Les gourous de l’Advaita Moderne Non Traditionnelle et leurs critiques par l’Advaita Moderne Traditionnelle par Phillip Charles Lucas

Le courant Moderne de l’Advaita s’est divisé en deux camps : l’un reste fidèle à une expression plus traditionnelle de l’Advaita Vedanta tandis que l’autre s’écarte clairement de ce système spirituel traditionnel. Ces quinze dernières années, le camp de l’Advaita Moderne Traditionnelle a critiqué largement et fermement les enseignants et l’enseignement de l’Advaita Moderne Non-Traditionnelle.

Phillip Charles Lucas est Professeur en Études des Religions à l’Université Stetson, aux États-Unis. Son enseignement porte sur les religions mondialisées, la spiritualité comparée et l’histoire des religions en Amérique.

Il est le fondateur et le rédacteur en chef de Nova Religio, magazine dédié à l’étude des courants religieux minoritaires et nouveaux apparus dans l’histoire. Il a été lauréat du prix de l’excellence en recherche de l’Université de Stetson en 1995 et 2007.

L’article ici présenté a paru dans Nova Religio : The Journal of Alternative and Emergent Religions, Vol. 17, No. 3 (February 2014), pp. 6-37.

Publication par : University of California Press

Site web : www.jstor.org

Le courant Moderne de l’Advaita s’est divisé en deux camps : l’un reste fidèle à une expression plus traditionnelle de l’Advaita Vedanta tandis que l’autre s’écarte clairement de ce système spirituel traditionnel. Ces quinze dernières années, le camp de l’Advaita Moderne Traditionnelle a critiqué largement et fermement les enseignants et l’enseignement de l’Advaita Moderne Non-Traditionnelle. Cet article identifie les points les plus importants de ces critiques et interprète leur signification en se basant sur les sciences sociales et l’histoire des religions. Il suggère qu’une reformulation de la tradition de l’Advaita est nécessaire car celle-ci se propage mondialement et la compréhension est rarement la même d’une culture à une autre. L’adaptation, l’acclimatation et la reformulation sont donc des mécanismes normaux et naturels dans les religions traditionnelles en expansion au-delà de leur milieu culturel d’origine. Finalement, les questions importantes qui se posent aux missionnaires de l’Advaita en Occident sont de mesurer avec prudence les ajustements possibles, la rapidité avec laquelle une reformulation doit être faite, et de considérer les adaptations nécessaires pour que leur méthodologie spirituelle puisse non seulement survivre mais également prospérer au sein de cultures nouvelles.

Dans l’histoire des communautés ou des mouvements religieux, la tension entre les factions qui tentent de préserver les croyances d’origine et celles qui veulent réformer ou remodeler la tradition pour transmettre son message de libération et ses méthodes dans un nouvel environnement culturel est une phase de développement bien décrite. Les bouddhistes occidentaux qui suivent la tradition tibétaine, par exemple, ont rencontré de la résistance de la part de la lignée bouddhiste traditionnelle dans leur tentative de remplacer la dévotion à l’enseignant par une institution démocratisée mettant l’accent sur « la sagesse collective de la sangha ». [1] Maharishi Mahesh Yogi (1918-2008), pour citer un autre exemple, fut critiqué par les chefs du Jyotir Math un ordre monastique traditionnel indien où il avait étudié, pour les innovations qu’il apporta à l’enseignement de la tradition de Shankaracharya, en y incluant une technique de méditation soupçonnée de ne pas favoriser le contrôle mental nécessaire à une authentique réalisation spirituelle. [2]

Un phénomène similaire peut être observé dans le cas du courant de l’Advaita Moderne, dont enseignants et organisations ont proliféré dans toute l’Amérique du Nord (et beaucoup de pays occidentaux) ces dernières vingt-cinq années. En janvier 2013, en se basant sur un suivi attentif des sources internet et de publications variées, on comptait plus de deux cents de ces enseignants et organisations. [3] Alors que plusieurs de ces enseignants viennent d’Europe et d’Australie, un nombre significatif d’entre eux donne des satsangs (des rencontres à visée d’enseignement), des séminaires et des retraites en Amérique du Nord, ou ont au minimum des étudiants et lecteurs américains.

L’Advaita Moderne, dans le cadre de cette étude, désigne les enseignants et organisations se référant à un degré significatif (bien que pas nécessairement exclusif) aux enseignements de l’Advaita Vedanta. Ce système spirituel Indien affirme que la réalité absolue est infinie, sans forme, conscience non-duelle, et que le but suprême de la vie humaine est de réaliser cette conscience en tant que raison d’être. [4] Beaucoup d’enseignants de l’Advaita Moderne se disent avoir été influencés à un degré ou un autre au moins par l’un des trois gourous du 20e siècle : Ramana Maharshi (1879-1950), Nisargadatta Maharaj (1897-1981), and H. W. L. Poonja (ou Papaji ; 1913-1997). Ces gourous ne sont pas leurs seules sources, mais ils participent d’une lignée de transmission importante pour l’essence de leur enseignement de la non-dualité – l’affirmation que la réalité est un champ unifié de pure conscience et de pure êtreté. [5] Le courant de l’Advaita Moderne s’est séparé en deux camps : l’un reste lié à une expression plus traditionnelle de l’enseignement et de la méthodologie de l’Advaita Vedanta, tandis que l’autre se démarque clairement de ce système spirituel traditionnel.

Ces quinze dernières années, le camp de l’Advaita Moderne Traditionnelle (AMT) a critiqué fortement et avec abondance les enseignants et l’enseignement de l’Advaita Moderne Non-Traditionnelle (AMNT). Les défenseurs de l’AMT, dont beaucoup sont occidentaux, alignent leur position sur celle des traditionnalistes du Vedanta en Inde comme la Mission Chinmaya, Sri Ramanasramam au Tamil Nadu, l’Ashram de Swami Dayananda à Rishikesh et les mathas (monastères) des Shankaracharyas, gourous faisant remonter directement leur lignée au grand sage de l’Advaita, Adi Shankara. Les critiques citent souvent les enseignements des sages révérés de l’Advaita comme Adi Shankara (788-820),Vashsista, Siddharameshwar Maharaj (1888-1936), Nisargadatta Maharaj et Ramana Maharshi. [6] Le camp de l’AMNT est beaucoup moins concerné par les limites posées par l’enseignement et la méthodologie de l’Advaita Vedanta traditionnelle. Il tend à être plus éclectique dans son appropriation des enseignements et des méthodes, allant parfois jusqu’à rejoindre des traditions aussi éloignées que le Soufisme, le Bouddhisme Zen et la psychologie transpersonnelle. En ce sens, l’Advaita Moderne Non-Traditionnelle ressemble d’une certaine façon à ce que Liselotte Frisk identifiait en 2002 comme « Le Réseau Satsang ». Pour Frisk, ce réseau transnational est un phénomène post-Osho, reliant nettement plusieurs enseignants clés du Réseau Satsang avec Papaji et l’enseignant spirituel éclectique Osho (1931-1990), connu plus formellement sous le nom de Bhagwan Shree Rajneesh. [7] Quoi qu’il en soit, ce que j’identifie en tant que camp de l’AMNT est plus fortement influencé par la tradition et les enseignants de l’Advaita Vedanta que ne l’est le Réseau Satsang, plus diversifié dans ses sources.

Cet article cherche à identifier les thèmes des critiques du camp de l’Advaita Moderne Traditionnelle les plus importants, et à en comprendre leur signification au regard des sciences sociales et de l’histoire des religions. Un aspect plus spécifiquement intéressant se trouve dans la façon dont ces critiques reflètent les débats bien connus qui, inévitablement, ont lieu au sein de mouvements spirituels transnationaux lorsqu’ils cherchent à s’adapter aux normes et aux attitudes des milieux culturels bien différents de ceux de leur terre d’origine. Selon moi, une adaptation et une reformulation de la tradition sont nécessaires dans ces migrations transnationales, puisque les structures de l’intelligence sont rarement les mêmes d’une culture à une autre. Si une tradition doit s’adresser à des individus appartenant à un nouveau milieu culturel, une forme de reformulation/transposition doit se faire. Comme Frisk le note, « Les religions se modifient toujours lorsqu’elles migrent vers une autre culture… Une traduction – du langage et de la religion – ne peut jamais être littérale. Quelque chose de l’original est toujours perdu, et quelque chose de neuf est créé. » [8] La question cruciale qui se pose à un mouvement spirituel transnational comme l’Advaita Vedanta devient alors de savoir jusqu’où mener adaptation et reformulation sans que l’intégrité et l’efficacité du système spirituel n’en soit affectées sans retour en arrière possible. Cette question est au cœur du volumineux ensemble de critiques émises par l’AMT à l’encontre des enseignants de l’AMNT. Ces critiques peuvent ainsi être comprises comme garde-fous d’une méthodologie d’éveil considérée comme ayant fait ses preuves. Les gourous de l’Advaita Moderne Non Traditionnelle, selon l’AMT, ont déformé cette méthodologie et la rendent inefficace.

L’ORTHODOXIE contre le CHANGEMENT

Les Advaitins Modernes sont les successeurs d’une longue lignée d’enseignants inspirés par le Vedanta et de mouvements américains remontant à 1830 avec les Transcendentalistes de la Nouvelle Angleterre, la Société Théosophique (fondée en 1875), la Pensée Nouvelle (naissant vers la fin du 19e siècle), la Société du Vedanta (fondée en 1890), la Fondation Paramahansa Yogananda pour la Réalisation de Soi (création 1920), la Méditation Transcendentale (fondée en 1959 à Los Angeles comme un Mouvement de Régénération Spirituelle), l’Institut du Yoga Intégral (créé en 1966), les Centres de Sivananda Yoga Vedanta(fondé en 1959) et beaucoup d’autres enseignants et mouvements divers. [9] Les adeptes de l’AMT ont été témoins de la profusion des satsangs et enseignants de l’AMNT (parfois appelés péjorativement “Néo-Advaita”) dans les vingt-cinq dernières années, avec une inquiétude grandissante sur les formes adoptées par la spiritualité de l’Advaita en Occident, qui ne pourraient plus apporter aux chercheurs spirituels une méthodologie efficace permettant d’atteindre moksha, la libération ultime de l’océan de souffrance humaine et de renaissances (samsara). Cet article ne prend pas position quant aux questions d’efficacité. Il cherche à étudier les différentes dimensions que prend la tension existant entre ces deux camps, pour mettre en lumière le phénomène plus large de la lutte entre orthodoxie et changement dans les mouvements spirituels transnationaux.

Les sources que j’ai utilisées pour cette étude sont les textes issus des enseignants de l’AMNT et des adeptes de l’AMT : livres, articles, discussions sur internet, sites web et échanges courriels, ainsi que les observations des participants à des satsangs donnés par des Advaitin Modernes, des entretiens avec des personnes de l’AMT et des participants à des événements de l’AMNT. Mon travail en tant que spécialiste des nouveaux mouvements religieux me donne une perspective à long terme sur les nouveaux courants religieux minoritaires dans l’histoire de l’Amérique du Nord, et une compréhension des défis rencontrés par les “entrepreneurs” spirituels dans la culture contemporaine américaine. En tant qu’historien des religions, je suis aussi accoutumé aux angoisses éprouvées par les milieux religieux occidentaux lorsque leurs traditions sacrées sont confrontées au changement, à l’adaptation, à l’aménagement et au réajustement. Je ne suis partisan ni d’un camp ni de l’autre, et je peux apprécier les intentions et les inquiétudes de chacune des parties en cause.

LES CINQ THEMES DES CRITIQUES

DE L’AMT CONTRE L’AMNT

Les critiques de l’AMT peuvent être regroupées selon cinq thèmes majeurs. Le premier thème concerne les enseignants de l’AMNT, qui sont censés avoir renié la sadhana ou effort spirituel, dans le processus de la réalisation de soi. Les adeptes de l’AMT affirment qu’une méthode de purification/préparation éprouvée par le temps est essentielle dans l’Advaita. Cette méthode est progressive et exige des efforts disciplinés sur une période de temps prolongée.

Le deuxième thème découle du premier : certains enseignants de l’AMNT sont accusés d’ignorer la nécessité d’un développement moral en tant que condition nécessaire à toute réalisation spirituelle authentique. Les critiques affirment qu’une sadhana efficace encourage certaines vertus spécifiques, et prétendent que de nombreux gourous de l’AMNT ne font pas suffisamment référence à ces vertus dans leur enseignement.

Un troisième critique les enseignants de l’AMNT pour leur manque de connaissance des textes de l’Advaita, de leurs langues et des traditions. Ces critiques voient cette connaissance comme une base essentielle pour tout enseignant qui doit servir comme ambassadeur efficace de l’éveil selon l’Advaita. Liée à cette critique est l’accusation que trop de gourous de l’AMNT commencent à enseigner trop rapidement après leurs premières expériences d’éveil. Ils n’ont alors pas la maturité nécessaire pour enseigner aux autres avec authenticité. Les Traditionalistes soulignent l’importance pour les gourous de l’Advaita d’avoir la formation et les compétences nécessaires à un enseignement efficace.

Un quatrième se concentre sur les rencontres dédiées à l’enseignement (satsangs) proposées par beaucoup de gourous de l’AMNT et la superficialité des chercheurs qui s’y rendent. Les critiques voient le format des satsangs comme limité, éphémère et finalement ne valant pas grand-chose. Ils affirment que les étudiants de l’AMNT fuient la possibilité d’une aide suivie dans la tâche ardue de transcendance de l’ego, pour préférer chercher un “éveil instantané” qui permettrait de sauter par-dessus toutes les étapes essentielles du développement spirituel. Les adeptes de l’AMT constatent que les personnes présentes à un satsang semblent plus concernées par un développement psychologique, la recherche d’une aide pour elles-mêmes, et l’expérience d’une communauté spirituelle plutôt que par une authentique libération Advaïtique.

Un cinquième thème consiste à attaquer l’absence de distinction faite par l’AMNT entre les niveaux d’éveil relatifs et absolus, ce qui pousse à dévaluer la qualité d’une vie engagée dans une pratique spirituelle et un développement équilibré des dimensions physique, émotionnelle, psychologique et spirituelle du soi. Les critiques affirment que les enseignants et les étudiants de l’AMNT se focalisent sur l’état de réalisation spirituelle le plus avancé et deviennent ainsi prédisposés à la “pré-transcendance”, croyance illusoire en sa propre libération spirituelle ultime. Il en résulte une dépersonnalisation et un désengagement de la vie ordinaire inopportuns. [10]

On pourrait discuter et dire que chacun de ces thèmes fait écho aux autres et résumer le tout en une seule critique: les gourous de l’AMNT dépouillent le système de l’Advaita de ses aspects essentiels pour ne laisser qu’une pseudo spiritualité inefficace à répondre à la tâche ardue qui est d’atteindre moksha, la libération spirituelle ultime. Cependant, un regard plus précis sur chacun de ces thèmes aidera à mieux cerner la profondeur et l’ampleur des critiques de l’Advaita Moderne Traditionnelle à l’égard de l’Advaita Moderne Non-Traditionnelle.

Premier thème : le reniement de la Sadhana

Le premier reproche se porte sur les enseignants de l’AMNT et leur supposé reniement de la sadhana, c’est-à-dire d’une pratique soutenue, pour l’accomplissement de la libération spirituelle. Selon cette critique, ils prétendraient faussement que l’enseignement essentiel de la vérité non-duelle de l’Advaita est enterrée sous un monceau de mythes, de pratiques et de symboles liés à un environnement culturel et d’esprit dualiste. Ces enseignants, dit-on, affirment que la réalisation de l’éveil absolu non-duel peut être atteinte instantanément par leur version personnelle du satsang, une discussion intime et en même temps publique entre étudiants et enseignants. De ce fait, les étudiants n’ont pas besoin d’apprendre de mots étrangers, de textes abscons écrits par les maîtres, ou de s’engager dans une préparation mentale pour “y arriver”. En fait, toute la méthodologie élaborée de la sadhana traditionnelle advaïtique est vue comme étant défavorable à une réalisation spirituelle. En effet, elle encouragerait l’illusion qu’il y a quelqu’un qui atteindra un éventuel futur état d’éveil. L’éveil complet est ici et maintenant, si l’on réalise simplement que la vérité ultime de l’Advaita est que atman (le soi spirituel) n’est rien d’autre que Brahman (la Réalité Absolue).

Le peintre et musicien allemand Karl Renz, Gourou de l’AMNT, défend ce point de vue dans sa réponse à la question suivante : « Y a-t-il une quelconque nécessité de travail intérieur ou de développement ? »

Pour être ce que vous êtes aucun travail ni développement n’est nécessaire. Tous les concepts de chemin, de développement ou même de compréhension, apparaissent avec la pensée-Je. La première idée qui apparaît crée le temps, l’espace et donc l’univers entier. Aussi longtemps que cette pensée-Je apparaît comme réelle… là apparaît le désir d’unité et avec lui l’envie d’une porte de sortie de la souffrance… En étant ce que vous êtes, ou mieux, comme vous êtes, absolu, précédant toute chose et rien, tous les concepts sont annihilés. [12]

Une plus jeune enseignante anglaise de l’AMNT, Unmani (née Liza Hyde), explique de même manière la raison pour laquelle, ultimement, aucune pratique n’est nécessaire :

La pratique est une façon d’éviter de sentir la réalité de ce qui est, qui peut souvent être inconfortable. Si je sens de la douleur ou de l’anxiété, la pensée va chercher à faire quelque chose pour résoudre le problème, changer la situation, « en être juste témoin » ou pratiquer quelque chose dans le but de la faire disparaître. Mais en voyant la futilité de la pensée, en voyant que personne n’a besoin d’avoir l’expérience d’être autrement, la seule chose qui reste est la sensation brute et réelle de la douleur. Il n’y a aucune fuite possible de ce qui est… Tandis que si vous sentez le besoin de pratiquer et de travailler sur vous-même, l’espérance que les choses vont s’améliorer est là. Le message est qu’il n’y a plus d’espoir. C’est la fin du trajet, la fin du chemin spirituel… Si nous laissons tomber la question de savoir si oui ou non la pratique est nécessaire pendant un temps, pour se poser la question plus appropriée – Qui suis-je ? […] Qui est là, maintenant ? Si je crois être une personne qui possède ses problèmes et ses souffrances et son mental, alors je vais croire que j’ai besoin (ou pourrait avoir besoin) de faire des changements dans ma vie. Mais en voyant qu’en fait il n’y a personne ici qui vive une vie, alors la question de la nécessité ou non d’une pratique devient caduque. Je ne suis pas en train de suggérer que vous ne pratiquiez pas si vous sentez que cela vous est nécessaire. A la question de savoir si nous sommes concernés par une pratique, je dirais qu’aussi longtemps que vous sentez cela nécessaire, c’est nécessaire. Mais si vous êtes prêt à abandonner tout espoir, et à voir qu’il n’y a aucune échappatoire possible de la réalité, alors arrêtez et demandez-vous qui a besoin d’une quelconque pratique. [13]

Les adeptes de l’AMT désavouent fortement ces propos et insistent sur la nécessité d’une sadhana soutenue et de longue durée. Un aspect essentiel de celle-ci est la préparation mentale, qui comporte le développement d’une habitude de discrimination (le discernement entre le vrai et l’apparence), de détachement (la libération de l’attachement au monde des formes), d’apaisement mental et un profond désir de libération. C’est seulement lorsque cette préparation est bien amorcée que l’étudiant peut s’engager fructueusement dans un enseignement avancé de l’Advaita. Comme le dit un enseignant et auteur de l’Advaita Moderne Traditionnelle, James Swartz, qui fut étudiant de Swami Chinmayananda :

Cela exige une maturité d’adulte avec un désir perçant de connaître le Soi. La raison de cette insistance [dans l’Advaita traditionnelle] repose sur le fait que l’éveil prend place dans l’esprit. Aussi le mental doit être capable de saisir et de conserver la connaissance « Je suis éveil sans limite, et non pas ce corps-mental ». La pratique et l’assimilation de cette connaissance va nécessairement détruire les tendances (vasanas) à chercher le bonheur dans ce monde. [14]

Swartz soutient aussi que l’élimination des vasanas peut prendre beaucoup d’années et il s’ensuit que le progrès se fait généralement par incréments plutôt que soudainement.

L’auteur Dennis Waite, qui vit en Angleterre et est créateur du site web bien respecté, Advaita Vision, est considéré comme un porte-parole avisé du camp de l’AMT. Il a ostensiblement critiqué Tony Parsons, un enseignant populaire de l’AMNT et fondateur de la maison d’édition Open Secret publishing, pour ses affirmations selon lesquelles les efforts, les doctrines et tout système spirituel progressif ne font que servir à perpétuer l’illusion d’une identité “moi” séparée. Ainsi Parsons écrit-il que les enseignants de l’AMT se sont égarés dans leurs croyances, selon lesquelles… … pour résoudre le sens réel et permanent de séparation et s’éveiller, l’individu devrait choisir de suivre une voie spirituelle progressive. Cette voie implique une pratique, de la méditation, de l’auto-investigation et l’éradication de l’ego et de l’ignorance grâce à une compréhension claire des écritures sacrées et la direction d’un enseignant. L’Open Secret (le Secret Ouvert) reconnaît que ces croyances et ces recommandations sont produites par le sens d’être, d’une façon inconstante et présumée, un individu séparé qui ressent le besoin d’atteindre quelque chose appelé éveil. Il reconnaît aussi qu’un investissement dans ces recommandations peut renforcer et maintenir ce sens présumé d’être un individu séparé qui peut trouver la solution de ce fait d’être un individu séparé… L’Open Secret (Le Secret Ouvert) reconnaît qu’il n’y a pas d’éveil, pas de libération, ou d’individu pouvant devenir éveillé ou libéré ; il n’y a rien de tel… L’Advaita Traditionnelle est un enseignement du devenir, l’Open Secret non, mais il implique la dissolution du mythe de la recherche. [15]

Waite maintient que la pratique au sens de l’Advaita traditionnelle est une préparation mentale, dissolvant les tendances innées et conditionnées de sorte que la connaissance du Soi authentique puisse émerger naturellement. « Quand la connaissance du Soi apparaît, il n’y a plus de pratique : son avènement est inévitable ». [16] Il cite aussi Ramana Maharshi, qui observait, « la réalisation du Soi n’admet pas de progrès, elle est à jamais la même. Le Soi demeure toujours réalisé. Les obstacles sont les pensées. Le progrès se mesure par le degré d’élimination des obstacles à comprendre que le Soi est toujours réalisé. » [17] En d’autres termes, sadhana et progression, selon les enseignants de l’AMT, se rapportent au degré de dissolution de l’incompréhension et des perceptions erronées dans l’esprit de l’étudiant, et non pas au Soi en tant que tel.

Un autre aspect essentiel de la sadhana, selon Waite, est l’attention avec laquelle la doctrine de l’Advaita a été élaborée par des gourous authentiques, conduisant les étudiants pas à pas vers une reconnaissance directe de la vérité non-duelle. Dans la plupart des cas, l’association avec le gourou s’étend sur une longue période de temps. Ainsi les points de vue erronés des étudiants et leur profond état d’ignorance peuvent être patiemment et minutieusement mis en question et déracinés. Si l’on donnait aux étudiants la vérité ultime de l’Advaita, selon laquelle « vous êtes le Soi Non-Duel et Unique, ou Brahman », avant que leurs croyances antérieures en un monde duel empli de formes indépendantes et d’individus-moi n’aient été systématiquement éliminées, la réalité “ne prendrait” tout simplement pas à un niveau profond. En effet, elle va trop à rebours des habitudes si ancrées de perceptions et d’expériences dualistes. [18]

Selon le point de vue des adeptes de l’AMT, les méthodes de l’Advaita pour la réalisation de soi ont été validées par de nombreux siècles de pratique. Aussi n’y a-t-il aucunement besoin qu’elles changent avec les tendances et en fonction des conditions du moment [19]. Selon Swartz :

L’essence du Vedanta, les enseignements qui ôtent l’ignorance du Soi, ne changent pas parce qu’ils font de façon efficace ce que l’on attend d’eux… Donc en ce sens, le Vedanta, tout comme pour les mantras donnés en sanskrit, est un corps parfait pour la connaissance. Il n’a besoin d’aucun rajout ni de modification lui permettant de s’adapter aux temps présents. [20]

Il est vrai que les critiques de cette sorte ont été la plaie des versions de l’Advaita Vedanta Nord-Américaines depuis que Swami Vivekananda (1863-1902) s’est exprimé devant le Parlement Mondial des Religions à Chicago en 1893 et a donné par la suite des conférences aux Etats-Unis en 1893-95 et en 1900. Influencé par le néo-Hindouisme du 19e siècle, Vivekananda a essayé de combiner l’enseignement de la réalité non-duelle issue de l’Advaita Vedanta avec un intérêt plus occidental pour l’activisme progressiste. En exposant l’Advaita au public américain, Vivekananda minimisa les dimensions mythologiques et polythéistes de l’Hindouisme ainsi que les pratiques tantriques et d’adoration de Kali de son gourou, Ramakrishna (1836-1886). Il fut vertement critiqué, tant en Inde qu’en Occident, pour cette refonte du Vedanta adaptée aux occidentaux. [21] Le français René Guénon, fondateur de l’école pérennialiste (se rattachant à l’idée de Philosophia Perennis) et défenseur des orthodoxies ésotériques, fut l’auteur de la plus cinglante de ces critiques, en observant avec un esprit incisif, « ce soi-disant Vedanta… qui plaît d’autant plus à l’Occident qu’il est déformé, n’a pratiquement plus rien de commun avec la doctrine métaphysique dont il emprunte le nom ». [22]

Les adeptes de l’AMT citent souvent l’enseignement de Ramana Maharshi au sujet de la sadhana. Sa méthode d’auto-investigation (atma-vichara) fait appel à une introversion mentale axée sur la question, « Qui suis-je ? » En suivant ce questionnement focalisé sur un unique objet, la racine de la pensée-Je sera finalement atteinte, et le moi-ego conventionnel sera vu comme une position relative au sein de la conscience cosmique Brahman. Cependant, avant que cette investigation ne puisse être pratiquée fructueusement, une indifférence à l’égard de l’attraction opérée par les sens et la prise de conscience continue de la nature transitoire du corps et de ses plaisirs doivent être cultivées. Le développement de ces attitudes, combiné avec les pratiques dévotionnelles et de service aux autres, purifie le mental et le rend apte à une auto-investigation efficace.

L’adepte américain de l’AMT, Timothy Conway, basé à Santa Barbara en Californie, ancien moine bouddhiste et aujourd’hui enseignant de satsang, déclare que l’AMNT « appelle à la recherche » de façon prématurée, évitant la pratique menant à une authentique réalisation du Soi en y substituant un savoir intellectuel. La conséquence est la confusion entre la vraie nature du Soi et un profond embourbement dans les habitudes karmiques d’attachement et de répulsion.

La simple « Compréhension » que « seul le Soi est Réel », que « la Conscience est tout ce qui est », l’idée que la spiritualité n’est rien d’autre que cette compréhension conceptuelle et la zombification radicale qui en découle, tout cela est tout simplement insuffisant pour un éveil authentique… On doit être complètement libéré en cette Vérité, et libéré comme cette Vérité doit l’être sur les plans affectifs et comportementaux. On doit donc être pleinement établi dans une vraie liberté, une libération des liens avec samskaras/vasanas [les tendances héritées du karma des vies précédentes]. [24]

Une dernière critique, celle du Sud Africain fondateur de l’Humanisme Spirituel, Möller de la Rouvière, explique que les étudiants qui entendent les gourous de l’AMNT dire que rien ne doit être fait (puisque la réalité non-duelle est déjà là) tombent dans la confusion et sont déresponsabilisés. En effet, l’expérience qu’ils ont d’eux-mêmes ne reflète en rien cet état absolu. Les pratiques mêmes (observation de soi et auto-investigation) qui pourraient les aider à découvrir ce qui favorise l’illusion d’une existence séparée ne leur sont pas permises puisque supposées renforcer l’ego. Après tout, chaque effort personnel suppose l’existence d’un soi personnel séparé qui accomplit l’effort. Eviter toute pratique développe chez l’étudiant le « faux sens qu’il est déjà libre et c’est ce même faux sens d’une liberté intellectuelle qui entrave et obscurcit le processus naturel d’une ouverture intérieure ». [25]

Deuxième thème : la nécessité d’un développement moral

Selon le deuxième thème des critiques, les enseignants de l’AMNT passeraient sous silence la question du développement moral en tant que prérequis à la réalisation spirituelle. Les adeptes de l’AMT assurent qu’une sadhana efficace doit inclure les vertus Védiques traditionnelles comme la foi, la dévotion et la persévérance. Ils reprochent à beaucoup d’enseignants de l’AMNT de manquer non seulement de ces vertus mais aussi de ne pas mettre l’accent sur leur importance. Certains critiques assoient le développement des vertus dans le cadre de la pratique traditionnelle de Vaidika Dharma, ensemble de règles de conduite gouvernant le comportement humain selon les devoirs à remplir envers la société, les dieux et la famille. Les adeptes de l’AMT estiment que lorsqu’une personne sacrifie des désirs personnels pour servir le Divin et ses semblables, la production des vasanas cesse d’être une entrave et donc n’empêche plus la réalisation du Soi. [26]

Avec, par exemple, l’éditeur de Mountain Path, Christopher Quilkey, ils mettent en garde sur la vision de l’existence fataliste et passive promue par les enseignants de l’AMNT : elle peut conduire à l’hédonisme et à l’auto-complaisance, deux choses peu favorables à la croissance spirituelle. [27] En abordant l’Advaita hors de son contexte, des actions immorales et non éthiques peuvent être justifiées par des arguments comme la prédestination ou la manifestation du grand projet du Soi. La pureté de l’esprit requise pour une réalisation du Soi authentique exige des efforts soutenus de méditation, d’actions éthiques, et de dévotion. Afin de contrer l’AMNT qui rejette tout exercice dévotionnel (bhakti) comme les puja (adoration), les bhajans (chants dévotionnels) ou les visites des sanctuaires et qui dénie l’importance du service quotidien à la famille et à la société, l’AMT souligne l’exemple donné par des sages comme Swami Vivekananda ou Ramana Maharshi, qui incorporaient des pratiques dévotionnelles et des activités de service dans le cours de chaque journée. L’idéal, insistent-ils, est l’équilibre entre la tête et le cœur, la connaissance, la dévotion et une activité concrète de service.

En réponse aux allégations de l’AMNT selon lesquelles il n’est besoin d’aucune action puisque la personne et le monde sont illusoires, les adeptes de l’AMT citent l’enseignement ancestral du Vedanta sur les qualifications requises pour une auto-investigation authentique. Samadhisatka-sampatti, un ensemble de six vertus menant à la pureté mentale et donnant à l’étudiant toute qualité pour entendre et comprendre les vérités de l’Upanishad. Selon la présentation du gourou advaitaique traditionnel Swami Dayananda, elles comprennent la maîtrise de soi (sama), l’auto-discipline et la sobriété (dama), le détachement du désir de possession de choses matérielles (uparama), la capacité de faire face aux petites difficultés de la vie avec patience (titiksha), la foi en son enseignant et en la capacité des paroles du Vedanta à donner la vraie connaissance (shraddha) et une puissance de concentration permettant l’absorption en soi (samadhanam). [29] L’enseignant de la Mission Chinmaya, Swami Viditatmananda, met l’accent sur le besoin pressant de nourrir un mental pur et ordonné, libre de l’attirance et de la répulsion, de la luxure, de la colère et de l’avidité. Ces distractions obnubilent l’esprit, le rendant inapte à recevoir la connaissance transcendante. Elles perpétuent les schémas de comportements déviants et indignes menant à une vie coupée de toute harmonie avec l’ordre cosmique. Faire du mal aux autres, absorber des éléments toxiques pour l’organisme, mentir, tromper et voler, tout cela fait partie de ces actions déviantes. [30]

Les adeptes de l’Advaita Moderne Traditionnelle soutiennent que l’enseignement concernant le développement de ces valeurs et d’une vie éthique manque cruellement aux satsangs de l’AMNT, et cette négligence fait sauter une étape essentielle dans le processus de la réalisation du Soi. [31] Le développement de ces vertus fait traditionnellement partie de ce qui est demandé comme niveau de maturité pour “entendre” l’enseignement de l’Advaita. Selon les adeptes de l’AMT, les enseignements pour lesquels n’existe aucune condition pour l’auto-investigation, dont la pratique peut être suivie par quiconque sans tenir compte du mode de vie ou des aptitudes, ou pour lesquels peu de changement dans le comportement personnel suffit, peuvent plaire aux penchants de liberté, d’égalité et de démocratie des chercheurs occidentaux. Mais ils sont autodestructeurs. Le Dr. David Frawley, fondateur de l’Institut Américain des Etudes Védiques, et auteur de livres de l’AMT, affirme que la tradition de l’Advaita est intransigeante à l’égard des pratiques d’ascétisme et de purification morale, aussi peu attractif que cela puisse paraître aux participants occidentaux des séminaires d’éveil du week-end. [32]

Suzanne Foxton, auteure et enseignante de l’AMNT, résume brièvement l’attitude de l’AMNT à l’égard du développement des vertus et de la moralité :

Il n’y a rien qui soit vrai ou faux. Il y a ce qui est. Cela prend en compte beaucoup d’idées différentes sur ce qui est vrai ou ce qui est faux. Quoi qu’il en soit, la compassion semble souvent préférable : pourtant si chaque individu apparent faisait immanquablement preuve de compassion avec… gag, bof ! A quel point cela serait-il ennuyeux ? […] Nous vivons en Utopie. Nous sommes Utopie. Nous sommes un parfait terrain de jeu, dans la dualité, avec toutes les possibilités de briller, d’hésiter, de pleurer, de grandir, de détruire, de créer MAINTENANT. [33]

Il est intéressant de noter que Andrew Cohen (né en 1955), qui étudia avec Poonja, a rejeté l’enseignement de ce dernier car celui-ci trouvait que l’établissement d’un développement moral était hors sujet. Cohen remettait en question son insistance à affirmer que le comportement social n’a rien à voir avec la réalisation du Soi, et qu’il était impossible de transcender complètement les actions faites sous l’emprise de l’ego. Pour Poonja, ces actions étaient sans importance pour la personne éveillée, puisqu’il n’y avait plus identification entre la personne et ses actions. Elle ne souffrait donc plus de conséquences karmiques. Tous les critères éthiques sont issus du paradigme dualiste reposant sur la supposée réalité d’un individu moral. Ce paradigme étant considéré comme illusoire, de telles considérations éthiques ne font que distraire de la véritable auto-investigation. En rejetant cet enseignement, Cohen, qui enseigne aujourd’hui un système appelé Éveil Évolutionnaire déclaré inspiré d’enseignants comme Sri Aurobindo (1872-1950) et Teilhard de Chardin (1881-1955) qui parlaient d’évolution, en est venu à insister fortement sur le besoin d’un comportement éthique en tant que pierre de touche d’un éveil authentique. Il demandait à ses étudiants un comportement parfait et imposait des pratiques ascétiques à ses étudiants, des humiliations publiques et l’expulsion pure et simple de sa communauté pour les contrevenants. Cohen évoqua son gourou comme une personne immorale et avide de pouvoir. Il attira l’attention sur les faiblesses morales d’autres gourous célèbres comme Osho, Adi Da (1939-2008) et Swami Muktananda (1908-1982). Au moins en esprit, il apparaît que Cohen est revenu vers les enseignements de base de l’Advaita traditionnel (et d’autres systèmes spirituels traditionnels) concernant l’éthique comportementale et le fait de cultiver la vertu pour une vie spirituelle authentique et intégrale. Il apparaît aussi avoir accepté qu’à un niveau relatif d’éveil/réalité, une action morale est nécessaire et efficace en vue d’une croissance spirituelle. [34]

Dennis Waite enracine cet enseignement de l’Advaita Moderne Traditionnelle de la conduite éthique dans le système traditionnel de la lignée de gourous, ou sampradaya. L’enseignant gourou est hautement révéré et la vertu d’humilité est favorisée par cette révérence. En Inde, appartenir à une sampradaya constitue une sorte de mise en évidence de la probité morale d’un gourou. Waite considère que les enseignants de l’AMNT qui n’appartiennent pas à une authentique sampradaya feront toujours face aux questions quant à leur comportement. Il observe aussi que les enseignants nouvellement « éveillés » qui ne sont pas passés par un entraînement moral rigoureux des Advaitins traditionnels peuvent succomber plus facilement aux nombreuses tentations assaillant les enseignants itinérants admirés par de jeunes et attirant(e)s chercheur(se)s. [35]

Troisième thème : l’Insuffisance dans la connaissance de la Tradition du Vedanta

e troisième ensemble de critiques à l’encontre des enseignants de l’Advaita Moderne Non Traditionnelle (AMNT) porte sur leur manque de connaissances de base en sanskrit et des textes sacrés de l’Advaita, qui va de pair avec le rôle de gourou adopté prématurément. Les adeptes de l’Advaita Moderne Traditionnelle (AMT)considèrent cette base de connaissance comme indispensable à tout enseignant pour représenter de façon efficace l’éveil Advaitique. Sans cela, le système de l’Advaita pour la réalisation du Soi tombe à l’eau, les termes clefs sanskrits sont interprétés de travers, et l’enseignement de l’AMNT devient à peine plus qu’un massage psychologique pour occidentaux stressés. Sanjay Kumar Srivastava, qui commente souvent sur les forums de discussions sur l’Advaita selon le point de vue de l’AMT, résume crûment leur point de vue : « Dans l’Advaita vous obtenez l’éveil seulement grâce à l’étude des Upanishads et autres textes Védiques sacrés. Toutes les autres pratiques religieuses comportant des méditations etc. sont considérées au mieux comme une préparation mentale permettant de comprendre le message des Upanishads, au pire comme étant superflues » [36]

Selon les critiques faites par l’AMT, les enseignants de l’AMNT considèreraient la riche méthodologie offerte par l’Advaita traditionnel – y compris l’étude du sanskrit, la compréhension systématique des Upanishads, et l’étude attentive avec le gourou – comme un bagage impossible à porter venant d’une ère passée, et devenu inutile pour l’éveil. Le mépris clairement affiché de l’AMNT à l’égard des études de l’Advaita traditionnelle est bien résumé par John Greven, auteur de l’AMNT habitant à Sedona :

L’Advaita traditionnelle – une sorte de chemin utilisant le savoir, la raison, la logique, l’investigation afin de dissiper les nuages des idées fausses afin que le soleil (le Soi) se réalise. Le Neo-Advaita – une sorte de chemin prétendant ignorer les nuages des idées fausses et encourageant à voir l’Unité de façon directe… Neo, semble-t-il, offre l’opportunité d’éliminer le bagage traditionnel de l’Advaita, né en d’autres cultures et en d’autres temps. Ultimement, c’est le Un – non l’enseignant ou l’enseignement du moment – qui ôte le voile. [37]

Le sociologue Rodney Stark serait d’accord sur l’idée invraisemblable que l’on puisse attendre des chercheurs occidentaux contemporains qu’ils aient le temps, l’aptitude ou l’envie de suivre totalement la méthodologie de l’Advaita traditionnel. Il y a un élément clef dans sa théorie qui expose la façon dont les nouveaux mouvements religieux réussissent, c’est le besoin d’établir une continuité culturelle avec les adhérents potentiels. L’étude des langues anciennes sacrées, la prise en considération systématique de tout un corpus d’écritures saintes rédigées dans ces langues, et toutes les années passées comme simple apprenti d’un enseignant qualifié dans le but de maîtriser ces écrits est tout simplement culturellement à rebours de la façon de faire de l’immense majorité des chercheurs occidentaux. Si Stark a raison, le succès supposé (au moins en termes d’adhérents et de livres vendus) des gourous de l’AMNT vient directement de l’empressement à faire des concessions aux normes culturelles occidentales et à atténuer les exigences traditionnelles de l’étude de l’Advaita. [38]

Waite discute les arguments de l’AMNT en termes sévères, insistant sur le fait que les enseignants de l’Advaita issus d’une sampradaya légitime…

… sont qualifiés pour transmettre l’enseignement de cette sampradaya. Et le point clef d’un tel enseignement est qu’il a été prouvé maintes et maintes fois qu’il marchait. Aussi, pour « appartenir » vraiment à une sampradaya, on doit étudier avec un enseignant de cette sampradaya aussi longtemps que nécessaire pour en comprendre pleinement tous les aspects (c’est-à-dire de nombreuses années). [Dans le passé, cela voulait dire apprendre les textes sacrés par cœur, dans le sanskrit original, et savoir comment expliquer leur signification à un chercheur.] [39]

Selon son point de vue, l’apprentissage du Sanskrit est hautement apprécié car bien souvent il n’existe aucun mot correspondant d’une autre langue pour en traduire les termes. Même si un mot relativement proche peut être trouvé, il ne reflètera pas les nuances subtiles du terme sanskrit. L’usage d’un mot moderne ordinaire rend aussi moins probable l’étude approfondie du concept auquel il se réfère. [40]

Pour Swartz, les étudiants de Poonja ont eu des moments d’éveil et, du fait de leur manque de connaissance des textes sacrés de l’Advaita, sont retournés rapidement en Amérique du Nord pour enseigner aux autres. La conséquence fut qu’ils étaient mal préparés pour maintenir leur état d’éveil au moment du retour en force des vieux schémas de la pensée dualiste [41]. Selon lui, l’Advaita traditionnelle insiste sur les pratiques de sacrifice (yagna), ce que Swartz traduit comme la nécessité de sacrifier les désirs et les obsessions de l’ego. Comme ce long et douloureux processus n’a jamais été demandé aux étudiants de Poonja, ils se sont tournés à leur retour en Occident vers le développement de thérapies de type psychologie transpersonnelle pour aider à éclairer les problèmes d’ego de leurs élèves. Swartz tient pour certain que ce travail déforme l’Advaita authentique en appliquant des concepts métaphysiques aux schémas de dysfonctionnement de l’ego, retournant ainsi la sadhana de l’Advaita traditionnelle qui suppose un ego sain et mature. C’est seulement à partir d’un tel socle que l’Advaita cherche à révéler la vraie nature du Soi universel. Ceci se fait non pas en essayant de détruire l’ego (comme l’AMNT assure souvent), mais en embrassant un Soi plus grand, impersonnel par lequel l’ego trouve sa juste place. [42]

Swartz affirme que les écritures saintes de l’Advaita sont rédigées consciemment dans le but d’éliminer l’ignorance et de guider l’auto-investigation. Il cite Ramana Maharshi comme l’exemple d’un sage éveillé qui lit, interprète et traduit les textes sacrés en différentes langues pour guider et aider ceux qui venaient à lui. Swartz évoque aussi son propre cheminement auprès de Swami Chinmayananda, rapportant la phrase suivante : « Trois cours de Vedanta par jour, chaque jour pendant deux ans ». Pendant ces cours, son enseignant expliquait les textes sacrés les plus importants verset par verset. Le Swami restait sur un texte jusqu’à ce que chaque étudiant l’ait clairement compris. Sans surprise, Swartz estime les enseignants de l’AMNT déficients puisqu’ils n’apportent aucune explication systématique des textes de l’Advaita et ne disposent pas d’une formation en sanskrit qui les rende apte à un tel enseignement. [43]

Swartz remet aussi en question les enseignants de l’AMNT qui se situent hors de la tradition d’enseignement séculaire de l’Advaita. Il mentionne que la compréhension de cette tradition et la juste façon de la transmettre dans un contexte changeant ont survécu dans les sampradayas de l’Inde. De plus, ces lignées de gourous traditionnels ont protégé leur enseignement des innovateurs croyant en la nécessité de « le rendre accessible pour un auditoire moderne ou bien de le cacher pour que seuls des aspirants qualifiés y aient accès ». [44] Pour Swartz, le génie de la tradition Vedantique est qu’elle touche l’humanité « là où elle vit, dans le rêve de la dualité, et lui donne la carte routière et une méthode efficace ». [45]

Waite, quant à lui, insiste sur la besoin d’avoir un guide qualifié qui puisse relater attentivement les écrits traditionnels de l’Advaita aux étudiants, parler avec eux de leurs questions et éclairer leur compréhension. Un guide formé aux écritures saintes de l’Advaita peut offrir aux étudiants une base solide pour leurs méditations personnelles sur les enseignements traditionnels. Il est impossible de voir son propre visage sans miroir ; de même est-il impossible de voir le Soi sans le miroir des écritures saintes et l’aide d’un enseignant apte à les interpréter correctement. Un tel enseignant peut suivre les progrès de l’étudiant, dénouer les incompréhensions, permettre l’assimilation des enseignements difficiles et l’aider à éviter les errements sur le chemin. [46]

Waite est fortement critique à l’encontre de ceux de l’AMNT qui ne font que survoler cela lors de leurs enseignements publics et ne rentrent pas systématiquement dans le cœur des textes sacrés et des commentaires de l’Advaita.

Les satsang et les enseignants Neo-Advaitins ne se réfèrent aux écritures à aucun moment ni en aucune manière… Il doit être admis et reconnu qu’un enseignant compétent, capable d’user des textes sacrés en tant que pramana (un moyen éprouvé permettant d’acquérir la connaissance) est ce dont nous avons besoin… Les écritures sont dites être sans valeur par les enseignants Neo-Advaitins [AMNT]. Leurs arguments sont : il n’y a personne pour devenir éveillé et le Soi est déjà libre, il s’ensuit que les écritures saintes ne peuvent rien apporter d’utile. De tels enseignants ne les ont probablement pas lues et ne les auraient pas comprises. [47]

Sur le sujet, Tony Parsons présente la contre-argumentation de l’AMNT avec clarté :

L’Advaita traditionnel fait une bonne utilisation de la logique, de la raison, de la croyance et de l’expérience, des explications rationnelles, de la vérité, et de la sagesse traditionnelle. Tout cela a pour objet d’aider le chercheur sur la voie de l’éveil. Ce que l’Open Secret (le Secret Ouvert) transmet est apparemment illogique, irraisonné, incroyable, paradoxal, il ne prescrit rien, n’est pas spirituel et est sans compromis. Il n’y a pas d’ordre du jour, pas d’intention d’aider ou de changer l’individu. Sa résonance est partagée sur le plan énergétique, et non par des idées. Elle précède tous les enseignements et est éternellement neuve. [48]

Waite rétorque que la tradition de l’Advaita, bien qu’ayant la plus grande révérence pour son corpus d’écritures sacrées, ne considère pas celles-ci comme une description parfaite de la vérité absolue qui ne puisse être remise en question ou précisée. Elles sont plutôt « une source de connaissance de soi digne de confiance en laquelle on peut croire jusqu’au moment où l’on réalise la vérité. Dès cet instant, elles peuvent être rejetées en même temps que l’ignorance qu’elles ont aidé à dissiper [49]. » En d’autres termes, une mise en doute rationnelle et l’éclairage des enseignements contenus dans les textes sacrés sous la direction d’un gourou qualifié sont vus comme un moyen tout à fait valable de mettre fin à l’ignorance des étudiants. En ce sens, observe Waite, les enseignements de l’Advaita évitent de mettre les écritures saintes sur un piédestal, reconnaissant en même temps leur utilité à dissiper l’illusion et leurs limitations finales [50]. Selon le point de vue de l’AMT, le manque de respect des enseignants de l’AMNT envers les écritures les prive d’un guide d’éveil fiable utile à leurs étudiants, qui soit aussi un garde-fou contre la façon dont ils peuvent se leurrer eux-mêmes et les distorsions qu’ils peuvent introduire dans les vérités de l’Advaita [51].

Waite attire aussi l’attention sur l’exhortation de Shankara à chercher la bénédiction d’un éveillé, sauf si cette personne n’a pas les compétences à enseigner des méthodes issues d’une lignée de gourous authentiques dans laquelle les disciples vivent longtemps avec leur enseignant et reçoivent des explications claires, logiques et approfondies des écritures. Un enseignant compétent est « celui qui fut un disciple compétent. » [52] Contre ceux de l’AMNT qui prétendent que leur rôle d’enseignant a « simplement émergé en eux », que les réponses qu’ils donnent aux étudiants surgissent en eux spontanément, Waite répond que le Soi n’autorise personne à devenir enseignant ou à fournir des réponses correctes juste comme ça. La simple connaissance de la vérité ne donne pas la méthodologie et les compétences à la communiquer de façon efficace. [53] L’insistance que donne l’AMT aux textes sacrés et à leur interprétation par des guides qualifiés est, bien sûr, un thème commun des batailles qui ont lieu au sein des autres communautés religieuses entre défenseurs de l’orthodoxie et les factions non-traditionnelles.

Un autre élément qui alimente le scepticisme des adeptes de l’AMT envers la maturité des gourous de l’AMNT est leur affirmation d’appartenir à la lignée de Ramana Maharshi à travers leur lien avec Poonja. Swartz, par exemple, constate que certains étudiants de Poonja (devenus plus tard enseignants) suivirent auparavant Osho, un gourou populaire en occident pendant les années 70 et 80. Après sa mort, beaucoup de ses disciples allèrent à Lucknow, en Inde et se rassemblèrent autour de Poonja, qui était alors relativement inconnu sauf d’un petit cercle d’étudiants Indiens. Selon Swartz, ces étudiants « n’avaient virtuellement aucune connaissance de la culture védique » et, malgré le nom qu’ils s’attribuèrent de sannyasins (renonçants), n’étaient pas franchement réputés pour avoir renoncé à quoi que ce soit pendant le temps passé avec Osho. [54] Même s’il admet que Ramana Maharshi fut vraiment le gourou de Poonja, Swartz maintient que la version de l’auto-investigation proposée par Poonja demandait beaucoup moins de constance et d’efforts dans la continuité que celle de Ramana. Plus problématique encore selon lui, est la reconnaissance par Poonja qu’il n’avait pas donné à ses étudiants ses derniers enseignements parce que ceux-ci étaient « arrogants et égoïstes » et fondamentalement indignes, inaptes et pas prêts à les recevoir. [55] Dans un entretien avec David Goodman, Poonja admet qu’il avait donné à ces étudiants immatures ayant la sucette à la bouche, des éclats de shaktipat (énergie spirituelle), comme un moyen de se débarrasser des « sangsues », comme il appelait ses disciples occidentaux. Ceux qui eurent l’expérience de tels états extatiques interprétèrent ensuite les conseils que donnait occasionnellement Poonja d’avoir des entretiens spirituels avec leurs amis en Occident (« des réunions autour d’un thé ») comme s’ils avaient été mandatés par leur gourou pour devenir eux-mêmes gourous de plein droit. [56]

On peut rajouter à ces confidences le fait bien établi que Ramana Maharshi n’a jamais formé ses disciples à devenir enseignants ni autorisé quiconque à enseigner dans sa lignée, et qu’il ne montrait aucun intérêt à initier les étudiants à la tradition de l’Advaita. Swartz conclut que la prétention de certains enseignants de l’AMT à se situer dans la lignée de Ramana Maharshi n’est rien de plus qu’une habile invention faite par des enseignants immatures en quête de reconnaissance dans le but de s’attribuer un statut immérité et de l’importance. [57] La remise en question des autorisations à enseigner – que ce soit la « succession apostolique » pour diverses sectes chrétiennes, la lignée de gourou dans la tradition du yoga, les lignées authentiques de transmission du dharma dans les sectes bouddhistes – est un autre point de contestation que l’on retrouve communément entre traditionnalistes et non-traditionnalistes dans les communautés religieuses autour du monde.

La difficulté principale à laquelle se heurte cette argumentation est que ni Ramana Maharshi ni Poonja (souvent compté par les gourous tant de l’AMT que de l’AMNT comme leurs maîtres et sources d’inspiration) n’appartiennent à une sampradaya reconnue. Pour cette raison, les enseignants de l’AMNT citent parfois ces gourous respectés comme preuve qu’une étude rigoureuse des textes sacrés avec un enseignant qualifié est inutile. Même Waite, très respecté dans le monde de l’Advaita Moderne pour son engagement dans les traditions de l’Advaita, concède :

Ne pas appartenir à une sampradaya ne veut pas dire qu’un enseignant est ipso facto indigne de lire ou d’écouter. Cela veut dire qu’il est beaucoup moins susceptible d’avoir une compréhension complète de toutes les méthodes d’enseignement, des aides, des histoires, des métaphores etc., que ça n’aurait automatiquement été le cas si tout cela avait été suivi, appris et totalement compris dans une sampradaya. Mais ils peuvent être de bons enseignants grâce à leurs propres lectures, leur propre compréhension etc., et parce que leur enseignant avait une bonne compréhension. Le fait est que, en dehors d’une sampradaya, la probabilité tient de la chance. Malheureusement, beaucoup d’enseignants auto-proclamés [de l’AMNT] ont simplement comme but de remplir leurs poches (un enseignant d’une sampradaya ne demanderait jamais d’argent) et ne sont ni de bons enseignants ni éveillés. [58]

Même en reconnaissant que quelques enseignants de l’Advaita Moderne appartiennent à une lignée légitime, une sampradaya, les adeptes de l’AMT insistent sur l’importance de l’étude des textes sacrés avec un enseignant qualifié, car celle-ci donne l’assurance d’une transmission approfondie et compétente de la totalité de la méthodologie de l’Advaita.

Quatrième Thème : les Limites du Format des Satsang

Le quatrième thème des critiques de l’AMT se porte sur les limitations du format d’un satsang. Le format usuel d’un satsang de l’AMNT commence par une période de silence suivie par des mantras, des chants puis l’échange de questions et réponses entre enseignant et participants. Certains se rapprochent de l’estrade surélevée où l’enseignant est assis et dialoguent intimement avec lui. Comme le note Frisk dans son étude sur le Réseau Satsang, on trouve parfois lors de ces événements un élément de divertissement et de rire venant de ceux qui posent les questions dans leurs interactions avec l’enseignant. [59] Musique et danses peuvent aussi être au programme, même si je n’ai que rarement vu cela sur le terrain. Le format d’un satsang est très bien adapté aux chercheurs américains, conditionnés à une approche confessionnelle publique du type de celle que l’on trouve quotidiennement dans les talk shows à la Oprah et Dr. Phil. Le chercheur attend qu’on lui accorde de l’attention à titre personnel ou un élément de thérapie qui aille de pair avec les instructions spirituelles de ses enseignants. Les adeptes de l’AMT s’interrogent sur les motivations profondes des participants et arguent que beaucoup d’entre eux sont seulement en quête de pouvoir, recherchent une aide personnelle, ou ont le désir de vivre une brève expérience communautaire plutôt qu’un engagement sur le chemin ardu de la transcendance de l’ego. Ce jugement fait écho à celui de Frisk : « le soi postmoderne ne cherche plus le sacré et la libération des péchés, mais bien plutôt une excitation, une proximité relationnelle, et du fantasme. Cela s’appliquerait parfaitement à la description du Réseau Satsang. Un satsang apporte en même temps du divertissement et une expérience de proximité émotionnelle. » [60]

Sadhu Tanmaya Chaitanya, un enseignant et écrivain de l’AMNT, voit le format des satsang comme voué à l’échec car négligeant l’étape préparatoire nécessaire à la purification du mental. Pour lui, les « sauveurs auto-proclamés » de l’AMNT affirment pouvoir transmettre leur réalisation aux participants présents aux satsangs, alors qu’en fait ils ne font que transmettre des aperçus intellectuels ne permettant en rien de brûler l’identification de l’ego au corps et à ses désirs. Chaitanya met en garde ses lecteurs sur « les parodies de l’Advaita moderne », qui reposent sur une logique fallacieuse autorisant à une vie d’auto-complaisance. Lors des satsangs, les mots dévotion, lâcher-prise, renonciation et persévérance ne sont jamais mentionnés. Il y est question de « compréhension » mais jamais de « réalisation du Soi », avec l’élimination totale de toute fausse identification aux formes corporelles. Finalement, dit-il, les participants retournent à leur vie habituelle de plaisir sensoriel et d’effort égoïstes, certains de savoir qu’ils « l’ont eu ». [61]

Timothy Conway fait écho aux observations de Chaitanya en faisant remarquer que des enseignants de l’AMNT comme I. M. Nome ont mis sur pied de vastes organisations avant qu’ils ne soient totalement mûrs pour cela. Beaucoup sont tombés dans un schéma abusif de glorification et de recherche de pouvoir lors de ces satsangs. Il en critique le prix et estime que maîtriser le discours à donner lors d’un satsang ne requiert rien de plus qu’un peu d’aisance dans les rapports sociaux, un peu de connaissance de la vérité de l’Advaita et l’apprentissage de certaines manœuvres dialectiques de questionnement. [62] Lui comme d’autres critiques affirment que le reniement de la sadhana même par le nombre limité d’enseignants de l’AMNT capables de se manifester en tant que Soi pendant un satsang leur rend difficile de rester à ce niveau une fois le satsang terminé. Cela peut conduire à un comportement très « non-réalisé » une fois quitté leur estrade. [63]

Dhanya, un essayiste participant au site web Advaita Vision de Dennis Waite, résume la pensée générale de l’AMT concernant les participants au satsang. [64] Selon son expérience, beaucoup de ces chercheurs ne savent pas vraiment quoi attendre d’un satsang et sont plutôt intéressés à se faire de nouveaux amis, découvrir une communauté spirituelle et vivre un moment d’extase. Les pratiquants s’engagent dans un mode de fonctionnement où ils naviguent d’un enseignant de l’AMT à un autre, comparant leurs notes avec celles de leurs voisins sur ce qu’ils ont vécu lors de chacun de leurs satsangs, et essayant d’organiser tous les enseignements suivis et leurs expériences en un système spirituel cohérent et compréhensif. Dhyana se demande s’ils reçoivent quelque chose qui ait la moindre valeur, étant donné que l’ensemble des réponses venant des gourous de l’AMNT sont spontanées et spécifiques à chacun. Elle se plaint qu’aucune vision d’ensemble ne soit donnée des principes de base et des méthodes de l’Advaita, que les livres et les enregistrements audios/vidéos publiés par ces enseignants n’aident en rien puisqu’ils ne sont que de simples retranscriptions ou enregistrements de satsangs. [65]

La vision du satsang par les enseignants de l’AMNT s’avère être conforme à la critique émise par les adeptes de l’AMT, selon lesquels ces moments concernent d’abord une expérience « d’éveil » en présence de l’enseignant et du groupe plutôt qu’une transmission systématique de la philosophie et des méthodes de l’Advaita traditionnel. Un exemple représentatif est donné par Nirmala, enseignant de l’AMT vivant à Sedona (il a étudié avec Neelam, Polonais d’origine lui-même ayant été étudiant de Poonja) :

Quelle est la partie la plus importante du satsang ou de tout partage spirituel ? Contrairement à ce que vous pourriez attendre, la chose la plus importante du satsang n’est pas l’enseignant spirituel assis face à l’assistance. Un véritable enseignant spirituel est une bénédiction inestimable, mais ce n’est pas l’élément le plus important. De même, l’enseignement spirituel qui est partagé est un grand cadeau. Mais les mots qui sont prononcés et la sagesse partagée ne sont pas les choses les plus importantes. Et parce que le mot satsang implique un partage ou une communauté d’âmes similaires, cette communauté ou sangha peut être un support incroyable pour le voyage spirituel de chacun, mais là encore ce n’est pas le plus important.

Le plus important dans le satsang, c’est vous. Non pas le sens égoïste que vous avez habituellement de vous-même, mais la conscience mystérieuse qui lit ces mots… chaque opportunité de partager dans un satsang est une immense bénédiction, que la pièce soit pleine ou que ce ne soit qu’une conversation à deux avec son mentor spirituel ou un ami. Il y a accumulation et agrégation de cette conscience mystérieuse. Que deux personnes ou plus se réunissent peut rendre palpable la Présence et l’éveil de la conscience… La conscience est le cœur d’un satsang et c’est ce que vous êtes. [66]

A la différence de beaucoup de critiques, Alan Jacobs, l’ancien président de la fondation Ramana Maharshi en Angleterre, croit que les satsangs de l’AMNT peuvent au moins servir à introduire les participants à l’enseignement de l’Advaita. La participation à un satsang, aussi imparfait soit-il, « érode le “fantôme de l’ego” au moins intellectuellement. Au mieux, un lâcher-prise partiel de l’ego peut en être le fruit, mais il manque l’élément de dévotion totale amenant au lâcher prise complet lorsque le barrage de l’ego est absorbé dans le Cœur ». Jacobs constate que, passée une période où il s’agissait de courir voir le dernier enseignant de l’AMNT à la mode, beaucoup des participants commencent à se pencher sérieusement sur l’Advaita traditionnel authentique. Il prédit que le courant de l’AMNT va se poursuivre en servant de « tremplin valable même avec ses imperfections », conduisant les chercheurs à désirer un éveil plus profond à l’Advaita. [67]

Il est clair que l’adaptation du format traditionnel du satsang au contexte culturel occidental doit tenir compte de la valorisation du soi individuel et de ses intérêts, qui sont au centre de la conception occidentale du soi. Il est probable que, pour les enseignants de l’AMNT, offrir la promesse d’un instant d’éveil, présente lors de toutes ces sessions – rappelant si fortement les aspirations chrétiennes évangéliques au salut de l’âme pour tous ceux qui naissent une deuxième fois – associée à une prise en considération de la personne (le soi) et de ses problèmes est une nécessité dès qu’il s’agit d’attirer du monde. [68] Ce qui se passe pour le soi et ses identifications après une exposition à l’enseignement de l’Advaita n’est pas vraiment clair, mais la popularité ininterrompue de la forme que prend le satsang suggère bien qu’elle répond avec succès aux besoins que perçoivent pour eux-mêmes une proportion significative de chercheurs occidentaux.

Cinquième thème : Pré-transcendance, Dépersonnalisation et Confusion des niveaux

e cinquième et dernier thème des critiques à l’encontre de l’Advaita Moderne Non Traditionnelle (AMNT) est que celui-ci n’admet pas la discrimination que fait l’Advaita entre les niveaux d’éveil relatif et absolu. Le résultat est que ces enseignants induisent par leurs paroles un dénigrement d’une part de l’engagement spirituel et d’autre part du développement équilibré des dimensions physique, émotionnelle, psychologique et spirituelle du soi. En mettant l’accent sur les états les plus avancés de la réalisation spirituelle, les enseignants et enseignements de l’AMNT sont considérés comme exposés à la « pré-transcendance », croyance prématurée en sa propre libération spirituelle ultime. Cela entraîne dépersonnalisation et désengagement de la vie ordinaire. John Wheeler, un enseignant de l’AMNT vivant en Californie, expose ce point de vue d’une dépersonnalisation radicale :

La vraie clarté vient quand on voit l’absence de la personne. C’est elle qui obstrue le travail et crée tous les problèmes et leurs présupposées solutions. Revenez seulement à la base. Votre nature est lumineuse, à jamais présente, rayonnante, parfaite, être-conscience. Elle est pleinement réalisée et complète déjà maintenant… En mettant l’accent sur l’absence de mental et de toute histoire conceptuelle [personnelle], vous serez beaucoup plus présent parce qu’il n’y a plus de filtre. Il n’y a personne avec ses préférences et sa partialité qui essaie de négocier chaque expérience vécue. Mais qui est celui qui cherche à être avec tout son cœur et à s’impliquer pleinement ? Seule la personne séparée peut chercher à devenir quelque chose, même si c’est de tout cœur et en s’impliquant pleinement. L’éveil, la lumière de vie que vous êtes, est toujours là avec votre cœur et est totalement impliquée, car c’est ce qui crée et fonde toute expérience. Il n’y a pas besoin d’essayer de devenir quoi que ce soit, même si c’est une personne plus présente et plus engagée. Cela ne ferait que donner subtilement du poids au sens de la séparation, sous couvert d’essayer de devenir quelque chose. [69]

Selon les critiques d’érudits respectés comme John Grimes, la position de l’AMNT tourne le dos à l’enseignement de l’Advaita en ne reconnaissant que la réalité absolue et en ne prenant pas suffisamment en compte la réalité apparente, quotidienne. Les enseignants de l’AMNT nient ainsi qu’il puisse exister un chercheur, une recherche, et quelque chose à chercher. Mais des critiques comme Waite maintiennent que, vu du chercheur, la réalité apparente est suffisamment réelle, tout comme le rêve apparaît bien comme réel au rêveur. Il y a donc identification à la forme corps-mental, à la recherche de l’éveil, et à un monde dont l’objectivité est très convaincante pour la plupart des chercheurs. Prétendre le contraire n’aide en rien ceux dont l’expérience de vie de chaque instant est profondément conditionnée par cette identification. [70]

Dans l’Advaita traditionnel, le monde phénoménal des objets et des formes possède une réalité relative. Il n’est ni réel (au sens ultime du terme) ni irréel. Aux yeux des critiques de l’AMT, les enseignants de l’AMNT sont dans l’erreur en insistant sur l’existence de la seule réalité absolue et donc en niant l’existence du niveau phénoménal. Pour les adeptes de l’AMT, l’illusion contenue dans l’existence relative (parfois appelé maya) est si puissante qu’elle demande un effort énergique pour être éradiquée. L’Advaita apporte en plus d’une logique incontestable une variété de méthodes subtiles mises au point dans le but d’amoindrir la mainmise du soi égotique limité. Selon Waite, en forçant prématurément un esprit qui n’est pas prêt à accepter la vérité absolue – par exemple en affirmant qu’en fait il n’y a ni chercheur, ni acteur, ni chemin, que « cela est » –, l’esprit des étudiants est placé en situation de contradiction. Ils acceptent que l’ego et le monde des formes est illusion et que seul Brahman est réel, mais ils continuent à se prendre pour un organisme corps-mental existant en tant que soi séparé, solitaire. Nier l’existence de la réalité dans laquelle la plupart des gens sont piégés et affirmer que cela est le résultat de l’ignorance, a peu d’utilité. Bien plus important, toujours selon Waite, est de donner aux gens les moyens, les méthodes et les pratiques permettant de dissoudre l’ignorance grâce à la connaissance, comme cela se fait dans l’Advaita traditionnel. Dans le cas contraire, les chercheurs sont laissés dans la position d’un débutant en mathématiques qui veut apprendre la mécanique quantique avant même de maîtriser les bases de l’arithmétique. [71]

Timothy Conway croit que le malentendu dans lequel se trouve l’AMNT quant aux niveaux absolu et relatif n’est pas sans conséquences. Les efforts faits pour dépasser les vasana, pour s’extraire du cycle des renaissances et se libérer de la souffrance présente au niveau relatif des expériences empiriques, sont de ce fait inappropriés. De plus, la compulsion à ne considérer que le niveau absolu de la réalité laisse de côté « la multiplicité des mondes et des êtres émanant du Dieu-Soi pour le bien de la Divine lila, le jeu des relations humaines ». La propension à dévaloriser les relations humaines peut générer un état de dépersonnalisation, « un syndrome qui se remarque par un détachement et une dissociation forte et pathologique, de l’apathie, et la perte de toute empathie. Les qualités humaines de base, la chaleur humaine, la tendresse et l’attention amoureuse s’effacent pour laisser place à une conduite robotique et froide ». Cet état de pré-transcendance, dit Conway, déshonore le sens de la manifestation Divine que sont les êtres humains dans leur beauté et leur singularité. [72]

Conway ajoute que le déni de la part de l’AMNT du niveau relatif de l’expérience ordinaire peut mener à l’indifférence par rapport à ce qu’il appelle « une spiritualité engagée », qui interpelle les injustices économique, environnementale, sexuelle, raciste, politique perpétrées dans le monde. Au niveau de la réalité Absolue, de telles injustices appartiennent à maya (l’illusion) ou au samsara. L’AMNT peut donc voir toute action politique comme absurde et ne pas en valoir la peine. Or, pour Conway, une spiritualité authentique requiert en même temps un détachement du monde et, paradoxalement, un engagement animé par la compassion dans le monde relatif des êtres vivants pris dans le piège de la souffrance. Il cite Ramana Maharshi en tant qu’exemple. Celui-ci lisait chaque jour les journaux avec attention et écoutait les nouvelles à la radio avec un intérêt sincère pour le bien-être des êtres humains, de la société et du monde animal. [73]

Un danger encore plus grand, selon Conway, est que l’AMNT ne rationalise son propre comportement, qui lui est néfaste, en le voyant comme “la Volonté Divine” ou un rêve participant de maya. Il fait appel aux enseignements des deux sages Ramana Maharshi et Nisargadatta, pour lesquels ceux qui réalisent le Soi doivent rester libres de tout désir et de toute attitude nocive assujettissant au karma. En réponse à ce qu’exprime Tony Parsons de l’AMNT, selon qui « une fois que l’éveil se produit, il est vu qu’il n’y a rien qui soit vrai ou faux », Conway cite les mises en garde de Shankara, Ramana Maharshi et Nisargadatta pour qui, sur le plan de la réalité relative, les disciples doivent être capables de discriminer bonnes et mauvaises actions et les conséquences karmiques de celles-ci. Finalement, les enseignants de l’Advaita responsables instruisent leurs étudiants sur le niveau relatif quant à la qualité éthique de leurs actions et les lois du karma et des renaissances. [74]

Ce dernier thème de critiques est celui qui concerne le moins l’Advaita traditionnel. En effet, les termes ou les concepts comme “pré-transcendance”, “spiritualité engagée” tout comme la valorisation d’un but de justice sociale par les critiques de l’AMT participent plus de la psychologie transpersonnelle de l’Occident contemporain, de la politique progressiste, et du discours bouddhiste engagé que des enseignements donnés par l’Advaita sur les Upanishads ou par Shankara. Même si lesdits enseignements traitent bien du karma yoga, comprendre la dimension de ce qu’est remplir les obligations du dharma, vivre sa vie de façon éthique et la mettre au service de différentes façons, ne relève pas des notions typiques de l’Occident contemporain que sont la santé psychologique ou l’engagement pour la juste cause de plus de justice sociale. Ceci est un exemple de critiques de l’AMT où l’Advaita traditionnel connaît une transposition dans le tissu culturel Occidental de façon à devenir plus intelligible et accessible aux préoccupations de l’Occident contemporain et ses projets.

ANALYSE ET INTERPRETATION

Dans le cours de cet article, j’analyse et interprète les critiques faites par les enseignants de l’AMNT sur la base de grilles de lecture théoriques venant de la sociologie des religions, de l’histoire des religions d’Amérique du Nord, et des études académiques actuelles au sujet des adaptations et des altérations se produisant dans les traditions de l’Inde lorsque celles-ci migrent de leur pays pour s’implanter dans l’espace culturel américain.

Au premier degré, la diffusion des gourous et des organisations de l’Advaita Moderne (l’AMNT aussi bien que l’AMT) est une simple manifestation de l’esprit d’entreprise qui caractérise depuis longtemps le paysage religieux d’Amérique du Nord. D’une certaine façon, ces enseignants ont investi une niche commerciale, qui est le message transmis par l’Advaita Moderne. Cela est possible car la plupart des enseignants actifs aujourd’hui dans les cercles américains de l’Avaita Moderne ont été longtemps disciples de l’un ou l’autre des gourous autour desquels orbitent aussi bien l’AMT que l’AMNT. Typiquement, soit un gourou mandate un disciple pour enseigner, soit l’étudiant se brouille avec lui et commence à enseigner en satsang de sa propre initiative. Les exemples de telles trajectoires sont Gangaji, gourou de l’AMNT vivant dans l’Oregon et le Jamaïcain Mooji qui vit en Angleterre, tous deux ayant suivi l’enseignement de Poonja ; John Wheeler, qui étudia avec l’enseignant de l’AMNT “Sailor Bob” Adamson ; Wayne Liquorman, qui suivit Ramesh Balsekar (1917-2009), lui-même disciple de Nisargadatta ; et Nick Gancitano, étudiant du gourou de l’AMNT Arunachala Ramana (1929-2010). En l’absence d’une hiérarchie établie (selon le modèle des sampradayas ou lignées de gourous en Inde) ou d’un mécanisme de “contrôle-qualité”, les personnes qui se disent éveillées peuvent sortir leur étendard et commencer à tenir des satsangs dans le réseau de l’Avaita Moderne répandu partout dans le monde. Du point du vue du modèle économique d’une religion, les tentatives des adeptes de l’AMT pour rendre illégitimes leurs rivaux font partie de la lutte de domination pour garde l’exclusivité du marché à leurs propres entreprises. Si l’on suit la logique de ce modèle, nous pouvons nous attendre à ce que le flot des critiques contre l’AMT par les écrivains et enseignants de l’AMNT se poursuive, ainsi qu’à une vive résistance des gourous de l’AMNT eux-mêmes. Après tout, chaque enseignant de l’Advaita Moderne est un “concurrent” pour les autres, les produits qu’ils développent et leurs paroles. [75]

La tension entre enseignants de l’AMT et de l’AMNT, comme je l’ai mentionné dans l’introduction, reproduit un phénomène bien décrit historiquement : les nouvelles versions d’une tradition ancienne suscitent consternation et critique chez les tenants de l’orthodoxie. Dans beaucoup de situations équivalentes, les critiques les plus virulentes viennent de ceux qui perçoivent leur religion comme un ensemble indivisible de doctrines, de rituels, de codes éthiques, d’écritures saintes et de méthodes spirituelles se renforçant les uns les autres. Un choix sélectif parmi ces éléments pour en rejeter ou au contraire en promouvoir est donc vu comme un affaiblissement dangereux, une dévalorisation du système entier et une attaque injustifiée de méthodes éprouvées par le temps et faites pour le salut et l’éveil. Quelle que soit la valeur des critiques rapportées dans cet article, elles constituent à tout le moins une défense prévisible d’une tradition spirituelle certaine de posséder des méthodes d’éveils éprouvées et des garde-fous protégeant des abus d’autorité et de tout auto-illusionisme. Cependant, ce à quoi ces critiques n’arrivent pas à répondre, c’est comment continuer la tradition dans un contexte culturel transnational qui ne ressemble que bien peu à la matrice originelle Indienne, aussi bien historiquement que culturellement. Par exemple, est-il réaliste d’attendre que les chercheurs occidentaux deviennent les disciples d’enseignants formés dans une sampradaya traditionnelle, et en viennent à maîtriser le corpus de textes sacrés de l’Advaita Vedanta avec son exigence technique d’une étude très poussée du Sanskrit ?

Un exemple pertinent et intéressant de la tension entre nouveauté et tradition se trouve dans le courant de la Méditation Transcendantale (MT) de Maharishi Mahesh Yogi. Tôt dans sa vie, celui qui allait devenir le Maharishi fut disciple de Swami Brahmananda (1870-1953), le Shankaracharya de Jyotir Math. Ce math (organisation monastique) était l’un des quatre créés par le grand maître de l’Advaita, Shankara, au 8ème siècle. Il bénéficie de plus d’une parfaite réputation de défenseur de la tradition orthodoxe de l’Advaita. Maharishi quitta Jyotir Math après la mort de Brahmananda et vint en occident. Il continua à s’associer à la lignée de Shankaracharya lors de la fondation de la Méditation Transcendantale, en demandant par exemple aux instructeurs de la MT de participer à une cérémonie honorant la tradition de Shankaracharya (et Brahmananda) avant toute nouvelle initiation d’étudiants. Malgré sa reconnaissance ouvertement affichée de la légitimité de sa lignée, il fut vertement critiqué par le successeur de Brahmananda, Swarupanand, pour avoir quitté la tradition de Shankaracharya. En particulier, Swarupanand contesta la charge d’enseignant de Maharashi car il n’était pas un Brahmane. De ce fait, par tradition, il n’aurait pas dû être initié ni instruit spirituellement. Swarupanand critiqua aussi Maharishi pour avoir enseigné à des Occidentaux inaptes à une pratique spirituelle avancée et mélangeant des buts mondains avec la lutte pour la libération ultime (comme par exemple faire payer en échange d’un enseignement spirituel). Enfin, il condamna fortement la technique de méditation de la MT, affirmant que celle-ci ne permettait pas le contrôle mental nécessaire à une réalisation spirituelle authentique. [76]

On ne peut s’empêcher de trouver dans la condamnation de Maharishi l’écho des critiques de l’AMT vis-à-vis des gourous de l’AMNT. Cependant on pourrait aussi bien dire que Maharishi était investi dans un processus, certes expérimental, mais nécessaire, consistant à transposer l’enseignement de l’Advaita Vedanta dans les façons de penser et les conventions Occidentales. Sa réussite reste une question ouverte, mais le fait est qu’une forme d’adaptation/transposition est un défi complexe dès le moment où une tradition quitte son milieu culturel d’origine. Ce processus se complexifie encore avec le courant actuel de transnationalisme et de mondialisation, puisque la culture d’origine (ici l’Inde moderne) est elle-même sur la voie d’un changement rapide. Ses citoyens émigrent en masse en Occident puis reviennent chez eux influencés par les idées et les pratiques culturelles Occidentales.

Les érudits de la tradition Indienne d’Asie du Sud et de l’Occident affichent aussi un point de vue mûri pour évaluer l’AMNT et ses critiques à l’encontre de l’AMT. Reid Locklin et Julian Lauwers, dans leur étude sur la Chinmaya Mission, d’orientation AMT, documentent son utilisation des récits au sujet des “tournées conquérantes” faites par Shankara à son époque (dig-vijaya, ou conquête missionnaire de l’inde) afin d’expliquer et de promouvoir l’Advaita Vedanta en tant que courant mondial. Ils observent que les efforts de l’Hindouisme pour sa diffusion mondiale au-delà de ses frontières, qui sont du même type, a suscité deux réponses distinctes et opposées en Inde même. Il y a d’un côté la “géo-piété” centrée sur l’Inde, du Rashtriya Swayamsevak Sangh, du Vishwa Hindu Parishad et d’autres formes de nationalisme religieux. Et à l’opposé se trouve l’universalisme Hindou, plus expansionniste et ouvert, associé à Swami Vivekananda et les autres Vedantins du 20ème siècle, qui mettent moins l’accent sur les notions de castes, de culture et d’identité nationale. Selon Locklin et Lauwers, ces deux tendances – l’une utilisant la tradition védique pour promouvoir une identité nationale, locale, exclusive et géocentrée, et l’autre cherchant à universaliser le Vedanta en tant que contribution à la culture et au développement mondial – ont été harmonisées par la Chinmaya Mission. Son fondateur, Swami Chinmayananda, chercha à relancer et défendre l’Advaita traditionnel auprès des Indiens et en même temps à promouvoir son message universel s’adressant à toute l’humanité. Le premier but fut atteint en contextualisant l’enseignement de l’Advaita à l’esprit local, à la culture et à l’histoire religieuse spécifique de l’Inde. Le deuxième a été accompli en présentant l’Advaita « comme le langage universel, objectif, à la fois d’une science naturelle, d’une technique méditative et d’une thérapie spirituelle ». De fait, ce fut bien par la reformulation de la tradition ancestrale des Upanishads dans le langage contemporain Occidental. [77]

On peut penser que l’opposition entre l’AMT et l’AMNT vient largement du fait qu’en reformulant les intuitions spirituelles de l’Advaita, dans les façons de s’exprimer et de comprendre accessibles aux chercheurs occidentaux contemporains, l’AMNT ne s’est pas soucié de rester rattaché à la culture religieuse et historique de l’Inde selon ce que, semble-t-il, Swami Chinmayananda a réussi à faire. Les critiques de l’AMT renvoient toutes largement à cette question de reformulation – l’AMNT aurait éliminé tout besoin d’une sadhana traditionnelle, laisserait de côté le développement de vertus personnelles, négligerait de former solidement ses enseignants (avec l’étude du Sanskrit et des textes sacrés de l’Advaita), déformerait l’esprit du satsang, et serait victime de la non-discrimination entre les niveaux de réalité spirituelle. Il ne serait cependant pas réaliste d’attendre des enseignants Américains et Européens d’être suffisamment ancrés dans les traditions spirituelles et méthodes de l’Inde alors qu’ils n’ont aucune expérience du conditionnement culturel ni de l’éducation de leurs homologues indiens. De plus, le succès de la transmission de la spiritualité de l’Advaita auprès des américains nécessite probablement une certaine adaptation à leurs conditionnements et aux normes culturelles occidentales. Comme la Chinmaya Mission était essentiellement au service de la communauté des émigrants indiens, elle n’a pas été confrontée aux mêmes impératifs de traduction. Étant donné tout cela, une solution convenant aux deux camps serait peut-être de déterminer le nombre d’éléments du système de l’Advaita pouvant être mis de côté sans que son efficacité en tant que moyen de libération spirituelle n’en soit trop affectée. Peut-être est-ce là à ce jour la véritable négociation qui se déroule souterrainement entre les tenants de l’AMT et ceux de l’AMNT.

Les érudits d’Asie du Sud Chad Bauman et Jennifer Saunders ont aussi noté plusieurs tendances présentes dans les communautés Hindoues d’Amérique du Nord, qui peuvent être utiles à cette réflexion. La première est une orientation œcuménique qui se manifeste dans l’utilisation de l’anglais et du sanskrit dans les rituels suivis dans les temples plutôt que les langues régionales indiennes, un mélange comme on ne pourrait pas en trouver en Inde de dieux, de textes sacrés, de rituels et d’ethnies, une présentation de l’Hindouisme comme une religion de tolérance et de paix, une mise en valeur de la trimurti (trinité) Brahma, Vishnu et Shiva, et enfin l’accent est mis sur les bénéfices des rites Hindous sur la santé et l’environnement. Une deuxième tendance est l’importance croissante de la fréquentation des temples, phénomène pouvant s’expliquer par leur rôle primordial dans la préservation de l’identité culturelle et la solidarité communautaire des immigrés indiens. La troisième tendance est l’acclimatation des cycles de rituels Hindous aux normes américaines avec en particulier la célébration des rituels rythmant la vie des croyants (samskaras) pendant les week-ends, et de limiter ceux-ci aux quatre ou cinq les plus significatifs. Ce que ces tendances nous enseignent, c’est que l’Hindouisme (dans la diversité de ses manifestations) est soumis à un changement continuel en Inde comme en Amérique du Nord. Cette adaptation, cette acclimatation et cette reformulation sont des mécanismes naturels pour les traditions religieuses qui se propagent au-delà de leur matrice culturelle originelle. Finalement, la question la plus essentielle qui se pose aux adeptes de l’Advaita est de savoir jusqu’où aller dans cette acclimatation, quelle vitesse donner à la reformulation, et quelles adaptations sont nécessaires pour que cette traditions spirituelle ne fasse pas que survivre mais prospère dans un nouvel environnement culturel. [78]

CONCLUSION

Étant donné le contexte de pluralité religieuse de l’Amérique du nord, il n’est certainement pas nouveau de voir une tendance à la fragmentation et à la division sectaire dans une religion, ainsi qu’une mise sous “tutelle” de méthodes spirituelles célèbres par des hommes d’affaire dynamiques. Sans cadre légal ni moyen d’organiser un renforcement de la cohésion de l’ensemble des courants de l’Advaita moderne, les partisans de l’Advaita Moderne Traditionnel ne peuvent faire guère plus que soumettre leurs critiques aux médias publiques – blogs, forums de discussion, sites webs, cours, interviews à la télévision et à la radio, livres, magazines, journaux, et congrès. Il reste à voir si leurs critiques à l’encontre des gourous de l’Advaita Moderne Non Traditionnel suffiront à ralentir la croissance de ce courant en Amérique du nord ou au contraire les ramèneront vers la tradition de l’Advaita.

La Revue 3e millénaire remercie chaleureusement Richard Ferland pour sa relecture de la traduction.

Notes

[1] – Voir, par exemple, l’article “Démocratie et Vajrayana”, Protecting Nyingma, 27 novembre 2010, à http://protectingnyingma2.wordpress.com/2010/11/27/democracy-and-vajrayana/, accès au 6 Mai 2013.

[2] – Lola Williamson, Transcendent inAmerica : Hindu-inspiredMeditationMovements as NewReligion(NewYork:NewYorkUniversity Press,2010), 83-87.

[3] – Une des sources de cette comptabilité est Sarlo’s Guru Rating Service, à http://www3.telus.net/public/sarlo/Ratings.htm, accès au 6 Mai 2013. Une autre source est the Satsang Schedules website, à http://www.satsangteachers.com, accès au 6 Mai 2013.

[4] – Ramana Maharshi, Ramana, Shankara and the Forty Verses : The Essential Teachings of Advaita (London: Watkins Publishing,2002),7-13. L’Advaita Vedanta est une école ancienne de la pensée philosophique de l’Inde, qui fut « consolidée, réexposée et diffusée par le sage du 9e siècle Adi Shankara. Il fut l’auteur des Brahma Sutras, de la Bhagavad Gita et des dix principales Upanishads. Il lui a aussi été attribué la fondation de quatre monastères en Inde, qui continuent à être respectés en tant qu’authentiques transmetteurs de l’Advaita Vedanta. A strictement parler, Vedanta veut dire la fin des Vedas, et se réfère aux Upanishads (de 600 à 300 avant J.C.), la partie finale du corpus védique. Même si nombre d’enseignants ont créé des systèmes philosophiques à partir de leurs propres lectures des Upanishads, c’est bien Shankara qui mit sur pied le système de pensée connu aujourd’hui sous le nom d’Advaita, école se focalisant sur la nature non-duelle de Brahman » (Phillip Charles Lucas, When a Movement is Not a Movement : Ramana Maharshi and Neo-Advaita in North America (Novembre 2011) : 110)

[5] – Voir par exemple l’interview de Eckhart Tolle par John W. Parker, à http://www.inner-growth.info/power_of_now_tolle/eckhart_tolle_interview_parker. htm, (lien mort) accès au 11 octobre 2012. Certains enseignants de l’Advaita Moderne se réfèrent aussi au Bouddhisme Zen comme source importante pour leur enseignement.

[6] – Adi Shankara est présenté en note 2. Vashishtha est un sage indien légendaire et un héros de l’Advaita classique, le Yoga Vasishtha. Siddharameshvar Maharaj (1888-1936), étudiant de Shri Bhauseheb Maharaj (1843-1914), un des gourous dirigeant de la Incheger Sampradaya (lignée), était considéré comme un maître réalisé de l’Advaita. Il fut aussi le satguru (Gourou éveilleur) de Nisargadatta Maharaj (1897-1981), gourou populaire de l’Advaita qui vécut et travailla à Mumbai. Beaucoup d’Advaitins modernes le considèraient comme pleinement éveillé et vinrent en masse écouter ses enseignements.

[7] – Liselotte Frisk, “The Satsang Network : A Growing Post-Osho Phenomenon”, Nova Religio 6, n°1 (October 2002): 64–81.

[8] – Frisk, “The Satsang Network”, 74.

[9] – Pour une description détaillée et récente de ces enseignants et de ces courants, voir Philip Golberg, American Veda : From Emerson and the Beatles to Yoga and Meditation (New York : Random House, 2010).

[10] – Timothy Conway, “Neo-Advaita or Pseudo-Advaita and Real Advaita-Nonduality”, Guru’s Feet : A Meeting Place for Spiritual People, à http://www.gurusfeet.com/blog/neo-advaita-or-pseudo-advaita-and-real-advaita-nonduality-timothy-conway, consulté le 6 Mai 2013.

[11] – DennisWaite, Enlightenment : The Path through the Jungle (Winchester, U.K.: O Books, 2008), 3.

[12] – “Karl Renz Interview”, 8 Janvier 2013, à http://www.karlrenz.com/english/texts.html, accès au 6 Mai 2013 (lien mort).

[13] – Unmani, “Is There Any Point in a Practice”, Die to Love with Unmani, à http://www.not-knowing.com/is-there-any-point-in-a-practice-article#, accès au 6 Mai 2013. (Nouveau lien)

[14] – Waite, Enlightenment, 37 ; James Swartz, What is Neo-Advaita ?” à http://www.shiningworld.com/Satsang%20Pages/HTML%20Satsangs%20by%20Topic/Neo-Advaita/What%20is%20Neo-Advaita.htm, accès au 6 Mai 2013.

[15] – Tony Parsons, “Traditional Not Two-ness versus Neo Not Two-ness”, à http://nonduality.com/hl3182.htm, accès au 20 Janvier 2013.

[16] – Waite, Enlightenment, 31,94.

[17] – Waite, Enlightenment, 31,94.

[18] – Waite, Enlightenment, 44-47.

[19] – Waite, Enlightenment, 53-55,112.

[20] – Swartz, “What is Neo-Advaita ?”

[21] – Pour plus de détails sur Vivekananda et Ramakrishna, voir Jeffrey J. Kirpal, Kali’s Child : The Mystical and the Erotic in the Life and Teachings of Ramakrishna (Chicago: University of Chicago Press, 1995) ; et Hugh B. Urban, Tantra : Sex, Secrecy, Politics,and Power in the Study of Religion (Berkeley : University of California Press, 2003).

[22] – Cité par Harold W. French, The Swan’s Wide Waters : Ramakrishna and Western Culture (Port Washington, N.Y. : Kennikat Press, 1974), 145 ; Williamson, Transcendent in America, 36-39 ; and Urban, Tantra, 163.

[23] – B. V.Narasimha, “The Sri Ramana Gita of B. V.NarasimhaSwami”, The Maharshi 20, no.4 (July/August 2010) : 2 ; Lucas, “When a Movement is Not a Movement”, 96.

[24] – Conway, “Neo-Advaita or Pseudo-Advaita and Real Advaita-Nonduality”.

[25] – “Spiritual Humanism vs. Neo-Advaita : A 3-way Discussion between Möller de la Rouvière, TonyParsons

and Alan Stoltz”, Advaita Vision, à http://www.advaita.org.uk/discourses/trad_neo/humanism_moller.htm, accès au 6 Mai 2013.

[26] – Swartz, “What is Neo-Advaita ?”

[27] – The MountainPath is published by Sri Ramanasramam in Tiruvannamalai, India.

[28] – Christopher Quilkey, “Ramesh Balsekar and Advaita”, The Mountain Path (October-December 2006) : 101 ; Swami Viditatmananda Saraswati, ‘‘The Qualifications Necessary for the Study of Vedanta,’’ à http://www.avgsatsang.org/hhsvs/pdf/The_Qualifications_necessary_for_the_Study_of_Vedanta.pdf, accès au 6 Mai 2013.

[29] – Swami Dayananda Saraswati, “Qualified Student of Vedanta”, http://www.avgsatsang.org/hhpsds/pdf/Qualified_student_of_Vedanta.pdf, accès au 6 Mai 2013.

[30] – Swami Viditatmananda, “The Qualifications Necessary for the Study of Vedanta”.

[31] – Anonyme,“Neo-Advaita Demystified”, http://www.mountainrunnerdoc.com/page/page/5060965.htm, accès au 6 Mai 2013.

[32] – David Frawley, “Misconceptions about Advaita”, American Institute of Vedic Studies, à http://www.vedanet.com/2012/06/misconceptions-about-advaita/, accès au 6 Mai 2013.

[33] – Suzanne Foxton, citée dans “DennisWaite, Interview with non-duality magazine”, non-duality magazine,Juillet 2010, à http://www.nondualitymagazine.org/nondualitymagazine.2/nonduality_magazine.denniswaite.interview.htm. Foxton, née dans l’Indiana, vit en Angleterre.

[34] – Voir Ann Gleig, “From Being to Becoming, Transcending to Transforming : Andrew Cohen and the Evolution of Enlightenment”, dans Homegrown Gurus : From Hinduism in America to American Hinduism, ed. Ann Gleig and Lola Williamson (Albanya : State University of New York Press, 2013), 194–195. Entretien par courriel avec Krishna, un commentateur américain de l’AMT, 15 août 2012.

[35] – Waite, Enlightenment, 121.

[36] – Sanjay Kumar Srivastava, “Watering down Advaita : Westerners Corrupt Hindu Terminology !” Sarlo’s Guru Rating Service, à http://www3.telus.net/public/sarlo/Yadvaita.htm, accès au 6 mai 2013. La première partie est écrire par Sanjay Kumar Srivastava, mais l’ensemble paraît être de Waite.

[37] – Greven est cité par Sailor Bob Adamson, “The Eternal State : A Very Silly Argument : Neo-Advaita vs. Traditional Advaita”, à http://Beingisknowing.blogspot.com/2010/11/very-silly-argument-neo-advaita-vs.html, accès au 21 janvier 2013 (Lien mort). Le livre de Greven, Oneness (Salisbury, U. K : Non duality Press, 2005), traite de thèmes comme l’incapacité de l’ego à contrôler les pensées et à en finir avec la recherche pénible de l’éveil, en devenant conscient de l’immédiateté de « l’état naturel ».

[38] – Rodney Stark, “Why Religious Movements Succeed or Fail : A Revised General Model,” Journal of Contemporary Religion 11, n°2 (Mai1996) : 133-46.

[39] – “Dennis Waite,Interview with non-duality magazine”.

[40] – Waite, Enlightenment, 104.

[41] – Waite, Enlightenment, 101 ; Swartz, “What is Neo-Advaita ?”

[42] – Swartz, “What is Neo-Advaita ?” Selon Krishna, un autre commentateur influencé par Poonja, beaucoup des étudiants occidentaux les plus connus de Poonja n’ont pas développé de thérapie transpersonnelle pour leurs étudiants à la suite de leur rencontre avec lui, ou bien pratiquaient de telles thérapies avant leur rencontre avec lui. Le mari de Gangaji, Eli Jaxon-Bear, par exemple, a longtemps fait usage de méthodes thérapeutiques dans ses séminaires comme par exemple l’ennéagramme, dont la source est Gurdjieff. Pour Krishna, beaucoup de disciples d’Osho qui étudièrent plus tard avec Poonja n’ont fait que poursuivre leur activité précédente de thérapeute après leur retour en Occident, en rajoutant la perspective non-duelle de Poonja dans leur arsenal thérapeutique. La principale correction apportée par Krishna à cette plus large critique est que si Poonja n’a ni encouragé ni créé de technique thérapeutique pour ses étudiants, il ne les a pas non plus dissuadés de poursuivre leur travail thérapeutique une fois revenus en Occident. De plus, on trouve des étudiants de Poonja qui ne se sont pas investis dans un travail thérapeutique au moment où ils ont démarré leur carrière d’enseignant de l’AMNT dans les pays occidentaux. Conversations par courriel avec Krishna, 15 août 2012.

[43] – Swartz, “What is Neo-Advaita ?” ; voir aussiThe Horse’s Mouth : An Essay on the ‘Lineage’ Game”, Shining World, à http://www.shiningworld.com/Home%20Page%20Links/The%20Horses%20Mouth.html,accès au 6 mai 2013 ; and et la discussion autour de la question, “If I cannot know myself and there is no other what is all this ?” Shining World, à http://www.shiningworld.com/Satsang%20Pages/HTML%20Satsangs%20by%20Topic/Neo-Advaita/Teaching%20enlightenment.htm, accès au 11 octobre 2012.

[44] – Swartz, “The Horse’s Mouth”.

[45] – Swartz, “The Horse’s Mouth”.

[46] – Waite, Enlightenment, 24,97.

[47] – Waite, Enlightenment, 37-38.

[48] – Tony Parsons, “Traditiona lNot Two-ness”.

[49] – Waite, Enlightenment, 24,37-39.

[50] – Waite, Enlightenment, 40

[51] – Waite, Enlightenment, 48

[52] – Waite, Enlightenment, 42.

[53] – Waite, Enlightenment, 42.

[54] – Swartz, “The Horse’s Mouth”. Quelques exemples d’étudiants ou d’admirateurs de Osho devenus des enseignants de l’AMNT, comme ArjunArdagh, Premananda, Neelamand Madhukar.

[55] – Swartz, “The Horse’s Mouth”. Swartz observe que le fait d’arrêter d’enseigner l’Advaita le plus avancé quand on n’est pas qualifié est en accord avec la tradition de l’Advaita.

[56] – Swartz, “TheHorse’s Mouth” ; DavidGodman, entretien avec l’auteur, Tiruvannamalai, Inde, 3 janvier 2008. Krishna répond : « Le fait que [Poonja] ait dit à beaucoup de gens d’enseigner a été enregistré. Et il a dit à Andrew Cohen et Gangaji qu’ils étaient des Satgurus pleinement éveillés, qu’en fait ils étaient ses successeurs. Il leur a écrit beaucoup de lettres confirmant cela, et les preuves peuvent être trouvées dans le livre de Cohen, My Master Is Myself, et sur le site web de Gangaji. » Communication par courriel avec Krishna, 15 août 2012.

[57] – Communication par courriel avec Krishna, 15 août 2012 ; Swartz,“The Horse’s Mouth” ; and Lucas, “When a Movement Is Not a Movement”, 114.

[58] – “Dennis Waite, Interview with non-duality magazine”.

[59] – Frisk, “The Satsang Network”, 67.

[60] – Frisk, “The Satsang Network”, 81.

[61] – Sadhu Tanmaya Chaitanya, “Modern Advaita : Its Lure and Snares”, Mountain Path (parution 2007) : 58-59.

[62] – Chaitanya, “ModernAdvaita”.

[63] – Aziz Kristof, “The Dangers of Pseudo-advaita”, à http://www.enlightened-spirituality.org/neo-advaita.html, accès au 17 septembre 2013.

[64] – Pour plus de détails sur la biographie de Dhanya et ses livres, voir “Essays by Dhanya”, Advaita Vision, à http://www.advaita.org.uk/discourses/durga/durga.htm, accès au 6 mai 2013.

[65] – Durga (maintenant connu sous le nom de Dhanya), Commentaire sur le Guru Ratings Forum, à http://www.globalserve.net/*sarlo/yadvaita.htm, accès au 11décembre 2010 (Lien mort).

[66] – Nirmala, “Satsang with Nirmala : The Heart of Satsang”, Endless Satsang, à http://endless-satsang.com/,

accès au 6 mai 2013. Plus d’information biographique peut être trouvée sur Neelam à http://www.neelam.org/, accès au 6 mai 2013.

[67] – Alan Jacobs, “Advaita and Western Neo-Advaita : A Study”, The Mountain Path (Deepam 2004) : 88.

[68] – Frisk, “The Satsang Network”, 76.

[69] – J. Wheeler, “No Person”, Advaita Vision, à http://www.advaita.org.uk/discourses/teachers/noperson_wheeler.htm, accès au 6 mai 2013.

[70] – Waite, Enlightenment, 53-55,112 ; John Grimes, Ramana Maharshi : The Crown Jewel of Advaita (Varanasi : Indica Books, 2010) , 61–63. Grimes a enseigné à l’Université d’Etat du Michigan et à l’Université du Dakota du Nord avant de prendre sa retraite à Chennai, Inde.

[71] – Dennis Waite, “Traditional versus Neo-Advaita”, Advaita Vision, à http://www.advaita.org.uk/discourses/ trad_neo/neo_advaita.htm, accès au 6 mai 2013.

[72] – Conway, “Neo-Advaita or Pseudo-Advaita”.

[73] – Conway, “Neo-Advaita or Pseudo-Advaita”.

[74] – Conway, “Neo-Advaita or Pseudo-Advaita”.

[75] – Pour une étude complète du modèle économique des religions, voir Larry Iannacone, “Economy”, in Handbook of Religious and Social Institutions, ed. Helen Rose Ebaugh (New York : Springer, 2006), 21-40.

[76] – Williamson, Transcendent in America, 83-87.

[77] – Reid Locklin and Julia Lauwers, “Rewriting the Sacred Geography of Advaita : Swami Chinmayananda and the Sankara–Dig-Vijaya”, Journal of Hindu Studies 2, no. 2 (2009) : 179-228.

[78] – Chad M. Bauman, avec Jennifer Saunders, “Out of India : Immigrant Hindus and South Asian Hinduism in the United States”, Religion Compass 3, no.1 (2009) : 116-35.