(Revue Le Chant de la Licorne. No 25. 1988)
Culpeper s’est comporté en franc-tireur au sein de la société médicale anglaise du XVIIème siècle. Ses recherches originales lui ont permis de rédiger différents ouvrages, dont un traité de phytothérapie reflétant les connaissances astrologiques et énergétiques de cette époque.
Nicholas Culpeper naît à Londres le 18 octobre 1616. Fils de pasteur, il étudie quelque temps à Cambridge le grec et le latin, ce qui lui permet de se plonger dans les vieux écrits médicaux. Il fait ensuite un apprentissage chez un apothicaire de Bishopsgate. En 1640 (il a 24 ans), il s’installe comme astrologue et médecin à l’est de Londres. À cette époque de guerre civile opposant la royauté, jalouse de ses pouvoirs, et le parlement qui exige un droit de regard croissant sur ses décisions, Culpeper rallie le camp des parlementaires. On sait qu’il participe au moins à une bataille, au cours de laquelle il est sérieusement blessé à la poitrine. Cela ne semble pas avoir entravé de manière significative son activité médicale qui lui vaut une réputation croissante. Bien qu’ayant des moyens plutôt modestes, il n’hésite pas à soigner gratuitement les pauvres.
En 1649, Culpeper franchit un pas décisif en publiant une traduction anglaise de la «Pharmacopée» du Collège des médecins, rédigée jusqu’alors en latin. Cette édition, qui rencontre un franc succès populaire, brise un monopole et soulève l’indignation dudit Collège qui considère alors Culpeper comme un «traître et un usurpateur sans scrupules, qui dénature ce livre original et n’hésite pas, par ses conseils faux et intempestifs, ni à empoisonner les honnêtes gens, ni à jeter l’opprobre sur l’honorable société des apothicaires et chirurgiens». À plusieurs reprises, le Collège des médecins tente, sans grand succès semble-t-il, de salir l’image de Culpeper. En 1654 paraît une troisième édition, entièrement refondue, de cet herbier, sous le titre «An English Physician Enlarged», intégrant de nouvelles plantes locales jusqu’ici non étudiées.
Sa pratique médicale est intense. Il rédige de nombreux ouvrages et prend en charge la formation d’apprentis désireux d’acquérir ses compétences. Toutefois, le surmenage épuise sa vitalité déjà amoindrie par son ancienne blessure. Il meurt le lundi 10 janvier 1654, à l’âge de 38 ans, laissant à sa veuve et à ses sept orphelins près de 80 manuscrits inédits. La plus grande partie sera publiée dans les années qui suivent.
L’œuvre de Culpeper
Elle est constituée de traductions de documents anciens et des propres apports de Culpeper. On peut la répartir en trois secteurs inégaux.
L’œuvre médicale
L’œuvre maîtresse demeure le «Culpeper’s Complete Herbal», qui porte de plus en plus, au cours des rédactions successives, l’empreinte de sa vision ésotérique. On en recense de nos jours plus de 25 éditions différentes. Cet ouvrage peut être considéré comme une somme de phytothérapie énergétique. Les éditions les plus récentes comprennent le plus souvent des additifs de pharmacie et de médecine familiales.
On connaît six éditions du «Directory for Midwives», répertoire à l’usage des sage-femmes, prodiguant des conseils pour la période s’étendant de la conception au sevrage.
«Semeiotica Uranica» est un précis de sémiologie astrologique s’appuyant sur d’anciens travaux grecs et arabes, intégrant notamment la théorie d’Hermès Trismégiste sur la première manifestation de la maladie et le jugement d’Hippocrate. Une des éditions comprend un traité de l’urine. Semeiotica Uranica est un véritable cours d’astrologie médicale.
On connaît encore quelques ouvrages dont un concerne la diététique et un autre, la pratique des saignées, des ventouses et des scarifications.
Les ouvrages plus spécifiquement astrologiques:
– «Catastrophe Magnatum or the Fall of Monarchy» étudie l’éclipse du 29 mars 1652 et prédit la chute à terme de toutes les monarchies. Le contenu de ce livre est marqué par la lutte intestine qui mine l’Angleterre de l’époque et par le point de vue partisan de Culpeper.
– Il publie trois années de suite des «Ephemeris».
– En 1654, année de sa mort, paraît son «Opus Astrologicum» qui contient un grand nombre d’aphorismes, des prédictions à l’usage de ceux qui vont en guerre, de ceux qui partent en voyage, de ceux qui construisent, etc.
Un ouvrage d’hermétisme
«Treatise of Aurum Potabile». Cette introduction à la philosophie hermétique décrit les trois mondes, élémentaire, céleste et intellectuel. Un certain nombre d’indices, disséminés notamment dans l’Herbal laissent à penser que Culpeper avait, pour le moins, quelques connaissances en alchimie. Il précise à plusieurs reprises que certaines plantes ne sont souveraines que si elles sont «travaillées selon l’Art».
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LE FRAGON OU PETIT HOUX
RUSCUS ACULEATUS – BUTCHER’S BROOM
C’est une plante de Mars, ayant de nobles propriétés dépuratives et désobstructives. La décoction de la racine faite avec du vin ouvre les obstructions, provoque l’urine, aide à expulser la pierre, est utile dans la strangurie, les règles, la jaunisse et le mal de tête; additionnée de miel ou de sucre, elle élimine le flegme des seins et les humeurs retenues dans la poitrine. Boire de la décoction de racine et faire un cataplasme des baies et feuilles, tout ceci est utile pour la restauration des os fracturés. Habituellement, on fait bouillir la racine avec du persil, du fenouil et du céleri dans du vin blanc, et on boit la décoction: plus on met de racines, plus la décoction est forte, cela n’a pas d’effet secondaire. Cependant, j’espère que vous avez assez de bon sens pour donner la décoction la plus forte aux constitutions les plus fortes.
tiré du «Culpeper’ s Complete Herbal»
Les théories médicales de Nicholas Culpeper
Culpeper a fait essentiellement œuvre de vulgarisateur, en dérobant le capital de connaissances d’une corporation médicale barricadée derrière ses textes en latin, en le transformant progressivement en une œuvre à usage populaire et en le recentrant sur la flore locale. Ses théories médicales sont de ce fait peu développées de manière explicite et apparaissent sous forme éparse au cours des nombreuses études de plantes.
Il existe toutefois quelques rares textes disponibles qui révèlent Culpeper comme le témoin d’une médecine énergétique, occidentale et séculaire. Voici, à titre d’illustration, sa théorie des tempéraments appliquée aux plantes.
Plantes et tempéraments
Toute plante médicinale est chaude ou froide, humide ou sèche, ou neutre. Ces qualités sont à considérer par leur effet sur l’homme, non par elles-mêmes. En effet, celles qui sont dites chaudes réchauffent nos corps, celles qui sont froides les rafraîchissent, celles qui sont neutres n’affectent le corps ni en température, ni en humidité ou en sécheresse; mais elles peuvent aussi être neutres en température et humides ou sèches; ou bien, neutres en humidité et chaudes ou froides. Dans chaque qualité on distingue quatre degrés:
– Les plantes qui sont chaudes au premier degré sont de même chaleur que le corps et, de ce fait, ne font que lui ajouter une chaleur naturelle, si celui-ci a été rafraîchi par nature ou par accident; ainsi, elles nourrissent la chaleur naturelle si elle est faible ou la restaurent lorsqu’elle est déficiente.
On les utilise pour fluidifier les humeurs morbides dans le but de les expulser par transpiration; en applications externes pour s’attaquer aux inflammations et aux fièvres en ouvrant les pores de la peau; pour assister l’action d’une préparation médicinale en contribuant à maintenir le sang à une bonne température.
– Les plantes qui sont chaudes au deuxième degré sont utilisées pour ouvrir les pores et éliminer les obstructions en «forçant» les humeurs résistantes. Elles agissent ainsi de leur propre puissance, lorsque la nature ne peut le faire par elle-même.
– Les plantes chaudes au troisième degré sont plus puissantes et sont à même de causer des inflammations ou des fièvres. On les utilise pour provoquer des transpirations importantes et s’attaquer aux humeurs tenaces. Pour cette raison, elles repoussent les poisons.
– Celles qui sont chaudes au quatrième degré, brûlent le corps si elles sont appliquées en externe. Leur rôle est de provoquer des inflammations, de faire venir des vésicules et d’attaquer la peau.
– Celles qui sont froides au premier degré ont un effet symétrique à celles qui sont chaudes au premier degré. On les utilise pour atténuer la chaleur de l’estomac et faciliter la digestion; pour diminuer la chaleur dans les fièvres et pour reprendre ses esprits lorsqu’on a été asphyxié.
– (Le texte original ne mentionne rien sur le deuxième degré. NDR)
– Celles qui sont froides au troisième degré ont une action plus décisive. On s’en sert pour retenir les pertes de matière et arrêter les fuites; pour épaissir les humeurs; pour limiter la violence de la bile, pour stopper une transpiration et empêcher quelqu’un de s’évanouir.
– Celles qui sont froides au quatrième degré stupéfient les sens. Elles sont utilisées dans les cas de violentes douleurs; dans les cas extrêmes, lorsqu’on désespère de garder le malade en vie.
Les médicaments asséchants consument les humeurs, arrêtent les flux, resserrent les tissus et renforcent la nature. Mais si l’humidité est déjà épuisée, alors ils consomment la force naturelle elle-même.
Ceux qui sont secs au premier degré renforcent; au deuxième degré, ils resserrent; au troisième, ils arrêtent les flux mais inhibent l’alimentation du corps et apportent la consomption; au quatrième, ils assèchent l’humidité fondamentale (ou radicale), ce qui, une fois celle-ci épuisée, produit la mort.
Les remèdes humides, opposés aux secs, lénifient et rendent absent, rêveur. Ils ne peuvent excéder le troisième degré.
– Les remèdes humides au premier degré soulagent les toux et apaisent l’irritation des voies respiratoires; au second degré, ils relâchent les intestins; au troisième, ils rendent l’organisme aqueux et phlegmatique, installant léthargie, hydropisie ou maladie du même genre.
Les remèdes agissent selon leur tempérament, les qualités actives sont chaleur et froid, les qualités passives sont sécheresse et humidité. Les qualités actives éliminent la maladie, les passives sont asservies à la nature. Ainsi, les remèdes chauds peuvent soigner l’hydropisie en ouvrant les obstructions; et les mêmes peuvent traiter la jaunisse, par leurs qualités attractives pour l’humeur en excès. Au contraire, les remèdes froids peuvent réduire une fièvre en condensant les vapeurs; et ces mêmes remèdes peuvent stopper un flux ou un relâchement.
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ASTROLOGIE A L’USAGE
DE LA RÉCOLTE DES SIMPLES
Que l’on cueille dans l’heure de la planète qui gouverne la plante.
Que la planète qui gouverne la plante soit angulaire (si c’est une herbe de Saturne, que Saturne soit à l’Ascendant; si c’est une herbe de Mars, qu’il soit au Milieu du Ciel).
Que la Lune applique à la planète maîtresse en bons aspects sans qu’elle soit dans le domicile de ses ennemis. Si vous ne pouvez attendre, qu’elle applique à une planète de la même triplicité ou, à défaut, qu’elle soit conjointe à une étoile fixe de même nature.
L’étude de l’œuvre de Culpeper montre qu’avant l’avènement de notre époque technique et matérialiste, une médecine énergétique existait, issue de nos racines culturelles, dont nombre d’informations sont à exhumer et à réactualiser. Mais l’heure où la science contemporaine pourra considérer avec intérêt et intégrer de telles données n’est pas encore venue, si l’on en croit la très sérieuse Encyclopedia Britannica, dans sa seule allusion à Nicholas Culpeper: «À côté des véritables herbiers, d’autres œuvres de nature superstitieuse ont probablement existé. Beaucoup furent conçues à l’aide de la fantasque théorie médicale des signatures: la détection des plantes pour soigner les maladies humaines serait basée sur de supposées ressemblances anatomiques. En Angleterre, ceci culmina avec l’herbier de Culpeper (1649) qui présente une pharmacopée pseudo-scientifique.»
Mais est-il nécessaire d’attendre l’aval de quiconque pour aller chercher une connaissance nécessaire partout où elle est susceptible de fleurir ?
BIBLIOGRAPHIE
Culpeper’s Complete herbal, Foulsham & Co, Londres