Jean-Yves Leloup
Méditer : un art de l'instant

Méditation, en français, évoque une certaine qualité d’appréhension de ce qui nous est donné de vivre dans le temps, de le réfléchir dans le miroir du coeur et de l’intelli­gence ; mais la vivacité de l’instant qui caractérise le zen ne semble pas y apparaître.

Jean-Yves Leloup est un écrivain, théologien et prêtre orthodoxe, philosophe. Fondateur de l’Institut pour la rencontre et l’étude des civilisations et du Collège international des thérapeutes, il a publié de nombreux ouvrages chez Albin Michel, dont « Un obscur et lumineux silence, la Théologie mystique de Denys l’Aréopagite », «L’assise et la marche », « Écrits sur l’hésychasme », « Paroles du mont Athos », « l’Enracinement et l’ouverture », « Manque et plénitude », « Prendre soin de l’Être », « l‘Absurde et la Grâce », « Un art de l’attention » etc. Il a donné des traductions et des interprétations innovantes de l’évangile et apocalypse de Jean, ainsi que les évangiles considérés comme apocryphes (Philippe, Marie, Thomas).

(Revue Être. No 1. 16e année. 1988)

L’Univers n’est pas chose énorme et longue mais cérémonial d’une Présence qui se donne et se déploie dans l’éclat de l’instant.

Zen est la traduction japonaise du chinois « T’chan » et du sanscrit « dhyana » qu’on traduit généralement par « médi­tation ».

Méditation, en français, évoque une certaine qualité d’appréhension de ce qui nous est donné de vivre dans le temps, de le réfléchir dans le miroir du coeur et de l’intelli­gence ; mais la vivacité de l’instant qui caractérise le zen ne semble pas y apparaître.

Dans la méditation zen, il ne s’agit pas – à force d’attention – de faire « redoubler le temps », de s’y appesantir, mais au contraire de l’éclairer, de l’éclaircir par ce qui – de l’ailleurs – nous fait signe.

L’instant est une écharde dans le temps nombré des horloges, une ouverture à l’Etre-même qui se déploie dans tous les étants (la fleur, le lit, la pierre, le corps, le visage).

Dans cette ouverture, « cela qui est » nous touche comme présence, ni chose (no-thing), ni personne. Présence dont l’irruption par la fenêtre ouverte de l’instant, nous éveille, nous éblouit : c’est le grand jour d’origine ou d’apocalypse, dont les anecdotes zen (comme l’Evangile d’ailleurs) nous rappellent qu’Il arrive à minuit, quand on ne s’y attend pas…

Hors de tout attendu, mais non de toute vigilance.

Le plus quotidien, médité dans sa profondeur vive, peut devenir l’instant où « je vois ».

« Quelle merveille ! Je puise de l’eau, Je ramasse du bois ».

ou encore, dans un autre contexte : « Voici l’os de mes os, la chair de ma chair ! »

La méditation est art de l’instant (instant au singulier, les « moments privilégiés » n’en sont que l’éclat disperse) .

Art de recueillir un présent, une présence dans ce qui nous arrive, occasion unique de voir l’espace s’agrandir, la lumière nue :

« Mon magasin ayant brûlé,
Plus rien ne me cache la vue
De la lune éclatante ! »