0 toi qui réfléchis sur le pourquoi des choses,
Et qui le long des jours te promènes songeur
Connais-tu la raison de nos métamorphoses,
Et pourquoi chaque fruit procède de sa fleur ?
Sais-tu ce qu’est la vie ? Et pourquoi chaque sphère
Traçant de sa lumière un chemin dans le ciel
Sans jamais dévier suit l’orbe circulaire
Qu’imagina peut- être un Penseur éternel ?
0 nature immense, voile mystérieux,
Quels grands et lourds secrets nous cachent tes symboles ?
Ou, sans âne, sont-ils de sombres nécropoles ?
Quel Dieu éclaircira ce mystère à nos yeux ?
Pourquoi l’air et le feu, le vent et la lumière ?
Pourquoi l’immensité des vastes océans ?
Pourquoi nos lourds chagrins, et nous, sur cette terre,
Et quel sens pour notre âme a donc le cours du temps ?
Dans le ciel étoilé tout est sombre et mystère
Et le soleil levant déroule ses splendeurs.
Mais rien n’est expliqué, l’énigme reste entière :
Une angoissante nuit devant nos yeux rêveurs !
La science t’a dit quelques raisons des choses
Mais le pourquoi demeure : où est leur sens profond ?
Chaque jour obscurcit l’énigme que tu poses,
Tel le tonneau antique, illusoire et sans fond.
Oui, cherche, cherche encore, les secrets de la vie.
Pourquoi les gais vallons, les monts et les ruisseaux ?
Cherche-les sans répit, d’une ardeur infinie !
Pourquoi le froid hiver, ses frimas, ses cristaux
Et le vent déchaîné qui déferle en tempête ?
Pourquoi le ciel d’azur étendu sur ta tête
Et ces étés brûlants tout gorgés de moissons
Où les oiseaux nous font de divines chansons ?
Pourquoi ce ciel tout bleu, et puis ces lourds nuages ?
Perces-tu le secret du beau temps, des orages ?
Pourquoi le jour, la nuit, alternent-ils toujours ?
Pourquoi les deuils, la mort, attristent-ils nos jours ?
Et pourquoi des vivants cette échelle infinie
Qui va du minéral, jusqu’au ciel de l’esprit
Se chevauchant l’un l’autre, en cercles d’harmonie
Vers un monde plus haut dont ils furent proscrits ?
Pourquoi la violette ou bien l’herbe des champs
A l’ombre des grands bois et des arbres géants ?
Et pourquoi la colombe ou bien l’agneau timide
Sert-il de proie au fauve ou au rapace avide ?
Ami, comprends-tu mieux ton propre mystère,
Le mystère de l’homme et de son sort précaire ?
Et pourquoi tous n’ont pas un semblable départ ?
Pourquoi ici beauté, talents, intelligence,
Contre un lot de misère, amassé d’autre part ?
T’expliqueras-tu la partiale balance,
Dont un plateau porte, l’opulence et la joie,
Et l’autre, le chagrin, la misère et l’effroi ?
L’injustice est partout; c’est le mal qui prospère
L’innocent est frappé, tel le saint homme Job.
Dès le sein maternel, Esaü et Jacob
D’un inégal destin accusaient le mystère…
Non, Dieu n’est pas l’auteur de si injustes choses :
L’homme en créa lui-même les lointaines causes.
L’instinct et la raison veulent nous l’assurer.
Mais sont-ce vains propos dits pour nous rassurer ?
Tu consultas, ami, dans ta quête éperdue
Les philosophies et les religions.
Bientôt rebuté par leurs contradictions
Tu les abandonnas à leur cause perdue.
Oui, la foi chrétienne nous fait faire oraison
Mais sa métaphysique éteint toute raison.
La science était la religion nouvelle
Mais ne pouvait calmer notre soif immortelle.
Du Levant vint alors le grand souffle des cimes
Air pur qui pénétra jusqu’au fond nos abîmes.
Ecoute donc ici la sublime leçon
Qui de l’Hymalaya nous apporte un frisson :
Un est l’Etre pur qui transcende toute forme
Une, sa conscience à travers les éons
Mais toute dispersée en la matière informe.
L’homme doit remonter ses propres échelons.
Cueillant, en ce retour, le seul fruit de ses œuvres
Il façonne ses «moi » :qu’il croit de purs chefs-d’œuvre.
Mais le «moi» n’est jamais que ce chétif miroir
Se croyant le Soleil qui en lui s’est fait voir.
Et l’être ne rejoint sa lumineuse Essence
Qu’en brisant le miroir et sa fausse science.
Après mille détours, de nombreux avatars,
Sentant la folie de ses trop longs écarts,
Il regagne, épuisé, le Foyer paternel
En découvrant en soi le grand Rythme éternel
De l’Un, le Soi de tous, le Père, l’Unité,
Le grand cœur accueillant notre diversité.
Mère-nature est sa divine fonction
Qui édifie l’humaine perfection :
Chacun devant dresser sa divine stature
Dont Christ fut, parmi nous, l’émouvante figure.
Pierre d’ANGKOR