Jean-Pierre Giudicelli De Cressac-Bachelerie
Les voies secrètes en occident

(Revue Le chant de la licorne. No 28. 1989) Depuis l’Antiquité se sont transmises en Occident les connaissances permettant d’accéder de manière directe à la transcendance, à « l’immortalité ». Selon les époques, les conditions géographiques, politiques et religieuses, elles furent véhiculées, souvent secrètement, à travers des confréries, des maîtres et des rites dont la […]

(Revue Le chant de la licorne. No 28. 1989)

Depuis l’Antiquité se sont transmises en Occident les connaissances permettant d’accéder de manière directe à la transcendance, à « l’immortalité ». Selon les époques, les conditions géographiques, politiques et religieuses, elles furent véhiculées, souvent secrètement, à travers des confréries, des maîtres et des rites dont la forme a pu varier mais dont l’essence est identique.

Cet article est la transcription de l’intervention de l’auteur au colloque Arc En Ciel, le 8 Octobre 1989.

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Les sources antiques

Chacun connaît les Écoles de Mystères de l’antiquité. Le spécialiste Levis Spence, en 1930, écrit: « La place des mystères égyptiens dans la Tradition secrète est claire et nette… Mais du fait de la négligence et de l’insouciance de ceux qui avaient reçu la charge de préserver ces valeurs, et peut-être davantage en raison de l’influence des cyniques, qui s’imposait de l’extérieur, leur beauté divine s’est trouvée graduellement détruite, de telle sorte qu’en définitive il n’a plus subsisté qu’un squelette décharné de rituels et cérémonies… » (In Mystères de l’Égypte et Secrets des Rites et Traditions du Nil).

Il a donc existé un ou des secrets hermétiques et on en trouve l’assertion catégorique dans le Livre Égyptien des Morts, où on lit (Chap. LXIV): « Celui qui sait cela (le secret de la résurrection ou plutôt de l’immortalité consciente) est bienheureux sur terre comme au royaume de la mort. C’est un mystère incorporel insondable… »

Derrière les représentations dramatiques qu’étaient les initiations – dont nous traiterons plus loin – des secrets étaient suggérés, secrets non seulement symboliques mais aussi pratiques; sans cela, en effet, efforts et quête n’auraient aucun sens.

Les écoles de mystères se perpétuèrent ensuite dans le monde hellénique et, toujours, nous trouvons la notion de secret. Citons Hérodote: « De même sur les fêtes d’initiation de Demeter… sur ces fêtes aussi gardons le silence… ». Pausanias, géographe du IIème siècle, écrit dans sa description d’Éleusis: « Pour ce qui se trouve à l’intérieur du sanctuaire, un songe m’a détourné d’en rien écrire, et les non initiés n’ont évidemment pas à avoir la moindre connaissance des choses dont la vue est interdite. » Et l’hymne précise: « Heureux parmi les hommes de la Terre, la vision de ces Mystères. » Sophocle évoque la célébration du bonheur de l’initié: « O trois fois heureux ceux des mortels qui après avoir contemplé ces mystères, iront dans le domaine d’Hadès car ceux-là seuls y posséderont la vie; pour les autres, il n’y aura que souffrance » (extrait d’une pièce intitulée Triptolème, vers 107).

Les mystères d’Éleusis comportaient par exemple les Petits et les Grands mystères, ces derniers étant subdivisés eux-mêmes en deux degrés.

Dans les Petits mystères qui étaient célébrés au printemps, au mois d’antherterion (fin février ou début mars), à Agra (faubourg d’Athènes), se déroulaient des cérémonies de purification et d’ablutions dans le ruisseau de l’Ilissas.

Les Grands mystères étaient célébrés un semestre plus tard à l’automne, au mois de boedromion (en septembre ou octobre).

Nous pourrions citer d’autres auteurs, dont Platon, mais notre but n’est pas de justifier historiquement une affirmation: que les mystères pratiqués conduisent à une maîtrise dans l’au-delà. Laissons également de côté les cultes dissidents dionysiaques (Zagreus, Sabazios, Isodaites) et les autres cultes et croyances (Adonys, Cybèle, Attis, Cabires).

Les mystères orphiques continuèrent en partie la tradition d’Éleusis, de même que l’ancienne famille sacerdotale des Licomides (d’Attique). Hérodote précise d’ailleurs que ces cultes orphiques, comme le pythagorisme, viennent d’Égypte, ce qui souligne la continuité d’une transmission. Le pythagorisme est le mieux connu, puisque de nos jours encore se perpétuent des courants pythagoriciens, et même un néo-pythagorisme exprimé par certains ordres, dont ceux liés à l’ex F.U.D.O.S.I (O::H::T::M:: de Sar Sottwey, 1926).

Le pythagorisme se répandit également à Rome. Ainsi, le philosophe Posidonius (135-50 av. J.-C..) toucha par son enseignement les plus grands hommes d’état de la République, dont Pompée. La Loge de Nigidius Figulus, « pythagoricien et mage paré de toutes les connaissances », membre du parti conservateur, et la Loge des Sextii, dirigée par Sextius le père, étaient aussi réputées: « Les Dieux, écrivait ce dernier, ne sont point dédaigneux ni jaloux. Ils ouvrent leur seuil et à qui veut monter jusqu’à eux, tendent la main… Dieu descend chez les hommes. Non, la relation est plus étroite: il descend en eux. » Ce dernier point est très important, car les Dieux ou Dieu se manifestent dans l’homme.

L’Isisme était répandu dans les plus hautes couches de la société, alors que les mystères de Mithra se propageaient, véhiculés surtout par les légions romaines.

Christianisme et voies cachées

A la période romaine succéda le totalitarisme chrétien, ou plutôt un certain christianisme. Libanius, que je cite dans mon livre, décrit les opérations de destruction des temples païens conduites par des fanatiques: « Les hommes vêtus de noir, portant des morceaux de bois, des pierres et du feu… quelques-uns se contentent de leurs mains et de leurs pieds… alors les toits sont abattus, les statues renversées, les autels détruits de fond en comble, quant aux prêtres, ils ont le choix entre le silence et la mort. »

Les initiés et les adeptes vont donc « chevaucher le tigre », c’est-à-dire aller dans le sens du courant: certains gnostiques et prêtres païens, en bons stratèges, se convertissent. Ils ont vu dans le christianisme une opportunité pour transmettre l’ancienne gnose. Quant aux écoles hermétiques, elles rentrent dans l’ombre, et si jamais elles en sortent, c’est la répression; les interdits concernant la Voharchadumia en 1488 en sont un exemple.

Ainsi, et c’est un point fondamental, certains adeptes vont cacher leurs secrets dans les rituelles chrétiennes et dans certains courants monastiques, les glissant surtout dans les rituels religieux et dans tout le formalisme des cérémonies. Les mystères païens d’Éleusis se transmettent donc avec les couleurs, les tenues rituéliques, les signes (mudras), les sons. L’Amen est en fait l’Amon égyptien. Gurdjeff dit lui-même que la messe n’est rien d’autre que la transcription de l’ancienne initiation pharaonique et certaines sociétés secrètes comme l’Etoile Internelle ou le Hyéron du Val d’Or, strictement chrétiennes, le prouvent. Ce dernier ordre, fondé sous l’inspiration du Révérend Père jésuite Drevon auquel succéda le Baron de Sarachaga, le Hieron, construit par la Société des Fastes Eucharistiques, portait écrit sur son frontispice: À Jésus Hostie-Roi. Selon Jacques d’Arès, « l’œuvre du Hieron (temple, palais ou hypetre) de Paray le Monial avait pour but la régénération totale, en proposant un enseignement complet basé sur une reconstitution aussi parfaite que possible de la tradition primordiale à travers ses différentes voies de transmission et à travers le christianisme qui en est l’aboutissement ».

L’Eucharistie, le Christ-hostie, étaient exaltés; cette affirmation de la présence de Dieu vivant par la prise de l’hostie est une clef des mystères majeurs. Il existe dans la vitrine du Hieron une cuillère à communion portant sur l’extérieur un scarabée et au centre la figure du Christ. Le Tau, dans une publication du Hieron, est aussi formé de deux serpents entrelacés avec pour couronne le symbole de la pomme, allusion aux mystères de l’Homme-Dieu, ou de la possibilité de la transformation de l’homme en Dieu.

Ce rappel pour démontrer que dans tous les véhicules des vieilles religions, l’aspect ésotérique ressurgissait, approuvé parfois par les autorités religieuses; le Hieron deviendra d’ailleurs la Ligue Universelle du Christ Roi en 1927 par un bref de Pie XI, et sera élevé à la dignité d’archiconfrérie Prima Primaria. Signe révélateur; les responsables du cercle ésotérique se transmettaient une chevalière en or portant un chaton de pierre noire sur lequel se détachait le portrait en blanc d’une femme: Cybèle, déesse de certains mystères. Le Hieron s’est éteint pour diverses raisons, mais il se disait dépositaire du Courant de Seth.

Les courants rosicruciens

Jusqu’au Moyen-Âge, les Mystères se répandirent soit en Famille, soit dans certains cercles très fermés à cause de l’intolérance chrétienne. Puis ce fut l’explosion progressive de certains courants, parmi lesquels les mouvements rosicruciens, aspect des courants hermétiques qui s’épanouirent avec intensité au XVIIIème siècle plus particulièrement.

Ainsi, parmi les plus connus, le conseiller aulique Rudolf Johan Friedrich Schmitt et les frères Von der Recke dépendaient d’un cercle rosicrucien situé à Fez, au Maroc. L’objectif était toujours identique pour les Rose-Croix: l’immortalité consciente obtenue ici-bas, et en cela ils suivaient les antiques traditions, telles qu’elles sont libellées dans les textes égyptiens et taoïstes. Ces textes précisent – comme le souligne Eliade dans Yoga, Immortalité et Liberté – que c’est ici-bas que doit s’accomplir la réalisation de l’œuvre: le corps de gloire doit être terminé avant la mort physique et cette immortalité consciente doit être créée, coagulée en un corps de lumière, que certains appellent corps christique, ou œuf volant de la tradition égyptienne et druidique.

Le corps de lumière

Savoret, dans Le Vrai Visage du Druidisme, écrit que « certains secrets n’étaient pas confiés indistinctement à tous les druides » et il note que l’histoire rapportée par Pline quant à la constitution d’un œuf fait avec la bave du serpent et maintenu en l’air par des sifflements renferme un des secrets majeurs du Sanctuaire. Pline prit cela pour une plaisanterie, mais même si l’on ne peut en donner ici l’explication, on retrouve dans cette image la tradition du corps taoïste ou du corps christique, ou même de certains corps bouddhiques.

Un ordre particulièrement intéressant exprimait, au XVIIème siècle parfaitement cette tradition: l’Ordre des Frères Asiatiques, ou Chevaliers et Frères de Saint Jean Évangéliste venus d’Asie en Europe, organisé par Von Eckoffen vers 1780. Dans cet ordre très fermé, dont un des responsables fut le prince de Hesse Kassel, ami du Comte de Saint Germain, on ne prenait au sérieux ni la Franc-Maçonnerie, ni les ordres rosicruciens. Il s’agissait d’une sorte de Cercle Interne hermétique réservé à quelques dignitaires d’autres ordres, dont les Rose-Croix: d’où les Frères Asiatiques avaient cinq degrés, dont deux probatoires (chercheurs souffrants), et trois supérieurs: les Chevaliers et Frères de Saint Jean l’Évangéliste venus d’Asie en Europe; les Sages Maîtres; les Prêtres rois, véritables Rose-Croix unis en Melchisédech. L’ensemble était dirigé par un collège supérieur, le Synédrion, qui comptait 72 membres. Précisons que la pratique de la pierre au rouge était abordée au troisième échelon, et qu’il était requis de connaître la pratique de la Pierre Philosophale avant d’accéder aux échelons supérieurs. Enfin, ceux qui étaient capables de contrôler leurs penchants inférieurs (sexualité) recevaient un enseignement concernant « la régénération du corps et la fabrication du corps de lumière » à partir de l’utilisation des forces vitales les plus pures.

La dégénérescence moderne

Gérard Heym, dans une vieille étude sur ces ordres, écrit: « Il n’en reste pas moins que la totale disparition de ces ordres demeure une énigme. » En effet, toutes les résurgences « modernes » sont bien loin de présenter un tel type d’enseignement, qui s’est perpétué dans de vieux ordres très fermés, n’ayant d’ailleurs rien à voir avec les diverses expressions actuelles extérieures; j’en parle en connaissance de cause, ayant pratiquement reçu toutes les filiations liées à certains ensembles tels que la F.U.D.O.S.I. ou la F.U.D.O.F.S.I. Les ordres secrets ne s’expriment pas en tant que tels et ne font pas l’objet d’une expression phénoménale affichée.

Ce que n’a pas vu Heym, c’est que la situation actuelle a changé: augmentation brutale de la population, dissolution des consciences ahuries par les médias et aspirées ou hypnotisées par les divers aspects de la vie moderne: instabilité professionnelle, pollution, fatigue des déplacements, stress lié au bruit et à diverses conditions administratives et fiscales, assistanat et ahurissement médiatique, remplacement progressif de l’élément naturel, champ, forêt, par les cubes de béton et de métal… En réalité, expansion de l’avoir au détriment de l’être. Résultat: une fatigue et un manque d’énergie liés à ces nombreuses agressions psycho-physiologiques, d’un monde qui va très vite, trop vite. La conséquence de tout cela est une incapacité intuitive à comprendre et deviner l’enseignement hermétique, qui nécessite, tout comme autrefois, une quête de Maître à Maître et dans les vieilles Familles, avec ce que cela implique de patience, d’énergie et de disponibilité.

Ces classes secrètes n’ont pas pour autant disparu. Elles sont restées simplement très occultées, et ne pouvaient plus apparaître ès qualité dans un monde qui, d’une certaine manière, ne faisait plus l’affaire de certains. Par exemple, la rosée est nécessaire dans certaines expériences alchimiques, pour recueillir la Matéria Prima ou nitre; or actuellement, il est très difficile de trouver de la rosée non polluée, sauf dans certaines campagnes. De ce fait, des ordres très fermés, comme l’Hermine d’Argent, ont préféré se mettre en sommeil car le manteau lumineux de la nature, dont l’élément est le bois, était enténébré par le métal, le béton, la pollution de la vie moderne.

Les étapes de l’initiation

C’est en étudiant la praxis des classes secrètes et quelques aspects formels qu’on peut entrevoir les problèmes et certaines clefs.

Il existait d’abord une phase préparatoire: les quêtes initiatiques sont liées à diverses phases purificatrices, particulièrement dans l’antiquité.

Purification par des cérémonies et un pèlerinage, reliés parfois à une visite des lieux sacrés.

Purification dans le vestibule d’un temple où se trouvait souvent un grand bassin. On remarque, au musée d’Éleusis, des jeunes filles portant les vases d’eau baptismale (on voit également des reliefs représentant un myste aspergé d’eau par le prêtre).

Autre aspect important de la préparation, révélé d’ailleurs par Clément d’Alexandrie: le jeûne. On sait ainsi que neuf jours avant l’initiation, le myste se préparait par un jeûne sévère. La tête du myste était recouverte d’une étoffe: la matière, dans le noir, était préparée intérieurement et extérieurement. Derrière cette préparation se cache donc une praxis, un aspect plus pratique de l’œuvre.

Jusque-là le mystère n’est guère important, sauf si l’on considère que derrière l’aspect extérieur de cette préparation, se cachent des impératifs pratiques, techniques.

Venons-en maintenant à l’initiation proprement dite, dont la première péripétie est encore « révélée » par Clément d’Alexandrie: « J’ai bu du breuvage mélangé ». Cette mixture, le Kikeyon, jouait un rôle important dans les mystères; elle constituait un repas sacramentel qui avait lieu dans la plupart des autres mystères, et je renvoie par ailleurs au livre de Burnouf, Le vase et ce qu’il contient, pour démontrer l’importance de cet aspect, souligné non seulement dans les initiations, mais aussi dans les diverses cérémonies liturgiques, y compris dans le christianisme et l’hindouisme. Cet aspect permet de rentrer en contact avec la divinité, de faire corps avec elle. Les diverses mixtures liées à ce repas sont connues, je dirais, « extérieurement »: farine et pavot dans les mystères d’Éleusis, produits fermentés (vin) ou soma chez les Hindous, par exemple. Chaque fois, en tous cas, il s’agit d’un produit issu d’une transformation, d’une fermentation, visant, pour qui y est préparé, à libérer les corps subtils. Ce fut le cas du Noa dans l’Hermine d’Argent (Ordre Hermétique de l’Hermine d’Argent).

Enfin, l’étape terminale, très secrète, de la quête initiatique, qui n’a jamais, sinon rarement, été suggérée et qui constitue l’essentiel des mystères et des clefs. Concernant ce stade, on ne dispose pratiquement d’aucune indication. Seul Briem (professeur d’histoire des religions à Lund) a fait une étude sérieuse en examinant la phrase mystérieuse de Clément d’Alexandrie: « J’ai pris dans le coffret, je l’ai manié, puis je l’ai placé dans la corbeille et de la corbeille dans le coffret. »

La transmutation des forces sexuelles

Le coffret sacré était au centre des mystères, il est souvent représenté sur les vases et les reliefs: on l’appelait Kibotos, « le coffre de bois ». Le Professeur Alfred Körte a montré que parmi les objets à l’intérieur du coffre se trouvait la représentation d’une vulve symbolisant le giron de la Grande Déesse. Dans les mystères Cabires, l’objet sacré était le phallus dont le contact permettait aux mystes d’entrer en rapport personnel avec les « dieux puissants ». De nombreuses figures nous indiquent qu’il en était de même avec le culte de Dionysos: on y voit souvent un phallus se dresser hors d’une corbeille pleine de fruits. Ces deux éléments contemplés par le myste, vulve et phallus, recelaient le secret de la vie et de la mort. On ne connaît pas la suite, qui faisait certainement l’objet d’un enseignement ou d’une révélation supérieurs, car c’est par l’utilisation de la puissance secrète cachée dans la sexualité, puissance serpentine (kundalini des Hindous), que le moyen de vaincre la mort existait; non pas, bien entendu, par son utilisation humaine, déperdition sur l’extérieur, ou par procréation, mais par la constitution en soi, par une voie mystérieuse des substances, d’un embryon d’immortalité et d’un corps de gloire tangible créé du vivant de l’ être humain.

La notion de secret est secondaire. Le problème réside dans la qualification du disciple qui, dans un premier temps, doit vivre le monde extérieur comme phénomène. En effet, si tant est que vous connaissiez le secret de l’immortalité et de la cristallisation d’un corps lumineux, que deviendrait-il si vous cristallisiez vos envies, vos angoisses, vos buts de petit humain? Vous seriez prisonnier dans le temps de vos propres fantasmes et il faudrait détruire toutes ces coagulations erronées. Par conséquent, l’étape purificatrice fondamentale ne pourrait s’accomplir que par une véritable modification progressive mais déterminée du disciple.

Ces étapes successives sont donc déterminantes et peuvent, avec beaucoup de volonté quotidienne, conduire à l’Éveil, car seule l’image du Soi qui resplendit en l’homme doit être cristallisée.

Les étapes ultérieures dépassent ainsi la notion d’ordre. Très peu de maîtres les connaissent et seuls ceux qui ont perdu ce monde peuvent s’ouvrir à l’autre; le monde phénoménal qui nous entoure n’étant qu’images ou substances utilisables.

Un éveil progressif

Meyrink écrit dans le Visage Vert: « Il n’est rien dont l’homme ne soit aussi formellement convaincu que d’être éveillé, alors qu’en réalité il est captif d’un filet de sommeil et de rêve qu’il a confectionné lui-même… » Tu dois monter d’échelon en échelon, de clarté en clarté dans l’état de veille si tu veux arriver à vaincre la mort dont les armes sont: le sommeil, le rêve et l’hébétude.

L’échelon inférieur de cette échelle de Jacob s’appelle déjà le « génie »; comment pourrions-nous nommer les échelons supérieurs! Ils demeurent inconnus de la foule et on les tient pour des légendes.

D’autres aspects techniques seraient à évoquer dont la voie précise des sons grâce à la maîtrise des trois phonèmes I O A qui permettent la séparation et la coagulation ou réunion de forces, selon les cas.

Le corps de gloire passe tout d’abord par la création d’un véhicule psychique ou « corps astral purifié » assez puissant dans lequel la conscience va ensuite se loger: c’est là la notion de « monter à cheval ». Les voies secrètes s’échelonnent donc sur un cursus techniquement précis, mais variable selon les possibilités du disciple, chacun dosant le feu qu’il met dans la quête, et cela en rapport avec ses potentialités; comme je l’indique dans mon livre: les voies secrètes sont des accélérateurs, des « raccourcis », mais il ne faut pas s’y tromper: ne peuvent prendre ces « raccourcis » que ceux qui ont déjà accompli un long chemin; ainsi, en fait, est rétabli le régime de la balance alchimique qui régit notre univers UN.

Autre aspect important des voies secrètes: elles sont « le Don de Dieu » ou d’un ami. En fait, elles ne sont productrices que si vous les avez découvertes par vos recherches, vos intuitions, vos projections mercurielles en vous-même; celui qui n’a pas eu la vision de l’Hermès ne doit pas les pratiquer, elles échappent aux contingences humaines; car il faut que Dieu ou les Dieux vous répondent et vous guident.

J’ai essayé de débroussailler un chemin de la sylve obscure. Les éléments principaux de la quête sont donc: la purification, la présence à soi-même, le jeûne et l’utilisation de la force la plus formidable que nous portions en nous – la force serpentine –, la théurgie pour avoir l’aide des Dieux et de Dieu, et enfin la compréhension du fait que notre univers quaternaire, monde du physique et des substances, n’est peut-être en fait qu’un reflet voilé du monde intérieur divin qui ne demande qu’à être utilisé.

Ensuite, les clefs sont les lois analogiques: ainsi pour l’alchimie extérieure, par exemple, le mariage du Ciel et de la Terre produit la Foudre, laquelle est la cause de la Materia Prima (et non la matière première de l’alchimiste) : le Nitre. Si vous rapportez ces analogies sur l’être humain, considéré comme matière de l’œuvre, vous n’avez plus que la pratique à découvrir.

En conclusion, je citerai Jean d’Houry, qui écrit dans Cosmopolite ou nouvelle lumière chymique en 1669: « Il ne s’agit pas en alchimie de procéder dans le vaste monde extérieur, mais de processus microcosmiques, très secrets, qui ont constitué la matière centrale des mystères depuis la plus haute antiquité. On peut donc dire à raison que la science hermétique est la plus haute science de l’humanité, très vraisemblablement issue de traditions que les anciens égyptiens désignaient avec respect sous le nom de Secret des Anciens ».

C’est à la recherche de ce secret que je vous souhaite de partir, pour ceux qui en ont le courage, tels de nouveaux chevaliers, dans une quête héroïque du Saint Graal ou Sang Real.

BIBLIOGRAPHIE

Pour la rose rouge et la croix d’or, par Jean-Pierre GIUDICELLI DE CRESSAC-BACHELERIE, Ed. Axis Mundi.