Pierre D'Angkor
L'Amour, cet inconnu

La Haute Mystique de l’Inde voyait dans la suite des univers qui naissent; vivent, meuvent et se succèdent indéfiniment le grand souffle cosmique, le temps dans l’éternel, le rythme grandiose de la Vie universelle, l’aspir et l’expir divins, les jours et les nuits de Brahman. Elle se refusait énergiquement à séparer ces trois aspects différents d’un même Tout unique : l’aspect divin, l’aspect cosmique, l’aspect humain. Le monde dit surnaturel n’était que le prolongement naturel invisible, du monde visible…

(Extrait de Pierre d’ANGKOR – AU TERME D’UN LONG VOYAGE. Édition Être Libre 1962)

FORCE CONSTRUCTIVE, UNITIVE ET SALVATRICE DU MONDE

Jamais plus qu’aujourd’hui, il ne fut écrit sur l’amour, et jamais plus aussi le véritable amour ne fut méconnu, ignoré. Par quelle étrange aberration, la puissance unitive de l’amour, la plus grande et la plus féconde par sa nature, est-elle devenue en notre monde cette puissance destructrice, cause principale de nos divisions, de nos rivalités, de nos haines ? Dans un article de la revue « Synthèses », Mathilde Niel analyse tout ce qu’est l’amour pour nos romanciers contemporains. Elle souligne les caractéristiques qu’il revêt à leurs yeux, la variété des aspects qu’il présente et les sentiments qu’il éveille chez les individus selon leur nature propre. Aucun de ces romanciers, à quelques rarissimes exceptions près – tel un Boris Pasternak – ne semble s’être haussé jamais à considérer l’amour en tant que force cosmique, dans sa puissance d’expansion universelle, ni même en ce qu’il peut et doit être en l’homme, l’égoïsme humain une fois dépassé, la passion, non pas subjuguée, mais intégrée et sublimée. C’est un fait que quand ils ne s’arrêtent pas au sensuel ou au pervers, dans l’étude de l’amour, nos romanciers ne dépassent pas son niveau sentimental et passionnel. Il importe aussi de négliger ceux auxquels le préjugé religieux fait considérer tout geste ou entraînement sexuel – non consacré par les liens rituels du mariage – comme étant le péché, le péché majeur.

Tel Tolstoï – dont nous parle André Bruyère dans ce même numéro de « Synthèses » – chez qui les préoccupations morales et religieuses s’agitent toujours derrière la vague de fond passionnelle faisant mouvoir ses personnages. Cette notion particulière du péché, quand elle n’est pas justifiée par un empiétement sur les droits d’autrui, comme c’est le cas dans l’adultère, résulte d’un « tabou » hérité des Juifs depuis les temps anciens. Expliqué chez eux par l’attente du Messie [1], elle n’est plus chez nous qu’une déformation superstitieuse de l’esprit, quoiqu’il demeure vrai que l’amour liant deux êtres représente toujours, pour eux, un acte des plus graves, exerçant son influence, le plus souvent décisive, sur leur liberté et leur destinée en ce monde.

Revenant à l’article de Mathilde Niel, sa conclusion est son intitulé : « Echec à l’amour » ! Et quelle autre conclusion pourrait être tirée de nos romanciers, à juger du pauvre amour qu’ils nous présentent avec son caractère éphémère et destructeur, en raison des faillites et séquelles désastreuses qui semblent être son inévitable accompagnement ! Comment aussi pourraient-ils conclure différemment ceux-là et ils sont légion, sinon l’immense majorité des hommes pour qui la vie elle-même apparaît comme une chanceuse et inexplicable occasion offerte à chacun pour atteindre à un but utilitaire et personnel, qui y sont en conséquence exclusivement guidés par l’avidité du jouisseur et la morale du plaisir, toutes apparences et convenances gardées ? Aussi est-ce l’amour-passion qui les séduit, qui les attire le plus et demeure, en dépit des risques et des malheurs qu’il entraîne, le mobile principal de leur comportement dans la vie, considéré par eux comme le facteur suprême du bonheur en ce monde, dussent-ils en souffrir cruellement, dussent-ils en mourir !

Comment expliquer un aussi effarant paradoxe ? On exalte la passion amoureuse, on la poursuit désespérément, et, dans le même temps, on l’accable, on la méprise, on la craint, l’accusant des pires méfaits et d’être le grand facteur de troubles et de drames dans les familles et la société ! Entre l’exaltation des uns et l’exécration des autres, qui nous départagera ? La faiblesse humaine, l’entraînement des sens, la force des instincts sexuels ne suffisent pas pour élucider le problème. Il semble qu’il y ait en amour, en dépit des déconvenues et des faillites, que l’expérience quotidienne nous dévoile, en dépit des étranges déviations de la passion que Mathilde Niel nous révèle dans les romans qui en traitent, il semble, dis-je, qu’il y ait dans le fond secret de chacun comme un pressentiment du véritable amour, de ce qu’il devrait être. Quelqu’idéal abstrait, imaginaire, pensera-t-on ? Non, mais comme l’intuition obscure d’une vérité sentie dans les profondeurs plutôt que perçue réellement et reconnue.

Qui en effet est prêt à reconnaître ce réel exhaussement hors de soi qu’exige la réalisation de l’amour parfait entre les amants ? Qui nous renseigne sur le rôle qu’y doit jouer la volonté, lorsque l’on a compris que cet exhaussement hors de soi, c’est l’oubli de soi, autrement dit le souci que chacun des amants éprouve pour le bonheur de l’autre et des efforts qu’il doit faire pour le réaliser, car c’est cela seul qui est vraiment aimer la personne, la preuve et la mesure qu’on peut s’en donner à soi-même. Le véritable amour en effet c’est la joie du don entier de soi à l’aimé. Sans cet oubli de soi, sans ce don réciproque, et sans réserve au bonheur de l’autre, il n’est pas de véritable amour, mais, larvée, et sous le couvert d’une passion brûlante, la conjugaison de deux égoïsmes, dont on ne sait que trop aujourd’hui quel est le sort réservé à ce genre d’union : déceptions et incompréhensions mutuelles, lassitude, écœurement, divorce.

Mais chacun ici ne cherche-t-il pas à s’abuser sur soi-même et ses sentiments ? L’amour, c’est autre chose en effet qu’aimer une image idéale que nous nous faisons d’un être, ou la conformité de cette image à notre idéal propre : cela, c’est le contraire de l’amour, c’est s’aimer soi-même dans l’autre, c’est le « narcissisme » des égoïstes, des glorieux, des vaniteux, lequel n’a rien à voir avec la vraie tendresse du cœur pour la personne aimée, pour ce qu’elle est réellement, pour ce qu’elle a d’unique, pour l’accepter telle que nous l’avons aimée, avec ses qualités et ses défauts, défauts dont nul être humain n’est exempt !

Mais que penser de ceux-là qui, ultra vulnérables à la passion, ont ainsi laissé s’atrophier en eux les ailes de l’amour ? « Omne animal, post coîtum triste », nous dit la Bible crûment.

La passion amoureuse implique une avidité de possession, exclusive et jalouse, qui lui est inhérente. Faut-il en conclure que l’amour véritable, fait d’abnégation et d’oubli de soi-même, est inconciliable avec la passion des sens, cette attirance physique de la chair qui ne tarde pas, livrée à elle seule, à opposer, à dresser l’un contre l’autre les deux êtres qu’elle avait étroitement rapprochés et unis ? Non, l’amour véritable forme un tout inséparable, car il serait plus paradoxal encore de considérer comme une déviation une loi de la nature qui assure la propagation de l’espèce. Condamner l’union charnelle, l’attirance sexuelle, serait outrager la nature. Aussi, dans l’union bienheureuse des amants, se refuse-t-on énergiquement à séparer le corps, l’âme et l’esprit. Le couple forme une unité parfaite et le bonheur partagé par deux êtres qui s’aiment vraiment et s’étreignent dans l’embrasement d’une mutuelle possession est quelque chose de complet, quelque chose de divin, une parcelle d’absolu, une minute de félicité, détachée de l’éternité bienheureuse. Rien ne peut donc être distrait du véritable amour, mais il y faut la sublimation de l’acte par la tendresse du cœur et la fusion des âmes. Et tout comme les qualités spirituelles, la beauté physique, apporte ici aux vrais amants un élément divin qui transfigure leur union. « La forza d’un bel volto al ciel mi sprona », écrivait Michel-Ange. Et dans un autre sonnet, il a dit encore que la beauté sensible doit nous faire monter « là où il est vain de penser que l’on puisse monter sans la grâce ». « Nulle part », ajoute-t-il, « Dieu ne se manifeste davantage qu’en certaines formes mortelles aimables ». L’attirance de la beauté sensible demeure donc la base la plus sûre de l’amour terrestre, mais, par delà l’animalité du geste, ce qui fait la grandeur, la noblesse du couple humain, c’est la mutuelle communion du cœur et de l’esprit, c’est l’harmonisation de deux caractères complémentaires qui se compénètrent graduellement; c’est en un mot l’union parfaite de deux âmes qui se sont rencontrées et, peut-être, ainsi que le dit Platon, se retrouvent et se ressouviennent ! Il est de toute évidence toutefois qu’un tel amour, sous peine d’apparaître comme antisocial, ne doit pas dégénérer en un égoïsme à deux, la solitude du couple qui se retire dans sa tour d’ivoire et s’enferme jalousement dans l’euphorie de son bonheur en s’isolant du monde et en le fuyant. En agissant ainsi, le couple se trahit lui-même, car il méconnaît le double caractère individuel et social qui constitue notre nature même. Depuis sa naissance, en effet, jusqu’à sa mort, l’homme a besoin de la société; il en a besoin pour venir au monde comme pour y vivre, se nourrir, se vêtir, s’épanouir, y développer son corps, son âme, son esprit. S’isoler du monde, seul ou à deux, c’est donc se trahir soi-même, c’est trahir l’amour que l’on prétend accaparer égoïstement pour soi, alors que dans une expansion élargie de sa nature il est l’agent suprême du bonheur universel, du bonheur de tous, parce que seul il peut éliminer, en s’universalisant, les hostilités, les rivalités, les antagonismes et les haines qui mènent notre vieux monde à sa perte. « Utopie ! s’écriera-t-on. » « Idéal vague, abstraction pure, que cette puissance universelle et salvatrice de l’amour !» Non, réalité vivante mais ignorée des hommes. L’amour, avons-nous dit, consiste à sortir de soi, à se donner corps et âme à un être. Restreint dans l’enfance aux parents et au cercle de famille, il grandit, se porte ensuite avec une exclusivité plus grande sur un être, l’élu, mais doit s’épanouir ensuite et s’étendre à tous. « Passer de l’amour personnel à un amour plus grand. Donner au tout de la vie ce qu’on a donné à un seul », a écrit Catherine Mansfield. Aimer vraiment, c’est se sentir un avec tous, parce que l’on a perçu, senti comme une réalité, l’unité profonde de la Vie universelle et l’intime solidarité entre tous les êtres qui découle de cette Unité même. Et, je le répète, ce n’est pas là un mythe imaginaire forgé par un cerveau en délire, mais la claire perception d’une vérité apparentant étroitement le vrai amour humain à l’amour divin lui-même, tel que l’ont vu tous les grands mystiques, quelles que soient d’ailleurs les formules divergentes par lesquelles leur religion respective ait prétendu définir l’indéfinissable Absolu ! Jésus lui-même n’avait-il pas conjointement réuni dans une formule lapidaire l’amour de Dieu et l’amour du prochain ? Il serait donc vain de vouloir opposer l’amour divin à l’amour humain non perverti. Je dis non perverti, car nos romanciers soit en exaltant sans mesure l’amour-passion, soit au contraire en le vilipendant, en le méprisant, ont altéré et déformé en même temps nos vrais rapports avec le monde. Comment cela, dira-t-on ? Mathilde Niel écrit : « L’amour-passion gouverne souvent, non seulement les rapports entre l’individu et un autre être humain, entre l’individu et la Divinité, mais aussi les rapports entre les individus et les autres hommes. L’amour-passion prend alors un aspect social. L’absolu à atteindre se nomme Patrie, Race, Parti. Il prend le plus souvent la forme d’un symbole abstrait, incarné dans un chef, dans un modèle… » Quand le militant « crois être conforme au modèle… il éprouve une sorte d’exaltation de son moi. » Mais, ce n’est toujours pas là le véritable amour, celui qui se donne : c’est au contraire toujours l’amour qui prend pour soi, pour s’agrandir au dépens des autres, sentiment déformateur de nos vrais rapports avec le monde, car il est le créateur de ces égoïsmes collectifs rivaux, engendrant à leur suite les guerres et toutes ces luttes sociales, nationales, dont nous mourons ! Le Moi collectif n’a fait que renforcer les égoïsmes individuels.

Découvrant les analogies existant entre l’amour divin et l’amour humain, qui ne diffèrent le plus souvent que par la transposition sur un autre plan, des désirs de l’homme, procédant ainsi l’un comme l’autre d’un même égoïsme aux aspects d’ailleurs contradictoires (sadisme, masochisme), Mathilde Niel écrit encore : « Entre cet amour divin et la passion amoureuse obéissant tous deux à la loi d’alternance, il n’y a pas de différence de fond, mais seulement de forme, l’individu s’identifiant, dans un cas, à une image immobile de la Divinité, dans l’autre, à une image immobile de la personne aimée ». S’identifier à l’image, immobile ou mobile, qu’on se fait du réel, ce n’est pas en effet s’identifier au réel lui-même : c’est au contraire lui substituer ses propres pensées ou croyances, celles-ci faites le plus souvent de préjugés irrationnels, d’élucubrations imaginaires, de conceptions erronées; c’est donc en fait fuir le réel pour se centrer sur ce que l’on en pense ou l’on aime, c’est-à-dire sur son propre moi réel et changeant [2].

Or, poursuit notre auteur, « toute tentative de fuite devant le réel, tout refus de la Vie dans son aspect changeant, toute recherche d’une fusion mystique dans l’immobilité, sont toujours aliénantes pour l’individu ».

Pourtant, il faudrait ici s’entendre.

Sans doute, c’est fuir le réel que de s’identifier à l’image immobile qu’on s’en fait, mais ne serait-ce pas le fuir tout autant que de se refuser a priori de le reconnaître dans une transcendance immuable qui nous échappe encore, pour ne l’accepter que dans ses aspects mouvants et changeants ? Au surplus, n’est-ce pas cette transcendance même qui se meut, évolue, et change sans cesse sous nos yeux ? Faux problème, m’assure-t-on !

« Le réel n’est rien d’autre que ce mouvement même, ce changement incessant. Aller au-delà, lui chercher un substratum, une quintessence, c’est se perdre dans la métaphysique. »

Mais alors que vient-on encore nous parler d’Unité ? Si l’Unité existe, elle n’existe que sur un plan métaphysique. Mouvement et changement au contraire se situent sur le plan pluraliste des apparences. Si celles-ci sont le seul réel, il nous faut alors traiter d’imposteurs nos plus grands instructeurs : Jésus qui nous parle du Père Céleste, le Bouddha, du Nirvâna, tel autre du Mental Cosmique; aujourd’hui encore Krishnamurti, de la suprême réalité; toutes notions approximatives, je le veux bien, mais symboliques tout de même d’une transcendance qui nous échappe. De la métaphysique donc, s’il en fut jamais !

On insiste : « Le réel, c’est l’éternel changement et mouvement, sans rien au-delà » ! Mais alors s’il n’est que qualités sans substance qualifiée, changement et mouvement n’étant rien d’autre que les apparences illusoires de nos sens abusés, devons-nous en conclure en identifiant le réel à ces illusions mêmes ? Et si par-delà il n’est que le vide, le néant, serait-ce alors ce vide, ce néant lui-même, qui deviendrait la réalité mouvante et changeante ? Conclusion absurde et contradictoire, puisque l’être exclut le néant. Et l’on invoquerait à tort ici l’enseignement bouddhiste, car pour celui-ci ce prétendu vide ou néant n’est le néant que pour notre connaissance, impliquant au contraire l’idée d’un Océan de plénitude, et le Nirvana un état de réalisation conférant une connaissance supérieure ! Le néant est donc impensable, puisque ce serait donner l’être à ce qui, par définition, le nie. Notre esprit cartésien ne peut admettre d’effet sans cause. La création ex nihilo est un non-sens. « Ex nihilo, nihil fit », dit le simple bon sens. Mais alors d’où vient la Création ? L’esprit insatiable de l’homme veut désespérément savoir, connaître l’inconnaissable pourquoi des choses. Pourtant, les Maîtres ne cessent ici de nous mettre en garde : « A l’entrée du Temple, dit l’un d’eux, il vous faut laisser deux choses, l’intellect et l’obstination. Entrez vide comme une coquille. Si vous n’entrez pas vide dans le temple, vous n’en sortirez pas comblé… Je ne dénigre pas l’intellect, mais l’usage que vous en faites. » Parlant de l’Océan de Sagesse que l’homme veut conquérir par l’intellect, un autre sage dit de même : « L’Océan n’est pas vide ! Il est plein. Faites le vide en votre esprit… Si vous avez une bouteille pleine d’eau, comment pouvez-vous la remplir, sans d’abord la vider… ? Il ne s’agit pas de comprendre l’âme, mais de vous dissoudre en elle » [3].

La Haute Mystique de l’Inde voyait dans la suite des univers qui naissent; vivent, meuvent et se succèdent indéfiniment le grand souffle cosmique, le temps dans l’éternel, le rythme grandiose de la Vie universelle, l’aspir et l’expir divins, les jours et les nuits de Brahman. Elle se refusait énergiquement à séparer ces trois aspects différents d’un même Tout unique : l’aspect divin, l’aspect cosmique, l’aspect humain. Le monde dit surnaturel n’était que le prolongement naturel invisible, du monde visible.

Peut-on imaginer en effet l’Être en soi comme étant, par sa nature propre, complètement étranger à l’univers, visible et invisible et, d’autre part, l’univers comme complètement étranger à la Pensée qui le pense ? N’y a-t-il pas là un rêve inconsistant et contradictoire avec le Réel ? En réalité l’Univers et Dieu sont inséparables. Il nous faut aller du revers de la médaille à l’envers de celle-ci. Le monde n’est pas absurde, mais il est l’enfer parce qu’il est le revers du Paradis. Dès lors opposer l’éternel dynamique Univers à l’éternel statique, Dieu, ou l’état de Devenir à l’état de stabilité, c’est verser dans l’illusion, car le Réel est les deux. « L’infini se meut dans sa stabilité », nous dit le vieil Hermès Trismégiste (Discours à Thot). « L’état de devenir », nous dit à son tour Shri Aurobindo, « est inférieur à l’état d’être, mais c’est pourtant l’Être qui devient tout ce qui est dans l’Univers. » (Vie Divine II, p. 730.)

Les grands Mystiques Chrétiens, abominant ce naturalisme transcendantal, ont fait de la création un acte d’amour divin. Cette sentimentalité anthropomorphique appartient, prise à la lettre, à une mentalité apparemment puérile et naïve, qui fait de Dieu, je l’ai dit, un Être sans aucun rapport de nature avec le monde. Mais de même que force et matière sont des aspects cosmiques, des facultés de la Nature universelle, de même en est-il de ces facultés supérieures que sont l’Intelligence et l’Amour. Sous la réserve des conceptions divergentes qu’elles se font de la Divinité, n’est-il pas significatif à ce propos de constater que toutes les religions antiques ont pareillement considéré la création comme un acte d’amour, un acte de self-sacrifice de la part de la Divinité ? C’est « l’agneau immolé dès la fondation du monde », nous dit l’Apocalypse. Le Père annihile ses puissances, s’ensevelit dans le « tombeau » de la matière, pour évoluer les règnes et ressusciter dans l’homme, nous dit Platon (Timée). Le soleil est le Symbole du Dieu qui se sacrifie, meurt et ressuscite chaque année pour assurer le cours des saisons. Le Père qui s’ensevelit dans la Matière, c’est le Mental Cosmique, le « verbum per quem amnia facta sunt », dit le Credo. Père et Fils forment la même Unité. L’univers est le Fils ne faisant qu’Un avec son Père, le Père réalisé dans le Fils, Horus est Osiris ressuscité. Les mots, les images, les symboles, importent peu d’ailleurs. Mort et résurrection du Dieu de sa tombe, involution de l’esprit dans la matière et évolution de la conscience divine dans des formes de matière, émanation et retour de l’Univers dans le sein de Dieu, c’est toujours le mythe évangélique du Fils prodigue qui revient, par amour, au foyer paternel, l’Unité. Veut-on une image astronomique ? C’est comme si les planètes de notre système, au terme de leur course céleste, reconnaissaient leur unité consubstantielle avec leur Père le Soleil, dont elles se sont séparées dans la nébuleuse primitive. Et c’est là l’image de l’homme lui-même qui, psychiquement égaré par ses vêtements de chair, doit reprendre conscience de l’Esprit divin en lui, son origine et sa fin.

Mais précisément quel est le rapport, dira-t-on, entre l’homme et l’universel, entre l’amour divin et l’amour humain ? Ce rapport résulte de la loi universelle d’analogie que crée l’Unité de la Vie cosmique. Cette analogie fut exprimée par la Sagesse d’Israël (Kabbale) et la sagesse hermétique, expression de celle de l’antique Égypte, qui l’exprimait comme suit : « Le dehors est comme le dedans des choses; le petit est comme le grand; il n’y a qu’une seule Loi; et Celui qui travaille est Un. Rien n’est petit, rien n’est grand dans l’économie divine ». « La science moderne confirme cette loi de mille manières », commente Ed. Schuré, qui cite ce texte.

Sur le plan cosmique donc, comme sur le plan humain, le don de soi, le sacrifice de soi, est l’essence même de l’amour, et nous avons vu que c’est l’amour, et non l’intellect, qui doit nous ouvrir les portes du temple de la Sagesse.: « Le cœur du sage n’est plus le sien, il se met à la place des autres », dit le Tao-te-King chinois.

Mais au niveau où nous sommes, le vrai amour divin demeure aussi rare, aussi exceptionnel, que l’est parmi nous le vrai amour humain. L’exemple de Jésus fut quasi unique dans l’Histoire. Sans doute, chez tels grands saints, ou tels humbles fidèles de toutes les confessions, l’amour se rencontre-t-il, avec oubli de soi-même et esprit de sacrifice accompli sans réserve aucune, ni calcul intéressé. Mais chez combien de fidèles en est-il ainsi ? Chez la plupart, et même chez les meilleurs, ne rencontre-t-on pas un égoïsme spiritualisé inconscient, fait du désir personnel de salut, et, chez le dévot, d’une joie extatique anticipée du bonheur des élus ?

Mathilde Niel, comparant chez l’être humain l’amour divin à la passion amoureuse, nous dit que ce sont « deux formes d’amour projectif qui résultent l’une comme l’autre de la déviation dans l’individu de l’énergie unitive de la conscience ». Mais qu’est-ce que la conscience au sens intelligible du mot ? N’implique-t-elle pas nécessairement la dualité d’un soi conscient d’un non-soi ? « Mais, la conscience de soi », dira-t-on ? « L’Unité ne peut-elle prendre conscience d’elle-même, comme Unité, comme réalité absolue ? »

Non, car la réalité n’est une que par rapport à d’autres : le nombre un en implique d’autres. Krishnamurti ne nous dit-il pas que la suprême réalité est Unité-multiplicité. Il en est d’ailleurs de même pour l’intelligence, l’amour, la volonté ou toutes autres activités, humaines ou divines, nous nous trouvons toujours sur un plan de dualité. » Au sens humain de ces mots, conscience, amour, intelligence, volonté, ne pourraient exister sur le plan d’une unité homogène. Ils exigent un terrain de manifestation pour leur réalisation effective. Il faut se tenir en dehors de l’Unité pour la percevoir et l’aimer. L’action implique également une extériorisation hors de soi. La création nous apparaît ainsi comme une nécessité. Toutes les qualités infinies de l’Être, tous les attributs divins, sont potentiels, virtuels seulement dans l’Absolu : ils doivent être extériorisés dans l’existence pour nous apparaître. Dieu ou l’Être a donc besoin de ce miroir de l’Univers pour réaliser indéfiniment ses potentialités infinies. Le Réel c’est donc à la fois l’Unité de l’Être et la multiplicité de ces manifestations cycliques, périodiques, qui constituent le cours du temps dans la Nature éternelle : mais ces manifestations sont toutes et toujours finies et limitées. Pourquoi finies et limitées, dira-t-on ? Pourquoi chaque univers a-t-il un commencement et une fin ? Parce que précisément l’univers est l’emprisonnement de l’Être éternel dans les bornes de l’espace-temps, l’emprisonnement de l’Éternel statique dans les formes toujours mouvantes et changeantes de l’Éternel Devenir : d’où est venue l’idée universelle du sacrifice divin dans l’acte de création. Le réel est donc l’Un et le multiple, l’immobile et le mobile. Si, ainsi que nous le disent Tagore et Krishnamurti, une image immobile de l’Unité est incompatible avec le véritable esprit religieux, c’est parce que le Réel sous-jacent à cette image que nous nous en formons est inconnaissable pour nous en son immobilité même, et non parce que cette immobilité n’existe pas l’état de Pralaya succède au manvantara, nous dit la sagesse de l’Inde. Si Aristote dit : « Être c’est agir », il n’en distingue pas moins l’être en soi de son action, cette action est la manifestation dynamique de l’Être statique, la création est une nécessité ontologique de l’Être en tant qu’existence.

L’homme non-libéré ne peut sortir des dualités opposées qui, dans la création, sont des nécessités corrélatives, se présupposant mutuellement : le bien ne peut exister sans le mal, son contraire; la vérité n’est vérité que relativement à son opposé, énergie-inertie s’opposent et s’impliquent, comme le froid et le chaud, le sec et l’humide. Deux pôles opposés équilibrent l’atome comme le système solaire. À l’expansion des galaxies répond peut-être la gravitation universelle, loi du retour. Toute existence comporte une série de rythmes, une alternance entre un temps de croissance et un temps de déclin. On ne peut créer une force sans s’appuyer sur un point de résistance. Ce point de résistance où le trouver, là où il n’y a rien ? On ne peut le trouver que dans une force opposée servant de point d’appui. On ne peut donc créer une force, mais deux forces contraires s’appuyant l’une sur l’autre. La terre est le fondement du ciel, symboles des forces contraires. Telle est aussi l’opposition de l’âme et du corps, constitutifs étant pareillement constitutives d’un même Tout manifesté [4].

La théologie nous parle des attributs de Dieu. Saint-Thomas les rapproche des qualités humaines, mais en nous disant qu’elles doivent être entendues dans un sens « analogique, suréminent et transcendant ». Qu’est-ce à dire encore ? Et n’est-ce pas précisément verser dans l’erreur anthropomorphique que de présenter comme des valeurs absolues des valeurs essentiellement relatives, telles par exemple, le bien et le mal, l’erreur et la vérité, c’est-à-dire des valeurs qui n’existent pas, comme telles, dans le tout en soi, mais seulement relativement aux êtres particuliers qui y évoluent et pour lesquels demeurent une voie de salut et une voie de perdition ?

Redescendons de ces hauteurs pour en revenir au problème de l’amour : « déviation dans l’individu de l’énergie unitive de la conscience », nous dit Mathilde Niel. N’y aurait-il pas lieu ici de parler, plutôt que de déviation, de conscience encore voilée du Réel ? L’individu humain en effet est cette manifestation microcosmique de l’Être ressuscitant lentement de sa tombe, et dont les bandelettes, lui cachant la vue réelle des choses, ne sont pas encore tombées de ses yeux. Cette déviation, donc – si déviation il y a – est inévitable au stade où l’homme se trouve. C’est son péché originel. Elle résulte du fait que la manifestation de l’Être dans l’univers et dans l’homme ne s’effectue que graduellement, que l’évolution n’est que lentement progressive, et comporte dès lors nécessairement, même au stade humain, bien des lacunes, des incompréhensions, des erreurs, des régressions. On invoque donc, à juste titre, comme cause de celles-ci, notre ignorance qui résulte de notre défaut d’évolution. Ou bien préférera-t-on, pour justifier nos faiblesses, incriminer les déterminismes aveugles de notre nature complexe ? Ce qui entraînerait pour nous une responsabilité mitigée, voire même l’irresponsabilité de nos actes. Mais le sentiment de notre dignité humaine a toujours répugné à cette solution. Est-il plus sage alors de verser sans mesure dans l’erreur opposée, d’exalter la liberté de l’homme, de parler du libre choix de ses déterminations ? Ce prétendu libre arbitre que l’on nous présente comme une de nos prérogatives essentielles, procéderait dans ce cas d’une fausse optique de notre condition présente.

Comment en effet celui qui perçoit clairement ce qui est, pour lui, le bien, la vérité, choisirait-il encore délibérément le mal et l’erreur ? Comment revendiquerait-il encore la liberté de ce choix ? Comment pourrait-il considérer comme un privilège de la condition humaine ce qui serait la marque distinctive de son ignorance ou de sa faiblesse, comment envisagerait-il comme une supériorité ce choix qui serait la preuve même de son infériorité morale et de son aveuglement ?

Voilà donc pourquoi il nous est affirmé par les Sages que l’homme libéré, en transcendant sa condition humaine, transcende en même temps sa prétendue liberté de choix et toutes les dualités, du fait qu’il réalise dans sa conscience l’Unité de l’Être, l’unité essentielle de tous les êtres.

Mais ne nous heurtons-nous pas ici à une contradiction ? Toutes les ascèses nous apprennent que l’homme doit transcender les dualités pour rentrer dans l’Unité divine. D’autre part, conscience, intelligence, amour, impliquent dualité, ne sont pas concevables, nous l’avons dit, dans l’Unité homogène. Comment résoudre la contradiction ?

Pour prendre conscience de l’Unité, pour l’aimer, pour la percevoir, l’individu doit en quelque sorte demeurer en dehors d’Elle. Mais en prenant conscience d’Elle, en s’unifiant à Elle par l’amour, l’intelligence, la volonté, en la percevant comme la réalité essentielle, unique, universelle, l’individu ne pense, n’aime et n’agit plus qu’en fonction de cette Unité qu’il est devenu Lui-même. Son « moi » dépassé n’existe plus pour lui; il n’est plus qu’un instrument devenu conscient et mis au service de l’Un. Telle est la libération. Aussi tous les grands Maîtres spirituels se disent-ils Un.

Mais comment l’individualité, qui fait retour à l’Unité, semble disparaître et se perdre dans l’Absolu n’est pourtant pas annihilée, représente à la fois ce grand miracle d’amour et un problème insondable à nos intelligences limitées. La Sagesse de l’Inde l’exprimait dans ce verset poétique : « La goutte d’eau retourne à l’Océan, sans s’y perdre ». Sans s’y perdre, car elle est devenue un mode immortel de l’Être, une modalité de Dieu même. Comment se perdrait celui qui s’est identifié avec le Tout, la Vie éternelle ?

N’est-ce pas ce que signifie Krishnamurti lorsqu’il nous déclare péremptoirement qu’il n’est d’autre Dieu que l’homme libéré ? Et Jésus lui-même ne nous affirmait-il pas ne faire qu’Un avec son Père et le prier pour que tous les hommes soient pareillement Un en Lui ? [5]. Mais l’homme libéré, l’homme divin, n’est encore qu’une fleur extrêmement rare au sein de notre civilisation aussi barbare encore qu’elle est prétentieuse et fière de sa supériorité. C’est ce que nous déclare Krishnamurti en nous présentant l’homme libéré comme étant « la fleur qu’une fois en des centaines d’années, la plante séculaire, rassemblant ses forces, fait éclore pour les délices du voyageur ».

Même parmi notre élite cultivée et raffinée, combien sont-ils de nos jours qui se refusent à considérer autrement que comme une pure utopie cette Unité transcendante de la Vie universelle, d’où découlent l’intelligence et l’Amour unissant tous les êtres en une étroite et profonde solidarité, qu’ils en soient conscients ou non ? Et c’est là aussi une des constatations les plus paradoxales de notre temps de voir notre âge, dit scientifique, se refuser énergiquement à toute métaphysique, alors que les sciences, elles-mêmes, qu’il cultive avec tant d’orgueil, nous mènent, toutes pareillement, au seuil même de cette métaphysique tant décriée, tant honnie !

Conclusion. En ces temps de scepticisme et de désarroi, causés par le matérialisme scientifique, qu’est devenu l’amour aux yeux de nos présentes générations ? Exactement l’opposé, je l’ai dit, de ce qu’il est réellement, l’inversion et la subversion de lui-même, car, au lieu de se centrer sur la Vie-une et universelle par le don de soi aux autres, chacun s’est centré sur soi-même, sur son pauvre petit moi éphémère qu’il croit séparé, isolé de tous. L’amour fut ainsi transposé, inversé en son opposé l’égoïsme. Au lieu dès lors d’être reconnu comme la force unitive, constructive, puissante, liant étroitement entre eux les hommes, nos frères, pour le commun bonheur de tous, l’amour s’est transformé en cette fièvre de possession jalouse et destructive, cet agent de division, de rivalités et d’antagonismes féroces entre les hommes que nous voyons partout à l’œuvre autour de nous : guerres de classes, de races, de religions, etc.

Mais malgré tout, je l’ai dit, tout homme semble aspirer, au fond le plus secret de lui-même, à l’amour véritable, mais, ne le concevant pas et impuissant à y atteindre, il s’est identifié à la seule image inversée qu’il s’en est faite, image fausse puisqu’il la voit dans cette seule satisfaction de leurs désirs mutuels que réalisent les amants dans une union où ils se renferment égoïstement. Egoïsme inconscient peut-être chez beaucoup, ou qui se dissimule tout au moins sous un masque trompeur, avoué ou désavoué. Et puis, avec le temps, la satiété d’une part, de l’autre les déceptions réciproques apparaissent et s’avivent, ne tardant pas à ruiner le bonheur escompté.

Mais comment une telle perversion a-t-elle été possible ? Et pourquoi, objecteront quelques-uns, un égoïsme relatif ne serait-il pas, dans une certaine mesure, justifié pour chacun des amants, dans une conception personnelle de l’amour entre eux ? Parce qu’à l’amour pour autrui, force positive, unitive, s’oppose le négatif de l’amour retenu sur soi.

Mais pourquoi celui-ci serait-il nécessairement négatif et destructeur ? Parce que s’appuyant sur l’intérêt, sur l’avidité personnelle, sur la passion exclusive de chacun, un tel amour ne s’alimente plus que de ces sentiments négatifs et destructeurs que sont la méfiance réciproque, la jalousie, la rivalité, la haine, la crainte, tous éléments ne pouvant mener l’être humain qu’à des malheurs conjugaux et sociaux. Tel est bien le mal du siècle et il est inutile d’y insister davantage, hélas !

Nos romanciers ont versé dans la même erreur, quand ils voient dans l’identification et la désidentification de l’homme avec la fausse image qu’il se fait de l’amour comme une alternance fatale, inévitable, inséparable de la condition humaine. Et c’est là incontestablement avec les événements eux-mêmes, une des causes principales du pessimisme de nos contemporains qui dénoncent notre monde comme irréductiblement absurde et mauvais. Aussi, à voir les drames horribles de ce temps, ne serait-ce plus de la grandeur de l’homme qu’il conviendrait de parler, mais plutôt de sa misère, de sa petitesse, de son impuissance à construire un monde habitable, car ce n’est plus un Dieu responsable de sa création que l’on peut gratuitement incriminer aujourd’hui : ce monde maudit n’est rien d’autre que le fruit de la méchanceté et de la sottise humaines, rien d’autre que notre propre création ! Nos romanciers auraient-ils donc raison sur ce point ? Et comment l’humanité, livrée toute entière au déchaînement de ses passions rivales et haineuses, pourrait-elle construire un monde différent de celui qui nous accable et nous désespère ? Quelle transformation radicale de ses tendances devrait survenir pour que l’espoir nous soit rendu de la voir s’amender, pour qu’une résurrection de sa part nous apparaisse comme possible ?

Et ce qui renforce encore notre pessimisme, ce qui a souligné davantage à nos yeux l’état d’avilissement et de dégradation où nous sommes tombés, c’est cette constatation que la révélation récente des crimes les plus atroces, les plus abominables (telles les horreurs des camps de concentration, Hiroshima, les chambres à gaz, les génocides et massacres d’enfants), n’a pas détourné un instant nos populations du souci de leur bien-être, de leur confort, de leurs plaisirs ! Un tel monde, à coup sûr, s’est condamné lui-même !

Et pourtant ? Nous savons qu’il existe en retrait de ce monde maudit la chaîne des hommes de bonne volonté, le sacrifice permanent de ses héros et de ses saints, le mur gardien de ses Sauveurs, les Boddhisattvas de compassion, dont nous parle le Bouddhisme, la communion des saints, en un mot tous ceux-là qui se sacrifient, et parfois sont morts pour notre salut. Voilés le plus souvent à nos regards, ils demeurent toujours néanmoins visibles ou invisibles parmi nous. Leur amour parfait, désintéressé, solidaire, est notre meilleure sauvegarde, le seul rempart qui nous protège contre l’ultime catastrophe et nous empêche de désespérer tout à fait de l’homme et de son avenir, car ils furent tous des hommes !

Des hommes, oui, mais des hommes qui devinrent réellement des Fils de Dieu, des avatars, des Pouvoirs divins de l`Unité. Et je ne pourrais mieux faire, pour terminer ce chapitre, que de citer une fois encore celui qui est sans doute le plus grand philosophe et Yogi des temps modernes : Shri Aurobindo !

« Il y a cent voies pour approcher la Suprême Réalité, et telle est la nature de la voie choisie, telle sera la nature de l’expérience ultime par laquelle on entre en Cela qui est ineffable, Cela, dont nul exposé ne peut être donné au mental, ni exprimé en paroles. Toutes ces culminations définitives peuvent être considérées comme pénultiennes par rapport à l’Ultime Unique, ce sont des degrés par lesquels l’âme franchit les limites du mental pour entrer dans l’Absolu. » (La Vie divine II, p. 700.)

Jésus ne désavouerait pas ces paroles, lui qui nous disait qu’il y a plusieurs demeures dans la Maison de son Père.

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1 Pour éviter toute pollution dans sa lignée héréditaire.

2 De son côté, la théologie nous dit que l’on n’atteint pas le réel ou Dieu par l’intelligence, mais seulement par l’amour, qu’il faut donc humilier la raison ! Mais accepter l’irrationnel, ce n’est pas humilier la raison, c’est la trahir !

3 « Le Gamin et les Frères », par Swami Omananda Puri, pp. 175-176 (Éditions Denoël). Le Dr. Roger Godel dit pareillement : « La psyché ne se laisse pas saisir, ni voir, ni concevoir. On la comprend, non point par l’étreinte, mais par l’immersion. », « Vie et rénovation », p. 77 (Gallimard). La psyché est une modalité de l’Absolu, une vague de l’Océan, et l’esprit est la conscience de cette vague, tandis que le corps en est la forme extérieure. Pauvres symboles d’une Réalité ineffable, inaccessible à notre mental.

4 Ce sont ces deux pôles nécessaires à la manifestation qui donnèrent naissance aux mythes religieux qui les symbolisaient : Dieu et le Diable, dans le Christianisme; Ormuzd et Ahriman, dans la religion de Zoroastre; Brahma et Shiva, le dieu constructeur et le dieu destructeur, dans l’hindouisme, etc.

5 Père, terme symbolique que Jésus emploie pour désigner Dieu, non en tant qu’Absolu, mais en tant que Créateur, Seigneur de l’Univers, Esprit cosmique.