(Revue Le Chant de la Licorne. No 25. 1988)
Où naît la douleur, pourquoi varie-t-elle selon chaque individu, pourquoi le sommeil mais aussi l’excitation en modifient-ils l’impression ? Quel est cet état de conscience qui perturbe notre confort et comment s’en préserver ?
La douleur n’est pas une donnée palpable, mesurable objectivement, mais un phénomène en grande partie lié au fonctionnement interne de chacun. La difficulté réside également dans l’étendue des situations qui peuvent en être l’origine. Dans son effort analytique, la médecine officielle a totalement dissocié la douleur d’origine physique de celle liée à des problèmes psychologiques. La première est abordée avec l’étude de chaque organe ou partie du corps: on parle d’arthralgies, de lombalgies, de myalgies… La deuxième constitue ce pan entier de la psychiatrie que représentent les névroses. Enfin, entre ces deux extrêmes, il est plus délicat de classer toutes les douleurs fugaces ou sans point de départ évident, comme les migraines, les colopathies spasmodiques ou les névralgies et qui, on le verra, peuvent être rattachées à un niveau intermédiaire, énergétique. Plutôt que reprendre cette distinction physique/mental, imparfaite car incomplète, il est possible d’aborder la douleur d’une manière globale, en tentant de définir ce qui rapproche, et non ce qui distingue, tous ces types de douleur, en s’efforçant d’en cerner au mieux les causes afin de pouvoir définir les meilleures stratégies de traitement.
Le parcours de la stimulation douloureuse
Pour comprendre le phénomène douloureux; il est d’abord nécessaire de distinguer ce qui est du domaine de la perception et ce qui relève de la sensation. Les perceptions constituent toutes les informations qui arrivent à la conscience. Elles renseignent cette dernière sur le monde, extérieur grâce aux cinq sens, et intérieur grâce à des récepteurs situés sur les différents viscères de l’organisme. C’est de la distinction entre ce qui est interne, «à soi», et ce qui est externe que naît la dualité sujet/objet. Il faut savoir que cette distinction entre soi-même et le monde extérieur n’est pas spontanée. Elle nécessite chez le nourrisson et le petit enfant une progressive adaptation. La conscience peut également être focalisée sur tout ce qui, issu de la mémoire, ressurgit sous forme d’images, de sons, d’odeurs…
D’un point de vue ésotérique, la perception relève d’un niveau intermédiaire, plus subtil que le plan physique, plus dense que l’émotionnel, et parfois nommé éthérique. Elle a pour support le système nerveux, dont les récepteurs, soumis à des excitations plus ou moins spécifiques (rayons lumineux, vibrations sonores, température, pression…) transmettent ces informations par les nerfs sensitifs ou sensoriels au cortex, où elles sont intégrées. Le cortex (litt: écorce) est la zone périphérique du cerveau, où «s’incarne» la conscience.
La perception est en elle-même d’une totale neutralité, signal plus ou moins élaboré informant la conscience. C’est une fois la perception intégrée, que lui est attribuée une consonance agréable ou désagréable. Cela ne dépend dès lors plus du niveau éthérique mais de l’émotionnel, de la sensation. L’individu réagit à une information par l’approbation, le rejet ou l’indifférence, et ce à des degrés et selon des nuances infinis. Le plaisir est évidemment issu de la première possibilité, la colère ou la douleur émanent de la deuxième. On peut mieux comprendre ce mécanisme lorsque la douleur débute alors qu’on est endormi: au départ, nous ne percevons rien. Une piqûre, une brûlure, passent par exemple inaperçues. Mais, si la stimulation est plus violente ou continue, la perception atteint la conscience et amène le réveil. On ne peut encore parler de souffrance à ce stade. Quelque chose nous fait changer de niveau de conscience, nous nous éveillons, puis nous réalisons que c’est notre corps qui a été piqué, et alors commence la souffrance. Celle-ci est d’autant plus vive que la conscience s’identifie au corps ou à ce qu’elle considère comme elle-même ou lui appartenant.
Certaines déformations ou pathologies permettent également d’illustrer ces différents niveaux de la perception.
Pour que la perception puisse exister, il est tout d’abord nécessaire que l’individu soit un tant soit peu éveillé. Même si la conscience ordinaire n’est, comparée à celle d’un être totalement illuminé, qu’un état de somnambulisme plus ou moins profond, c’est cette attention qui permet de faire parvenir à la conscience les informations sur le monde qui l’entoure. En cas de sommeil, d’anesthésie générale ou de toute autre forme de « non conscience », la perception consciente du monde ordinaire n’a pas lieu. Cela ne signifie pas forcément que rien ne puisse être enregistré durant de tels états. On sait, par exemple, que l’opéré en narcolepsie capte des informations issues du bloc opératoire, mais ce dans certaines zones inaccessibles à la conscience de veille ou à la mémoire. Ceci explique les traumatismes psychiques et les perturbations survenant parfois après une intervention chirurgicale. Il est certain que dans un tel état ne peut exister de sensation douloureuse, ni même de perception d’une atteinte à l’intégrité corporelle.
Chez les lobectomisés (malades mentaux ayant subi une ablation du lobe préfrontal du cerveau dans un but «thérapeutique», pratique barbare et heureusement peu employée), on peut mettre clairement en évidence la distinction entre perception et sensation douloureuse. Chez ces patients en effet, la conscience du stimulus douloureux est entière (ils sentent parfaitement une piqûre, brûlure ou autre lésion), mais à aucun moment n’apparaît le caractère désagréable ou de rejet, même si la stimulation est violente. Il existe donc un blocage complet entre perception et émotion, lié ici à un traumatisme cérébral. Le sujet fonctionne alors comme s’il était complètement détaché d’une partie de son corps, bien qu’il soit capable d’en recevoir des perceptions sensitives et de lui ordonner de se mouvoir. Il ne s’identifie plus à elles.
Le masochisme illustre clairement un dérèglement de la réaction émotionnelle aux perceptions. Ici, le sujet est conscient et perçoit la stimulation (piqûre, brûlure…), l’intègre avec une grande intensité, mais, alors que la plupart d’entre nous ressentiraient cette stimulation comme douloureuse, il lui est attribué un caractère agréable, voluptueux. Sans aucun jugement moral, on peut considérer que dans ce cas existe une anormalité en ce qui concerne «l’accueil» de la perception au niveau émotionnel.
La douleur: résultat de l’opacité de la conscience
Il est clair, à ce stade, que la douleur n’est pas uniquement conditionnée par des facteurs extérieurs. Au contraire, c’est de la réaction de l’individu à certaines stimulations que naît le caractère douloureux. On peut alors se demander quels peuvent être les facteurs orientant cette réaction vers le pôle désagréable ou agréable, qu’est ce qui conditionne ce jugement.
Il est tout d’abord nécessaire de comprendre que la conscience avec laquelle nous fonctionnons le plus souvent n’est qu’une petite partie de nos capacités psychiques ou spirituelles. Elle est en grande partie conditionnée par les émotions, qui voilent la clarté naturelle de l’esprit. Tout ce qui dépasse le cadre de cette conscience ordinaire a souvent été regroupé, du moins en Occident, sous le terme d’inconscient, ou de subconscient. Cet océan, qui baigne notre conscience de veille, comporte en particulier la mémoire de toutes les expériences vécues par l’individu, dans cette incarnation mais aussi dans toutes les formes de vie qu’il a été amené à emprunter jusqu’ici. C’est le résultat, le savoir faire et le savoir être accumulés au cours de toutes ces expériences, qui a permis de générer les structures de notre forme de vie actuelle, tant sur les plans physique ou énergétique qu’émotionnel ou mental. La conscience elle-même est liée à ce passé, et c’est en partie cette mémoire qui oriente les différentes réactions émotionnelles, en fonction de ce qui a déjà été expérimenté. Ainsi, le contact d’une source de chaleur excessive avec la peau produit une réaction de rejet qui se manifeste, dans notre conscience de veille, par une douleur et un mouvement de retrait, parfois par un sentiment de colère, contre la fatalité ou sa propre inattention. Le réflexe et la douleur sont le résultat de milliers, voire de millions d’expériences analogues dans une infinité d’existences passées, qui, pour des impératifs de survie, ont conditionné l’organisation et la réalisation de structures visant à éviter ou à minimiser les effets d’une telle situation dangereuse. La colère, quant à elle, peut être due à la mémoire ou au traumatisme d’expériences plus récentes, à des dogmes ou à des illusions. Une personne peut, par exemple, être persuadée posséder une grande vigilance et refuser, le plus souvent inconsciemment, d’admettre son inattention. Ce genre d’a priori altère la souplesse du psychisme de l’individu et laisse à ce niveau l’équivalent de cicatrices.
La douleur impose le changement
Nous touchons ici le point essentiel du phénomène douloureux. Loin d’être une denrée nécessaire à l’évolution, comme on le croit parfois dans certains milieux spiritualistes, la douleur est en fait un signal avertissant de la nécessité d’un changement. Changement de position dans le cas d’une brûlure, changement d’intensité de mobilisation dans le cas d’un membre fracturé où la douleur impose le repos nécessaire à la consolidation. Les migraines ou les douleurs du colopathe sont, elles, les témoins d’un déséquilibre énergétique, à régler avant l’apparition de troubles plus graves et en particulier de lésions organiques. Au niveau émotionnel également, c’est souvent une nécessité douloureuse qui provoque les modifications des habitudes ou du mode de vie. Et c’est de nos capacités à réagir que dépendra la cessation ou le passage à la chronicité. Car si mouvoir un membre ou le mettre au repos devient une évidence sous l’injonction d’un processus douloureux, il n’en est pas de même pour les transformations subtiles ou les prises de conscience, nécessaires dans certaines circonstances et concernant notre comportement, nos sentiments, nos attachements, nos peurs, nos aversions… Il paraît parfois plus avantageux à notre psychisme de souffrir plutôt que de céder ou se transformer. Cette cristallisation, le plus souvent inconsciente, va alors générer des troubles de toutes natures, tant sur le plan émotionnel – névrose – qu’énergétique ou physique. Parmi ceux-ci, les cancers, qui comptent parmi les pathologies les plus douloureuses, surtout dans leur phase terminale, ont pour source primordiale un blocage émotionnel face à une situation donnée. La transformation, indispensable à la guérison, doit se situer dans ces cas à des niveaux très profonds de l’individu, ce qui explique les difficultés et l’insuffisance de la plupart des traitements, mais, aussi la survenue de quelques guérisons spontanées, mettant le corps médical dans la plus grande perplexité. Elles contredisent en effet les axiomes qui voudraient faire des tumeurs malignes des pathologies ayant, sans traitement extérieur, une évolution obligatoirement fatale. Dans tous ces cas, spectaculaires mais encore trop rares aujourd’hui, on constate dans la vie des patients des changements radicaux, touchant parfois le mode de vie mais surtout la manière d’appréhender les différentes réalités de l’existence.
Le seul vaccin contre la douleur: réaliser la véritable nature de l’esprit
Confronté au problème de la douleur, on peut se demander s’il existe une solution radicale, induisant une immunisation définitive. La réponse découle de l’origine même du phénomène: c’est l’identification à nos perceptions, à notre corps, à nos sentiments qui fait naître la sensation désagréable ou agréable. Celui qui est capable de reconnaître la douleur en tant que perception, sans s’identifier à elle, n’en ressentira aucune souffrance. Mais cette éventualité, facilement abordable d’un point de vue intellectuel, est malheureusement difficile à réaliser dans la vie quotidienne. Elle sous-entend un niveau de développement spirituel très avancé, la réalisation de la véritable nature de l’esprit et de l’aspect illusoire des phénomènes extérieurs et intérieurs, ce qui concerne en définitive bien peu d’entre nous.
Des solutions palliatives
En attendant la période idyllique où le monde ne sera plus peuplé que d’êtres totalement réalisés, il est nécessaire de chercher d’autres solutions, en ayant toujours conscience que quelque soit le niveau où l’on se place, on ne peut effectuer qu’un traitement palliatif, puisque ce dernier ne réglera pas l’origine du problème qui résulte de l’opacité de la conscience. Le traitement est donc d’autant plus satisfaisant qu’il amène un éclaircissement de nos facultés conscientes.
Sans aborder en détail toutes les possibilités thérapeutiques, il est possible et intéressant de hiérarchiser les différents niveaux d’intervention contre la douleur.
Il est d’abord évident que le travail le plus aléatoire, tant d’un point de vue théorique que pratique, est celui ne prenant en compte que le niveau physico-chimique. Toutes les thérapeutiques symptomatiques restent en effet à un niveau par trop superficiel, se contentant de combattre la douleur sans s’occuper des causes plus subtiles. Cela explique les phénomènes d’accoutumance, obligeant à recourir à des drogues de plus en plus puissantes et dont les effets secondaires sont loin d’être négligeables. Sur le plan psychique, la névrose, mal d’être si fréquent dans une société qui s’est coupée de ses racines terrestres et spirituelles, est anesthésiée par l’usage d’anxiolytiques, qui coupent à l’individu toute possibilité de remise en question et le cristallisent peu à peu en momie vivante, à moins que les troubles ne se répercutent sur les plans plus denses et ne génèrent des pathologies dégénératives ou auto-immunes (tout se passe alors, d’un point de vue biologique, comme si l’organisme se suicidait).
Devant les insuffisances des thérapeutiques matérielles et matérialistes s’est développée une tendance opposée, qui consiste en un travail sur le plan émotionnel. C’est le domaine de la psychothérapie, de la psychanalyse et des thérapies comportementales, dont les objectifs sont plus ou moins liés au problème de la douleur. La difficulté à ce niveau réside dans la subtilité même du monde de l’émotion. La subjectivité inhérente aux travaux sur ce plan permet difficilement de mesurer les résultats obtenus. Souvent, en améliorant tel ou tel point de la personnalité, il est possible d’en désorganiser d’autres. Le thérapeute doit donc maîtriser parfaitement ce niveau, afin de ne pas tomber dans les pièges très subtils qui ne manqueront pas de se présenter. Le malade devra s’assurer qu’il est bien en présence d’un tel praticien, ce qui demande là aussi, beaucoup de discernement.
En fait, il semble que le travail sur le plan énergétique soit le plus à même de traiter avec efficacité le problème de la douleur, que celle-ci concerne le corps physique ou l’émotionnel. À la jonction entre ces deux niveaux, les structures sont suffisamment denses et organisées pour qu’on puisse élaborer des stratégies précises et reproductibles sur tous. Ce plan est aussi suffisamment subtil pour pouvoir agir de manière globale sur les différents éléments qui constituent un être humain. Ainsi, l’acupuncture, l’homéopathie, la pharmacopée énergétique, agiront tant sur les plans physique que psychique. On peut être frappé par l’efficacité de quelques aiguilles, permettant d’effectuer une intervention chirurgicale sans anesthésie générale. La transformation et la guérison d’une pathologie mentale après l’administration d’une haute dilution d’un remède homéopathique n’en est pas moins surprenante. Enfin, en pratiquant ces disciplines d’une manière compatissante, en invoquant et en se plaçant sous la tutelle des forces de guérison universelles, l’effet thérapeutique peut dépasser les niveaux perceptibles et être à même de favoriser l’évolution du patient à travers les transformations qui lui sont imposées.
Prévenir vaut néanmoins mieux que guérir
Si la recherche d’un traitement efficace est utile, toute tentative de prévention l’est encore davantage. Après ce que nous avons défini, deux points méritent d’être soulignés:
Le maintien d’une bonne souplesse à tous les niveaux de l’individu est un facteur permettant une adaptation correcte aux contingences de l’existence. Ce qui se conçoit aisément au niveau physique a des correspondances aux niveaux énergétique et émotionnel. Un enraidissement ou une cristallisation aboutissent alors au dogme, à l’intolérance, à l’imperméabilité, qui coupent toute possibilité de croissance et d’évolution. Il est frappant de constater qu’une des caractéristiques de tous les sages et maîtres accomplis est une grande jeunesse d’esprit, la capacité de découvrir l’environnement et de s’y adapter. Le fonctionnement de l’enfant devient ainsi un exemple: sans a priori, il découvre le monde et s’y intègre avec une parfaite fluidité.
Il est également nécessaire, pour éviter la douleur et la souffrance, de cultiver un potentiel énergétique maximum. On constate en effet que l’affaiblissement dû à la perte d’énergie augmente fortement la sensibilité aux traumatismes, qu’ils soient physiques ou psychiques. Le cancéreux, épuisé par l’évolution de sa maladie ou par les traitements très lourds qu’il a subis, ressent d’une manière souvent intolérable des gestes aussi légers qu’une prise de sang. Une mauvaise nouvelle ou une contrariété est d’autant plus mal vécue qu’elle nous surprend dans un état de fatigue profond.
Il n’est pas possible de donner ici une liste exhaustive de tous les exercices ou pratiques permettant de développer ces qualités : on peut toutefois noter que les arts martiaux permettent, s’ils sont pratiqués avec régularité, d’accumuler et de canaliser l’énergie tout en développant souplesse et adaptabilité. Chi-Kong, Tai-Chi, Do-In apportent des résultats analogues, l’idéal étant de pouvoir aborder ces disciplines d’une manière traditionnelle, en tant que voies de réalisation spirituelle et sous la conduite d’un maître accompli. En effet, la progression ne se fait plus dès lors uniquement sur un plan horizontal mais englobe tous les niveaux de l’être pour l’amener à la réalisation, qui lui permettra de prendre conscience du caractère illusoire et relatif de sa douleur.