Frédéric Lionel
Le défi

Toute mission suscite, tôt ou tard, un défi. Celui auquel l’Occident doit faire face est extérieur et intérieur. Les deux aspects sont liés aux évolutions scientifique, technique et psychologique, dont les données ont bouleversé les notions jusque-là fermement établies. Avant d’envisager la façon dont ces défis s’exercent et avant d’envisager comment les assumer, il semble […]

Toute mission suscite, tôt ou tard, un défi. Celui auquel l’Occident doit faire face est extérieur et intérieur. Les deux aspects sont liés aux évolutions scientifique, technique et psychologique, dont les données ont bouleversé les notions jusque-là fermement établies.

Avant d’envisager la façon dont ces défis s’exercent et avant d’envisager comment les assumer, il semble indiqué de se pencher sur quelques-unes des réflexions que suggère la science contemporaine qu’on accuse, à tort, d’être responsable des maux qui accablent la société.

« Laissez-moi rire », s’écrie Heisenberg, prix Nobel de physique et, sans doute, l’un des atomistes les plus connus de notre temps. « Vous évoquez des électrons et des ondes. Les avez-vous vus ? Pensez-vous pouvoir observer un nucléon, un électron ou une onde ? Oubliez-le ! Vous ne les verrez jamais. L’onde qui pilote l’électron n’est rien d’autre qu’une onde de probabilité. »

Vivrions-nous dans un monde en lequel la probabilité règne, souveraine ? Et en ce cas, pourquoi cherchons-nous avec tant d’obstination une rassurante certitude qui s’oppose apparemment aux lois de la nature ? Elle tourne, plie et fait rentrer dans l’ordre de son plan tout ce qui s’y oppose, et la sagesse postule en conséquence une permanente adaptation à des sollicitations jamais pareilles à elles-mêmes.

Être neuf à chaque instant, libre de tous concepts, disponible et ouvert à ce qui se présente, favorise non seulement notre entendement, mais permet un choix judicieux en fonction des circonstances.

La science a réussi à disséquer l’atome, mais n’a pas pour autant résolu le mystère de notre origine. Le pourquoi de notre périple terrestre reste posé. « D’où venons-nous ? Où allons-nous ? » sont d’éternelles questions qui préoccupent l’humanité.

L’homme plonge dans l’univers de l’infiniment petit et, perplexe, constate qu’il ne sait plus si ce qu’il observe est l’ultime structure de la matière, ou un tourbillon d’énergie qui échappe à son observation.

Tout se meut, tout bouge, tout change. Les galaxies, le système solaire, les planètes, la Terre, l’atome et les particules.

L’incertitude élevée au niveau d’une loi physique est peut-être le reflet d’une cosmique Réalité, incitant l’homme conscient, témoin et acteur sur la scène du monde, d’admettre que l’incessante transformation l’engage à larguer les amarres d’une routine qui rétrécit ses moyens.

La nature prend soin de ceux qui s’abandonnent à sa programmation, qui varie avec les espèces. L’homme prend des initiatives et, oublieux du rythme mouvant, supporte les conséquences d’une inertie inhérente à sa nature. Ses initiatives vont à l’encontre des Lois de la Nature et, dépité, il demande à la science de lui fournir les éléments d’une sécurité rassurante.

La science ne peut pas lui donner satisfaction, car elle ne peut pas intégrer en ses formules ses aspirations secrètes et sa nostalgie vers un ailleurs mirifique.

Cet ailleurs, que même l’imagination ne saurait cerner, fait partie de la métaphysique qui englobe le vaste domaine qui s’étend au-delà de l’univers sensoriel. La science moderne aborde, néanmoins, à son corps défendant, les brûlants rivages de la métaphysique.

Les instruments les plus sophistiqués, les microscopes électroniques, les cyclotrons, les ordinateurs conduisent l’homme pensant vers une compréhension qui transcende, donc dépasse, le domaine exploré par les sens. Une dimension différente se dévoile à l’arrière-plan des réalisations technologiques dont les performances éblouissent ceux qui les ont conçues.

L’unité fondamentale de l’Univers se dessine à l’arrière-plan des expériences poursuivies dans les domaines les plus divers. Cette unité ressentie avant d’être prouvée, ne peut pas être décrite, le langage conventionnel ne s’y prêtant plus.

Peut-être notre cerveau transforme-t-il la Réalité qui se manifeste par des impulsions rythmiques successives, en objets, événements, couleurs ou sons. L’Univers, tel que nous l’appréhendons, n’existe que dans notre conscience et seul le mystique, échappant, ne serait-ce qu’un instant, aux limites cérébrales qui nous conditionnent, peut accorder le mouvement qui l’anime à celui qui anime le Cosmos. L’instant de Vérité qu’éprouve ainsi le mystique illumine son Être, puisqu’il se fond, un court moment, dans l’incommensurable conscience d’une impensable Réalité.

Einstein en était persuadé en affirmant : « La plus belle et la plus profonde émotion que nous puissions expérimenter est la sensation mystique. C’est la semence de toute science véritable. Celui à qui cette émotion est étrangère, qui n’a plus la possibilité de s’étonner et d’être frappé de respect, celui-là est comme s’il était mort. »

Dès lors, soyons vivants, frappés de respect et pensons juste en réalisant que la pensée détermine non seulement les phénomènes biophysiques de notre corps, mais qu’elle dirige également le dynamisme vital qui circule dans notre système nerveux.

Notre monde est notre laboratoire. Ne le transformons pas en purgatoire, en nous opposant aux lois de la Vie. Réalisons que l’extrême variété des combinaisons spirituelles, culturelles, politiques, sociales, chimiques, biologiques, physiques sont, en leurs interactions, le miroir kaléidoscopique d’une Réalité supra-physique qui se découvre par une prise de conscience fondamentale. Elle révèle que chaque individu est une cellule vivante d’un « Tout Vivant » appelé à associer ses forces créatives à celles qui s’exercent dans l’Univers.

Cette vision se situe à l’opposé d’une philosophie qui se veut constat d’échec, en prétendant que l’Occident décadent n’est rien d’autre qu’un cadavre en sursis de décomposition.

Toute société, tout groupe humain se développe en fonction de lois qui ne sont guère différentes de celles que le scientifique découvre dans sa recherche fondamentale.

L’atomiste sait qu’un seuil critique conduit à une mutation brusque, donc à une explosion brutale. En Occident, ce seuil critique pourrait être atteint un jour, peut-être pas très lointain. Une goutte d’eau ferait alors déborder le vase et il faut s’évertuer à l’éviter, ne serait-ce que parce que l’explosion risque d’être particulièrement douloureuse.

Le monde mécanisé, l’information omniprésente, la lourde chape de l’organisation tentaculaire, la dégradation écologique amplifient le danger.

Seul le fait de voir clair peut comporter des solutions constructives. S’imaginer que l’arrêt du développement scientifique pourrait résoudre les problèmes de notre temps est une illusion. C’est tourner le dos à une réalité évolutive qui s’inscrit dans l’Ordre des Choses.

En revanche, la pensée scientifique qui postule une permanente remise en cause de ce qui semblait acquis est une voie de progrès humain. S’ouvrir au monde comme le scientifique s’ouvre à l’expérience, sans a priori, est une attitude de compréhension qu’il s’agit d’imiter.

« Ce qui est en bas égale ce qui est en haut », affirme la Table d’Émeraude, dont la paternité est attribuée au trois fois grand Thot, dieu métaphysique des Égyptiens. Pourquoi ne pas accepter l’enseignement d’une antique sagesse et nous y conformer ? Ce qui est juste sur un plan l’est également sur un autre.

La permanente adéquation de notre action aux réalités du moment est contraire à l’attitude passive d’adhésion paresseuse à des contrevérités énoncées et répétées avec aplomb. Faire avaler des couleuvres à ceux qu’on cherche à convaincre ou à séduire, c’est les rendre malléables, c’est stimuler leur agressivité, c’est faire naître la haine, c’est nourrir l’affrontement.

La pensée scientifique d’avant-garde, qui gomme la ligne de démarcation entre le monde visible et le monde invisible, entre la physique et la métaphysique, est l’aspect d’un processus d’unification. Elle fait admettre que la séparation des diverses disciplines, chimie, biologie, sociologie, psychologie et autres, est dépassée. Une telle admission fait naître la vision d’une unification finale, non seulement des différents plans sur lesquels s’exerce l’activité humaine, mais aussi des différentes traditions, spirituelles ou religieuses, puisque la « Vérité Une » affirme son unité en poursuivant sa vivante aventure dans la diversité des formes qu’elle emprunte pour se faire reconnaître.

En parlant de la science on pense, de nos jours, à la bombe atomique, mais l’aspect politique qui l’a fait concevoir illustre simplement la méconnaissance de la véritable prédestination des hommes, dont le génie créateur est dévié au profit d’une recherche de puissance et non de bonheur.

Comprendre scientifiquement les lois du monde extérieur, c’est découvrir l’Ordre Souverain, c’est découvrir qu’en soi il règne et que l’homme, intimement associé à l’Univers, n’existe que par lui et en lui.

En conséquence de quoi, étudier la nature, c’est étudier l’homme, s’opposer aux lois de la nature, c’est s’opposer à soi-même, détruire la nature, c’est se détruire.

En revanche, toute action s’inscrivant dans l’ordre du plan cosmique, est créatrice d’harmonie, donc de joie et de bonheur.

La science d’avant-garde est le fer de lance d’une véritable renaissance, à condition d’en faire bon usage, à condition de la soumettre au Plan Cosmique de l’Évolution qui tend à entraîner toute chose vers la perfection finale.

« Celui qui ne gaspille pas le temps qui lui est imparti sur Terre, n’est pas en danger, a dit Pythagore. Sa propre lumière éclairera son chemin. »

L’apprentissage de l’homme doit lui permettre de « reconnaître l’erreur, de voir la Vérité », pour se rendre compte que les réalités existentielles ennoblies par un haut niveau de conscience, se parent de beauté et que le quotidien est un champ d’expérience conduisant à la découverte de « Soi ».

« Le véritable amoureux du savoir cherche à atteindre l’Être », a dit Platon.

Ce n’est que dans la transparence de sa nature que l’Être authentique peut se manifester. Atteindre cette transparence est l’ultime étape de l’ascèse alchymique, l’ultime étape de la réalisation essentielle.

Il ne s’agit pas de remplacer les notions périmées par d’autres, mais à l’instar de l’alpiniste, à élargir par une montée progressive la vision qui se découvre lorsque disparaissent les parois opaques qui la limitent.

Au sommet se dévoile le « sans limites » baigné dans la lumière que dispense le Soleil, non astre physique, mais pur miroir de l’Esprit Cosmique.