Le Zen Universel: Non-attachement (citations)

Le Zen est pareil à une étoile lointaine que nous voyons le mieux briller (si nous la voyons) lorsque nous ne regardons pas dans sa direction : c’est lorsque nous parlons d’autre chose et pensons à autre chose que nous avons le mieux conscience de lui. HAROLD E. MCCARTHY, Poésie, métaphysique et Zen. Assieds-toi en […]

Le Zen est pareil à une étoile lointaine que nous voyons le mieux briller (si nous la voyons) lorsque nous ne regardons pas dans sa direction : c’est lorsque nous parlons d’autre chose et pensons à autre chose que nous avons le mieux conscience de lui.

HAROLD E. MCCARTHY, Poésie, métaphysique et Zen.

Assieds-toi en silence, ne fais rien

Le printemps vient et l’herbe pousse toute seule.

(Zenrin-Kushu.)

Il peut paraître à la fois étrange et déraisonnable que des hommes intelligents et vigoureux restent assis sans rien faire pendant des heures interminables. La mentalité occidentale considère cela non seulement comme contre nature mais comme une perte de temps, même si cette discipline leur permet d’acquérir patience et sérénité. Bien que l’Église catholique d’Occident ait une tradition contemplative, le fait de « rester assis » et de « regarder » a perdu son attrait, car on n’estime plus une religion qui ne s’emploie pas à « améliorer le monde ». Il devrait pourtant être évident qu’une action ne se fondant pas sur la sagesse, sur la conscience claire de ce qu’est vraiment le monde, ne saurait l’améliorer. Mieux encore : de même qu’une eau boueuse se clarifie mieux lorsqu’on ne l’agite pas, on pourrait dire que ceux qui restent ainsi assis tranquillement, sans rien faire, rendent le plus grand service à un monde tourmenté… On ne connaît pas le monde simplement par la pensée et l’action. Il faut d’abord le percevoir d’une manière plus directe, et prolonger l’expérience sans sauter à ses conclusions.

ALAN WATTS, La Voie du Zen.

Les oies sauvages n’ont pas besoin de calendrier

pour revenir d’un pays à l’autre.

SHUMPA.

L’extinction du désir (bouddhisme), ou le détachement, ou l’amor fati, ou le désir du bien absolu, tout cela tend au même but : vider le désir de tout contenu, désirer dans le vide, désirer sans souhaiter.

Détacher notre désir de toutes les choses enviables, et attendre. L’expérience prouve que cette attente est satisfaite. C’est alors que nous touchons au bien absolu.

SIMONE WEIL, La Pesanteur et la Grâce.

Un homme doit devenir vraiment pauvre et libéré de sa volonté de créature, tel qu’il était à sa naissance. Aussi longtemps que vous désirez accomplir la volonté de Dieu, aussi longtemps que vous aspirez à l’éternité et à Dieu, vous n’êtes pas vraiment pauvre. Seul atteint à la vraie pauvreté spirituelle celui qui ne veut rien, ne sait rien, ne désire rien.

MAITRE ECKHART.

Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux.

Heureux les humbles, car ils hériteront la terre.

MATTHIEU, V, 3-5.

Mon magasin ayant brûlé de fond en comble

Plus rien ne me cache la vue de la lune qui brille.

MASAHIDE.

Le voleur a laissé derrière lui

la lune qui brille à la fenêtre.

RYOKAN.

Sans même un chapeau

je vais sous la pluie froide.

La belle affaire !

BASHO.

Des enfants jouaient au bord d’une rivière. Ils faisaient des châteaux de sable et chacun défendait le sien en disant : « Il est à moi ! » Lorsque tous les châteaux furent achevés, l’un des enfants détruisit celui d’un autre à coups de pied. Le propriétaire du château se mit en colère, tira les cheveux de l’autre, le frappa à coups de poing, en criant : « Il a détruit mon château ! Venez m’aider à le punir comme il le mérite ! » Tous se mirent à le frapper — puis ils continuèrent à jouer avec leurs châteaux de sable en disant : « Celui-ci est à moi et à personne d’autre ! Que personne n’y touche ! »

Vint le soir, et l’heure de rentrer à la maison. Aucun des enfants ne se soucia plus de son château. L’un piétina le sien, un autre le détruisit de ses mains — puis ils s’en allèrent, chacun chez soi.

(Sutra Yogaçara Bhumi.)

Les choses sont en selle

Et chevauchent le genre humain.

EMERSON

La Voie Parfaite n’est difficile que pour ceux qui choisissent ;

N’aie ni sympathie ni antipathie et tout sera clair.

Par le moindre choix tu sépares le Ciel et la Terre ;

Si tu veux voir le visage de la vérité, ne sois jamais ni « pour » ni « contre ».

Le conflit entre « pour » et « contre » est la pire maladie de l’esprit.

(Attribué à) SENG-TS’AN.

Le christianisme judaïque et le bouddhisme zen ont en commun la conscience du fait que pour être complètement « ouvert », responsable, éveillé, vivant, l’homme doit renoncer à sa volonté (le mot étant pris dans le sens de désir de forcer, de diriger, de maîtriser le monde extérieur et intérieur). Dans la terminologie zen, cela est souvent appelé « se rendre vide » — c’est-à-dire disponible, prêt à recevoir ; dans la terminologie chrétienne : « se mortifier et accepter la volonté de Dieu ». Il semble y avoir peu de différence entre ces deux postulations. Pourtant, dans l’esprit de beaucoup, la seconde signifie qu’au lieu de prendre lui-même des décisions, l’homme doive en laisser le soin à un « père » omniscient et omnipotent qui veille sur lui et sait où est son bien, c’est-à-dire que cet homme, loin de devenir disponible et responsable, se fait obéissant et soumis. Aussi bien, on suit mieux la volonté de Dieu (au sens d’un véritable renoncement à l’égoïsme) lorsque le concept de Dieu est absent : paradoxalement, c’est si j’oublie Dieu que j’obéis vraiment à sa volonté. Le concept de « vide », dans le Zen, implique la véritable signification de ce renoncement, sans qu’il y ait pour autant régression au concept idolâtre d’un « père » protecteur.

ERICH FROMM, Bouddhisme zen et Psychanalyse.

Celui qui conservera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera.

MATTHIEU, X, 39.

Il était une fois un homme qui se tenait debout sur une haute colline. Trois voyageurs, passant à distance, le remarquèrent et discutèrent à son sujet. L’un dit : « Il doit avoir perdu son animal favori. » Un autre dit : « Non, il doit être à la recherche de son ami. » Le troisième dit : « Il est là-haut seulement pour jouir de l’air frais. » Les trois voyageurs ne pouvaient se mettre d’accord et continuèrent à discuter jusqu’au moment où ils arrivèrent en haut de la colline. L’un demanda : « O ami, qui vous tenez debout sur cette colline, n’avez-vous pas perdu votre animal favori ? » « Non, Monsieur, je ne l’ai pas perdu. » L’autre demanda : « N’avez-vous pas perdu votre ami ? » « Non, Monsieur, je n’ai pas perdu mon ami non plus. » Le troisième voyageur demanda : « N’êtes-vous pas ici pour jouir de la fraîcheur ? » « Non, Monsieur. » « Pourquoi donc êtes-vous ici, si vous répondez « non » à toutes nos questions ? » L’homme sur la colline répondit : « Simplement je suis ici. »

(Parabole zen, citée par Hubert Benoit dans La Doctrine suprême.)

Ne permets pas aux événements de ta vie quotidienne de t’enchaîner, mais ne te soustrais jamais à eux. Ainsi seulement tu atteindras la libération.

HUANG-PO.

Imaginez qu’une barque traverse une rivière et qu’une autre barque, vide celle-ci, est sur le point de la heurter. L’occupant de la première, même s’il a mauvais caractère, ne se mettra pas en colère. Mais s’il y a quelqu’un dans la seconde barque, alors l’occupant de la première lui criera de s’éloigner. Et si l’autre ne l’entend pas, il en résultera un échange de propos peu amènes.

Dans le premier cas, le fait que la barque était vide a empêché la colère de se manifester. Il en va de même pour l’homme : s’il pouvait traverser la vie « à vide », qui songerait à l’injurier ?

TCHOUANG-TSEU.

Aussi longtemps que je suis ceci ou cela, que j’ai ceci ou cela, je ne suis pas toutes choses et je ne les possède pas.

Que ta pureté soit telle que tu ne sois et ne possèdes ni ceci ni cela : alors tu seras partout présent et tu seras toutes choses.

MAITRE ECKHART.

L’absence de passion est la Voie. Ainsi qu’il est dit : « C’est par l’absence de passion que l’homme se libère. »

(Visuddhimagga.)

Les contemplatifs pensent parfois qu’ils trouveront le but et l’essence de leur vie dans le souvenir, la paix intérieure et le sentiment de la présence de Dieu, et ils s’attachent alors à ces choses. Mais elles ne sont pas moins des créations de l’homme qu’une automobile, une bouteille de vin ou un verre de bière. La seule différence est que dans le premier cas, il s’agit de plaisirs spirituels et, dans le second, de plaisirs matériels. L’attachement aux choses spirituelles est de même nature que l’amour démesuré de toute chose. Son imperfection est peut-être mieux cachée et plus subtile, mais d’un certain point de vue cela la rend encore plus dangereuse, car elle est moins facile à reconnaître.

THOMAS MERTON, Graines de contemplation.

Le détachement parfait va sans complaisance ni mépris pour les créatures. Il ne se soucie ni d’abaissement ni de supériorité. Son but est la maîtrise de soi-même, il ne connaît ni amour ni haine d’aucune sorte. La seule chose qu’il désire est lui-même. Être ceci ou cela, c’est vouloir. Celui qui est ceci ou cela est quelqu’un, mais le détachement ne veut rien. Il laisse toutes choses telles qu’elles sont.

MAITRE ECKHART.

Plongé dans l’ignorance et obscurci par l’illusion, l’Esprit était effrayé et confus. Naquirent alors les idées de « Moi » et de l’« Autre », et avec elles la haine, et il en résulta l’Action (Karma). L’Ignorance fondamentale est pure inconscience. L’autre Ignorance est celle qui considère le moi et les autres comme des choses séparées et différentes. La pensée qui considère les êtres comme « deux » engendre un état d’hésitation et de doute. Elle entraîne un sentiment subtil d’Attachement qui, s’il se renforce, aboutit peu à peu à un attachement puissant et avide aux choses telles que la nourriture, les vêtements, les habitations, la richesse, les amis (…) Il n’y a pas de terme à l’Action qui naît d’une pensée dualiste.

(Texte thibétain.)

Dr. SUZUKI : Ce qui distingue le Zen de tout autre enseignement religieux et du reste des enseignements bouddhistes, c’est peut-être ceci, en termes de psychologie : il faut devenir conscient de l’inconscient — mieux : être attaché sans attachement. En termes de métaphysique : le fini est infini, l’infini est fini. Quand on comprend cela, on a compris le Zen.

Pr. SMITH : Docteur Suzuki, vous dites que le Zen se caractérise dans l’ordre moral par l’attachement et le détachement. Comment faut-il l’entendre ?

Dr. SUZUKI : C’est très important. Dans la vie courante, aussi longtemps que nous vivons dans le monde réel, nous distinguons entre ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui est beau et ce qui l’est moins. Mais comme il est dit dans la Bible (dans une des épîtres de Paul, je crois), nous vivons dans le monde comme si nous ne lui appartenions pas. Voilà qui exprime l’idée d’attachement sans attachement.

Aussi longtemps que nous vivons selon la relativité dans un monde relatif, nous sommes attachés à une conception dualiste de la réalité. Mais sous ce monde (ou en lui, ou à côté de lui), il en est un autre qui le transcende sans lui être étranger et que j’appellerai le royaume de la transcendance. Dans celui-là, il n’est pas d’attachement, il n’y a ni bien, ni mal, ni faute, ni laideur.

Le lotus pousse dans l’eau sale, mais quand il s’élève au-dessus d’elle, sa fleur est parfaitement pure.

(Extrait d’un entretien entre le Dr. Suzuki et le Pr. Huston Smith à la radio américaine, avril 1959.)

As-tu appelé les oiseaux sans avoir un fusil à la main ? As-tu aimé la rose sauvage en la laissant sur sa tige ?

EMERSON.

Penser aux choses sensibles

t’attachera à elles.

Cet attachement t’y soumettra.

De ta soumission naîtra la colère

et de ta colère la confusion de ton esprit.

L’esprit confus, tu oublieras la leçon de l’expérience

et cet oubli te fera perdre le sens des valeurs,

c’est-à-dire le seul but de la vie.

(Bhâgavad-Gita.)

Notre pire malheur est de vouloir posséder

notre corps et le monde où nous vivons.

W. H. AUDEN, Canzone.

(Extrait de l’anthologie : Le monde du zen par Nancy Wilson Ross, Stock 1968)