Il faut poser en axiome qu’un homme d’élite est, dans le sens donné à ce terme, un homme éveillé aux réalités du moment, tant visibles qu’invisibles. Un homme qui tient compte d’une hiérarchie des valeurs qu’il tend à rendre sensible au niveau utile à chacun. Il s’efforcera donc de promouvoir une prise de conscience qui, transposée sur les plans professionnel, social, économique, financier ou politique, correspond à un principe inhérent à la pensée humaine. Celle-ci reflète, lorsqu’elle n’est pas pervertie, les données de l’Ordre transcendantal que requiert la constitution ternaire humaine, puisque les trois plans physique, psychique et spirituel doivent harmonieusement s’équilibrer en s’intégrant mutuellement.
Philosophiquement, on pourrait dire que tout ce qui est ordonné procède de la pensée humaine, lorsque son rythme reflète celui de l’âme, élément vital des trois plans. Le principe d’ordre entraîne une hiérarchie des priorités afin de ne pas favoriser dans le sein d’une collectivité, par le fait d’une trop grande spécialisation, une discipline par rapport à une autre ou un département, par rapport à un autre.
L’homme éveillé aux réalités du moment aura à cœur de ramener chaque problème particulier à la vision de l’intérêt général, sans qu’aucune préférence personnelle ou sectaire ne vienne fausser son jugement. Pour ne pas tomber dans le travers d’affirmations illusoires, la voie conduisant à l’éveil mérite d’être envisagée comme une voie initiatique, et puisque l’Occident est au centre de nos préoccupations, comme une voie spirituelle du monde occidental. « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie », a dit Jésus, liant les trois aspects d’une seule Réalité, et les premiers chrétiens parlaient de leur foi comme d’une voie.
Le sage Lao Tseu a réuni les préceptes de la sagesse chinoise dans le « Tao », qui signifie
« Voie ». Les Indiens Kato appelèrent le premier homme « Nagaico », le grand voyageur médiateur entre la voie diurne du Soleil et la voie nocturne de la Lune.
Nous sommes des itinérants et notre progression sur Terre est horizontale mais, au cours de notre évolution, verticale. Cette vision d’une croix symbolisant les voies de l’itinérant, a conduit à l’idée d’une âme migratrice, à l’idée de la réincarnation et, sur un plan plus proche de nos préoccupations quotidiennes, à l’attrait des vastes espaces qui engagent l’homme à se déplacer par amour du déplacement. Ainsi, a-t-il, depuis des temps immémoriaux, exploré son univers et, de nos jours, il hante l’espace et rend visite à la Lune.
Nombreux sont les jeunes qui, sac au dos, partent au loin quérir une vérité qu’ils ignorent, soit dit en passant, pouvoir découvrir au plus profond d’eux-mêmes.
Au Moyen Age, quiconque voulait apprendre un métier devait d’abord être admis chez un maître, puis suivre un apprentissage et enfin, pérégriner plusieurs années comme compagnon. Ainsi, par les liens tissés entre compagnons, progressait le métier et les itinérants constituaient l’élément progressiste dans l’acception authentique d’un terme de nos jours politisé.
La Révolution française détruisit l’ordre établi et le vagabondage remplaça le compagnonnage. Il n’a rien de péjoratif en soi, sauf qu’il lui manque la colonne vertébrale de la tradition, en tant que loi qui trace l’itinéraire.
Voyons celui qu’emprunta l’Occident. Comment, où et quand les itinérants occidentaux le choisirent, reste enveloppé de mystère. Abordons la voie en cours de route, au moment où elle débouche sur un sommet. Nous y rencontrons le maître de Samos, nimbé d’autorité. Pythagore en sa cour intérieure, Esotéria, enseigne que l’évolution est la Loi de la Vie. Que le Nombre est la Loi de l’Univers et que l’Unité est la Loi de Dieu. Rencontrons Apollon, dieu solaire, symbole de Beauté, maître du rythme, maître de la Septième porte, celle qui s’ouvre sur les secrets de l’Univers et sur son rythme. Qui dit rythme, dit fréquence et qui dit fréquence, dit Nombre.
Rappelons que c’est à la vibration de la lyre heptacorde du dieu solaire que le monde doit son harmonie et saluons son frère Dionysos, à peine moins important que lui. Esprit cosmique de la nature, guide des âmes qui aspirent à la Lumière, les mystères d’Éleusis lui furent consacrés, à lui et à Déméter, la « da-mater », la Déesse de la Terre.
C’est Orphée qui créa les mystères d’Éleusis. La Grande Tradition orphique s’évertuait à ouvrir une voie de sagesse permettant à l’initié admis aux mystères de découvrir l’harmonie cosmique pour œuvrer, dégagé de toute illusion, en pleine conscience du plan de l’évolution, afin d’aider toute chose à progresser vers la perfection.
Réalisons que de nos jours, tel le serpent de feu que symbolisaient les porteurs de torches dans la grande nuit éleusienne, le passé vient à nous en spirales concentriques pour nous rappeler que tout l’existant plonge ses racines dans ce qui fut, pour être la plate-forme de ce qui sera.
Admirons Périclès qui construisit l’Acropole, Eschyle et ses tragédies, héros des batailles de Marathon et de Salamis, où un petit peuple vint à bout d’un grand empire. Penchons-nous sur. Sophocle et son œuvre pathétique, étonnons-nous de la perfection de la logique de Zénon.
Écoutons Socrate qui initia le colloque de l’homme avec lui-même. Admirons-le lorsqu’il affirme devant ses juges : « Je ne me défends pas, comme on pourrait le croire, pour moi-même, mais par amour pour vous, craignant que vous offensiez Dieu en me condamnant. » Il ouvrit la voie à Platon et à Aristote, mais n’oublions pas en cette brève évocation Mélissos, Empédocle, Anaxagore, ainsi que Démocrite, premier atomiste, et rendons hommage à une pléiade d’autres philosophes dont les pensées restent vivantes. Le miracle grec prépara la révélation chrétienne, et Jésus annonça que les hommes étaient d’origine divine, mais qu’ils négligeaient le royaume de Dieu, ne s’aimant pas les uns les autres. Il paya son audace sur la croix, mais le christianisme perpétua le message.
Les siècles passèrent, l’Église décréta ce qui devait être cru et des chrétiens poursuivirent d’autres chrétiens. La charité chrétienne, pourtant, s’étendit et le sens de justice pénétra les institutions humaines. La science triompha, et l’homme, oublieux qu’elle est son œuvre, lui attribua, avant de la craindre, des mérites qui dépassaient sa compétence.
À certains tournants de l’histoire, il faut réclamer son héritage, ne serait-ce que pour faire valoir ce qui s’inscrit dans l’ordre des choses. L’Occident, conscient de son passé, se doit d’assumer les tâches qui l’attendent, soit faire comprendre au monde, par son attitude, par son rayonnement, par sa détermination qu’il cherche à défendre les valeurs essentielles et qu’il est décidé à faire prévaloir les conditions d’un authentique progrès.
Guère n’est besoin de brandir la menace d’un prochain cataclysme ; ses moyens technologiques et scientifiques, et la richesse dont il dispose suffiraient amplement à atteindre cet objectif. Il faut, certes, abolir les notions de profit pour le profit et les remplacer par des notions conduisant au bien-Être. Il faut aussi se rendre à l’évidence que travailler moins, consommer davantage, revendiquer plus et fermer les yeux à ce qu’on ne veut pas voir, en s’imaginant qu’une corne d’abondance déversera ses richesses sur le monde, n’est pas une attitude digne de l’homme pensant.
Seule une lucide perception des liens qui font du monde un ensemble cohérent et interdépendant dégagera des solutions devant être appliquées en fonction des régions, des traditions et des conditions locales, donc de l’avancement des individus. Les susceptibilités nationales, celles des ethnies, les conflits raciaux, sans oublier les avidités des uns et des autres seront autant d’obstacles sérieux.
Convaincre n’est pas toujours facile, et imposer, même provisoirement, des solutions appropriées comporte des risques. Ils devront parfois être assumés pour conduire à un juste partage des biens de ce monde et non à l’exploitation que pratiquent les profiteurs de tous bords ainsi que les roitelets ou autres dictateurs « démocratiquement » désignés, ayant usurpé la place laissée vacante par les colonisateurs de jadis.
Tout partage juste implique l’idée d’une responsabilité qui servira de critère à ce qui doit être partagé. Les parts revenants à chacun seront alors proportionnelles aux responsabilités assumées, à tous les niveaux de la hiérarchie. Il va sans dire que tout ce qui est imposé, même provisoirement, représente le pis-aller, puisque le provisoire a trop souvent tendance à s’éterniser. Le faire admettre est donc un impératif prioritaire débouchant sur la liberté du choix et, dès lors, sur la responsabilité reconnue et librement acceptée.
L’ordre, dans le sens propre du terme, n’est jamais l’ordre d’un quelconque pouvoir. Les moyens ayant servi à créer les conditions favorables à l’épanouissement de la population formeraient l’assise d’une civilisation qui engage l’homme éveillé à penser juste et à agir juste, pour assumer sa vocation humaine dans un cadre lui convenant.