Vimala Thakar
N’aie pas peur de la vie …

N’aie pas peur de la vie, c’est ton souffle N’aie pas peur de la liberté, c’est ta vue N’aie pas peur de l’amour, c’est ton être. N’aie pas peur de la vie Nos vies se déroulent selon un mode séquentiel : fais ceci maintenant et alors cela arrivera. Nous voulons avoir le sentiment d’une continuité, […]

N’aie pas peur de la vie, c’est ton souffle

N’aie pas peur de la liberté, c’est ta vue

N’aie pas peur de l’amour, c’est ton être.

N’aie pas peur de la vie

Nos vies se déroulent selon un mode séquentiel : fais ceci maintenant et alors cela arrivera. Nous voulons avoir le sentiment d’une continuité, nous voulons nous mouvoir dans le cadre d’un temps psychologique, or ce n’est pas possible.

Dès l’instant où tu arrêtes de bouger psychologiquement, tu permets au mouvement de la pensée de s’arrêter complètement. Le temps s’immobilise, le temps comme mesure psychologique devient totalement inefficace et inadéquat.

Alors on est au royaume de l’intemporel, de la réalité sans mesure. Tu es là dans la nudité de ta conscience, sans concepts, sans pensées, rien, ta conscience est là, nue, sans n’être plus ni quelqu’un ni quelque chose.

Maintenant il n’y a plus rien, ni personne, pas même l’image d’une entité, c’est pur, et c’est ce qui nous effraie.

Nous avons vécu en tant que personne faisant quelque chose, obtenant quelque chose en retour, et ainsi de suite et maintenant n’être ni personne, ni rien, dans l’infini et l’éternité de la vie, nous paraît irréel et cela provoque émotionnellement un tremblement intérieur.

Quoi qu’il arrive, laisse-le arriver. Consens à tout laisser venir, consens à ce que la vie universelle te prenne en charge, car la machine du moi, liée au temps, s’est arrêtée. Consens à ce que la vie universelle te prenne en charge, qu’elle modèle ta vie, qu’elle te bouge, qu’elle te conduise. Non, nous ne sommes pas prêts à cela. Nous avons pris nos vies en mains, nous les avons modelées, moulées, réglées, tu sais ?

« Si l’intelligence suprême commence à transformer ma vie, elle ne m’obéira plus, je n’ai aucun rôle à y jouer ! » C’est ce qui nous effraie.

Nous parlons de liberté et nous continuons à créer des autorités. Nous parlons de liberté et nous continuons à obéir à des stéréotypes. L’autorité et le conformisme nient la liberté, n’est-ce pas ?

Celui qui a peur

Il veut un code de conduite, celui qui a peur de lui-même.

Il veut une religion pour le sauver, celui qui a peur de la vibrante Vie.

Il veut un Dieu pour le protéger, celui qui a peur de la Mort toute puissante. Il veut une Société pour l’aimer, celui qui a peur de l’enveloppante Solitude. Il veut une Vertu pour se purifier, celui qui a peur de la brûlure de la Passion.

Jusqu’à maintenant, ce fût l’énergie mentale qui contrôla l’énergie du corps, mais lorsque cette énergie conditionnée du mental cesse d’agir, alors c’est l’énergie de l’espace, vierge de tout passé, de tout concept, de tout mot, qui commence à agir.

Nous ne voyons pas que c’est le Silence qui est créateur, l’espace qui est créateur, qui agit en nous, que c’est une dimension de notre propre vie. On est stupéfait de découvrir qu’il existait un tel espace immense, un tel silence, une telle détente en nous.

C’est dans le silence que l’on découvre ce que c’est que d’être libre. Se révèle alors une énergie différente, créatrice, qui jusqu’ici était latente, qui imprégnait tout notre être mais n’avait jamais eu l’occasion de se manifester. C’est cette énergie créatrice, le mouvement de cette intelligence en moi, qui est liberté.

Tant que nous n’avons pas découvert cette source de liberté, cette source intérieure, la vie n’a aucun sens. Tout ce que nous faisons est sans vie, sans vitalité, nous ne faisons que répéter les modèles que nous avons reçus. Ce n’est pas vivre, ce n’est qu’un petit bout de vie, un fragment.

Hors de cette prison du fragmentaire, on débouche dans la liberté du silence et de l’espace intérieur, alors soudain, on trouve vitalité, vigueur et intensité. On peut, de façon saine et responsable, négocier avec les modèles de la race humaine, fonctionner avec le monde fabriqué par les hommes, sans être mené et contrôlé par eux, sans en être esclave ; quand c’est nécessaire on fait avec. Quand ce n’est pas nécessaire, le cerveau est tranquille, détendu, on est de retour dans la demeure de l’espace intérieur, sans aucune frontière qui soit, appartenant à la totalité de la vie telle qu’elle est. C’est cette totalité qui est notre demeure, pas la pensée. C’est la divinité de ce silence intérieur qui est notre vraie demeure, c’est là que l’on est censé vivre et boire le nectar de la vie.

Le temps psychologique, que l’homme a créé pour la commodité de son mental, pour que celui-ci se sente en sécurité, n’a pas de réalité. Il n’y a ni passé, ni futur. Ce qui a été est, et ce qui est sera. Ainsi, d’une certaine façon, le passé et le futur sont contenus dans le présent intemporel, dans l’éternel maintenant.

Je ne sais pas si je peux exprimer avec des mots combien la réalité de la vie, l’« être en vie », reste non pollué par toutes les créations humaines. La qualité de cette vie, la qualité de cette « êtreté » n’est pas affectée par les créations humaines. Elle est comme elle a été et comme elle sera toujours.

Vivre, c’est être en mouvement avec la créativité de la vie.

Vivre, ce n’est pas imiter, obéir ou répéter.

Vivre , c’est l’émanation de la créativité à travers votre regard, vos mots, votre attitude dans les relations.

L’acte de vivre, c’est la totalité de ton être qui s’exprime et s’épanouit dans et à travers tous tes actes. Et plus tu t’épanouis, plus tu découvres le contenu de ton être, plus cet épanouissement enrichit l’être. Ce n’est pas une théorie, c’est ce que j’ai constaté : la vie s’enrichit des réponses adéquates et la force de l’être intérieur s’accroît. Ainsi vient l’amour de la vie et non la peur de la vie. Je dis bien la peur de la vie car nous avons peur. Nous voulons vivre et en même temps nous avons peur de vivre. Nous avons peur du lendemain, nous avons peur de l’inconnu. Nous nous sentons tellement en sécurité avec le connu que nous ne voulons rien d’autre, nous voudrions prendre le train du connu en marche, la projection du connu, vivre le passé au présent, c’est ainsi que l’on s’imagine vivant. Tout comme nous essayons de projeter le passé sur le présent, nous essayons de projeter et d’utiliser le présent pour l’avenir. Demain n’est jamais là, ce qui est là c’est aujourd’hui, maintenant, ici.

Vivre aujourd’hui pour demain, c’est de la fiction.

La vie n’a pas de temps. C’est l’éternel présent, sans passé ni avenir. C’est si vaste, si gigantesque. Mais l’être humain veut comparer, mesurer, afin de partager et communiquer. Nous avons de magnifiques mesures. Nous mesurons l’espace et l’éternité de la vie. Les kilomètres, les miles, les années, les siècles. Tout ceci n’a aucune réalité, nous vivons dans un monde conceptuel.

Je pense que vivre en société suppose des symboles bien pensés. Sans symboles pour représenter les concepts et les idées, afin de se relier soi-même au monde des perception, la vie serait impossible.

Il n’y a donc aucun mal à utiliser des symboles, des mots, des concepts. Mais il faudrait les prendre pour ce qu’ils sont, comme ils sont, sinon, nous serons prisonniers de ce que nous avons créé par commodité.

Silence.

La pensée est un espace qui a une direction, mais le silence est un espace sans direction, sans limitation, sans frontière. On se trouve alors dans un silence non pollué, qui n’a ni passé, ni contenu, sans aucune tension, car il n’y a pas de motivation qui puisse toucher le silence.

Nous n’avons jamais été là. Nous ne connaissons que la quiétude entre deux pensées, la quiétude et la paix entre deux mouvements, deux activités, la quiétude qui suit la fatigue physique ou mentale. Avant de repartir dans une activité nouvelle, nous donnons un peu de repos à notre corps, à notre parole, à notre mental, cela nous connaissons. Mais pas cette réelle relaxation, qui n’attend rien, qui n’attend pas de déboucher sur une nouvelle activité.

Dans ce silence, il y a une détente inconditionnelle de tout notre être. Je ne suis pas là pour acquérir quelque nouvelle information, quelque nouvelle expérience, pour changer quoi que ce soit, pour abandonner quoi que ce soit, je suis juste là dans le fait d’être, dans l’être de la vie, dans la vie. Je suis, simplement.

Ainsi naît la liberté, dans l’oubli de toute tension, de toute intention, de toute direction et de toute interférence du passé.

L’amour de la vie.

Le phénomène de la vie, comprendre la vie, le fait de vivre, le mouvement de la vie, tout cela m’intéresse.

La sécurité ou l’insécurité, le prestige, la respectabilité, tout ce qui est pratique, tout cela n’est pas essentiel. Le principal est de vivre. Si tu aimes la vie, si tu as envie de vivre et de découvrir ce que vivre signifie, alors tu as l’humilité de vivre le peu que tu comprends. Tu deviens une lumière pour toi-même, advienne que pourra. Tu acceptes le risque de vivre selon ta propre compréhension, c’est un défi lancé à ta propre créativité, cette énergie présente en toi. Tant que ceci n’est pas accepté et vécu, le flash de la compréhension ne peut te libérer; car l’esclavage s’immisce dans la vie présente et les relations actuelles. L’esclavage n’est pas une abstraction, ce n’est pas sur le plan des idées et du mental, ce n’est pas un concept, c’est une réalité venant de nos réactions et de nos relations.

L’esclavage vient toujours de moi, de mes actes et de mes réactions, de ce que je fais de moi, des autres et des choses. C’est là, dans la vie, que doit venir la liberté.

Laisse le flux de la compréhension couler dans ta vie relationnelle sans souci des conséquences. Vis cette compréhension, et advienne que pourra, c’est ce qu’on appelle véracité.

Si l’on est honnête, loyal et vrai avec soi-même, on n’a besoin d’aucun gourou, d’aucun maître, d’aucun enseignant, car la compréhension est une lumière née de notre sensibilité. C’est la vie divine en toi qui allume cette flamme de la compréhension.

Ne vis pas de connaissances, mais de compréhension

Hier, la connaissance est morte, aujourd’hui, la compréhension est créatrice

Lorsque la compréhension remplit l’aujourd’hui, le futur descend sur la terre

Le futur c’est maintenant, il est là, le futur est Éternel Présent.

La vie est un maître, un professeur, toujours présent, dans chaque situation, dans chaque défi, à tout moment. Le Grand Professeur, c’est la communion avec la vie et son mouvement, c’est elle qui nous aidera à apprendre.

Nous ne sommes ni seuls, ni isolés, dans notre quête religieuse de la nature et du sens de la réalité, la Vie nous entoure. Au delà des structures humaines et de tout ce que l’homme a construit, au delà des symboles, des théories et des idéologies, il y a la Vie, sa pulsation, son énergie. Nous apprenons à être alertes et sensibles, ainsi à tout moment nous savons toucher la Vie sous le monde, sous le mouvement, sous les faits et gestes.

Nous devons apprendre à être avec notre être, le regarder, l’observer, nous familiariser avec lui, le comprendre ; il nous faut être avec lui dans l’élégance de la simplicité, entièrement libre de tout effort et de toute attente, libre de tout désir de fuite.

Dans le dépouillement de la perception, de la compréhension et de la détente absolue, il y a libération d’une énergie nouvelle, qui n’a ni centre tel que le moi, ni périphérie ou circonférence telle que la connaissance ou tout ce dont on hérite. Cette énergie n’est pas née du passé, mais du silence, de la détente. C’est l’éclosion de l’être qui met un terme à la souffrance.

Dans la cessation du mouvement de la structure pensante, c’est une dimension complètement différente de la vie qui s’ouvre à nous.

Le langage de la vacuité est complètement différent de celui que nous lui avons associé.

L’énergie du vide, l’énergie du silence, est complètement différente de celle des mots, des pensées, des sentiments.

Ce sera très amusant de découvrir la nature de cette énergie, et de voir, pour nous-mêmes, ce que cette énergie provoque dans notre corps et dans notre vie.

Poser l’acte de vivre suppose une compréhension personnelle, et suppose de vivre selon cette compréhension personnelle.

Vivre, ce n’est pas une expression de la connaissance ou de la pensée, ce ne serait que répétition du passé.

Vivre est une expression de la compréhension personnelle.

N’aie pas peur de la vie, c’est ton souffle

N’aie pas peur de la liberté, c’est ta vue

N’aie pas peur de l’amour, c’est ton être.

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Le titre original du livret est « Fear not life », © mrs Frankena-Geraets, Blaricum Holland 1989, ISBN 90-72996-20-8.

Traduction par Patrick Delhumeau.

Emprunté au site Français consacré à Vimala Thakar