Robert Linssen
La science qui va au-delà des savoirs

(Extrait de Robert Linssen – Krishnamurti précurseur du IIIe Millénaire 1986) Une nouvelle orientation dans l’évolution de la pensée scientifique s’est dessinée au cours de la fin du vingtième siècle. Des rapports de complémentarité sont entrevus entre certaines sciences, telles la nouvelle physique quantique, la biologie systémique, l’éthique et la spiritualité. Ce fait complètement inattendu, […]

(Extrait de Robert Linssen – Krishnamurti précurseur du IIIe Millénaire 1986)

Une nouvelle orientation dans l’évolution de la pensée scientifique s’est dessinée au cours de la fin du vingtième siècle. Des rapports de complémentarité sont entrevus entre certaines sciences, telles la nouvelle physique quantique, la biologie systémique, l’éthique et la spiritualité. Ce fait complètement inattendu, encore impensable il y a quelques années tend à neutraliser les effets destructeurs de la science et du savoir humain en général que nous avons commenté. Ainsi que l’écrit Gary Zukav [1] : « Le développement de la physique du XXème siècle a déjà transformé la conscience de ceux qui s’y appliquent. L’étude de la complémentarité, le Principe d’Incertitude et l’Interprétation de Copenhague de la Mécanique quantique suscitent des perceptions de la nature de la Réalité très semblables à celles que produit l’étude de la philosophie orientale. Nous approchons de la fin de la science. Cette déclaration appelle certains développements.

Nous avons toujours insisté sur le caractère scientifique de l’expérience intérieure fondamentale. Les rationalistes et scientistes la condamnent en la taxant de subjectivité. L’homme de science observe des faits dans une attitude d’attention absente de tout a priori mental. Il construit ensuite des modèles et émet des hypothèses théoriques capables d’expliquer ces faits et de préciser les lois qui les régissent. Peut-on taxer de subjectivité un état d’observation dans lequel n’interviennent plus nos préférences ou répulsions personnelles, ni nos jugements de valeur, ni les automatismes de mémoire, ni nos processus de verbalisation. C’est une telle qualité d’attention que nous suggère Krishnamurti. Tout ce qui constituait l’entité du « sujet » en a été éliminé. Dans la « vue pénétrante » dont nous parle Krishnamurti, seule reste la clarté d’un champ de conscience qui englobe et domine la dualité apparente de l’observateur et de l’observé. On ne peut plus parler ici de « subjectivité ».

Krishnamurti a écrit quelques lignes sur la « Vision pénétrante et holistique » dans ses « Lettres aux écoles ». Il déclare : [2] « La vision pénétrante n’est pas la déduction minutieuse de la pensée, son processus analytique ou la nature temporelle de la mémoire. C’est la perception sans celui qui perçoit; elle est instantanée.

« La vision pénétrante n’est pas quelque chose d’intellectuel à prouver et breveter. Il ne peut y avoir vision pénétrante sans qu’il y ait amour. Cet amour est la plus haute forme de sensibilité. La vision pénétrante est holistique. Elle n’est pas un mouvement continu. La vision pénétrante est l’intelligence suprême et cette intelligence se sert de la pensée comme d’un instrument. »

Ce fragment situe la pensée à la juste place qu’elle doit occuper dans la vie intérieure. La pensée n’est qu’un instrument de communication. Nous répétons ici intentionnellement l’affirmation souvent reprise par Krishnamurti : « la pensée n’est pas l’Intelligence ».

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Les rapports existant entre l’enseignement de Krishnamurti et la science sont souvent contestés. Les personnes qui se méfient des tentatives de rapprochement entre l’enseignement de Krishnamurti et le « savoir » scientifique invoquent pour appuyer leur façon de voir un fragment du dialogue qui s’est déroulé entre Krishnamurti et un célèbre lettré indien, le Swami Venkatesananda [3] :

« Krishnamurti : Qu’est ce que le Védanta ?

Le Swami : Ce mot signifie la fin des Védas… pas la fin indiquée par un point à la ligne.

Krishnamurti : Cela veut dire la fin de tout savoir.

Le Swami : Très exactement. La fin du savoir, le domaine où le savoir n’a plus d’importance.

Krishnamurti : Par conséquent laissons-le de côté.

Le Swami : Oui.

Krishnamurti : Alors pourquoi, à partir de là, se mettre à décrire ce que cela n’est pas ? »

Mais il se fait, qu’en cette fin du XXème siècle le savoir scientifique permet d’atteindre de telles profondeurs qu’il peut se démontrer à lui-même la nature de ses limitations et la nécessité de les transcender.

Nous n’avons jamais prétendu qu’il soit nécessaire d’acquérir le « savoir » scientifique ou tout autre savoir pour comprendre qu’il est nécessaire de s’en débarrasser ! Cette démarche comporterait un élément d’absurdité et de contradiction. Mais la plupart d’entre nous sont engloutis dans les « savoirs », qu’ils le veuillent ou non. Nous y sommes engloutis malgré nous par notre hérédité, notre éducation, les milliards de mémoires dont notre cerveau est la cristallisation.

Nous pensons cependant qu’il peut être utile et nécessaire, aux enseignants, et aux enseignants seulement, d’avoir la capacité d’énoncer le langage du savoir afin de pouvoir aider ceux, qui malgré eux, en subissent encore les limitations.

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La clarté et la précision avec lesquelles Krishnamurti explore la nature et le fonctionnement de la pensée témoignent d’une rigueur assez semblable aux démarches des explorations scientifiques. C’est ce que confirme l’un des savants les plus illustres de l’époque actuelle : David Bohm. Commentant les écrits de Krishnamurti, David Bohm déclare [4] : « L’œuvre de Krishnamurti est empreinte de ce que l’on peut appeler l’essence d’une approche scientifique des problèmes sous sa forme la plus haute et la plus pure ». Ainsi, il part d’un fait, ce fait concernant la nature du processus de la pensée. Ce fait est établi par une très grande attention sous-entendant l’observation soigneuse du processus de la conscience. En ceci on apprend constamment et de cela vient la connaissance de la nature générale du processus de la pensée. Cette connaissance est ensuite mise à l’épreuve. D’abord on voit si elle est cohérente, rationnelle. Puis on voit si elle mène à l’ordre et à la cohérence et ce qui en découle dans la vie considérée comme un tout. »

Comme Krishnamurti, David Bohm et de nombreux savants possèdent une vision unitaire de l’être humain et de l’Univers conduisant à un sens supérieur de l’amour ainsi qu’à un dépassement des limites de l’ego. Tel est le sens nouveau des valeurs capables de sauver le monde de l’autodestruction.

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1 G. Zukav, « La Danse des Éléments », Laffont, Paris.

2 « Lettres aux Écoles », p, 54, éd. Comité Krishnamurti, Bruxelles, 1983.

3 J. Krishnamurti, « Éveil de l’Intelligence », Stock, Paris, 1972, p. 198.

4 David Bohm, interview dans le journal « Aurore » (introduction à l’œuvre de Krishnamurti).