Dennis Boyes
L’importance de l’observation

(Revue 3e Millénaire. Ancienne série. No 16. Septembre-Octobre 1984) Dans la première partie de son étude, Dennis Boyes — professeur de yoga expliquait le pourquoi de la relaxation. Rappelons qu’il s’agit d’opérer une transformation du corps et du mental pour une prise de conscience afin d’atteindre l’état de vacuité. Cela afin de se rapprocher de […]

(Revue 3e Millénaire. Ancienne série. No 16. Septembre-Octobre 1984)

Dans la première partie de son étude, Dennis Boyes — professeur de yoga expliquait le pourquoi de la relaxation. Rappelons qu’il s’agit d’opérer une transformation du corps et du mental pour une prise de conscience afin d’atteindre l’état de vacuité. Cela afin de se rapprocher de sa vraie nature qui n’est ni le corps ni le psychisme. Après cette première étape, Dennis Boyes nous montrait le chemin vers un autre stade de recherche où, insensiblement, la relaxation se transforme en méditation. Pour la dernière partie de son étude sur les aspects psychologiques et spirituels de la relaxation, Dennis Boyes souligne l’importance capitale de l’observation. Celle-ci, pratiquée de deux façons complémentaires, donne à l’élève les moyens de prendre en main sa propre évolution pour accéder à la connaissance de soi.

L’OBSERVATION permet de rendre consciente chaque partie du corps, ce qui est nécessaire dans la pratique de la relaxation pour la raison suivante. Au cours d’une démarche de détente et de méditation, il arrive souvent que les cellules cérébrales deviennent totalement silencieuses, de même que l’ensemble des facultés mentales. Or c’est l’agitation du cerveau et du psychisme qui crée une barrière fictive entre le conscient et l’inconscient (le refoulement organisé par le surmoi fait partie de cette activité), et cette barrière étant plus ou moins éliminée, l’interaction entre le conscient et l’inconscient se fait plus facilement. L’on n’est plus comme un bouchon ballotté par les vagues à la surface du lac, mais l’on est relié avec les couches profondes de soi-même. Dès lors le contenu de l’inconscient fait irruption à la surface de l’esprit avec plus de facilité, ce qui constitue un puissant moyen de connaissance de soi, but ultime du yoga. Cependant, certains contenus … inconscients sont plus chargés que d’autres et l’on peut parfois assister à l’irruption de sensations très fortes comme des grandes chaleurs, d’intenses froids, des tensions et des maux de tête, qui sont purement psychiques et traduisent dans le corps des pulsions, des désirs, des peurs, etc., venant de l’inconscient. Or du fait même de leur nature inconsciente, ces sensations ne peuvent se loger que dans des parties du corps elles-mêmes demeurées inconscientes. C’est pourquoi il est si important de passer en revue chaque partie corporelle pendant la pratique, afin de les rendre toutes conscientes. De cette manière, lorsqu’une émotion négative sort de l’inconscience, et ayant été perçue par l’attention, elle, ne pourra pas se fixer quelque part dans le corps et elle sera éliminée.

Une clé qui peut mener à l’éveil

Dans les stades avancés de la relaxation, l’observation devient l’outil de la connaissance de soi en profondeur, amenant l’élève du domaine du moi (le mental, les émotions, les souvenirs, etc.), vers celui du Soi (la sérénité, la clarté, la joie profonde). Ces diverses découvertes de soi en profondeur sont possibles grâce au fait que la conscience est continue à travers les trois états de veille, de rêve et de sommeil profond. Le sommeil n’est rien d’autre que la suspension momentanée du mental et de ses activités, mais derrière et au-delà du mental, le Soi est éternellement là dont la nature intrinsèque est éveil et vigilance. L’observation silencieuse est la clé d’or qui permet d’accéder à l’éveil même dans le sommeil.

L’observation peut être pratiquée de deux façons différentes, qui peuvent être expérimentées tour à tour en se complétant ; une première façon dite pénétrante, où la perception se localise et pénètre dans un endroit restreint. Cette vision pénétrante (très pratiquée dans l’école bouddhiste du theravada) confère à la perception la force, la clarté et la tonicité. Elle est utile pour pacifier les nerfs et le mental, et aussi pour trouver une voie d’accès à l’intérieur de soi. Ce procédé se déroule habituellement dans une position corporelle immobile.

La deuxième façon est celle dite de la vision panoramique, où l’attention s’ouvre, se dilate, s’élargit pour envelopper la totalité de la personne et même de l’environnement. Elle est considérée comme étant supérieure à la perception pénétrante, car elle est davantage compatible avec l’activité quotidienne du fait qu’elle est inclusive. Dans le raja yoga cela correspond au passage de la concentration (dharana) à la méditation (dhyâna). La différence est importante, car selon certains textes la première voie aboutit à la libération individuelle dans le nirvana, alors que la deuxième voie donne l’expérience de l’unicité du nirvana et du samsara (le monde manifesté, la vie, etc.).

Dans la pratique de la relaxation, la vision pénétrante est développée par la concentration dans chaque partie du corps, et la vision globale vient avec la prise de conscience de l’ensemble corporel. L’attention doit devenir très souple pour apprendre à fonctionner entre ces deux possibilités, passant de l’une à l’autre selon la technique envisagée. Bien que la vision pénétrante permette d’aiguiser et de clarifier l’outil du travail, il s’avère souvent que lorsqu’on passe à la vision panoramique, l’on a tendance à s’endormir. C’est l’obstacle majeur qui guette le chercheur une fois qu’il a surmonté celui de l’agitation mentale… L’on doit donc s’exercer à passer de la concentration à l’attention globale sans perdre la clarté et la tonicité.

Enfin l’observation est l’instrument qui autorise l’élève à prendre en main sa propre évolution au lieu d’attendre que les circonstances de la vie l’y obligent. La plupart des gens dépendent pour avancer de stimulations venant de l’extérieur, le plus souvent de chagrins, de malheurs, mais aussi de grandes joies. Dans ces moments seulement l’on vit intensément et l’on se réveille de sa torpeur coutumière, et si l’on ne s’évade pas de la situation par la boisson ou d’autres activités, et si l’on prend conscience du chagrin au fond du cœur, cela peut être un moyen de connaissance de soi.

Utiliser le moindre événement

Cependant la pratique du yoga et de l’observation procurent la possibilité d’être intensément éveillé même en l’absence de stimulations venant de l’extérieur et aussi de l’intérieur de soi. Ou alors le moindre événement est utilisé pour être attentif, par exemple les craquements du plancher, la pluie, le bruit du souffle, etc. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre que tout est la grâce du gourou. Ainsi, lorsque l’homme se sert de tout pour être vigilant, il aura peut-être moins besoin de grands malheurs et de chagrins. L’homme qui élabore sa propre évolution échappe, du coup, aux processus que la vie emploie pour faire évoluer l’ensemble de l’humanité. De ce fait il peut avancer plus vite que la vie en général mais si, pour une raison ou pour une autre, il cesse de se prendre en main, il pourrait stagner alors que l’humanité finirait par le dépasser.

Un autre grand obstacle : le vouloir

Expliquons-nous. Tout en ayant l’énergie nécessaire pour entreprendre une pratique (en général elle vient d’un mécontentement quelque part en soi, ou tout simplement parce que l’on ne peut faire autrement que s’acheminer sur sa voie), il est très important que cette dernière ne tende pas vers l’acquisition d’une récompense ou autre chose. Ce genre de vouloir traduit toujours un désir d’obtenir d’agréable ou d’éviter ce qui est déplaisant, ce qui n’a rien de mal dans la vie ordinaire, mais qui crée tout un réseau de résistances mentales au sein d’une démarche de relaxation ou de méditation. Presque aucun adepte n’évite ce piège et y tombe de nombreuses fois avant de réaliser son erreur. Il existe pourtant des signes indicateurs de l’erreur et des symptômes qui, si on les écoute, ramèneront l’élève sur le bon chemin. Les voici : ce réseau de résistances dont nous venons de parler finit par engendrer tout un système de rapports de force très subtils entre l’esprit et le corps, entre la perception et les sensations, entre le moi et le non-moi, etc. Ces rapports de force, à leur tour, provoquent toute une gamme de tensions dans le mental et dans le cerveau, qui deviennent la proie d’états conflictuels. Ces conflits et ces tensions peuvent perturber les centres nerveux dans le cerveau et produire l’agitation ou la confusion mentales, de même qu’une suite d’insomnies assez tenaces. L’on aboutit alors à l’effet contraire de ce que la relaxation devrait apporter. Bien entendu la pratique de la relaxation et de la méditation va produire des modifications dans la personne et lui apporter quelque chose, mais le fait d’y penser et la volonté d’acquérir quelque chose risquent fort d’empêcher de venir quelque chose qui doit venir.

La reprise de contact avec l’environnement après la pratique

La reprise de contact avec l’environnement, après la pratique, doit se faire graduellement, de telle sorte que l’élève puisse s’éveiller pleinement dans sa détente tout en la rendant de plus en plus légère et lucide. Il lui devient possible ainsi de reprendre contact avec l’environnement grâce à l’état même de sa détente et non pas à travers des processus émotifs, imaginatifs ou intellectuels. Cette reprise de contact se fait d’abord au moyen de l’écoute, puis du toucher et de la vue. Si l’élève est très attentif à ce moment-là, il remarquera que quelque chose a été modifié dans sa manière de percevoir le monde : sa perception est devenue directe et sans projection verbale ou autre. Elle a cessé d’évaluer et d’interpréter le monde pour voir et accepter celui-ci tel qu’il est.