(Revue Itinérance. No 1. Mai 1986)
Cœur vivant de l’Islam, et son intériorisation vécue conjointe à la stricte observance des préceptes de la loi religieuse, le soufisme — Tasawwuf en arabe — ne peut que se situer au centre même de la tradition musulmane.
Bien loin d’occuper par rapport à celle-ci une position marginale, ou de n’être que le reflet de mystiques venues d’ailleurs, — christianisme, védanta, néo-platonisme — comme l’ont affirmé certains orientalistes, il ne saurait non plus être l’apanage exclusif de l’une des deux grandes « familles d’esprit » au sein de l’Islam, en l’occurrence, ainsi qu’on l’a prétendu, le Shiisme. Comment en serait-il autrement, puisqu’il s’agit essentiellement d’une expérience spirituelle guidée par un maître — le sheikh — dont l’autorité se fonde sur une chaîne — la silsila — remontant au prophète Mohammed lui-même — le premier des « soufis » —. Ceux-ci tirent leur appellation du froc — khirga — de laine (suf) dont les premiers se revêtaient par humilité pour témoigner de leur détachement des biens de ce monde. Mais ce détachement — faqr — ou « pauvreté », d’où le nom de foqqara qui leur est donné, s’étend encore bien davantage au domaine spirituel.
C’est au sein d’une tariqa, ou confrérie soufie, que va s’effectuer cet itinéraire de l’âme vers la Réalité Suprême. Ce terme, tariqa (pluriel toruk) signifie « la voie » et comporte deux acceptions : le « chemin » que doit parcourir le pèlerin vers l’Absolu, et le milieu, l’ordre qui lui permet ce parcours grâce à la direction spirituelle du Maître, et à l’aide des prescriptions qu’il accorde à ses disciples, selon leur « degré », et qui consistent essentiellement en dhikr[1], c’est-à-dire, la « mémoration » de Dieu, litanies répétées un nombre défini de fois : la vertu opératoire de ces méthodes de réalisation dérive du pacte « idn » reliant le sheikh à son disciple, le faisant ainsi participer au « secret » (sirr) incarné par la confrérie.
Depuis les débuts de la communauté musulmane, de nombreux ordres soufis ont vu le jour. La plupart d’entre eux existent encore aujourd’hui avec souvent des milliers de disciples.
[1] Le dhikr, dit Nabolost dans son commentaire à la Khamrya d’Omr ibnul Farid (l’éloge du Vin, trad. E. Dermeghem, p.170) « est la capacité de toujours conserver le souvenir des irradiations divines et de les faire revenir à l’esprit, même dans le monde de la possibilité, de façon que le caractère contingent et éphémère disparaisse totalement de la conscience. »