Marcel Comby
Le jeu des contraires dans le monde oriental

Les mystiques orientaux expérimentent les objets et les phénomènes comme autant de manifestations d’une unité fondamentale, ce qui ne signifie pas que toutes choses sont égales. Ils reconnaissent la spécificité des phénomènes, mais, en même temps, ils ont conscience que les différences sont relatives à l’intérieur d’une unité comprenant tout. C’est une intuition particulière qui […]

Les mystiques orientaux expérimentent les objets et les phénomènes comme autant de manifestations d’une unité fondamentale, ce qui ne signifie pas que toutes choses sont égales. Ils reconnaissent la spécificité des phénomènes, mais, en même temps, ils ont conscience que les différences sont relatives à l’intérieur d’une unité comprenant tout. C’est une intuition particulière qui se trouve à la source de cette vision du monde.

Les contraires sont des notions abstraites appartenant au domaine de la pensée et, en tant que tels, ils sont relatifs. Ainsi l’acte de concentrer son attention sur telle ou telle notion suscite l’existence de son contraire. Ainsi on réalise que bien et mal, plaisir et douleur, vie et mort ne constituent pas des expériences absolues ou à des catégories distinctes. Elles représentent deux aspects d’une même réalité, les parties extrêmes d’un ensemble unique. Cette conscience de la bipolarisation et de l’unité des contraires représente ce qu’il y a de plus fondamentale dans les traditions spirituelles de l’Asie.

« Sois éternel dans la vérité, par-delà les opposés terrestres » tel est le conseil de Krishna dans la Bhagavad-Gita. Il s’agit, en quelque sorte, d’un accomplissement de l’être dans son passage sur notre Terre. Selon un poète Zen, il est dit : « Au crépuscule le coq annonce l’aurore ; à minuit le plein soleil ». Un jeu mutuel et subtil des deux forces est à la base d’un antagonisme qui évacue la prédominance de l’un des pôles sur l’autre et qui maintient ainsi un certain équilibre dynamique en toute harmonie et en toute application des lois de la Nature.

Les Chinois nomment TAO l’unité dynamique qui sert de fondement à la célèbre dualité Yin / Yang. Cette unité peut être illustrée symboliquement par le mouvement circulaire d’un point et celui de sa projection orthogonale sur une droite fixe. Cette projection est le siège d’un mouvement oscillatoire entre deux points extrêmes. Ainsi de cette façon les opposés sont unifiés et l’essence du TAO est représentée par le centre du cercle comme le moyeu d’une roue.

Une des principales bipolarités dans la vie est celle qui concerne le masculin et le féminin. La société occidentale favorise traditionnellement le côté masculin plutôt que le féminin d’où une valeur excessive accordée à l’aspect Yang de la nature humaine : l’activité, la pensée rationnelle, la compétition, la force, etc.

Dans la spiritualité orientale, les côtés féminins sont plus développés et une certaine unité est recherchée par l’exercice de la méditation qui est mis en évidence dans beaucoup d’œuvre d’art. Une splendide sculpture de Shiva, dans le temple hindou d’Elephanta, montre trois visages du dieu : à droite, son profil masculin manifestant volonté de puissance ; à gauche son aspect féminin manifestant charme et séduction ; et au centre l’union sublime des deux aspects : sérénité et réserve transcendantale. L’art révèle aussi l’aspect androgyne des choses dans le corps de la divinité.

Dans le bouddhisme tantrique, on utilise des symboles sexuels de sorte que, dans le processus d’illumination, l’union est représentée par l’étreinte extatique des divinités masculines et féminines. Les mystiques orientaux affirment que cette union des opposés ne peut être réalisée que sur un plan plus élevé de conscience. En physique quantique, l’exploration du milieu subatomique a révélé une réalité qui est au-delà du langage et du raisonnement. C’est ainsi que l’unification de concepts contradictoires et inconciliables pour notre raison se trouve à un niveau non ordinaire de réalité. Nous sortons là du carcan dualiste provenant de notre expérience quotidienne pour aborder une autre logique : la logique ternaire et le tiers inclus.

Marcel Comby