Comment savoir si nos convictions les plus intimes ne sont pas de subtiles croyances en réponse à nos incertitudes, et les peurs qu’elles impliquent ? En d’autres termes, comment faire la part des choses entre les croyances et la réalité ? Comment distinguer le vrai du faux ? Finalement, que savons-nous du réel ? Demandons-nous d’abord si les questions ci-dessus sont correctement posées, ou procèdent-t’elles d’un schéma conceptuel déjà caduc ?
Le monde se donne à nous dans l’expérience de l’instant qui n’est autre que sentir-percevoir-éprouver-concevoir. Si j’affirme : ‘‘Le parfum de cette rose m’est très agréable’’, que se passe-t’il dans le moment présent ? Le mot parfum procède du sentir ; le mot rose procède du percevoir ; le mot agréable procède de l’éprouver ; et la pensée ‘‘le parfum de cette rose m’est très agréable’’ procède du concevoir.
Le processus sentir-percevoir-éprouver-concevoir est inséparable du corps-mental, sachant que celui-ci n’échappe pas au processus qu’il est supposé fonder : le corps-mental est lui-même senti-perçu-éprouvé et conçu. Revenons à notre affirmation ‘‘le parfum de cette rose m’est très agréable’’, et constatons que l’expérience du sentir-percevoir-éprouver-concevoir évoquée par cette phrase procède des sens, des affects et de l’intellect. Le produit de cette expérience est-il forcément la réalité ? Nous savons que si le corps-mental était constitué de caractéristiques différentes, notre représentation du monde serait autre. Même la distinction établie entre nous et le monde est dépendante de la programmation psychophysique du corps-mental. Donc, il n’est pas de représentation qui soit forcément la réalité ; mais chaque représentation (chaque sentir-percevoir-éprouver-concevoir) est une manifestation infinitésimale de la réalité. Le fait que la réalité ne nous est accessible qu’au sein de l’expérience faite du sentir-percevoir-éprouver-concevoir nous incite à croire spontanément que notre représentation est la réalité : nous objectivons le processus de l’expérience. Cette vision erronée, parce qu’incomplète, de la réalité occulte l’ultime présence – sans laquelle il n’y a ni existence ni connaissance du monde –, la Conscience. Elle est le Témoin et la Substance du monde, l’Être intemporel, l’Inconnu d’où découle l’existence et la connaissance de tout ce qui est. Il est intéressant de noter que ‘‘le concevoir’’, un des éléments du processus de l’expérience, est clos dans les particularités superficielles du sentir-percevoir-éprouver, et se laisse bluffer par une vision fragmentaire de la réalité qui incite l’être humain à croire qu’il est une entité séparée pourvue d’un certain contrôle, non seulement sur elle-même mais aussi sur son environnement. Nous sommes enclin à préjuger que cela constitue le fondement même de notre qualité d’être un être humain !
Quand nous évoquons l’existence du monde et de ses contenus tels qu’ils étaient dans le passé, nous ignorons généralement que cette mémoire du passé procède également de la Conscience présente en tant que Témoin et Substance d’un passé perçu, éprouvé et conçu maintenant : l’intervalle entre le passé et le présent est nul. Le passé en soi n’existe pas, ni le futur, seul est le présent, l’éternel présent. La Conscience présente est, une fois encore, le Témoin et la Substance de tout ce qui est et, accessoirement, de tout ce qui fut et sera, car la Vie est Une, semblable à un champ continu de Conscience universelle. Que nous le voulions ou non, le passé-futur est un cas particulier de l’éternel présent. De même, le monde (et ses contenus : les êtres et les choses) est un cas particulier du champ continu de Conscience universelle.