Evelyn De Smedt
L'esprit divinatoire

La quête divinatoire est un acte d’éclairement. Elle a toujours voulu illuminer, ne fût-ce qu’un instant, la nuit de l’inconnu, l’essence de la divination étant bien de mettre l’homme en correspondance avec les forces qui l’entourent, lui permettant de redécouvrir sa personna­lité comme totalité en osmose avec le cosmos. L’être baignant dans le continuum espace-temps n’existe pas comme entité isolée mais bien au contraire, se meut en inter-connexion avec autrui, la nature, le cosmos entier.

(Revue Question De. No 55. Janvier-Février-Mars 1984)

L’homme d’aujourd’hui, intéressé par l’as­trologie, les tarots ou un autre art divinatoire ne fait que succéder à des millénaires d’une humanité qui a toujours essayé de dompter le temps et de connaître l’avenir. En fait l’être humain, devant le mystère de la vie, a toujours eu l’intuition d’un ordre qui le dépasse, de lois qui échappent à la rationalité. Croire que l’art divinatoire se limite aux petites gens en quête d’espoir est un leurre. Il touche toutes les couches de la société. Certaines personnes recherchent seu­lement à travers lui des réponses ayant trait aux événements primordiaux de leur vie quotidienne d’autres consulteront l’art divinatoire pour, par exemple prendre des décisions importantes à des mo­ments favorables concernant des événements ou d’autres personnes. On peut aussi remarquer, même dans les tra­ditions les plus anciennes, que l’art divinatoire a tou­jours été l’auxiliaire de la décision des princes et gou­vernements de ce monde.

« Il y a deux espèces de divination : l’une est due à l’art et l’autre à la nature. Indiquez-moi, s’il se peut, une nation, une cité qui ne se gouverne point par des présages tirés des intestins des animaux, ou par les interprétations des prodiges ou des éclairs, ou par les prédictions des augures, ou par le jeu des sorts… Ou bien montrez m’en une qui n’ait pas recours aux songes et aux pressentiments qui nous viennent, dit-on, de la nature… », disait Ciceron.

La quête divinatoire est un acte d’éclairement. Elle a toujours voulu illuminer, ne fût-ce qu’un instant, la nuit de l’inconnu, l’essence de la divination étant bien de mettre l’homme en correspondance avec les forces qui l’entourent, lui permettant de redécouvrir sa personna­lité comme totalité en osmose avec le cosmos. L’être baignant dans le continuum espace-temps n’existe pas comme entité isolée mais bien au contraire, se meut en inter-connexion avec autrui, la nature, le cosmos entier.

LA SUBSTANCE DE LA VIE ?

Quelle est la substance de notre vie ? Personne, ni même la science ne peut répondre. Dans notre vie il n’y a pas de substance. Où pourrait-elle exister ? Nous ne pouvons pas décider. La substance de la vie existe dans chacune de nos cellules et dans le cosmos infini se trouve le pouvoir fondamental qui gouverne tout l’organisme.

Jadis, le soleil représentait le pouvoir cosmique fonda­mental du cosmos entier. Mais ce n’est qu’un système particulier et partiel. Autrefois la science céleste, la cos­mogonie permettait aux hommes d’aborder les suprêmes mystères qui constituent la béatitude parfaite. Dante, dans son chef-d’œuvre, la Divine Comédie, ce voyage allé­gorique, symbole de l’humanité aveugle qui s’égare dans le péché et les passions, nous livre un trésor complet de connaissance et de la science de l’époque sur l’histoire, la philosophie, l’astronomie, la théologie médiévales.

« Représentons-nous l’Enfer tel que Dante le décrit. C’est une immense cavité circulaire en forme d’entonnoir dont la pointe, dirigée vers le bas, aboutit exactement au cen­tre de la terre, où se tient Lucifer. Ce côté renversé est divisé en neuf paliers, sortes de gradins gigantesques, correspondant chacun à une catégorie de péchés.

Après avoir dépassé l’extrémité inférieure de l’entonnoir, les deux voyageurs remontent vers la surface de l’autre hémisphère où, dans une île inaccessible aux mortels, située au milieu de l’océan, aux antipodes de Jérusalem, s’élève une montagne. Dante y a placé le purgatoire, cou­ronné à sa partie supérieure par le Paradis terrestre. Plus haut, dans l’éther, s’étend l’Empyrée, espace infini, immobile, séjour de Dieu. » [1]

DES BULLES DE VIE

L’Infini signifie le non-noumène. Si on considère notre corps-esprit comme un microcosme celui-ci fonctionne de la même manière. De nos jours, la plupart des gens se tournent uniquement vers les phénomènes, le monde ma­tériel, limité. Mais, alors qu’il est possible d’expliquer les phénomènes qui s’enchaînent et sont interdépendants, il est difficile de parler du monde infini, invisible. On ne peut en donner que certaines approches. C’est ce monde absolu, invisible, sans limites qui fonde les arts divinatoires ; ceux-ci révèlent le non-manifesté, les po­tentialités.

« Chacun naît puis finit dans un cercueil. L’existence est courte, limitée comme des bulles sur l’eau de la rivière, à la surface du courant, disait un grand Maître Zen, Taisen Deshimaru. Ces bulles existent, on peut les voir. Elles ont de multiples aspects. L’éclatement de ces bulles est la mort, le retour au courant du cosmos.

Le courant de la rivière n’est pas toujours égal mais garde toutefois une activité potentielle. Parfois des ro­chers le dérangent, parfois il s’accélère ou stagne. Vu du monde infini, les bulles, les existences forment des zigzags, notre corps, notre sang se propulsent sous forme d’ondulations.

Il faut comprendre ce monde invisible, potentiel. Ici et maintenant on peut l’atteindre. Pas besoin d’attendre la mort. Il faut regarder les choses du point de vue du monde du courant de la rivière et non de celui des bulles qui ne représente que le monde phénoménal. Le monde des phénomènes n’existe pas seul… »

De la même manière, les pratiques divinatoires sont des méthodes, des disciplines permettant de dépasser le monde des relativités pour accéder au monde de l’Absolu.

INTERPRÉTER LES FORCES

Ces méthodes sont extrêmement nombreuses et varient suivant les époques et l’environnement. L’observateur impartial qui ne s’intéresse qu’au succès illusoire qu’on leur attribue dans une interprétation vulgaire, défigure l’essence même de la divination.

Jadis, le rôle du chamane ou du sorcier était très impor­tant dans les sociétés. « Le chamane, maillon d’une chaî­ne initiatique peut guérir et prévoir ; il est capable d’entreprendre de périlleux voyages dans l’au-delà, de mener de difficiles combats invisibles, il veille à l’équilibre des forces. Artisan d’une lente évolution de l’espèce, explo­rateur infatigable, danseur et chanteur de l’Inconnu qui l’appelle, c’est lui qui entraîne le groupe vers de nouveaux terrains de chasse, de guerre et de connaissance. Sous sa guidance, lui-même guidé par ce qu’il découvre, l’humain se déplace et se dépasse. » (Vincent Bardet)

De tout temps l’homme a essayé de connaître davantage, de percer un peu plus chaque jour le mystère de ses origines et celui de sa destination ultime. Le moteur de toute recherche divinatoire vise la finalité de l’existence et les circonstances suivant laquelle elle se déploie. Les arts divinatoires, par le processus mental et la démarche intuitive qui les fondent ont la même démarche que les travaux scientifiques les plus modernes, en établissant des lois de correspondances entre l’homme et l’Univers. En ce sens, ils sont une recherche, une quête de la Vérité. Nous n’existons que par interdépendance. Nous n’avons pas de substance propre. Tout change sans cesse. Bien utilisés, les arts divinatoires permettent un dépassement de soi, un regard sur la réalité du monde, une interprétation de l’Absolu.

1 Giorgio Perrin, extrait de la préface de la Divine Comédie, Ed. Jean de Bonnot.