne ressent aucune douleur, et des anesthésiques locaux suffisent à engourdir le cuir chevelu et le crâne pour permettre une chirurgie cérébrale indolore. Penfield leur demandait de faire ou de penser à certaines choses pendant qu’il observait et stimulait temporairement ou inhibait des régions de leur cerveau. Deux choses l’ont profondément surpris.
Premièrement, il remarqua quelque chose à propos des crises d’épilepsie. Il pouvait déclencher des crises en stimulant le cerveau. Un patient pouvait bouger le bras, ressentir un picotement, voir des éclairs de lumière ou même revivre des souvenirs. Mais ce qu’il ne pouvait jamais provoquer, c’était une crise intellectuelle : le patient ne raisonnait jamais lorsque son cerveau était stimulé. Jamais le patient n’a jamais envisagé la pitié, ni déploré l’injustice ni calculé les dérivées secondes en réponse à une stimulation cérébrale. Si le cerveau engendre entièrement l’esprit, pourquoi n’existe-t-il pas de crises intellectuelles ?
Deuxièmement, Penfield nota que les patients savaient toujours que le mouvement ou la sensation provoqué par la stimulation cérébrale leur était infligé, et non provoqué par eux-mêmes. Lorsqu’il stimulait la zone motrice du bras, les patients disaient toujours : « Vous avez fait bouger mon bras », et jamais : « J’ai bougé mon bras ». Les patients gardaient toujours une conscience exacte de leur rôle. Il existait une partie du patient — la volonté — que Penfield ne pouvait pas atteindre avec son électrode.
Penfield a commencé sa carrière en tant que matérialiste. Il l’a terminée en dualiste convaincu. Il affirmait qu’il existe un aspect du soi — l’intellect et la volonté — qui n’est pas le cerveau, et qui ne peut pas être suscité par la stimulation du cerveau.
Certaines des recherches les plus fascinantes sur la conscience ont été menées par Benjamin Libet, contemporain de Penfield, à l’Université de Californie à San Francisco. Libet se demandait : Que se passe-t-il dans le cerveau lorsque nous pensons ? Quel est le lien entre les signaux électriques dans le cerveau et nos pensées ? Il s’intéressait particulièrement à la chronologie entre les ondes cérébrales et les pensées. Une onde cérébrale se produit-elle au même moment que la pensée, avant, ou après ?
La question était difficile à trancher. Il n’était pas compliqué de mesurer les changements électriques dans le cerveau : cela pouvait se faire couramment avec des électrodes sur le cuir chevelu, et Libet a pu enregistrer des signaux profonds dans le cerveau pendant que les patients étaient éveillés, grâce à la collaboration de neurochirurgiens. Le défi était de mesurer avec précision l’intervalle de temps entre les signaux et les pensées. Mais les signaux ne durent que quelques millisecondes, et comment chronométrer une pensée avec une telle précision ?
Libet commença par choisir une pensée très simple : la décision d’appuyer sur un bouton. Il modifia un oscilloscope pour qu’un point tourne autour de l’écran une fois par seconde, et quand le sujet décidait d’appuyer sur le bouton, il notait la position du point à ce moment-là. Libet mesura le moment de la décision et le moment des ondes cérébrales chez de nombreux volontaires, avec une précision de l’ordre de dizaines de millisecondes. Il constata systématiquement que la décision consciente d’appuyer sur le bouton était précédée d’environ une demi-seconde par une onde cérébrale qu’il appela potentiel de préparation. Ensuite, une demie seconde plus tard, le sujet devenait conscient de sa décision. Il semblait, au premier abord, que les sujets n’étaient pas libres ; leur cerveau prenait la décision de bouger, et ils la suivaient.
Mais Libet est allé plus loin. Il demanda à ses sujets d’annuler leur décision immédiatement après l’avoir prise — c’est-à-dire de ne pas appuyer sur le bouton. Là encore, le potentiel de préparation apparaissait une demi-seconde avant la prise de conscience de la décision d’appuyer sur le bouton, mais Libet découvrit que le veto — qu’il appelait le non libre (free won’t) — n’avait aucune onde cérébrale correspondante.
Le cerveau, donc, présente une activité qui correspond à une impulsion préconsciente de faire quelque chose. Mais nous sommes libres de refuser ou d’accepter cette impulsion. Les motivations sont matérielles. Le veto, et implicitement l’acceptation, est un acte immatériel de la volonté.
Libet nota la correspondance entre ses expériences et la compréhension religieuse traditionnelle de l’être humain. Nous sommes, disait-il, assaillis par une mer d’inclinations, correspondant à l’activité matérielle de notre cerveau, que nous avons le libre choix de rejeter ou d’accepter. Il est difficile de ne pas lire cela en des termes plus familiers : nous sommes tentés par le péché, et pourtant nous sommes libres de choisir.
L’approche de la compréhension du monde et de nous-mêmes qui a été remplacée par le matérialisme était celle de la métaphysique classique. Le penseur et enseignant le plus éminent de cette tradition fut saint Thomas d’Aquin. Suivant Aristote, Thomas écrivait que l’âme humaine possède différents types de facultés. Les puissances végétatives, partagées par les plantes et les animaux, servent à la croissance, à la nutrition et au métabolisme. Les puissances sensibles, partagées avec les animaux, comprennent la perception, les passions et la locomotion. Les puissances végétatives et sensibles sont des facultés matérielles du cerveau.
Mais les êtres humains possèdent deux facultés de l’âme qui ne sont pas matérielles — l’intellect et la volonté. Elles transcendent la matière. Ce sont les moyens par lesquels nous raisonnons, et par lesquels nous choisissons en fonction de la raison. Nous sommes un composé de matière et d’esprit. Nous avons une âme spirituelle.
Thomas d’Aquin ne serait pas surpris par les résultats des recherches de ces scientifiques.
Ce qui est en jeu
Le philosophe Roger Scruton a écrit que les neurosciences contemporaines sont « une vaste collection de réponses sans aucune mémoire des questions ». Le matérialisme a limité les types de questions que nous avons le droit de poser, mais les neurosciences, lorsqu’elles sont poursuivies sans biais matérialiste, pointent vers la réalité que nous sommes des chimères : des êtres matériels dotés d’âmes immatérielles.
En quoi nos vies ou notre société seraient-elles différentes si nous découvrions que notre esprit n’était que le produit de notre cerveau matériel — et que chacune de nos décisions était déterminée, sans libre arbitre ?
La pierre angulaire du totalitarisme, selon Hannah Arendt, est le déni du libre arbitre. Dans les visions du communisme et du nazisme, nous ne sommes que des instruments des forces historiques, et non des acteurs libres capables de choisir le bien ou le mal.
Sans libre arbitre, nous ne pouvons pas être coupables en un sens individuel. Mais nous ne pouvons pas non plus être innocents. Ni les Juifs sous Hitler ni les paysans koulaks sous Staline n’ont été tués parce qu’ils étaient individuellement coupables. Leur culpabilité leur a été assignée selon leur type, et ils ont été exterminés pour accélérer un processus naturel, qu’il s’agisse de la purification de la race ou de la dictature du prolétariat.
En revanche, la conception classique de la nature humaine est que nous sommes des êtres libres, non soumis au déterminisme. Cette conception est la base indispensable de la liberté et de la dignité humaines. Elle est également indispensable pour simplement comprendre le monde qui nous entoure : entre autres, pour comprendre Katie.
Je la vois dans mon cabinet chaque année. Elle s’épanouit : volontaire et brillante. Sa mère est exaspérée, et, après dix-sept ans, toujours surprise. Je le suis aussi.
Il y a beaucoup de choses à propos du cerveau et de l’esprit que je ne comprends pas. Mais les neurosciences racontent une histoire cohérente. Il y a une partie de l’esprit de Katie qui n’est pas son cerveau. Elle est plus que cela. Elle peut raisonner et elle peut choisir. Il y a une partie d’elle qui est immatérielle — la partie que Sperry n’a pas pu diviser, que Penfield n’a pas pu atteindre, et que Libet n’a pas pu détecter avec ses électrodes. Il y a une partie de Katie qui n’apparaissait pas sur les images du scanner lorsqu’elle est née.
Katie, comme vous et moi, a une âme.
Texte original publié le 20 août 2018 : https://www.plough.com/en/topics/justice/reconciliation/science-and-the-soul
Michael R. Egnor, MD, est professeur de neurochirurgie et de pédiatrie à la State University of New York à Stony Brook. Il a été directeur du service de neurochirurgie pédiatrique et est un neurochirurgien primé. En 2005, il a été désigné comme l’un des meilleurs médecins de New York par le New York Magazine. Son livre, The Immortal Mind: A neurosurgeon’s case for the existence of the soul, coécrit avec Denyse O’Leary, a été publié par Worthy le 3 juin 2025.
Il a fait ses études de médecine au Columbia University College of Physicians and Surgeons et a effectué sa résidence au Jackson Memorial Hospital. Ses recherches sur l’hydrocéphalie ont été publiées dans des revues telles que le Journal of Neurosurgery, Pediatrics et Cerebrospinal Fluid Research. Il est membre du comité consultatif scientifique de la Hydrocephalus Association aux États-Unis et a donné de nombreuses conférences à travers les États-Unis et l’Europe.