En tant que directeur de la Free Speech Union, (Union pour la liberté d’expression), je dois fréquemment venir en aide à des universitaires en train de se faire « annuler », généralement à la demande de leurs collègues. Pas une semaine ne passe sans qu’une « lettre ouverte » ne circule, dans laquelle des centaines d’enseignants réclament la tête d’un collègue jugé hérétique.
Par exemple, nous défendons actuellement un chercheur américain nommé Nathan Cofnas, expulsé de son collège de Cambridge après avoir écrit un billet de blog controversé sur la race et le QI, qui a suscité des manifestations devant la faculté de philosophie et une pétition exigeant son renvoi, signée par plus de mille personnes. Nous l’aidons à poursuivre le collège pour discrimination liée aux convictions. À ce jour, nous avons dû défendre 160 universitaires pris pour cibles par leurs collègues.
Au début, j’étais choqué. Les professeurs ne sont-ils pas censés valoriser la liberté académique ? Comment les frontières du savoir humain peuvent-elles s’étendre si les orthodoxies dominantes ne peuvent être remises en question ? Si Galilée était vivant aujourd’hui, ses collègues astronomes lanceraient-ils une pétition pour le faire exclure de la Royal Society parce qu’il aurait osé suggérer que la Terre tourne autour du Soleil ? J’en ai bien peur, oui.
Dans son nouveau livre, When Everyone Knows That Everyone Knows (Quand tout le monde sait que tout le monde sait), le psychologue de Harvard Steven Pinker propose une théorie fascinante à ce sujet. Il commence par se demander pourquoi les tyrans parviennent à éviter les révoltes populaires malgré un mécontentement généralisé. C’est parce que les citoyens ignorent à quel point ce mécontentement est répandu. Tant que le régime tyrannique punit rapidement quiconque ose s’exprimer, ses opposants ne savent pas combien ils sont nombreux. Comme le dit Pinker : « Les gens ne s’exposeront au risque de représailles d’un régime despotique que s’ils savent que d’autres s’exposent au même risque en même temps ».
Un bon exemple de cette autocensure a été donné par Václav Havel, le grand dissident tchèque. Dans une société communiste, disait-il, on peut facilement imaginer un épicier affichant dans sa vitrine une pancarte disant « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous », même si sa foi dans le marxisme s’est depuis longtemps éteinte. Il l’affiche parce que le fait de ne pas le faire pourrait être interprété par les autorités comme un signe de déloyauté. Il la met donc dans sa vitrine, et ses clients, tout aussi sceptiques, croient être seuls à douter du dogme communiste.
La suppression de ce que Pinker appelle la « connaissance commune » – le fait de savoir qu’un certain point de vue est largement partagé, et de savoir que ceux qui le partagent savent qu’il est partagé – est aussi le moyen par lequel les dogmes idéologiques sont imposés dans les universités. Ces dogmes peuvent n’être soutenus que par une infime minorité, mais, tant que quiconque les conteste est rapidement puni par une meute sur les réseaux sociaux – ou pire –, l’étendue de la dissidence ne devient pas une connaissance commune.
Pour comprendre cela, prenons l’exemple d’un groupe de professeurs de l’Université d’Auckland, pris pour cible par leurs collègues il y a quatre ans.
À l’automne 2021, sept professeurs ont écrit une lettre au New Zealand Listener dans laquelle ils contestaient une proposition d’un groupe de travail gouvernemental voulant que les écoles accordent le même poids à la mythologie maorie qu’à la science en classe. Autrement dit, la compréhension maorie du monde – selon laquelle tous les êtres vivants proviennent de Rangi et Papa, la mère du ciel et le dieu du ciel – devait être présentée comme tout aussi valide que les théories de Newton, Darwin et Einstein, que le groupe de travail qualifiait de « science occidentale ».
Les auteurs de la lettre, intitulée En défense de la science, prenaient soin de dire que les savoirs autochtones étaient « essentiels à la préservation et à la perpétuation de la culture et des pratiques locales » et devaient être enseignés dans les écoles néo-zélandaises. Mais ils refusaient de les mettre sur le même plan que la physique, la chimie et la biologie.
Dans un monde rationnel, ce point de vue serait incontestable. L’argument sur le fait de savoir s’il faut enseigner aux enfants des explications scientifiques ou religieuses sur l’origine de l’univers et de l’humanité n’a-t-il pas été tranché il y a un siècle ? Mais dès que la lettre fut publiée, ce fut un tollé général. Les auteurs furent dénoncés par la Royal Society de Nouvelle-Zélande, l’Association des scientifiques, le syndicat de l’enseignement supérieur – ainsi que par leur propre vice-chancelier.
Inutile de dire que deux de leurs collègues publièrent une « lettre ouverte » les condamnant pour avoir causé « des dommages et des blessures incalculables ». Ils invitèrent quiconque partageait leur opinion à signer la lettre – et 2000 universitaires le firent. À qui ces chasseurs de sorcières vous font-ils penser ? À notre vieil ami l’épicier de Havel. Il est inconcevable qu’ils aient réellement cru que la connaissance scientifique n’a pas plus de légitimité que la mythologie maorie. Comme le dit Steven Pinker : « Si les croyances scientifiques ne sont qu’une mythologie particulière à une culture, comment se fait-il que nous puissions guérir la variole et aller sur la Lune, alors que les cultures traditionnelles ne le peuvent pas ? » Et on peut parier sans risque que, si l’un des signataires de cette « lettre ouverte » faisait une crise cardiaque, son premier appel ne serait pas à un guérisseur maori.
Pourtant, le fait qu’au fond d’eux-mêmes ils croyaient probablement tous que la connaissance scientifique était supérieure à la mythologie maorie n’était pas une connaissance commune. Au contraire, ils cachaient cette conviction comme un secret honteux et se sentaient obligés d’afficher leur fidélité à ce qu’ils croyaient être l’orthodoxie dominante, de peur d’être désignés comme hérétiques s’ils ne le faisaient pas.
C’est pour cette raison, dit Pinker, que les universitaires sont si prompts à participer à des lynchages contre leurs collègues. Ils sont terrifiés à l’idée d’être annulés eux-mêmes, surtout s’ils occupent un emploi précaire, ce qui est le cas de beaucoup d’entre eux. En privé, la plupart des professeurs se moqueraient des absurdités « woke » auxquelles ils se sentent obligés de faire allégeance. Mais, comme leur scepticisme n’est pas une connaissance commune, ces orthodoxies non seulement survivent, mais sont vigoureusement défendues par des gens qui ont depuis longtemps cessé d’y croire.
Je pense qu’il y a là beaucoup de vrais, et j’aimerais savoir quelle est la solution, à part défendre ces courageux universitaires qui se retrouvent pris pour cible par leurs collègues brandissant des fourches.
Texte original publié le 14 octobre 2025 : https://dailysceptic.org/2025/10/14/the-real-reason-academics-keep-cancelling-each-other/