Jean Klein
Être attentif

Regardez votre fonctionnement dès que vous êtes confronté à un problème. Vous vous apercevrez que vous ne lui donnez pas la possibilité de s’exposer, de se dévoiler entiè­rement ; vous jugez, comparez, interprétez, cherchant instinc­tivement à vous trouver en sécurité devant la difficulté. Voyez-le ; dans cette attitude, vous ne pouvez faire un avec elle, vous restez obnubilé par vos réactions, vos résistances. Si vous savez rester dans la perception directe, telle qu’elle s’est pré­sentée à vous, elle se réfère à votre totalité, non à l’image que vous avez créée ; elle se démasque, apporte sa solution et l’action juste.

(Revue Être. No 1. 16e année. 1988)

Le titre est de 3e Millénaire

Nous sommes réunis aujourd’hui, pour la joie de nous rencontrer, bien sûr, et aussi pour voir ensemble comment rendre plus vivante, plus actuelle pour vous l’intégration dans votre vraie nature, la compréhension de ce vous-même, de cette paix infinie qui ne vous a jamais quittés mais qui reste voilée par tous vos conditionnements.

Pédagogiquement, il me paraît utile de faire d’abord connaissance avec ce qui est à la base de notre existence quotidienne, c’est-à-dire notre corps, nos sensations, nos sen­timents, nos pensées. La connaissance de soi, de ce qui compose notre personnalité demande une attention ouverte, alerte, sans intention qui permette à la perception de se dévoiler, de s’expri­mer pleinement, de s’harmoniser. Nous savons que notre per­sonne n’a pas d’existence réelle, elle dépend toujours de la conscience pour être connue. Celle-ci, au contraire, n’a pas besoin d’intermédiaire, elle se sait elle-même par elle-même et toute la création en est une émanation, une expression.

Je voudrais vous poser une question à ce sujet. Vous proposez souvent un travail corporel en nous montrant que certaines zones sont plus lumineuses, plus subtiles que d’autres. Grâce à notre lucidité, elles vont s’étendre – si l’on peut dire – sur les parties du corps encore obscures. Doit-on essayer d’aider ce mouvement ou faut-il laisser les choses se faire ?

Vous n’ignorez pas que certaines zones de notre structure sont purement énergétiques, d’autres au contraire sont fermées. Vous constatez, tout d’abord, dans diverses régions une qualité, une grande sensibilité, une sorte de vibration, dans d’autres zones, par contre, vous avez l’impression de quelque chose de concret, de solide, de sombre. Partez des régions particu­lièrement sensibles, soyez très attentif et vous sentirez des vibrations envahir les parties encore récalcitrantes. En com­mandant alors quelques mouvements à votre corps subtil, les membres physiques suivront d’eux-mêmes, sans que vous interveniez le moins du monde et toute votre structure sera intégrée dans la pose. Cela se traduit au début par des picote­ments, ensuite, plus en profondeur, vous remarquerez une qualité vibratoire d’une nature élastique, pourrait-on dire.

Cette approche permet déjà de nous dégager peu à peu des nœuds qui s’étaient formés sur ce plan. C’est une béquille qui – entre autres – nous aide à développer nos possibilités d’attention.

Je ne comprends pas comment la conscience peut être libérée de la peur, de la culpabilité ?

Vous êtes le connaisseur. Cela commence par une percep­tion. Vite, vous la conceptualisez et vous lui donnez un nom. Ce concept peur ne se réfère donc pas à l’instant où vous l’avez ressentie. Regardez-la seulement, ne la nommez pas, faites-y face directement. C’est possible quand votre attention est sans tension, sans but ni recherche de résultat. Si vous éprouvez lucidement, pleinement la sensation, il ne reste pas de place pour la fixation d’un moi. N’ayant plus de complice, la perception d’angoisse n’est pas alimentée et de ce fait, se dissout dans votre présence.

Cette notion est parfois entretenue par des conceptions morales dont nous ne somme pas affranchis.

Je ne parle pas de la cause, de l’origine de la sensation. Dès que vous la sentez, faites-y face immédiatement, sans la nommer. L’observateur maintient en quelque sorte ce senti­ment de crainte. Lorsqu’il est totale attention, purifiée des a priori une fusion s’effectue entre l’observateur et la chose observée. Cette transmutation entraîne la disparition de l’éner­gie peur dans la totalité. Soyez un avec cette émotion, aimez-la, afin de pouvoir la dépasser.

Monsieur, dans la relation avec les autres, les pensées me sont imposées par les situations. Comment peut-on rester ancré dans un arrière-plan, comment essayer d’être disponible et ne pas se figer dans des idées préconçues ?

Regardez votre fonctionnement dès que vous êtes confronté à un problème. Vous vous apercevrez que vous ne lui donnez pas la possibilité de s’exposer, de se dévoiler entiè­rement ; vous jugez, comparez, interprétez, cherchant instinc­tivement à vous trouver en sécurité devant la difficulté. Voyez-le ; dans cette attitude, vous ne pouvez faire un avec elle, vous restez obnubilé par vos réactions, vos résistances. Si vous savez rester dans la perception directe, telle qu’elle s’est pré­sentée à vous, elle se réfère à votre totalité, non à l’image que vous avez créée ; elle se démasque, apporte sa solution et l’action juste.

Observez votre façon de procéder dans la vie de tous les jours, démontez au fur et à mesure ce mécanisme qui vous fixe. Votre esprit veut choisir entre l’agréable et le désagréable, le beau et le laid car tant que vous vous situerez comme une entité particulière, votre vision sera fragmentaire, inexacte. En vivant dans une fraction, vous avez un point de vue fractionnel. Faites connaissance avec vous-même, c’est essen­tiel si vous voulez vivre harmonieusement et surtout ne vous laissez pas emprisonner dans le personnage que votre envi­ronnement a inventé de toutes pièces.

Qu’entendez-vous par « un personnage inventé de toutes pièces » ?

Tant que vous croyez être une personne, votre entourage garde cette qualification pour vous. Un objet ne peut voir que des objets. Sur le plan de l’individu, vous voulez constamment vous sécuriser, être aimé, reconnu. Lorsque vous aurez détecté que ce ramassis d’expériences, d’informations est le produit de la mémoire, ce besoin vous quittera et vous vous trouverez naturellement dans un espace non meublé, sans représentations. Vous êtes à ce moment-là dans une immensité, une vastitude sans schéma, vous êtes un avec l’autre ; présence d’amour dans laquelle les personnalités se manifestent. C’est une non-relation qui permet à une véritable relation de s’établir.

Ce n’est pas très clair pour moi actuellement. Il me semble que l’individu émane beaucoup de son environnement : un peu du ciel, un peu de la terre, un peu de la droite, un peu de la gauche. Le tout fait un amalgame que je perçois comme très mouvant, très changeant, produit par mille petites choses.

Le mythe d’un soi-même est un peu le résultat de notre entourage, c’est la société qui l’a suscité. Vous êtes un individu pour celui qui se prend comme tel. N’adhérez plus à ce fan­tasme, je vous le disais à l’instant, cela favorisera déjà une prise de conscience. Vous découvrirez un jour avec un immense sourire de soulagement par quelle aberration a pris naissance l’idée chimérique de se croire quelqu’un. Cela n’enlève pas les influences diverses qui ont joué, elles ne disparaissent pas d’un seul coup à ce moment-là, mais une constatation lucide entraîne une vision claire, juste. C’est une ouverture à la grâce.

Nous avons tous des idées préconçues derrière lesquelles nous nous rangeons, par habitude, sans hésiter. L’homme qui vit avec une femme l’a suivie des yeux en de multiples cir­constances, il finit par ne plus voir que le robot créé dans son esprit. C’est tragique et peut durer jusqu’à quatre-vingts ans !

Un montage réciproque que chacun projette sur l’autre ?

Oui, on vit dans les répétitions, la relation n’est pas positive, on demande sans cesse. Même lorsqu’on croit offrir, une vague attente se profile à l’horizon.

Il doit être possible d’éviter ce genre de choses, de vivre d’une façon plus créative, plus réelle ?

Avant tout, rendez-vous compte de l’incohérence qui régit votre existence. Que se passe-t-il ? Quelle est votre réaction ?

J’en ai parfaitement conscience, mais la situation ne change pas pour autant !

Vous vous accommodez de ces manques. Ce n’est vraiment pas sérieux.

Je me pose beaucoup de questions sur la liberté et le choix et je me demande si la liberté est uniquement un regard complè­tement détaché de l’enchaînement de l’objet appelé moi par habitude. Le regard qui est « derrière » peut-il seul agir sur cette entité dont les actes semblent programmés à l’avance ? Le fait de se situer dans cet arrière-fond de soi-même qui est une pure vision nous permet-il d’avoir une influence sur cette course qui semble organisée depuis longtemps de A à Z ? Y a-t-il choix quelque part ?

Quand vous êtes libre d’un vous-même, vous êtes libre de l’objet. Si vous vous référez à votre mémoire psychologique, la personne est maintenue et veut choisir. Abandonnez cette fausse vision, vous ferez un avec votre totalité qui par l’inter­médiaire de l’objet, vous dictera la solution. L’action inter­venant de cette façon ne laissera pas de résidus.

J’ai l’impression que plus je me situe dans l’arrière-plan, plus je perçois d’une façon claire, plus l’objet-corps a l’air de partir du point A pour aller au point Z. On peut quasiment suivre sa démarche dans le temps, ce qui provoque en moi une sensation double de liberté et aussi de non-liberté. Cela devient même prévisionnel. Je peux dire : dans tant d’années, je serai arrivé à tel endroit puis ce sera la mort. La fin du passage sur terre. Je fais enfin une constatation paradoxale : au fur et à mesure que le sentiment de liberté augmente en nous l’impres­sion de n’être qu’une fusée dont la trajectoire est tracée de tout temps se confirme davantage.

Voyez clairement que votre personnage apparaît dans votre silence, dans votre tranquillité, il y surgit, il y meurt. Vous comprenez alors qu’il est fait pour révéler votre arrière-plan, révéler la conscience. Décorez-le, rendez-le beau en hom­mage à la Réalité dont il est une émanation, vous aurez raison. Voyez l’objet dans ce sens, il pointe vers votre nature fonda­mentale et en tant qu’artiste, embellissez-le pour fêter ce que vous êtes profondément, foncièrement.

Vous dites : le connaisseur de l’image, le connaisseur de la peur. Est-il en même temps l’émetteur ?

Le sujet est encore un objet-sujet. Celui qui veut inter­venir, qui veut réformer, bâillonner a inventé la peur. Dans une attention sans concentration, sans direction, elle n’a plus de prise et se libère. Nous sommes créateurs de nos angoisses.

Monsieur Klein, vous avez dit un jour : la vie se déroule comme un film dans lequel nous n’avons pas l’air d’avoir un bien grand rôle à jouer. J’aimerais connaître la relation existant entre ce film qui suit un cours inéluctable et la présence. Quelle action peut-elle avoir sur le scénario ?

L’histoire était écrite d’avance, mais la lumière qui l’éclaire n’en est pas tributaire. C’est vous qui l’éclairez. L’être humain n’a pas de rôle à jouer, il y a fonction, c’est tout, cela se joue, personne ne fonctionne, n’est l’auteur. Posez-vous la question : Quel est le connaisseur de ce cliché ? Aucune réponse ne se présente et un arrêt se fait. Voyez-le, débarrassez-vous de toute projection et en l’absence de dynamisme, d’éner­gie pour établir une représentation, l’attention se reporte sur elle-même. C’est une aperception instantanée de ce qui n’est plus un individu et ne peut être pensé ; de notre vraie présence.

Si la conscience se connaît sans passer par aucun inter­médiaire, pourquoi nous arrêter sur le corps ?

Nous apprenons à sentir notre corps dans toutes ses extensions. Nous ne mettons pas l’accent sur lui, mais sur celui qui le contemple et le dirige.

Je ne vois pas du tout par quel moyen je pourrais calmer mes pensées. En fait, elles vont et viennent comme il leur chante ; en partie imaginaires et un peu folles, elles font ce qu’elles veulent car je me laisse emporter par elles. Pourtant, je voudrais tellement prendre de la distance vis-à-vis de ce magma confus et fatigant !

Regardez le mouvement de vos pensées sans intervenir, sans en chercher le sens, sans vouloir les changer, les suppri­mer. Respectez-les, laissez-les libres. Vous aurez déjà, en ce cas, une relation spatiale et ne serez plus collé, identifié à elles. Comme ce sont des résidus, la plupart du temps, ne recevant plus de combustibles pour subsister, elles vont ralen­tir leur ardeur, se consumer et vous aurez le pressentiment de votre présence. Un transfert d’énergies s’est effectué ; branchées au début sur cette activité cérébrale un peu désor­donnée, elles sont passées dans votre laisser-faire : ces énergies se sont condensées sur celui qui les a observées. Toujours par le même processus, une attention ouverte, lucide provoque ce changement.

Les pensées vont donc défiler, puis s’affaiblir ?

Oui, mais n’essayez surtout pas de les maîtriser. N’uti­lisez pas les méthodes qui consistent à les matraquer, c’est une violence, vous les mettrez temporairement dans un coin, mais elles ne disparaîtront pas.

Notre observation, parfois, reste un peu superficielle, il faudrait qu’elle soit complètement consciente. Pouvez-vous m’aider à mieux m’intérioriser ?

Être attentif fait partie de notre cérébralité, c’est une fonction. Lorsque notre attention est maintenue pour des raisons multiples, parce qu’un objet nous intéresse, nous émerveille ou nous étonne, elle s’épanouit et devient intelligence, pure conscience.

Elle passe d’abord par un stade mental ?

On pourrait parler de croissance, mais ce serait faux. On a en tout cas l’impression qu’elle s’agrandit, devient plus alerte, s’ouvre davantage. Constatez tout d’abord simplement que vous n’êtes pas vraiment attentif.

Ne plus vouloir juger, est-ce une faiblesse ou de l’amour ?

C’est de l’amour. Mais avant de ne plus juger, voyez clairement que votre appréciation se réfère plus ou moins à votre personnage. Rendons-nous compte que notre action n’est pas adéquate en certaines circonstances, mais sans conclure. La notion de bien et de mal est mentale. Toute action comman­dée par notre totalité, sans intervention de la personne, est forcément juste, appropriée.

Oui, mais à ce moment-là, comment percevoir que l’on commet moins d’erreurs ?

Vous occupez votre pure conscience, la situation s’y reporte. La notion d’être responsable ne se soulève même pas. Selon les circonstances, il y a action, cela fait partie de la situation. Cette action est obligatoirement pertinente. Vous nagez comme un canard dans l’eau en quelque sorte.

À quoi sert la mémoire ? Pourquoi mémorisons-nous tous nos actes ?

C’est pour maintenir la personne en vie. Nous ne sommes pas assez dans cette présence qui ne se pense pas. Nous sommes constamment dans le passé-futur, dans le devenir, la mémoire psychologique, ce temps auquel nous nous rapportons toujours : passé, futur – passé, futur. Le temps astronomique, lui, ne soulève pas de problèmes, il ne revient pas en arrière. Quant à la mémoire fonctionnelle, elle apparaît lorsqu’il le faut, elle est utilisée pour écrire notre biographie, par exemple. Vivons l’instant présent, sans référence d’aucune sorte.

Il arrive parfois que notre sensibilité se trouve blessée dans quelques circonstances, dans notre profession, par un regard, une intention, lorsqu’on côtoie certaines personnes. Comment faire face ? Doit-on chercher à s’écarter, à s’éloigner ?

Rendez-vous compte dans l’instant même : vous vous pre­nez pour quelqu’un, vous vivez sur un cliché tout fait, comme un acteur sur une scène dont la vision n’est pas libre. Oubliez ce guignol, maintenez votre attention afin qu’elle vous libère et l’amour s’exprimera dans votre regard. En l’absence d’une entité particulière complètement fabriquée, vous serez décon­tracté. Examinez-vous alors en rapport avec les autres. Tout s’aplanira. Les yeux sont les organes qui nous indiquent le mieux notre relation avec autrui.

Ne le percevons-nous pas également dans le son ?

Nous le saisissons par tous nos sens.

Je voudrais revenir sur ce que vous avez expliqué tout à l’heure. Si j’essaie de faire abstraction du passé, futur, je ne peux échapper à l’envie de mourir qui me saisit, c’est donc une pensée qui à nouveau me sort de l’instant présent et d’une façon plutôt pénible. J’aimerais l’éviter.

Prenez note sur le vif. Examinez ce qui vous porte à revivre le passé pour programmer un futur : c’est un sentiment d’insécurité, il vous pousse à fouiller dans vos souvenirs pour vous rassurer. Observez très souvent cette réaction et, à un moment donné, le disque cessera de tourner.

Si vous voyez clairement, dans l’instant même en principe il s’arrête, mais il reste la mémoire organique. Dans le meilleur des cas, l’enregistrement stoppé ne repart pas et l’énergie libérée est employée d’une manière positive. Nous gaspillions beaucoup en voulant créer un futur, comme d’ailleurs avec les rêveries qui nous assaillent dans la journée, elles font plus ou moins partie. Nous dépensons une force considérable avec ces absurdités.

Je me demande ce qui me pousse à venir ici ? Un amalgame hétéroclite de pensées et de désirs entraînant la personne à venir se faire couper la tête ?

C’est peut-être un manque. Dans ce cas, ce n’est que de la mémoire et n’a pas grande valeur. Si vous vous en apercevez à temps, alors, restez chez vous. Regardez ce manque, faites-y face, aimez-le, courtisez-le pour que le mécanisme se démonte. Vous pouvez aussi venir pour la joie de se retrouver, d’être ensemble.

Peut-être pour confronter des images ?

Oui, mais on sait très bien n’avoir rien à demander, à attendre. On ne vient pas pour être autre, on vient sans but. Une sorte de rabotage se fait quelque part, quelque chose s’en va.

Monsieur Klein, il a été question de la vue, du son. J’aimerais vous parler des couleurs. On voit la couleur d’une personne par son aura, mais qu’est-ce que l’aura ?

Lorsqu’un enfant répond à une situation, il en voit parfois très intensément la couleur. Une grande personne dissimule parce qu’elle a appris à le faire, mais quand nous exprimons naturellement une idée, toutes nos sensations se manifestent : la voix, le regard, le parfum aussi. — Vous savez très bien qu’il n’est pas question ici de l’odeur provenant de l’espèce humaine : peau, pays d’origine, mais de celle qui vient de notre nature, de notre caractère, de notre véracité —. Toute une palette de couleurs apparaît également, nous ne pouvons le cacher à qui sait regarder.

La personnalité est en fait un ensemble de pensées de désirs, d’émotions, de sentiments qui nous habitent. Quelqu’un en est témoin, en est conscient mais derrière cette conscience-là, il y a autre chose. Alors, comment s’opère le passage du témoin à la conscience du Soi, au Soi lui-même. Vous disiez tout à l’heure que nous étions ici par amitié les uns pour les autres. Personnellement, je n’ai pas cette tentation, je viens pour une raison extrêmement profonde qui dépasse même votre personnalité. En fait, je cherche.

Votre formulation est bonne. Je n’ai pas fait l’effort d’aller dans cette direction. C’est surtout l’opportunité de se trouver soi-même qui motive notre venue.

Alors, pouvez-vous nous dire ce qu’on entend par maître intérieur et comment il se manifeste ?

Votre Soi vous cherche. Il suscite en vous un besoin intuitif de vous « retrouver ». Il se manifeste surtout au moment où votre esprit bien informé sait qu’il n’a rien à atteindre, rien à trouver, rien à poursuivre. Il se rend compte de ses limites, de son impossibilité de concevoir l’amour, la paix. À ce moment-là, il lâche prise et a une aperception de la présence : pas celle qui se laisse penser, elle concerne le passé-futur, mais une présence en dehors de l’espace-temps. Il est très important que notre esprit sache reconnaître son impuissance, qu’il soit informé sur la perspective qui s’offre à nous de vivre dans notre nature foncière. Cette compréhension supprime toute dispersion. Un mental averti, orienté est déjà au seuil de la vérité, de l’ineffable.