Dr Vandana Shiva
La Terre Mère est vivante !

Traduction libre Message pour la Journée de la Terre Mère, le 22 avril 2022. La Terre est vivante. Terra Madre, Gaïa, Pachamama, Vasundhara… La Terre vivante est un système vivant auto-organisé et autorégulé. Elle est autopoétique, écrivant la poésie de la vie, créant la symphonie de la vie, grâce à l’harmonie de chaque organisme vivant qui […]

Traduction libre

Message pour la Journée de la Terre Mère, le 22 avril 2022.

La Terre est vivante.

Terra Madre, Gaïa, Pachamama, Vasundhara… La Terre vivante est un système vivant auto-organisé et autorégulé. Elle est autopoétique, écrivant la poésie de la vie, créant la symphonie de la vie, grâce à l’harmonie de chaque organisme vivant qui y participe, allant des microbes aux mammifères.

De la molécule, à la cellule, à l’organisme, aux écosystèmes et à la planète, la vie est basée sur la non-séparation, l’harmonie et la cohérence quantique. Une résonance auto-organisée avec d’autres êtres qui sont auto-organisés.

« La vie, idéalement, est un domaine qui capte et stocke l’énergie et mobilise son quantum de manière cohérente dans des cycles parfaitement couplés qui ne génèrent aucune entropie… Dans un univers quantique cohérent, tous les êtres sont à la fois localisés en tant qu’objets particules/solides et délocalisés en tant que fonctions d’ondes quantiques répandues dans tout l’univers. Par conséquent, tous les êtres sont mutuellement enchevêtrés et mutuellement constitutifs. Ainsi, nuire aux autres nous nuit effectivement à nous-mêmes, et la meilleure façon de se faire du bien est peut-être de faire du bien aux autres ». —Mae Wan Ho [1]

La Terre vivante a fait évoluer la biodiversité de notre planète vivante, des virus et biomes aux écosystèmes et espèces, depuis plus de 4 milliards d’années. Gaïa tisse la toile de la vie, les fils et les relations qui relient la biodiversité de sa famille terrestre — Vasudhaiva Kutumbkam. Grâce à sa biodiversité et à sa biosphère, la Terre vivante a autorégulé son climat, en refroidissant les températures de la planète chaude et sans vie de 290 degrés, à 13 degrés. Grâce aux processus de la vie, la Terre a réduit l’atmosphère riche en dioxyde de carbone de 98 %, avec 4000 ppm de dioxyde de carbone, à 0,03 % à 270 ppm. [2]

La Terre Mère a développé sa technologie sophistiquée de « capture et de séquestration du carbone », la photosynthèse, qui permet aux plantes et aux microbes de capter la lumière du soleil et le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère et de le transformer en oxygène, notre respiration. L’oxygène qui s’est accumulé dans l’atmosphère et la terre est passé d’une atmosphère riche en CO2, qui piégeait la chaleur, à une atmosphère réduite en CO2 grâce au processus d’oxydation des plantes et des organismes vivants. Cela a permis de réguler les températures à des niveaux permettant la vie humaine et d’autres formes de vie biologique sur terre.

Grâce à sa biodiversité et à sa biosphère, elle crée, maintient et entretient, régénère et renouvelle son infrastructure de vie, y compris le système climatique. La Terre Mère nous invite à participer à sa biosphère de microbes, de plantes et d’animaux pour cocréer l’harmonie qui est la symphonie de la vie.

Nous sommes un filament dans la toile de la vie.

Nous sommes les enfants de la Terre, pas ses maîtres et propriétaires.

Nous sommes membres de la famille de la Terre Une.

Il y a 200 000 ans, la Terre vivante a créé les conditions permettant à notre espèce d’évoluer, de se maintenir et de subvenir à ses besoins fondamentaux en matière de nourriture, de vêtements et d’abri en tant que membre de la biosphère.

Nous sommes vivants parce que la Terre est vivante. Apprendre à vivre en tant que partie intégrante de la biosphère, comme l’ont fait les peuples autochtones, les femmes, les petits paysans, est notre travail pour la Terre, pour l’avenir de l’humanité.

La Terre Mère est vivante et a des droits.

« La Terre Mère est une communauté indivisible d’êtres divers et interdépendants avec lesquels nous partageons un destin commun et avec lesquels nous devons entretenir des relations qui profitent à la Terre Mère ».[3]

La diversité est le principe d’organisation de la nature, la base de l’émergence, de l’évolution et de la résilience. C’est par la diversité des formes et des expressions, des flux et des relations que la nature crée de la valeur et de la force. La nature ne crée pas de monocultures ni d’uniformité. La nature ne crée pas de barrières ni des murs de division et de séparation, de possession et de propriétés privées.

Nous sommes un filament vivant et conscient dans la toile palpitante de la vie. Nous sommes tous membres de la famille de la Terre Une, interconnectés par la vie. Nous faisons partie de la Terre, nous ne sommes pas séparés d’elle. Nous sommes les enfants de la Terre Mère, et non ses maîtres et propriétaires. Nous faisons partie des plus jeunes frères et sœurs de la famille Terre et avons beaucoup à apprendre de nos aînés, des microbes et des plantes.

Les dons de la nature sont destinés à la subsistance de tous les êtres de la famille de la Terre, et pas seulement à celle des humains. Tous les êtres ont droit aux dons de subsistance de la Terre. Nous ne sommes pas une espèce privilégiée qui peut prendre la part des autres et conduire d’autres espèces à l’extinction, ou priver nos semblables de nourriture et d’eau.

L’économie de la nature et les processus écologiques de régénération qui entretiennent la vie sont un bien commun de la vie.

La biodiversité de la terre, le sol et l’eau ne sont pas des « inventions humaines », ils ne sont pas la « propriété privée » de quelques milliardaires et de leurs entreprises. Ce sont des biens communs, l’infrastructure de la vie, et non des « matières premières » industrielles à extraire pour faire des profits, ou des actifs financiers à échanger.

Chaque organisme, du plus petit microbe au plus grand mammifère, fait partie de la toile de la vie. Tous les êtres vivants sont des êtres sensibles et possèdent une valeur et un intérêt intrinsèques. Ils ne sont pas des objets que l’on peut posséder et manipuler. Leur valeur ne provient pas du marché et ne peut être réduite à de l’argent.

Les paradigmes et les visions du monde centrés sur la Terre ne placent pas les humains au centre. Ils ne placent pas la déséconomie de l’extractivisme au centre. Ils placent la vie et les processus vivants qui la soutiennent au centre. Ils placent les devises de la vie au centre.

Redonner à la Terre pour qu’elle puisse se régénérer et partager ses dons avec les autres est au cœur de notre appartenance à la famille de la Terre.

La vie est un flux régénérateur circulaire. Vivre, c’est participer aux cycles de la vie. Prendre soin et partager est l’économie régénérative — Oikonomia, ou l’art de vivre.

L’économie de la nature est l’économie de la vie, qui nourrit tout dans un renouvellement et une régénération permanents.

Participer aux cycles de renouvellement et de régénération de la nature basés sur les devises et les flux vivants de l’énergie, de la nourriture, de l’eau, de l’air, de la vie, c’est l’Oikonomia, l’Art de vivre.

La nature ne fonctionne pas selon des flux extractifs linéaires de prélèvement à sens unique. La Terre Mère fonctionne selon des économies circulaires vivantes complexes et multiples basées sur des cycles écologiques de renouvellement, de recyclage et sur la loi du retour, la loi du don. Les économies circulaires vivantes créent des économies de permanence par la régénération et le renouvellement. Les dons de la Terre ne s’épuisent pas. Les semences deviennent des plantes, les plantes donnent des semences. La nourriture est la devise du cycle de la nutrition, qui nourrit tous les êtres de la toile de la vie. L’eau est la monnaie du cycle hydrologique, étanchant la soif du sol, des plantes, des animaux et de l’atmosphère.

L’économie de la Nature est une économie autopoïétique, à entropie négative, contrairement aux systèmes mécaniques et industriels qui sont allopoïétiques, basés sur des apports externes d’énergie et de ressources et qui créent de l’énergie perdue sous forme d’entropie.

Les cycles de la nature sont des systèmes sans déchets et sans pollution, contrairement aux systèmes industriels générateurs de déchets et de pollution qui sont alimentés par une énergie extérieure.

La protection de la Terre et de sa biodiversité est l’économie réelle à laquelle nous participons, en répondant aux besoins des autres membres de notre famille terrestre, qui répondent aux nôtres.

La coopération, la mutualité et la synergie sont les principes de l’économie de la nature, et non la concurrence et l’extractivisme. La pénurie est une construction qui est utilisée pour s’emparer des terres et des ressources des gens. La construction de la pénurie et la cupidité sont à la base des conflits et des guerres. La paix règne lorsque tous les êtres coopèrent dans la réciprocité et font le don de créer l’abondance et la subsistance pour tous, faisant de la conservation et de la régénération la base des économies vivantes et des moyens de subsistance.

C’est pourquoi nous prions : « Que la paix de la terre, de l’air, de l’atmosphère, des eaux, des plantes, des arbres… Que cette paix soit avec vous ».

Cocréer de manière non violente avec la Terre Mère, c’est tisser la paix, et assurer les besoins fondamentaux en nourriture et en eau, la vie et les moyens de subsistance de la dernière personne qui vivra sur Terre. Comme le disait Gandhi : « La Terre a assez pour les besoins de tous, pas pour l’avidité de quelques personnes. »

Nous avons le devoir de protéger les systèmes vivants de la Terre et l’infrastructure de la vie qui nous fournit de l’air pur, de l’eau propre et de la nourriture propre. Tous les êtres ont le droit de bénéficier des dons de la Terre. Tous les êtres ont le droit d’être en vie, et d’avoir leur part d’espace écologique. Aucune personne, aussi riche qu’elle soit devenue par l’extractivisme, n’a le droit de s’approprier la part des autres dans la participation à l’économie de la nature, l’économie de la vie.

Vivre, c’est participer aux processus de la vie.

Vivre, c’est mettre en commun. Vivre, c’est reconquérir les biens communs de la vie et résister aux nouveaux enclos par la financiarisation de la nature.

« La monnaie de la vie c’est la vie, pas l’argent ».

La Terre Mère nous relie à sa vie et à la Famille Terrestre par des flux de devises vivantes d’énergie et de souffle, d’eau et de nourriture.

Devise signifie flux. C’est le flux de la vie et de l’amour à travers la toile de la vie dans la nature et dans la société qui nous fait vivre en tant qu’unité. Comme je l’ai souvent répété : « La monnaie de la vie c’est la vie, pas l’argent ». La nourriture est la monnaie de la vie. L’eau est la monnaie de la vie. Le souffle est la monnaie de la vie. L’énergie vivante est la monnaie de la vie. Les soins sont la monnaie de la vie. Les diverses monnaies de la vie font croître l’infrastructure de la vie afin que toutes les vies s’épanouissent.

L’urgence écologique est une conséquence de l’économie de la cupidité, de l’extractivisme pour faire de l’argent, et de faire de l’argent la mesure de la valeur, et même la mesure d’être humain. C’est la base de l’inhumanité, de la violence et des guerres contre la Terre et contre les gens, au nom de l’appropriation des ressources pour le marché.

Le commerce colonial était basé sur la marchandisation et la commercialisation de la nature, ne laissant rien à la nature et aux communautés locales. Les colonisateurs se sont enrichis. La nature et les populations colonisées s’appauvrissent.

La maladie est maintenant présentée comme le remède. Les marchés et l’argent sont présentés comme la solution aux catastrophes écologiques qu’ils ont provoquées. La croissance économique, qui n’est qu’une mesure de la quantité de ressources extraites de la nature et de la société pour être converties en argent, en capital, en finances, est proposée comme solution aux crises écologiques provoquées par l’argent et l’extractivisme.

Les lois de Gaïa sont à la base de la vie sur terre. Elles précèdent la production, elles précèdent le commerce, et elles précèdent le marché. Le marché dépend de Gaïa. Gaïa ne dépend pas du marché. La Terre et la société sont prioritaires. Elles sont souveraines et autonomes. Elles ne peuvent pas être transformées en marchandises et réduites au marché.

En l’espace de 500 ans de colonialisme, les barons-voleurs ont réduit Terra Madre, la Terre Mère, à Terra Nullius, une Terre morte, vide, une propriété à posséder, une matière première à exploiter. Les communautés centrées sur la Terre et vivant en paix avec elle en tant que partie de la Terre ont été déclarées « primitives ». L’Oikonomia, l’Art de vivre a été violemment transformé en Chrématistique, l’Art de faire de l’argent.

Ils ont fait disparaître les devises de la vie et les ont remplacées par l’argent et la finance.

En 100 ans d’ère pétrolière, les barons-voleurs ont remplacé le carbone vivant de la biodiversité par l’énergie contrefaite du carbone mort fossilisé, perturbant l’autorégulation des systèmes terrestres, nous donnant la pollution, les guerres et la catastrophe climatique.

Le changement climatique, l’urgence de l’extinction, les catastrophes économiques et les guerres ont pour origine la cupidité et les guerres contre la Terre et ses peuples. Ils s’enracinent dans le contrôle de la vie en contrôlant le flux de semences allant d’un agriculteur à l’autre, le flux d’eau dans une rivière, le flux de nourriture pour alimenter tous les êtres dans la chaîne alimentaire, le flux d’argent reflétant l’incarnation de biens et de ressources réels, le flux de liberté et de démocratie, de connaissance et d’information. Contrôler le flux, c’est contrôler la vie et la liberté. C’est ainsi que l’on fait de l’argent, et que le pouvoir s’accumule dans les mains de quelques-uns.

Aujourd’hui, les barons voleurs qui nous ont donné le pétrole veulent créer de nouveaux marchés du carbone, une nouvelle propriété des services écologiques de la nature, en réduisant la biodiversité et la nature à des actifs financiers à posséder et à négocier [4].

En 2021, Rockefeller et la Bourse de New York ont lancé l’Intrinsic Exchange Group (IEG) [5] dont la mission se concentre sur « le lancement d’une nouvelle classe d’actifs basée sur les actifs naturels et le mécanisme permettant de les convertir en capital financier ».[6]. Un nouveau colonialisme, une nouvelle propriété, une nouvelle clôture des biens communs sont élaborés par les barons voleurs qui ne veulent pas seulement posséder la nature, mais aussi ses services écologiques. Ces actifs comprennent « les systèmes biologiques qui fournissent de l’air pur, de l’eau, des aliments, des médicaments, un climat stable, la santé humaine et le potentiel sociétal ».[7].

Les barons voleurs d’aujourd’hui, les philanthrocapitalistes, les Blackrocks et les Vanguards, tentent de posséder et de privatiser toute la nature ainsi que toutes nos vies. Ils se transforment en seigneurs de la vie à qui nous devrons payer des loyers pour respirer, manger et boire. Ce que la nature nous offre gratuitement comme un cadeau sera désormais une marchandise que nous « achetons » à un prix élevé et par le biais de crédits sociaux numériques dans la nouvelle économie qui s’appuie sur l’ancienne colonisation.

La machine à fric essaie de posséder la dernière graine, la dernière goutte d’eau, la dernière rivière, d’éteindre la dernière forêt et la dernière ferme, le dernier insecte et le dernier brin d’herbe. En créant des monnaies fictives, et des finances fictives, la nature est réduite à un « actif financier », à multiplier miraculeusement à 4000 billions de dollars.

La crise financière de 2008 est le résultat de l’expansion magique, par les barons voleurs de la finance, de l’économie de 90 billions de dollars de biens et services réels, comme les maisons et la nourriture, en une économie financière fictive de 512 billions de dollars. L’économie financière s’est développée au détriment de millions de personnes qui se sont retrouvées sans logement et sans nourriture. Plus le monde réel est transformé en actif financier, plus le nombre de sans-abris et de personnes souffrant de la faim augmente.

Wall Street et les sociétés d’actifs financiers perçoivent aujourd’hui une économie financière fictive de 4000 billions de dollars en soutirant des profits des « actifs de la nature », ou des biens et services que la Terre produit. Cette marchandisation est un enfermement des biens communs de la vie. C’est une tentative de posséder la dernière rivière, la dernière forêt et le dernier hectare de terre. C’est une recette pour déplacer et déposséder les véritables gardiens de la nature, les populations autochtones et les petits agriculteurs, en les privant de l’accès à la terre, aux forêts et à l’eau, ainsi que de leurs cultures et de leurs moyens de subsistance centrés sur la Terre. La faim, la pauvreté, la jetabilité et la dépossession vont s’accroître. Il s’agit d’une violation de l’économie de la nature, des droits de la Terre Mère, des droits de tous les êtres et des droits humains.

Créer de nouveaux algorithmes pour multiplier les finances et augmenter les ressources financières ne peut régénérer la vie perdue dans la nature par la destruction écologique. Vous pouvez convertir la nature en argent grâce à l’extractivisme. Mais vous ne pouvez pas transformer l’argent en nature.

Un paysan africain a saisi la différence ontologique et écologique entre l’argent et la vie par une simple métaphore : « Vous ne pouvez pas transformer un veau en vache en l’enduisant de boue ». [8]

La financiarisation de Mère Nature, qui la réduit à un « actif » et à une marchandise à vendre, perpétue la cécité ontologique à l’égard de la façon dont Mère Terre crée et maintient la vie à travers ses devises autopoétiques et ses flux de vie.

L’argent est un simple moyen d’échange de biens et de services réels produits par un travail réel. L’argent a muté en une construction mystérieuse, le « capital », qui pouvait créer de la richesse en niant la créativité de la nature, des femmes, des agriculteurs, des travailleurs, qui pouvait enfermer les biens communs et les posséder en tant que propriété privée. Le « capital » a ensuite muté en « investissement ». L’investissement a muté, à travers de multiples constructions en « retours sur investissement », où ceux qui ne font aucun travail réel, mais contrôlent la richesse créée par l’exploitation de la nature et des gens accumulent plus de richesse, et utilisent cette richesse pour exploiter davantage la nature et la société. La crise écologique s’amplifie. La pauvreté, la misère et l’exclusion augmentent.

La financiarisation de la nature est la dernière étape de la mutation de l’« investissement », qui passe de la prise en charge à la réalisation de profits et d’argent.

À l’origine, le sens du mot « investir » était de rendre quelque chose beau, de vêtir. Dix ans à peine après la création de la East India Company en 1610, le sens du mot « investissement » a changé, passant de diverses manières de « se vêtir » et « d’entourer » à « utiliser de l’argent pour produire des bénéfices » dans le cadre du commerce colonial des entreprises.

C’est John Locke qui l’a étendu à la « circulation de l’argent » pour répondre aux besoins de la propriété privée, des structures centrées sur l’argent construites par le commerce colonial. L’illusion selon laquelle l’argent est la monnaie de la vie a permis de récompenser et même d’adorer les faiseurs d’argent, tandis que notre sens de l’interconnexion s’éteint, et avec lui notre potentiel de compassion.

Pour les faiseurs d’argent, « investir dans la planète » signifie extraire la dernière goutte de vie des systèmes terrestres, extraire la dernière liberté des humains et des autres espèces qui vivaient de la terre, de ses flux et de ses devises.

Nous devons revenir à la signification originelle du mot « investir », comme vêtement, et faire de la beauté. Nous devons habiller la Terre avec la biodiversité des arbres dans nos fermes et nos forêts, la biodiversité des cultures dans nos champs et nos jardins. Nous devons intensifier la biodiversité, intensifier la photosynthèse pour intensifier les flux de vie de la nature. Nous devons planter des graines et prendre soin du sol vivant afin que la graine, le sol et le soleil puissent intensifier le flux de leurs énergies vivantes, guérissant ainsi les cycles brisés. Nous devons investir de l’amour, du soin et de la compassion pour régénérer la Terre et arrêter les guerres contre la Terre et ses peuples.

La paix, la durabilité et la justice appellent à la fin des guerres contre la Terre dans nos esprits et nos vies.

L’ère coloniale a asservi nos esprits et brisé notre relation avec la Terre. L’ère des combustibles fossiles a fossilisé nos esprits et nos cœurs, faisant de nous des rouages impuissants de la machine à pétrole, de la machine à argent, rouages que la machine est prête à remplacer par des robots et l’IA.

La Terre Mère nous réveille pour que nous nous libérions de l’arrogance anthropocentrique qui rend les humains riches et puissants aveugles à la vie, à la créativité, aux technologies et à l’économie de la nature et qui leur permet de nous refuser la part et la place qui nous reviennent de droit en tant qu’êtres terrestres dans l’économie de la vie de la Terre Mère pour assurer la vie et le bien-être, la nourriture et l’eau pour tous.

Alors que l’argent et la finance s’éloignent de plus en plus de l’économie de la nature et des économies réelles de subsistance que les gens créent, alors que la finance se multiplie mystérieusement, se concentre dans les mains de quelques milliardaires, de leurs fonds de gestion d’actifs et des sociétés qu’ils possèdent, il est temps de se rappeler la prophétie de la communauté autochtone Crie.

« Lorsque le dernier arbre sera abattu, le dernier poisson mangé et le dernier ruisseau empoisonné, vous réaliserez que vous ne pouvez pas manger de l’argent. »

Ensemencer notre avenir commun avec la Terre Mère

Nous sommes des êtres biologiques, des êtres écologiques, des êtres terrestres, des inter-êtres, des êtres spirituels. Nous formons une seule famille terrestre. Les semences ne sont pas des machines. Les plantes ne sont pas des machines. Les animaux ne sont pas des machines. Nous ne sommes pas des machines. Nos esprits ne sont pas des machines. Nous sommes des êtres conscients, intelligents et attentifs, capables d’imaginer et de cultiver un avenir de paix et de non-violence, d’abondance et de bien-être.

La vie est une complexité et une intelligence auto-organisées en constante évolution, interaction, changement et émergence. De la graine, j’ai appris le pouvoir de l’autopoïèse, organisée de l’intérieur. La biodiversité des semences et des plantes m’a enseigné l’abondance et la liberté, la coopération et le don mutuel.

La graine, la graine non contaminée, Bija, Seme, Semilla — est la source de la vie, de la régénération et de l’abondance. La graine renouvelle et multiplie. La graine se régénère. Par elle-même. Pour toujours et toujours et toujours… La graine incarne la continuité de l’évolution.

De la graine, nous pouvons apprendre l’auto-organisation, la cocréation, la régénération. Nous pouvons retourner à la Terre pour cultiver la vie dans la diversité et participer au flux de la vie pour subvenir à nos besoins. À une époque où les barons voleurs ont l’intention de posséder toute la nature, toute la Terre, et de nous forcer à acheter nos besoins, nous devons suivre l’exemple de mes sœurs de Chipko qui nous ont rappelé que les forêts n’étaient pas des mines de bois, mais des sources de sol, d’eau et d’oxygène. Elles ont déclaré qu’elles étreindraient les arbres pour les protéger et ne pas les laisser être coupés.

En cette Journée de la Terre Mère et chaque jour où nous vivons et respirons, qui que nous soyons, où que nous soyons, embrassons la Terre Mère en signe de gratitude pour le souffle, la nourriture, l’eau et la vie qu’elle nous offre et déclarons notre profond amour pour la vie.

La Terre Mère n’est pas à vendre

Lorsque j’ai lancé le mouvement pour la liberté de conserver les semences, j’ai parcouru le pays pour sensibiliser les gens aux lois sur la propriété intellectuelle du Gatt et de l’OMC, par lesquelles les entreprises voulaient s’approprier les semences. Les tribus du Chattisgarh, qui ont créé 200 000 variétés de riz, m’ont expliqué que les semences sont un bien commun qui doit être régénéré par le partage. Le riz est appelé Akshat, l’ininterrompu, l’intemporel, le souffle de la vie. Ils m’ont demandé de revenir et de les rejoindre pour la fête de l’Akti, Akshaya Tritiya, une fête pour célébrer le cycle ininterrompu de la vie, non pas en tant qu’observateurs, mais en tant que participants au cycle de régénération et de soins. Dans une prière prononcée à l’occasion d’Akshaya Tritiya, la Terre Mère nous enseigne que le but de notre vie est l’amour et la compassion pour tous les êtres.

« Se relier à tous les êtres vivants par l’amour et la compassion est le but de la vie »

David Korten nous éveille au potentiel que nous avons de participer à la « joyeuse exaltation qui vient de l’accomplissement de notre responsabilité de partager le soin de la vie ».[9]

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1 Mae Wan Ho, une chère amie, aujourd’hui décédée ; c’était une généticienne qui a travaillé sur une théorie quantique de la biologie : The rainbow and the worm: Establishing a new physics of life. (L’arc-en-ciel et le ver de terre : L’établissement d’une nouvelle physique de la vie).

2 Prentice, IC, Farquhar, GD, Fasham, MJR, Goulden, ML, Heimann, M, Jaramillo, VJ, Kheshgi, HS, Le Quere, C, Scholes, RJ & Wallace, DWR 2001, The carbon cycle and atmospheric carbon dioxide. in JT Houghton, Y Ding, DJ Griggs, M Noguer, PJ van der Linden, X Dai, K Maskell & CA Johnson (eds), Climate change 2001: The Scientific Basis. Contribution of Working Group I to the Third Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC). Cambridge University Press, Cambridge.

3 La Déclaration universelle des droits de la Terre Mère (« la Déclaration ») a été proclamée le 22 avril 2010 (journée internationale de la Terre Mère) par les quelque 35 000 participants à la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre nourricière. https://www.navdanya.org/earth-university/universal-declaration-of-the-rights-of-mother-earth

4 Harty, Declan. « NYSE Is Pushing into the Market of Natural Assets ». Fortune, 14 sept. 2021, https://fortune.com/2021/09/14/nyse-natural-asset-company-ieg-esg-investment-vehicle/

5 « IEG ». IEG, https://www.intrinsicexchange.com

6 « Solution ». IEG, https://www.intrinsicexchange.com/solution

7 Webb, Withney. « Wall Street’s Takeover of Nature Advances with Launch of New Asset Class ». Hangout illimité, 13 oct. 2021, https://unlimitedhangout.com/2021/10/investigative-reports/wall-streets-takeover-of-nature-advances-with-launch-of-new-asset-class/

8 Timberlake J., Africa in Crisis: The Causes and Cures of Environmental Bankruptcy, Paperback ; Londres : Earthscan, 1985 ; ISBN-13 : 978-0905347578

9 Korten D. Ecological Civilization: From Emergency to Emergence. 26 mai 2021, https://davidkorten.org/ecological-civilization-from-emergency-to-emergence/