Claude Tripet
Libération... aujourd'hui... maintenant

En effet, sous des noms divers : réintégration pour les philosophes du XVIIIe siècle, rédemption pour les Chrétiens, moksha pour les Orientaux, c’est le but final de la recherche de nombreuses philosophies et religions. Ce doit être notre seule préoccupation. La première question, qui se pose est la suivante : Nous libérer oui ! mais de quoi ? Qu’est ce qui nous attache ? Qu’est ce qui nous empêche de progresser ?

(Revue Le Lotus Bleu. Décembre 1982)

INTRODUCTION

Le sujet qui a été choisi comme thème de cette Ecole d’Eté : la LIBERATION, est le seul qui mérite notre attention et nous pouvons remercier ceux qui l’ont retenu.

En effet, sous des noms divers : réintégration pour les philosophes du XVIIIe siècle, rédemption pour les Chrétiens, moksha pour les Orientaux, c’est le but final de la recherche de nombreuses philosophies et religions. Ce doit être notre seule préoccupation.

La première question, qui se pose est la suivante : Nous libérer oui ! mais de quoi ? Qu’est ce qui nous attache ? Qu’est ce qui nous empêche de progresser ?

La réponse est claire et évidente : c’est notre personnalité. Nous utiliserons ce terme dans le sens employé par les auteurs théosophiques et non suivant la définition des psychologues. La personnalité, c’est l’ensemble des trois niveaux de conscience : physique, émotionnel et mental. C’est la chose à laquelle chacun d’entre nous tient le plus. C’est la chose que l’on est le moins prêt à transformer, car on ne veut pas perdre son identité. Et pourtant, il faudra bien bouleverser cette personnalité si l’on veut être un jour libéré. Le Dr. Taimni nous dit qu’il n’est possible de parler que des couches de conscience que nous pouvons appréhender. Les autres, celles de l’individualité ne peuvent être comprise que par l’expérience directe et personnelle. Alors, laissons à ceux qui veulent rêver le soin de le faire et occupons-nous de ce qui nous enchaîne présentement.

Pour illustrer ceci prenons deux images. La première : le sceau de la Société Théosophique, le sceau de Salomon, deux triangles entrelacés. Le triangle blanc représentant notre individualité et ses trois niveaux de conscience : Divin (Atma), Intuition (Buddhi), Intellect (Manas). Ce triangle est immortel et c’est lui qui attend sa Libération. Le triangle bleu, qui retient enchaîné le premier triangle, c’est notre personnalité, ses pointes représentent le physique, les émotions et le mental. Une autre image que j’utilise fréquemment, c’est celle de l’hydravion posé sur les flots. Cet hydravion, notre individualité, est ancré par une chaîne au fond de la mer. L’ancre, c’est le physique, la chaîne c’est nos émotions, la mer notre mental. Cette ancre et cette chaîne empêchent l’hydravion de s’envoler. Lorsque notre mental est agité et il est perpétuellement agité, il secoue la chaîne et l’ancre et secoue aussi dans une certaine mesure notre hydravion. Nous devons à un moment relever l’ancre pour que notre machine volante puisse prendre son essor dans les airs, mais cela ne sera possible que lorsque la mer sera parfaitement calme.

Nous constatons tous les jours l’étroite interaction de nos trois niveaux de conscience inférieurs, prenons quelques exemples :

Une personne est victime d’un accident de voiture et est défigurée, immédiatement ses émotions ont une action sur son mental : je vais être un objet de répulsion pour les autres, je ne vais plus être aimé, je vais perdre ma place etc… et ceci avant même de savoir si véritablement cet accident aura une conséquence dans sa vie affective et relationnelle. A l’inverse, lorsqu’une personne se fait rectifier le nez, les oreilles ou la poitrine par la chirurgie esthétique, on assiste à une complète transformation des émotions et du mental qui se traduit par plus d’assurance, une plus grande facilité d’expression.

Lorsque l’action se passe au niveau des émotions, par exemple la perte d’un être cher, un conjoint qui quitte le domicile conjugal, on assiste souvent à tout un processus de culpabilisation au niveau du mental qui se répercute sur le physique par toute la cohorte des maladies dites psychosomatiques. Un ami rhumatologue me disait qu’une de ses patientes a été immobilisée par des rhumatismes aux genoux la semaine après que son fils se soit marié. Il l’a soignée pendant deux ans sans grands succès, puis il l’a perdue de vue. Un jour il rencontre la dame dans la rue qui marchait de manière très alerte. Il l’aborde et lui demande de ses nouvelles. Ses rhumatismes ont disparu et au cours de la conversation il apprend que le fils s’est tué, une année avant, dans un accident. On pourrait citer de nombreux cas d’obésité dus à l’action du mental sur le physique, nous en reparlerons plus loin. Chacun sait que lorsque l’on a une émotion, le taux d’adrénaline monte immédiatement.

L’action peut se situer directement au niveau du mental, c’est ce que j’appellerai le cinéma intérieur. Des personnes insatisfaites par leur travail ou leur vie familiale, commencent à fantasmer, elles s’imaginent que leur chef de bureau ou leurs collègues leur en veulent, alors que le chef de bureau a bien d’autres préoccupations, elles s’imaginent des persécutions et avec les mois et les années ce cinéma mental et émotionnel agit sur le physique et l’on voit apparaître les ulcères d’estomac, les maladies de foie, etc… Je pourrais vous citer le cas d’une personne qui a décidé, il y a 14 ans, qu’elle était impotente et s’est installée dans une chaise roulante pour ne plus en bouger. Nous savons pertinemment qu’elle n’a aucune maladie organique. En résumé, nous devons agir sur les trois plans si nous aspirons à la libération, car ils sont totalement interdépendants. Comment entamer le processus de notre libération ?

Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de dire certaines choses très clairement. Si vous désirez vous libérer, il faut commencer AUJOURD’HUI et MAINTENANT, d’où le titre de cet exposé, non pas demain ou dans dix ans. Il ne faut pas dire, je suis trop vieux ou trop jeune. AUJOURD’HUI et MAINTENANT.

Dans un livre du Dr. Taimni paru en anglais sous le titre « Self Culture » et traduit en français sous le titre « Auto-Culture », il est dit que nous ne devons pas penser que nous n’avons qu’une vie, mais que l’évolution se poursuit sur un grand nombre de vies. Nous sommes tous d’accord ici de la véracité de cette affirmation même si ce n’est qu’une hypothèse de travail pour la plupart d’entre nous. Où je ne suis pas d’accord avec le Dr. Taimni c’est que nous devons agir aujourd’hui et maintenant comme si nous n’avions qu’une vie et que nous devions atteindre la libération dans cette vie. Le fait de croire à la réincarnation autorise trop de personnes à s’imaginer que l’on a toute l’éternité devant soi pour se transformer et progresser. Comment se libérer ?

Toutes les sociétés initiatiques depuis la plus haute antiquité, affirment que le premier pas sur le Sentier de la Perfection commence par le « Connais-toi toi-même ». C’est la partie la moins facile, car chacun fait montre d’une grande mansuétude pour ses propres défauts alors que généralement on est les premiers à relever ceux des autres. Il est difficile aussi de trouver un ami suffisamment fraternel pour vous indiquer les défauts que vous persistez à ne pas voir. On peut recommander comme première démarche l’établissement d’un thème astrologique et une analyse graphologique par des spécialistes sérieux évidemment. Une analyse transactionnelle ou psychanalytique peut être une bonne indication, mais celles-ci sont généralement très longues et coûteuses. Une autre méthode, plus rapide et moins onéreuse est de suivre un séminaire de dynamique (Ne pas confondre avec les séminaires de thérapie de groupe (note de l’éditeur)) ou activation mentale, qui vous permet en 2 ou 3 jours de faire des expériences fondamentales telles que revivre votre naissance et votre précédente mort. Ceci vous permet de mieux comprendre les nombreux problèmes de votre prime enfance, vos relations parentales et vous libère de cette crainte de la mort qui est intérieure à tout être humain et qui augmente avec l’âge même si vous avez étudié la théosophie pendant 50 ans.

Ceci ne sont que les prémices d’un travail en profondeur qui doit vous amener à rompre vos CONDITIONNEMENTS, casser les habitudes et les travers, rejeter les idées reçues, en un mot vous remettre en question sur les trois plans de conscience.

PHYSIQUE

C’est le niveau qui nous est le plus accessible. Faites un petit effort de mémorisation et revoyez votre journée depuis le moment où vous êtes levés. Non pas dans les grandes lignes, mais dans les petits détails. Vous constaterez que dès votre levé, vous êtes pris dans un engrenage d’habitudes et de gestes mécaniques, que cela soit pour faire couler votre bain ou prendre votre douche, pour boire votre café, pour vous brosser les dents ou vous coiffer, pour vous rendre à votre travail et ceci jusqu’au moment de vous recoucher. Certes les vacances viennent couper pendant une période cette série de gestes mécaniques mais l’on entend souvent des personnes dire à la fin des vacances : « Comme je suis content de revenir à la maison pour reprendre mes habitudes ». La presque totalité de ces gestes journaliers sont faits tellement automatiquement que la pensée n’y est pas attachée et que le mental s’égare dans toutes les directions. Ne me dites pas que vous faites exception, car très rares sont ceux qui maîtrisent totalement tous les gestes de la vie courante. Voulez-vous faire un essai ? Au déjeuner, vous couperez vos légumes de la main gauche, pour les droitiers et vous vous laverez les dents de la main gauche. Vous étudierez votre façon d’ouvrir une porte, d’allumer votre poste de télévision. Ces habitudes vous les avez aussi dans votre manière de vous vêtir. Il faut dire qu’actuellement les impératifs sociaux dans ce domaine tentent à disparaître. Je me rappelle qu’il y a une quinzaine d’années, il était inconcevable aux Etats-Unis pour un homme d’affaires de se rendre au bureau sans chapeau et sans col blanc. Vos habitudes vous les avez aussi dans votre façon de vous nourrir et vous jugez toute nourriture qui vous n’est pas familière en fonction de ce que vous avez l’habitude de manger. Permettez-moi de faire une parenthèse à ce sujet, au risque de choquer certains d’entre vous. Leadbeater dans un des livres de commentaires intitulé « La Voie de l’Occultisme » déclare que l’on doit être ferme sur les principes et souple sur les choses de peu d’importance. Parmi les principes, il cite le végétarisme. La raison principale d’être végétarien, beaucoup d’entre vous l’êtes, doit se situer au niveau de l’abolition de la douleur et de la peur chez les animaux, mais si l’on me dit que c’est pour purifier son aura et son corps astral, je vous répondrai qu’il faut d’abord commencer par extraire de vous la jalousie, la médisance, les petites inexactitudes verbales, l’égoïsme, qui ont sur votre aura un bien plus grand effet que l’ingestion d’une tranche de jambon.

Pour en revenir à nos habitudes physiques, il n’existe qu’une méthode de les contrôler, c’est ce que l’on nomme la VIGILANCE. Etre vigilant n’est pas chose aisée, cela nécessite une mobilisation du mental pour chaque acte de la vie, une attention soutenue. Il ne vous sera alors plus possible de manger devant votre poste de télévision ou de lire le journal en buvant le thé. Vous découvrirez alors une saveur à la vie que vous ne soupçonniez même pas. Cette méthode a aussi un avantage, c’est qu’elle rend silencieux les gens qui la pratiquent. Ne vous imaginez pas que je me fais le censeur de vos habitudes, la technique de la vigilance est enseignée dans toutes les grandes traditions. Les Maîtres Soufis donnent à leurs élèves des « shilas », ce sont des tâches à exécuter, souvent complètement déroutantes, comme par exemple : « Vous irez chercher un objet caché dans le jardin à trois heures du matin » ou « Vous rapporterez cinq kilos de pruneaux », alors que la saison des pruneaux est passée. Ces exercices qui peuvent paraître ridicules ou enfantins sont là pour rompre le circuit des habitudes, obliger l’élève à se maîtriser. Les Maîtres Zen font balayer la cour ou porter de l’eau.

En raccourci, c’est la maîtrise de soi dans l’action donnée par « Aux pieds du Maître ». Beaucoup plus tard, lorsque la vigilance sera totale, l’élève pourra passer à un autre stade qui est la consécration permanente au divin de tous les actes journaliers mais nous n’en sommes pas là.

EMOTIONS-SENTIMENTS

Pénétrons plus avant dans la conscience et arrivons au niveau des émotions et des sentiments. Nous constatons que le monde autour de nous est dirigé par les émotions. Il n’y a qu’à regarder la foule lors d’un match de football, lors d’une manifestation politique, d’un concert de rock, l’attrait des masses pour les films dits à sensations ou d’horreur.

Les dirigeants politiques agissent en permanence en utilisant les émotions telle que la peur de la bombe atomique. Des guerres, comme celle des Malouines, font tuer des milliers d’humains au nom de l’honneur national.

Ne croyons pas que nous soyons exempts d’émotions parce que nous sommes dépositaires d’une philosophie ou d’une religion, le mal est plus pernicieux car il aboutit à une distorsion des sentiments et de l’échelle des valeurs, nous apaisons nos sentiments en donnant quelques sous pour le Biafra ou en envoyant une couverture aux petits tibétains. Nous sommes prêts à dépenser 3 frs par jour pour la viande du chat, mais incapables de nous restreindre pour venir au secours du monde qui crie de famine. Ici aussi, nous devons nous entraîner à la vigilance, certes nos livres d’éthique nous disent de purifier les émotions, mais cela n’a aucun sens si nous n’entreprenons pas aujourd’hui et maintenant de nous ressaisir. Chaque émotion doit être analysée. Est-ce que je réagis correctement dans telle ou telle circonstance ? Est-ce que mes sentiments ou ressentiments pour telle personne ne sont pas dictés par des impressions subjectives comme l’aspect physique, l’habillement etc… ou au contraire est-ce que j’aborde les autres avec SYMPATHIE, qui étymologiquement veut dire : en conformité de sentiments. Plus vous pénétrez dans la conscience plus l’autoanalyse est difficile, plus les habitudes sont difficiles à corriger. Sur le physique, il est encore aisé de se transformer, sur le plan des émotions cela devient plus ardu et cela l’est encore plus sur le mental.

MENTAL

Dès notre plus jeune âge, nous sommes baignés par un flot d’idées reçues qui proviennent de nos parents, de l’école, du milieu social, de la religion, du pays dans lequel nous sommes élevés. Idées reçues sur le racisme, la politique, la richesse, la pauvreté, le mal, le bien. Il devient dès lors urgent de reprendre chaque notion au fur et à mesure de leur émergence de notre cerveau.

L’imbrication entre le mental et les sentiments est tel que nous n’arrivons pas à les dissocier. Le cerveau humain est une machine merveilleuse dont nous n’utilisons que 10%, nous disent les spécialistes. Des chercheurs ont développé de nombreuses méthodes pour augmenter notre capacité mnémonique en retrouvant d’anciennes techniques utilisées par les Rajah Yogui des Indes. Le problème fondamental est là. Croyez-vous que, parce que vous aurez mémorisé le Larousse ou appris le chinois en trois semaines, vous aurez progressé d’un pas sur le Chemin de la Libération. Indubitablement non, si ce processus de mémorisation n’est pas accompagné d’un changement radical dans la façon d’agir et de penser. Je le répète ici pour les Théosophes, vous pouvez pendant 30 ans étudier la Doctrine Secrète, la connaître par cœur, vous pouvez tout savoir intellectuellement sur les rondes, les chaînes, les Pralayas et les Manvantaras, tout ceci ne sera qu’une perte de temps et vous n’aurez pas progressé d’un millimètre vers votre Libération si vous ne changez pas vos habitudes physiques, émotionnelles et mentales. Le philosophe du XVIIIe siècle Louis-Claude de St. Martin nous dit : « Il ne faut pas se casser la tête, mais le cœur ». Tout est là.

C’est la véritable maîtrise de soi quant au mental. J’irai encore plus loin : nous possédons de magnifiques livres d’éthique que nous nous efforçons de lire consciencieusement tel Aux Pieds du Maître qui, nous dit-on, devrait nous conduire à la première initiation si nous le mettions en pratique et je dis qu’avant d’essayer d’atteindre des qualités initiatiques tellement élevées, nous devons reprendre le contrôle de nos véhicules inférieurs et seulement après, nous aurons quelque chance de mettre à profit ces enseignements. Un maître spirituel a dit : « Vous ne pouvez être libre que si vous vous éveillez et pour s’éveiller il faut lutter » et j’ajouterai lutter contre soi-même et ses habitudes.

J’aurais peut-être dû pour commencer cet entretien avec vous, faire un rappel de quelques notions de psychanalyse qui permettent de mieux nous comprendre et surtout de comprendre les autres. Les psychanalystes nous disent que l’enfant depuis le moment de sa naissance jusqu’à l’état adulte passe par trois phases distinctes :

1) La phase orale qui correspond à la période où la seule préoccupation du bébé est de se nourrir. C’est la période de développement du corps physique.

2) La phase anale, c’est la période où l’enfant prend conscience de ses excréments, mais aussi où commence la formation des sentiments qui se manifestent par la volonté, la révolte. C’est la période où la mère commence à opposer sa volonté à celle de l’enfant, c’est le départ de l’agressivité. Pour nous, c’est le temps de formation de l’astral.

3) Vient la période scolaire où le mental se meuble et se structure, période qui se terminera par la puberté et le développement des pulsions sexuelles.

Que se passe-t-il lorsque l’humain est adulte ?

Au moment où l’adulte rencontre des obstacles sur sa route, qu’il a des problèmes de relation avec ses supérieurs ou avec ses proches, qu’en un mot cela ne va pas comme il voudrait, il fait un retour inconscient à une des périodes précitées. Pour certain, on assiste au retour à la période orale et c’est la fuite dans la nourriture et la boisson. Je suis certain que chacun d’entre vous connaît le cas d’une personne qui lorsqu’elle a un ennui professionnel se paye un bon repas bien arrosé, ceci lui aide à supporter les vicissitudes de la vie. Nous savons dans les Hôpitaux qu’il existe des cas d’obésité fonctionnelle, mais la plupart sont dus à des causes psychologiques. L’étude scientifique des cas de boulimie ne fait que débuter. La nourriture et la boisson sont une fuite devant la réalité. Vous n’avez qu’à passer un après-midi dans une pâtisserie et vous verrez des groupes d’hommes et de femmes devant des petits gâteaux à la crème. Ces réunions permettent aussi d’échanger le récit des déboires que l’on a avec son mari ou sa femme. Souvent l’alcoolisme part du même désir de fuite, on boit son insatisfaction.

Lorsque le refuge se fait dans la phase anale, il est caractérisé par le développement de l’agressivité. Agressivité avec les collègues de bureau, lorsque l’on doit se contenir dans le milieu familial. Agressivité à la maison lorsque le milieu professionnel est contraignant. D’où le manque de cohésion dans tant de ménages modernes, qui aboutit à tant de divorces. D’où tant de conflits entre employés dans le monde professionnel. Soyez certain que je connais ces problèmes, ayant la responsabilité de plusieurs centaines d’employés, il ne se passe pas un jour sans un conflit dans l’un ou l’autre des départements à telle enseigne que l’Université de Genève a dû créer un service de relations humaines pour s’occuper de ces cas. Lorsque l’on analyse ces différents on constate que la plupart se situent à un niveau purement émotionnel.

La fuite peut se passer au niveau du mental, alors on assiste à l’élaboration des fantasmes qui vont des plus simples aux plus délirants. Chez certains, c’est la création d’une seconde personnalité, on s’imagine être ceci ou cela, ce sont les transferts sur des héros de films ou de romans. On se croit important ou irremplaçable. On s’affilie à des sociétés dont on devient rapidement membre du comité pour jouer le rôle que la vie, et souvent nos capacités, nous refusent. On s’endette pour posséder une voiture au-dessus de nos moyens pour impressionner les voisins ou on la transforme avec des gadgets pour ne pas passer inaperçu. Ceci ce sont les fantasmes que l’on pourrait appeler extériorisés, mais il y a tous les fantasmes intériorisés, les fantasmes refoulés, qui habitent en chaque être humain et sont souvent conjoints avec les pulsions sexuelles, d’où la prolifération de publications et de films pornographiques et érotiques, d’où la prolifération de prostituées spécialisées pour satisfaire les fantasmes de leurs clients.

Ne croyez pas que c’est un produit de notre civilisation, cela a toujours existé car c’est inné à la nature humaine, seulement maintenant cela se fait au grand jour.

Devant cet état de fait, devant l’insécurité de la vie, devant le doute qui plane sur le futur, des personnes s’accrochent, comme des naufragés à une épave, à toutes les théories philosophiques ou religieuses qui leurs sont présentées, elles se rallient à une secte, puis à une autre en cherchant la sécurité et souvent la dépendance ce qui leur évite de s’affronter elles-mêmes. Ne nous leurrons pas, nous ne sommes pas exempts de ces problèmes, car, chaque société humaine est un microcosme et à l’intérieur de ce microcosme toutes les tendances sont représentées.

Celui qui dit : « Cela ne me concerne pas, car je suis déjà tellement évolué » ne fait que mettre un masque sur sa vraie personnalité et refoule à l’arrière de son subconscient tout ce qu’il préfère ignorer. Un jour un auditeur disait à mon Maître à penser : « Nous qui sommes des disciples ». Il a été immédiatement arrêté dans sa phrase. « Non, vous êtes des aspirants-disciples. Il y a en vous un tout petit disciple qui lutte et essaie de se faire entendre de la grande et grosse masse de votre personnalité humaine. Faites bien attention que ce petit disciple ne devienne pas un dictateur et sous le couvert de belles théories ne maintienne en état de dépendance la part la plus importante de vous-même ».

En comprenant bien ceci, vous réaliserez que vous devez aussi vous libérer de l’emprise du petit disciple en vous. Le travail vers la libération doit se faire comme je l’ai dit et répète en reprenant à zéro l’analyse des trois niveaux de conscience. Lentement au cours des mois, cette personnalité se transformera, deviendra plus souple et perméable, perdra ses habitudes et alors seulement le petit disciple en vous grandira, s’épanouira et prendra la direction totale de votre être et ceci d’une façon naturelle, sans avoir recours à la dictature. Ce travail, vous pouvez le réaliser seul, j’aurais dû dire, vous devez le réaliser seul, mais c’est une tâche ardue lorsque l’on n’a pas de point de référence. Il est donc recommandé de chercher ce que j’appelle un EVEILLEUR DE CONSCIENCE. Les véritables Maîtres à penser existent, et pas seulement en Orient, mais il faut les découvrir. Si quelqu’un se prétend tel et en même temps fait de la réclame, demande de l’argent et établit un culte de la personnalité pour lui-même, passez votre chemin, il ne vaut pas la peine que l’on s’arrête. Les vrais Sages sont modestes, discrets et reflètent une lumière qui ne trompe pas. En attendant de trouver celui qui acceptera de collaborer à votre Libération, vous pouvez relire avec profit certains livres de la Société comme La Voie de l’Occultisme, mais les lire avec un regard neuf et surtout LES METTRE EN PRATIQUE. On assiste au sein de la Société depuis quelques années à des discussions stériles et infantiles entre les tenants du retour à Blavatsky et ceux qui se réfèrent aux leaders qui lui ont succédé, entre les tenants de Krishnamurti et ceux qui se croient orthodoxes et le rejette. Tout cela est une perte de temps et d’énergie, Krishnamurti n’a rien inventé, déjà en 1913, Annie Besant disait la même chose que lui en d’autres termes et elle-même disait la même chose que Blavatsky qui elle-même a transmis la Sagesse Eternelle traditionnelle. Que cela soit Blavatsky, Besant, Krishnamurti ou un autre que vous écoutiez, peu importe. Si vous ne faites qu’écouter et ne mettez pas en pratique, cela restera lettre morte.

Le centre du problème, c’est notre Libération, aujourd’hui, maintenant. Pour y parvenir, il FAUT VIVRE L’INSTANT PRESENT, ne pas vivre dans le passé, car alors vous développerez des frustrations sur toutes les occasions manquées. Ne pas vivre dans le futur, car il est inconnu et vous ferez naître en vous des complexes de peur de ne pas réussir. Ne prenez pas comme excuse votre Karma, qui est si lourd qu’il vous empêche de faire ce que vous voulez. En analysant honnêtement ce que vous croyez être votre Karma, vous découvrirez qu’il s’agit en fait de productions de votre mental. Vivez dans le présent.

En appliquant la vigilance sur les trois plans au moment présent, vous arriverez lentement à distinguer le réel de l’irréel. Ce qui est réel est ce qui est immuable. Il faudra discriminer, écarter, ne pas confondre le multiple avec l’unique, le changement du permanent. Il faudra éliminer tout ce qui est éliminable chez l’objet, puis chez le sujet, pour découvrir enfin la Conscience, l’Atma. L’expérience de la Conscience ne se produit pas en permanence dès la première fois, mais lorsque vous aurez pu la réaliser une fois vous ne l’oublierez plus jamais. Certes, des désirs, des émotions, des pensées remonteront encore à la surface et vous conduiront à des actions qui seront des actions de votre moi personnel. Vous aurez cependant la certitude que cette Conscience existe. Le Chemin est constitué par la répétition de ces moments. Tant qu’une part de cette complexité qui nous constitue aura encore une demande, elle subsistera comme une dernière amarre qui attache notre hydravion au fond de la mer. N’essayez pas d’étouffer ce dernier problème, mais au contraire soyez attentif à le résoudre et alors, la Libération sera définitive.

Celui qui fait de réels efforts dans la Voie aura à un moment ou un autre de sa présente existence, généralement lorsqu’il s’y attend le moins, l’infini bonheur de se trouver, sur un plan supérieur, en face d’un Maître de Sagesse qui lui donnera sa bénédiction en guise d’encouragement. Ces instants sont d’une telle intensité que tous ceux qui les ont vécus s’en trouvent profondément transformés et que tous les doutes et toutes les hésitations son définitivement balayés.

Pour conclure, permettez-moi de vous lire un vieux papier retrouvé alors que j’écrivais cet exposé et qui résumera ce que je vous ai dit :

Dans les Védas il est dit que la Libération est précédée d’un état d’esprit appelé « soif ardente ». C’est la soif de secouer le joug de la nature inférieure et de vouloir entrer définitivement dans le royaume de l’esprit. C’est une soif passionnée et brûlante, qui ne trouve plus de repos dans de vagues états d’âmes. Cette soif est entière dans la consécration de vivre comme un esprit et non comme esclave de la matière, pur, fort, sage pour devenir un instrument parfait des Maîtres de Sagesse. Ce que nous sommes est plus important que ce que nous faisons, mais tout doit être fait aussi bien que possible. Notre vie intérieure doit être pure, harmonieuse et belle. Il faut apprendre à vivre aux cieux et sur terre en même temps.

Le service, sans la moindre pensée de récompense, devient la note fondamentale de notre vie. Les Maîtres de Sagesse ont besoin d’hommes d’action et nous sommes prêts à aller là où le service nous appelle. Si, en accomplissant de notre mieux notre Dharma, nous éprouvons la soif de Libération, nous approchons de la réalisation. Nous avons fait preuve de notre consécration, nous avons développé l’une après l’autre les qualités requises, nous avons atteint l’équilibre et l’harmonie nécessaires. Sans être parfaits encore, nous nous sommes reconstruits en accord avec le Verbe Divin et nous sommes sur le seuil de la nouvelle naissance, prêts à entrer dans le Courant.

Claude TRIPET

Château d’Oex Juillet 1982