André Niel
L'Expérience du Divin selon « La Synthèse des Yogas » de Sri Aurobindo ‎ ‎

Il n’y a pas de recette absolue pour faire l’expérience du Divin : « La connaissance ou l’expérience (de l’infini) peut commencer n’importe où et s’exprimer à travers n’importe quoi — car le Divin est en tout et tout est le Divin. Mais plusieurs voies de découverte peuvent être envisagées.

(Revue Etre Libre. Numéros 167-170, Déc. 1959 – Fév. 1960)

Ces lignes sont un résumé-commentaire des  pages 120 à  137  de La Synthèse des Yogas (« Bulletin  d’Education physique », de l’Ashram de Sri Aurobindo,  à Pondichéry – Ch. IV – Novembre 1958 – Traduction de  l’anglais par la Mère)

1) Page 120 : Dans le Yoga intégral, de Sri Aurobindo, on ne va pas à Dieu par la foi, mais par l’évidence de la connaissance. Cette connaissance de Dieu est, plus précisément, une expérience du Divin. L’expérience du Divin nous découvre à nous-même notre vrai Moi, qui, dans son essence, est à la fois personnel (personne finie) et impersonnel (personne infinie).

Il n’y a pas de recette absolue pour faire l’expérience du Divin : « La connaissance ou l’expérience (de l’infini) peut commencer n’importe où et s’exprimer à travers n’importe quoi — car le Divin est en tout et tout est le Divin. Mais plusieurs voies de découverte peuvent être envisagées.

2) Page 121 : Je peux, à partir de ma simple conscience personnelle, prendre conscience du grand Moi. Dans ce cas, je me découvre moi-même comme aspect de l’infini avant d’y comprendre tous les êtres. Mais pour faire cette découverte, il faut que mon petit je personnel consente à s’inscrire dans le grand Moi impersonnel, ou la « Personne illimitée ». Autrement dit, l’égo doit faire l’expérience d’un saut hors de lui-même (sans s’annihiler : c’est le vrai « sacrifice », qui n’est pas immolation, mais don de soi; non pas effacement, mais accomplissement de soi – p. 113).

3) Page 122 : Mais je peux aussi commencer à découvrir le Divin dans le non-moi, dans le monde, dans les êtres, comme un infini habitant tout. Alors, je me sens gagné par son impulsion, et le petit moi personnel devient Cela qui sous-entend et imprègne l’univers.

4) Page 122 : Une autre forme de l’éveil est la vision d’un Inconnaissable transcendant « ineffablement élevé au-dessus de moi et au-dessus du monde ». Cette Réalité s’impose alors avec une telle puissance que le moi et le monde (le moi et le non-moi) apparaissent comme des « ombres cinématographiques », et sont menacés de dissolution. Mais finalement ces ombres se réaniment de la vie du Divin. En effet, le mental individuel, qui a fait le saut hors du champ relatif du moi et du non-moi, revient finalement dans ce champ pour l’animer de la force spirituelle du Suprême. Et il accepte à la fois cette double existence : le monde relatif tel qu’il est, et la Transcendance avec son propre contenu infini.

5) Page 123: D’autres réalisations sont moins complètes. Elles découvrent des aspects du Divin « non inhérents à son essence même », mais elles doivent également être explorées, car elles assouplissent et animent d’une chaleur vivante notre connaissance de la Vérité.

6) Page 124 : L’éveil à l’unité du Moi omniscient et du moi fini et relatif. Le chercheur complet participe aux activités du monde où il vit, et il doit résoudre un grand problème, celui de la dualité entre le monde manifesté, tel qu’il est (violent, injuste, éphémère), et la perfection intemporelle de l’Etre a-spatial et intemporel, qui est aussi son Moi profond.

7) Page 127 : Ici est le début d’une longue expérience spirituelle… au terme de laquelle le chercheur découvre que le monde des apparences multiples (mâyâ) « n’était rien d’autre que la Conscience-Puissance de l’Éternel répandue ici-bas pour le miracle de la lente manifestation du Divin dans le mental, la vie et la matière ». Le chercheur prend conscience qu’une Supra-conscience descend en lui par le jeu du temps. C’est la découverte de la marche de l’existence vers la Vie divine.

8) Page 127 : L’éveil à l’unité conscience pure — existence dynamique. Il y a une dualité entre le Moi profond, qui est une grande Ame-conscience immobile, et la Nature, qui est énergie en devenir. La conscience pure du moi-non moi est un sujet des profondeurs, qui reste immobile dans sa vision du moi-au-monde; mais l’action du moi dans le monde est réelle (il a faim, il a froid, il veut aimer). Le chercheur perçoit alors intensément « la grande dualité Ame-Nature, Pourousha-Prakriti » (p. 128).

9) Page 128: Mais il découvre peu à peu qu’en réalité la Conscience profonde, l’Ame-témoin, l’Etre- immobile, le Moi-immortel, est la source de toute énergie concrète, dans le corps comme dans la nature. L’Ame-conscience immobile, d’une part, et la Nature évolutive, d’autre part, lui apparaissent alors comme les deux faces d’une même réalité. Il découvre l’Ame- éternelle du monde dans chacune des énergies naturelles (matérielle, biologique, mentale); et, d’autre part, chacune de ces énergies se découvre à lui dans l’Etre immobile.

10) Page 130 : L’éveil au sens de l’unité Divin-immanent et Divin-transcendant. L’idée d’un Divin « Maître de la connaissance et des forces », « Origine des mondes » et « Créateur de toutes choses », s’oppose certainement à l’idée d’un Divin « en tant que puissance par qui tout devient et grandit », autrement dit énergie immanente. Mais cette énergie immanente à la Nature se révèle finalement au chercheur comme « Puissance consciente une en substance et en nature avec le Suprême d’où elle est venue ». L’élan de l’énergie immanente à la matière et à la vie travaille, en effet, « au développement de la conscience divine en nous » (p. 131).

11) Page 131 : En réalité, l’éveil au sens de l’unité du Transcendant et de l’Immanent, plus que les deux précédents éveils, rapproche le chercheur du « secret intime et ultime de la Transcendance et de la Manifestation » (ce secret est aussi celui d’une Conscience se répandant en énergie créatrice apparemment inconsciente dans le monde multiple où nous vivons).

12) Page 133 : L’éveil à la complémentarité de la Personne et de l’Impersonnel. L’Inconscience dans la Nature évolue lentement vers l’homme, en lequel émerge « une conscience et une personnalité précaires ». Puis cette conscience personnelle, « quand elle évolue spirituellement », fait l’expérience d’une « Supra-conscience infinie, impersonnelle et absolue ». Ici apparaît une dualité mystérieuse entre, d’une part, la Personne finie, telle qu’elle sort de l’inconscience naturelle, et, d’autre part, l’Impersonnel, ou personne agrandie aux limites de l’infini.

13) Page 134 : Mais le chercheur qui a parcouru la distance qui sépare le personnel (égo limité) et l’impersonnel (la personne, le Soi, illimitée) ne s’en tient pas là.

Il redécouvre finalement son Ego fini, dans un Ego libéré, mais non pas annihilé. L’égo personnel limité est simplement entré en contact, en communication avec la Source illimitée, il s’est ouvert. On comprend alors que, dans le cœur de l’infini impersonnel, la personnalité multiple puisse être, sans contradiction, le sens même et le but de la manifestation. La création cosmique n’est plus une illusion.

14) Page 135 : Conclusion. L’Expérience du Divin dans l’homme est le but de l’évolution biologique et spirituelle, qui tend à la descente complète du suprême dans les individus multiples. On peut dire que, dans chacun de nous, l’ignorance tend à faire place à la connaissance. Avec le triomphe de la connaissance, le mental ordinaire est dépassé (mais non annihilé). La Réalité intégrale, qui est la Conscience-Univers, la Conscience-Existence, « se perçoit elle-même dans la lumière d’une conscience spirituelle et d’une conscience supra-mentale ».

Il semble que, pour Sri Aurobindo, ce soit par le contact de l’âme individuelle avec le Divin que le Divin prend conscience de lui-même dans l’infini. On pourrait alors supposer qu’éternellement l’Ame-conscience fondamentale demande à émerger dans l’individu, comme l’individu tend éternellement à se réaliser dans le Moi fondamental, dans la Personne illimitée. Là serait le secret de la vie,

André NlEL.