Michel Random
Le pouvoir des symboles

Le pouvoir des symboles tient à leur disposition géométrique qui anime à son tour un champ de forces physiques, psychiques et spirituelles. Tout symbole a un pouvoir d’incarnation (la Manifestation), de mouve­ment (la dynamique des forces opposées) de Révélation ultime (la centralité). Il situe l’espace-temps sous ses trois aspects, continu (la forme et la mesure), discontinu (l’aspect vibratoire-l’amour) éternel : l’essence-être. Le rapport de chaque être à l’égard du symbole situe le plan le plus élevé de cet être. Sa compréhension dépend de son propre accès spirituel, de ces identifications psychiques, de ses interdits religieux. Tout symbole fonctionne comme un amplificateur de ses propres possibilités. Ainsi la fonction sociale, religieuse ou magique même du symbole est une interaction constante et particulière du symbole lui-même avec chaque être particulier.

(Revue 3e Millénaire. Ancienne série. No 12. Janvier-Février 1984)

Chaque fois que je suis face à un vrai symbole, je suis face alu mystère de l’incarnation. Un symbole à nos oreilles occidentale est une figure géométrique, sèche, et incompréhensible. Pour un Oriental ou pour celui qui sait déchiffrer le code, un symbole est avant tout une structure vivante et beaucoup plus encore ce que nous pourrions appeler un ordinateur et un potentialisateur de l’énergie.

En lui-même un symbole relève d’une lecture à trois niveaux. Il possède, comme un être humain, une ascension et aussi une fin. Il existe toujours un moment où un symbole atteint son apogée. C’est à cette époque-là qu’il faut en quelque sorte le cueillir à son point de maturation.

Chaque religion, chaque philosophie exprime son symbole-force. Le poissons (ou les deux poissons opposés) furent en premier le symbole de chrétiens encore cachés dans les catacombes. L’Église enfin libre manifesta le Christ dans sa coque de lumière : la mandorle. Celle qui fait encore flamboyer le Christ de gloire sur les tympans des cathédrales de Chartres ou d’Autun. Quand l’église s’assombrit et au plus fort de persécutions de l’Inquisition, la croix devint un symbole funèbre et triomphant. (Bien que la croix soit le symbole sacré et universel par excellence). Les Torquemada des âges sombres revêtirent pendant de siècles la croix d’une aura glaciale de terreur et de mort. À nous de rétablir sa divinité sacrée.

Les symboles de l’Islam sont avant tout marqués par la pierre noire et cubique de la Mecque. Mais la pierre noire, celle d’Abraham, est l’un de plus vieux symboles, celui de la Terre-Mère, celui du non-créé, de l’état du monde avant la lumière. On l’appelle la main droite de Dieu (Yamîn Allâh) – Le jour de la Résurrection, cette pierre témoignera en faveur des fidèles qui seront venus en pèlerinage. Le cube de pierre noire comprend l’Inconnaissance et la Connaissance. C’est l’Anima Mundi en action.

Le Taoïsme est symbolisé par le cercle. Le cercle est l’extension d’un point. Un point peut être infiniment petit ou infiniment grand. Le cercle ou aspect cosmique participe des propriétés du point. Néanmoins le propre du point est d’être. Ainsi le Tao est vacuité, mais cette vacuité n’est pas le néant. Le Tao possède une réalité, c’est le Réel lui-même dans sa conjonction d’être et de non-être qui par son essence même engendre la substance (la chair) de toutes choses créées.

L’étoile de David dans la tradition hébraïque est faite de deux triangles opposés. C’est le pentagramme, nommé encore « l’étoile flamboyante ». Il donne toutes les lois du mouvement, il résume les loi d’involution et d’évolution. C’est l’opposition concertée des forces blanches et noires. Alors que la pierre cubique signifie le monde réalisé, le pentagramme représente le monde en devenir. Il est essentiellement dynamique. La pierre cubique (4e arcane) est immédiatement suivie du pentagramme (5e arcane). Il contient aussi bien l’image du Baphomet que celle de l’Homme.

Le bouddhisme se symbolise par le mandala. Le mandala est à la fois un point (le centre en l’être) contenu dans un cercle (le cosmos), lui-même contenu dans un carré (la Création). Le mandala (d’un mot sanscrit mandala – manda signifiant l’essence et la, l’achèvement). À lui seul le mandala représente le Tout où rien ne manque. Le Tout-Un et le Tout multiple. Il est la somme de toutes les énergies, de toutes les consciences et de toutes les illuminations. Réalité ultime de l’univers il est la Révélation en marche. Un mandala parfait comme celui de Borobudur représente un événement cosmique, un lieu où l’immensité architecturale du monument converge dans le point ultime du stupa central. Tout mandala est en ce sens une ascension de la périphérie (le carré) vers le centre. Il est la forme absolue de l’Absolu lui-même réalisé.

Le pouvoir des symboles tient à leur disposition géométrique qui anime à son tour un champ de forces physiques, psychiques et spirituelles. Tout symbole a un pouvoir d’incarnation (la Manifestation), de mouve­ment (la dynamique des forces opposées) de Révélation ultime (la centralité). Il situe l’espace-temps sous ses trois aspects, continu (la forme et la mesure), discontinu (l’aspect vibratoire-l’amour) éternel : l’essence-être. Le rapport de chaque être à l’égard du symbole situe le plan le plus élevé de cet être. Sa compréhension dépend de son propre accès spirituel, de ces identifications psychiques, de ses interdits religieux. Tout symbole fonctionne comme un amplificateur de ses propres possibilités. Ainsi la fonction sociale, religieuse ou magique même du symbole est une interaction constante et particulière du symbole lui-même avec chaque être particulier.

Profitons des symboles illustrés dans ce numéro du 3e millénaire pour suivre autant de voies particulières. Évoquons aussi les symboles naturels : l’arbre, l’oiseau, la montagne, la roue.

L’ARBRE est par excellence la représentation de la double ascension, celle de l’univers manifesté (par le feuillage) et de l’univers souterrain invisible. Il est une clef dans le Jardin des Délices de H. Bosch. C’est l’arbre à l’envers, celui de la Kabbale et de toute tradition selon la formule célèbre que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. C’est l’union par les contraires, l’aspect lunaire et solaire. L’Arbre de vie et l’arbre de la connaissance ne font qu’un. En ce sens il est l’axe et le centre du monde. Les innombrables apparences de l’arbre se conjuguent dans le pouvoir de symboliser l’énergie vitale et l’énergie divine. Il est Dieu. Il peut prendre toutes les formes, incarner tous les pouvoirs. Il est ainsi continu et discontinu. Il revêt le Réel par l’unité centrale de son tronc et par la multiplicité de ses branches. Il est céleste par sa cime, chthonien par ses racines. Il peut être redoutable par son origine souterraine et solaire par sa nature aérienne. En un mot, il est la Création sans cesse en mouvement.

L’OISEAU symbolise le plus haut niveau de langage connaissable. Celui qui possède la langue des oiseaux connaît subtilement le langage des anges. L’oiseau est l’esprit subtil, le verbe caché qui relie la terre au ciel. Le taoïsme, le soufisme en font l’achèvement du monde céleste et le porteur du Verbe au monde terrestre.

L’oiseau symbolise donc les états ultimes que l’homme peut atteindre dans sa corporéité. C’est le messager du monde Imaginal. Les dieux ont le langage des oiseaux, ils servent à la divination, ils préfigurent la somme des états de l’être, l’instant originel et sans cesse renouvelé qui est le chant de la Création. De ce fait son chant est un élixir de longue vie qui donne l’immortalité aux hommes. Comprendre le chant des oiseaux, c’est spirituellement comprendre l’origine et la fin de toutes choses.

Tout en appartenant à la terre, l’oiseau est régi par les lois du ciel. Il est guidé par l’ensemble du monde cosmique, il se dirige en tenant compte des étoiles et du soleil. Il baigne dans l’univers comme intermédiaire visible entre les différents mondes. Ainsi l’oiseau commande à la vie et à la mort. Il symbolise le destin (Coran) celui qui annonce l’événement majeur : le passage d’un état à un autre. Quand l’esprit atteint son plus haut degré sensible, quand le cœur est conjoint à l’âme, l’être parle le langage des oiseaux (soufisme). Il dévoile le secret de l’homme, lui révèle sa nature inconnue. Enfin, tout oiseau est l’expression d’une âme qui ne cesse de dire son nom-secret (tradition chamanique).

LE FEU représente la matière la plus subtile de l’univers. Il participe du quatrième état de la matière nommé « plasma ». Le feu peut être maîtrisé par le rituel sous forme d’une opération magique ou religieuse. Dans le Yamakague Shinto il constitue le rituel dominant : les grandes flammes d’un petit bûcher ne brûlent pas les papiers (ou Gohei) disposés au-dessus. Quand la concentration du Guji (prêtre) est insuffisante, les papiers brûlent.

La fonction du feu est transmutation. Qu’elle soit matérielle ou spirituelle, toute chose passée par le feu change de nature et développe son caractère subtil et éthéré. Maîtriser le feu (intérieur, celui de la sexualité ou la puissance du feu lui-même), c’est la maîtrise du dragon, mais c’est aussi la connaissance de l’ange noir Lucifer qui a la puissance du feu éternel.

La purification par le feu, le renouveau de la flamme née de l’étincelle naturelle par le frottement du bois est un rite de renouveau, celui du premier jour de l’année dans le Shinto. Symbole de vitalité et d’éternelle renaissance. Fondement de toute magie et de toute alchimie, le feu est par excellence la force de la mutation irréversible de tout être et de toutes choses qui changent totalement de nature et de propriétés.

Symbole de l’énergie vitale : la Kundalini, LE SERPENT de l’énergie s’enroule en deux spirales opposées autour du tronc central de l’être : la colonne vertébrale.

Le serpent qui se mord la queue (Ouroboros) exprime la création sans fin. Le serpent est lié à l’idée même de la vie. Mais il est l’ancêtre, le vieux dieu à l’intérieur de l’homme, celui qui possède la sagesse noire et la sagesse blanche. Le libérateur des tentations en même temps que celui qui les anime et les crée. Tous les pouvoirs de la nuit, de l’incréé, de l’informulé sont liés au serpent. Dominer la peur du serpent, c’est maîtriser la peur des forces obscures : les voir telles qu’elles sont. C’est reconvertir la mort en vie. Maître des femmes et de la fécondité, le serpent est à la fois matière et phallus. Il est la force du désir agissant sous toutes ses formes au-delà du bien et du mal.

L’ÉPÉE qui fend, frappe, est l’énergie de la mort qui purifie. Celui qui est frappé par l’épée du sage se fend lui-même sur le sable qui symbolise le fatum ou Destin. (Zen et soufisme).

Placée transversalement dans la bouche du Christ, elle est le symbole du Verbe. Forgée par le mariage de l’eau et du feu, l’épée reflète l’âme du forgeron : elle peut être bénéfique ou maléfique. Protéger son propriétaire ou bien le conduire à la mort (Tradition des Samouraï au Japon).

Dans la main de l’ange, l’épée de feu sert à trancher l’illusion du Réel, le connu de l’inconnu, la Révélation du Dragon qui tout en s’en faisant le gardien, en interdit l’approche. Elle est l’instrument de la vérité en action.

LA PORTE s’ouvre comme ne s’ouvrant pas. Passage, elle est aussi l’illusion du passage. Invitation au voyage, elle en est comme le commencement et la fin. Passer la porte, c’est franchir l’initiation. Les gardiens qui sont à l’entrée sont à l’image de la sphinge ceux qui posent la question fondamentale : qui es-tu ? Et si la réponse n’est pas connue, (je ne suis autre que toi-même), l’homme est dévoré, c’est-à-dire rejeté à son état initial d’avant la naissance. La porte est donc le lieu où la plus extrême conscience et la plus essentielle connaissance se manifestent. Car la porte ouvre la Révélation c’est-à-dire la compréhension de ce qui est et la porte elle-même cesse d’exister.

Elle est le passage du premier au deuxième niveau : elle introduit la discontinuité, elle est l’ouverture au quantum. Le Christ lui-même est la porte (la vision manifestée du divin). Toute initiation se réalise par le passage d’états (portes successives) qui conduisent à la maîtrise et à la connaissance profonde de son être et au-delà de son être.

J’achèverai ce court voyage au-dedans des symboles par LA MON­TAGNE qui est le lieu de l’ascension et comme tel vénérée dans toutes les traditions comme lieu saint, voire lieu interdit (Shinto et tradition chamanique).

La montagne où terre et ciel se rejoignent est le lieu de l’épiphanie, le séjour de l’immortalité (Tao) où règnent les dieux. La montagne visible se prolonge d’une montagne invisible comme dans le Mont Analogue de René Daumal. En fait la montagne est en nous-même. Elle est le Père et la Mère intérieur, le lieu du dévoilement. Quand les yeux s’ouvrent, la montagne apparaît dans toute sa splendeur ; quand la foi se manifeste, les montagnes se mettent en marche. Axe du soi, du monde et du ciel, la montagne est la majesté suprême, le lieu où se manifeste le Verbe, (Moïse), le centre du retirement et de la conjonction. Les hommes qui vénèrent la montagne au Japon (Yamabuchi) sont ceux qui par une longue et complexe maîtrise parviennent à entrer vivants dans la mort.

Un dernier mot en conclusion : les symboles sont la nourriture même des puissances terrestres, célestes et infernales. Tout symbole plonge dans des réalités successives parfois inexorables. Mais essentiellement, les symboles sont des signes qui peuplent étrangement la vie quotidienne autant que les rêves. Savoir les lire, c’est entrer dans l’essence et la substance, c’est prévoir, guérir, et parfois lire tout simplement les signes annonciateurs de la mort.

La réalité est que nous avons peur des symboles. L’esprit positiviste refuse toute lecture à plusieurs niveaux. Tout symbole est actif et passif, mais sa nature océane l’assimile à l’énergie féminine. La peur du symbole s’associe à une peur de la femme et celle-ci à une peur de la Réalité. Le monde des forces opposées est aussi fascinant que dangereux : Que celui qui s’oriente dans cette voie se constitue un centre stable et une âme bien trempée. Et après cela, bon voyage !