Claude Tresmontant
L’Univers

Monsieur Jean-Claude Pecker est professeur au Collège de France, membre de l’Académie des Sciences. Il est, au Collège de France, le patron de la chaire d’astrophysique théorique. Il a dirigé la constitution de ce monument qu’est l’Astronomie, publiée aux éditions Flammarion, en deux volumes. Dans cet ouvrage collectif, on trouvera ce que l’on sait aujourd’hui […]

Monsieur Jean-Claude Pecker est professeur au Collège de France, membre de l’Académie des Sciences. Il est, au Collège de France, le patron de la chaire d’astrophysique théorique. Il a dirigé la constitution de ce monument qu’est l’Astronomie, publiée aux éditions Flammarion, en deux volumes. Dans cet ouvrage collectif, on trouvera ce que l’on sait aujourd’hui des moyens de l’exploration astronomique, et des techniques, des instruments ; du système solaire et du Soleil ; des étoiles et de la matière interstellaire, de notre propre Galaxie ; du monde des galaxies, c’est-à-dire de l’Univers dans son ensemble. L’ouvrage rédigé dans une langue parfaitement claire par des gens du métier, est accompagné de merveilleuses photographies, fournies par les instruments les plus modernes et les plus puissants. Pour le lecteur qui désire s’initier à ce que nous savons de l’Univers en cette fin du XXe siècle, voilà un ouvrage parfaitement adapté. Il introduit même le lecteur dans les discussions et controverses portant sur l’Univers dans son ensemble.

Les philosophes grecs des Ve et IVsiècles avant notre ère, par exemple Aristote, s’étaient imaginés que l’Univers est un système éternel, sans genèse, sans corruption. Les astres sont des substances divines qui ignorent la genèse et la corruption. L’Univers est un système cyclique. La Guerre de Troie n’a pas eu lieu seulement dans le passé. Elle aura lieu de nouveau dans l’avenir.

Les philosophes grecs de l’école matérialiste ont imaginé que les atomes sont des éléments éternels, inengendrés, sans genèse, sans évolution, sans corruption.

Jusqu’au début du XXe siècle, nous avons vécu plus ou moins sous cette représentation. Un Univers éternel et fixe. Une matière éternelle et incorruptible. C’est à partir du début du XXe siècle que nous avons commencé à découvrir que la matière qu’étudie le physicien, est, elle aussi, le résultat d’une histoire. Nous venons de découvrir l’histoire de la formation des atomes, l’histoire de leur composition. Nous venons de découvrir que l’Univers, dans ses tout premiers instants, était lumière. La matière de l’Univers, c’est la lumière. L’Univers tout entier est fait ou constitué de lumière et d’information. La matière la plus simple est aussi la plus ancienne. Au cours du temps, et en particulier au cœur des étoiles, la matière se compose en structures de plus en plus complexes. La matière la plus complexe est aussi la plus récente.

C’est à partir des années 1927 que nous avons commencé à découvrir que l’Univers lui aussi est un processus historique, c’est-à-dire que l’Univers, lui aussi, est en genèse, depuis environ vingt milliards d’années. L’Univers est un gaz de galaxies. Une galaxie est un ensemble d’étoiles. Notre propre Galaxie comporte environ cent ou deux cents milliards d’étoiles, plus ou moins grandes que notre Soleil. Les autres galaxies, qui se comptent par milliards, sont plus ou moins grosses que la nôtre. Il existe une histoire de la formation des étoiles, une histoire de la formation des galaxies, et donc une histoire de la formation ou de la genèse de l’Univers. L’Univers n’est pas aujourd’hui ce qu’il était il y a cinq, dix ou quinze milliards d’années. L’Univers est en régime de composition depuis environ vingt milliards d’années.

C’est une découverte fondamentale, c’est la découverte fondamentale des temps modernes. Toute notre vision du monde est évidemment transformée, puisque nous sommes passés de l’Univers statique ou fixe des Anciens, à un Univers évolutif et historique.

Tous les problèmes de la philosophie sont totalement renouvelés par cette découverte. Le problème de l’espace, du temps, de la causalité, de la finalité, la place de l’Homme dans l’Univers, et même le vieux problème du mal, et plus généralement tous les problèmes classiques de la métaphysique, doivent être repensés à partir de cette découverte fondamentale. Nous sommes dans un Univers en genèse depuis environ vingt milliards d’années, nous venons d’apparaître dans cet Univers en genèse, et les découvertes les plus récentes semblent indiquer que l’Univers, depuis ses tout premiers instants, est physiquement préadapté à l’apparition d’un être capable de le penser.

Les Anciens n’avaient pas l’idée de chercher une finalité dans l’Univers, puisqu’ils ignoraient ce fait que nous venons de découvrir, à savoir que l’Univers est une histoire, et une histoire orientée. A partir de tout ce que nous savons de la composition, de la constitution, et de l’histoire de la genèse de l’Univers, nous commençons à découvrir que l’histoire de l’Univers est orientée et même finalisée.

La cosmologie est la science qui porte sur l’Univers envisagé dans son ensemble, dans sa totalité. C’est seulement depuis ce XXe siècle que la cosmologie est devenue une science expérimentale.

Il existe en cosmologie des certitudes, et il existe des controverses. La certitude, c’est que l’Univers existe, et qu’il est un processus historique orienté. L’immense majorité des astrophysiciens admettent de plus que l’Univers est en expansion, c’est-à-dire que les galaxies se fuient les unes les autres, avec une vitesse qui est proportionnelle à leur distance mutuelle. L’immense majorité des astrophysiciens, mais non pas tous.

Jean-Claude Pecker et J.P. Vigier continuent à exercer une critique vigilante à l’égard de la vision du monde généralement admise. On trouvera l’écho de ces controverses dans les derniers chapitres du grand ouvrage que nous présentons. Le lecteur voudra bien observer que la question de l’expansion de l’Univers, et la question de l’évolution de l’Univers, sont deux questions distinctes. Si même par hypothèse l’Univers n’était pas en réalité en expansion, il resterait qu’il est en évolution depuis quelque vingt milliards d’années et que la matière, les étoiles, les galaxies, se forment, naissent et vieillissent constamment. De toute manière nous avons changé de vision du monde, si toutefois nous voulons bien prendre la peine d’étudier l’Univers dans lequel nous sommes apparus, il y a quelques instants.

Nombre de philosophes, depuis un siècle, se désintéressent totalement des grandes découvertes de la cosmologie, de l’astrophysique, de la biochimie, de la biologie fondamentale, de la neurophysiologie, par exemple le philosophe allemand Martin Heidegger et le philosophe français Jean-Paul Sartre. Ils pensent que la philosophie peut se constituer sans tenir compte de l’apport des sciences expérimentales. Ils ignorent tout des grandes découvertes modernes. Ils pensent pouvoir traiter de l’être et du temps, de la liberté de l’homme dans le monde, sans tenir compte des grandes découvertes de l’astrophysique, de la biologie, de la neurophysiologie.

Nombre de théologiens ont été formés dans cette philosophie dissociée des sciences expérimentales. Ils pensent comme leurs maîtres en philosophie que le théologien peut se désintéresser de ces grandes découvertes de la cosmologie, de la physique et de la biologie. Nous montrerons dans une chronique prochaine qu’en réalité le théologien, comme le métaphysicien, doit s’instruire de ces découvertes fondamentales et que la théologie, sur nombre de points, s’en trouve totalement renouvelée.

Ajoutons enfin que les enfants de nos écoles, lycées et collèges, à partir de 10 ou 12 ans, devraient être initiés aux merveilleuses découvertes de la cosmologie moderne. Découvrir l’histoire de l’Univers, c’est découvrir l’ensemble dans lequel nous nous situons, dans lequel nous venons d’apparaître. Lorsque nos ministres prendront le temps de penser enfin à une réforme fondamentale de l’instruction et de l’éducation, il faudra qu’ils songent à mettre au programme des classes de 6e l’Univers et son histoire envisagée dans son ensemble. L’histoire de l’humanité se situe dans l’histoire de la nature vivante, et l’histoire de la nature se situe dans l’histoire générale de l’Univers. C’est ainsi que la physique, la chimie, la biochimie, la biologie, prennent leur sens, découvrent leur signification et leur intérêt. Dans notre prochaine chronique, nous parlerons de la Cellule, à propos d’un ouvrage récent. En classe de 6e, avec une initiation à la cosmologie moderne, les enfants devraient, avant toute chose, être initiés à cette merveille qu’est la Cellule.

Extrait de La Voix du Nord, 8 octobre 1986.