Frédéric Lionel
Science et métaphysique

La mission civilisatrice dont l’Occident se ferait le héraut doit s’appuyer sur une vision adaptée aux problèmes de l’époque, mais aussi, sur une vision tenant compte de l’héritage du passé qui répond à une hérédité collective. L’esprit de progrès que suscite la recherche scientifique ne saurait s’épanouir que basé sur la sagesse éternelle qui a […]

La mission civilisatrice dont l’Occident se ferait le héraut doit s’appuyer sur une vision adaptée aux problèmes de l’époque, mais aussi, sur une vision tenant compte de l’héritage du passé qui répond à une hérédité collective. L’esprit de progrès que suscite la recherche scientifique ne saurait s’épanouir que basé sur la sagesse éternelle qui a présidé au renouvellement des formes dont l’humanité a fait l’expérience au cours de sa longue histoire. Les possibilités technologiques appelées à bouleverser le mode d’exister des habitants de la planète doivent donc se plier aux exigences du bien-Être.

En ce nouvel âge qui s’annonce, les femmes sont conviées, sans doute, à jouer un rôle prépondérant, à condition de ne pas chercher à se viriliser en imitant les hommes, mais au contraire, en exaltant leur féminité pour épanouir les qualités intuitives et inspirées qui, chez les hommes, comme chez les femmes, sont l’expression de l’Éternel Féminin, sous son aspect créateur.

Les qualités intuitives et inspirées feront contrepoids à l’extrême développement de l’intellect, dont le rôle reste primordial, à condition de ne pas le laisser s’imposer en maître orgueilleux.

Par l’harmonieux équilibre entre la raison raisonnante et les perceptions intuitives et inspirées, pourra se réaliser l’union des deux natures en chacun, l’engageant à participer au Grand Œuvre, conscient du rythme de l’évolution, conscient des impératifs de l’époque, conscient de ses moyens, qu’il ne saurait transgresser.

Libéré des contraintes psychologiques et libéré de la crainte qu’engendre l’attachement aux règles, aux notions et aux doctrines, l’homme conscient et pensant percevra l’essentiel en se fiant à la vérité de l’instant.

Il s’agit d’un acte métaphysique entraînant la dissolution des barrières qu’érige le monde conceptuel et d’une transformation psycho-chimico-biologique, qui débouche sur la compréhension du pourquoi du périple terrestre. On ne raisonne pas, on saisit une évidence par une faculté jusque-là inconnue.

La métaphysique est la science des causes premières et seule la compréhension des causes premières se transforme en prise de conscience que favorise grandement le silence intérieur, permettant de percevoir ce qui « Est » à l’instant.

Toutes les formes de méditation tendent à promouvoir cette possibilité. Or, on médite depuis des temps immémoriaux. La méditation est, de toute évidence, davantage qu’un simple exercice de silence. Il s’agit d’un acte dont les racines plongent dans le cœur de la psyché humaine.

Écoutons les paroles de l’Évangile : « Le royaume des cieux est dans le plus profond de l’âme et n’est accessible qu’à l’amour. » L’amour est compréhension et comprendre ce dont il s’agit « essentiellement » est véritable intelligence et, en fait, un acte de foi.

Il fut un temps où la ligne de démarcation entre les domaines métaphysique, théologique, philosophique et scientifique n’était nullement tracée. De nos jours, il faut de nouveau la gommer puisqu’il s’agit d’aspects différents convergeant vers une seule Réalité.

La réduction de la matière en éléments, particules et énergies, n’a nullement résolu le mystère du pourquoi de la manifestation et pas davantage le mystère de l’origine, quoique la métaphysique et la physique s’interpénètrent de plus en plus.

Max Planck évoque Dieu en tant que créateur d’un ordre que reflète le moindre atome. D’autres physiciens, tout aussi éminents, parlent d’une source fondamentale, origine d’un univers qui n’est pas fait de choses physiques. Les particules élémentaires, éléments constitutifs de notre matière ne seraient, d’après Einstein que des régions dans lesquelles l’espace-temps prend une courbure particulière. Cette affirmation échappe à toute représentation imaginative.

De façon différente, les mêmes choses furent dites. Au XVIIIe siècle, Berkeley, philosophe et archevêque, déclarait que le firmament et tout ce qui ornait la Terre n’existaient qu’en notre conscience et qu’aussi longtemps que les choses apparemment existantes n’étaient pas perçues par une conscience, elles n’existaient pas dans le sein de l’éternité. Deux mille ans avant lui, Démocrite l’avait déjà énoncé.

Rien ne justifie, à notre époque, la séparation de la science, de la philosophie, de la religion et de la métaphysique. L’Univers est Un, la vérité est Une, la Tradition est d’unique origine, et ce n’est que son interprétation destinée à des races diversement évoluées qui a trop souvent déformé, en les opposant, les messages d’êtres missionnés tels que Bouddha, Zoroastre, Confucius, Lao Tseu, Pythagore et tant d’autres.

Les cinq surhommes que nous venons de nommer, cinq initiés si l’on préfère, précédèrent la venue de Jésus qui, par son sacrifice, a enveloppé la Tradition d’une aura d’amour, pour révéler au monde sa puissance unificatrice.

Le savoir, particulièrement développé de nos jours, doit conduire à une recherche du sens profond du passage éphémère et pourtant permanent des hommes sur Terre. L’exploration des chausse-trappes de l’existence conduit sans doute à la compréhension d’une vérité essentielle, expression de la Loi de la Vie à laquelle on doit se soumettre par sagesse. Le savoir seul est stérile, associé à la compréhension, il confère aux relations humaines, sociales et politiques, une ordonnance correspondant, sur le plan terrestre, à l’harmonie transcendantale.

Dans cette optique, le développement millénaire de l’Occident répond aux impératifs de l’évolution. On peut dire, sans trop se tromper, que c’est Roger Bacon qui, après avoir mis à la disposition des hommes un mode d’investigation et une méthode de recherche, a ouvert la voie à l’ère scientifique et technique.

Moine anglais, surnommé « le docteur admirable », il fut sans conteste le plus grand savant du XIIIe siècle. Il étudia à Oxford et à Paris les mathématiques, l’astronomie, la philosophie, la médecine, la physique et la chimie, ce qui ne l’empêcha pas, bien au contraire, de rechercher expérimentalement la Pierre Philosophale.

Esprit novateur, il posa la question des universaux en s’affranchissant du joug que représentaient les interprétations restrictives de l’enseignement d’Aristote, et célébra avec enthousiasme la « Scienta-experimentalis », voulant la rendre active et savante.

Il fut accusé de crimes de magie, de sorcellerie et de relations avec le démon. Grâce à l’intervention du pape Clément IV, son ancien disciple, il put poursuivre ses travaux scientifiques mais fut, à la mort de son protecteur, jeté de nouveau en prison pour n’en sortir que peu de temps avant son propre décès.

Lors de son premier emprisonnement, sa garde à vue, dans un monastère de franciscains, fut rigoureuse. Le cardinal Guido Fulcodi, ancien secrétaire de saint Louis, homme éclairé ayant entendu dire que Roger Bacon serait en possession de secrets naturels et de découvertes étonnantes, voulut le rencontrer. Les ordres du supérieur des franciscains, convaincu que la curiosité scientifique du prisonnier était excitation diabolique, l’en empêchèrent.

Aussi, le cardinal chercha-t-il un intermédiaire et le trouva-t-il en la personne d’un moine dévoué, Raymond Laon. Grâce à ce subterfuge, il se rendit compte de l’importance des travaux de Roger Bacon, mais n’osa pas demander sa libération avant d’avoir ceint la tiare pontificale. Il fut le pape Clément IV.

Une vue d’en haut est nécessairement succincte, les détails échappent à l’investigation, aussi ne s’agit-il pas d’envisager, en les énumérant, les courants et ramifications dont bénéficia l’évolution scientifique occidentale, mais de prendre conscience de certains tournants importants.

C’est Roger Bacon qui suggéra à l’homme d’accepter pour champ d’expérience ce qui pouvait directement être soumis à son observation et appartenir à son terrain d’investigation. Il a ouvert la voie qui, par la suite, devint cartésienne, une voie qui en partant d’hypothèses, établies par la pensée, se voulait rationnelle, puisque pensée et observation devaient concorder et être vérifiées par l’expérience.

Roger Bacon, pas plus que Descartes, pas plus d’ailleurs que Newton, n’a séparé le domaine philosophique du domaine scientifique. Les uns comme les autres ont tenté d’initier une ère philosophique basée sur l’expérience, épuisant l’expérience pour dépasser, en pensée, ce qu’elle recelait. Le domaine philosophique se transformait, de la sorte, en branche scientifique convaincante pour la raison.

L’expérimentation n’était d’aucune façon contraire à l’attitude spiritualisée ou théiste et l’« Ora et Labora », le prie et travaille des alchymistes restait le fondement de la recherche qui permettrait à l’homme de se réaliser en découvrant des lois qui président à la manifestation. La Pierre Philosophale, étant l’aboutissement du Grand Œuvre, se découvrait dans l’esprit de Roger Bacon tout naturellement par, et au-delà, de l’expérimentation.

Par la suite, les choses changèrent, peut-être par la prétention vaine de certains chercheurs, enclins à opposer la science et la spiritualité, l’athéisme et la métaphysique.

Ni Francis Bacon ni Descartes n’ont commis pareille erreur, ni du reste Laplace et d’autres. Francis Bacon, ministre de sa Très Gracieuse Majesté Elisabeth d’Angleterre, a même affirmé au XVIIe siècle que toute tête pensante devait s’ouvrir à la science et à la philosophie. Cette idée reprise par la suite donna naissance, à Londres, à l’Académie royale des Sciences.

Mais procédons par étapes, sans pour autant nous perdre dans les détails.

Le désir de certitude

Avant l’ère moderne, qui gardera dans l’avenir les qualificatifs de scientifique et de technologique, les savants étaient à la fois des philosophes, des artisans, des alchymistes, des astrologues, et pourquoi pas des magiciens, en rappelant que l’étymologie du mot magie se rattache à la racine sanskrite « maj », signifiant majeur.

Il s’agissait donc d’une science majeure à laquelle se référaient astrologues, thaumaturges, alchymistes et autres mages, termes flatteurs s’il en fut. Sur la foi des textes, ils usaient de procédés et disposaient de secrets qui ont été perdus et jamais retrouvés. Secrets initiatiques, pour beaucoup mais, néanmoins, secrets scientifiques, basés sur une connaissance très poussée des lois de la nature et du maniement de ces lois.

Les savants de jadis, œuvrant dans divers domaines, appartenaient à des ligues initiatiques et étaient tenus au secret, moins pour des raisons de jalousie, que pour des raisons spirituelles et éthiques. L’humanité, dans sa courbe évolutive, n’était pas encore parvenue au niveau auquel le progrès exige des technologies avancées et un savoir généralisé permettant de les appliquer.

Ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle que débute la transition qui, de l’âge artisanal, conduit à l’ère scientifique. À partir de ce moment, l’évidence se répand que chaque tête pensante doit s’initier aux sciences pour bénéficier des applications facilitant l’existence. Cette façon de voir les choses a conduit au matérialisme, qui n’est rien d’autre qu’une réaction dogmatique à l’encontre d’un apparent obscurantisme né d’une acceptation d’idées propagées par une caste théologique se targuant d’être la seule à détenir la vérité révélée.

Tenant à ses prérogatives et décidée à imposer sa domination et son autorité, qu’elle voulait indiscutable et indiscutée, cette caste refusait toute discussion en traitant d’hérétiques les hommes pensants.

Elle a fait son temps et péchait par ignorance, s’imaginant être la seule à pouvoir interpréter sa vérité. Il n’empêche que le matérialisme s’opposant à l’obscurantisme tomba et tombe dans le même travers, et la caste théologique laïque ne manque de nos jours, ni de virulence, ni de fanatisme, ni de moyens d’extermination à l’encontre d’adversaires « fous à lier » puisque incapables d’adhérer corps et âme aux idéologies prometteuses de bonheur pour demain.

La conception matérialiste ne représente, en elle-même, qu’un excès, mais ne disparaîtra pas pour autant, et nombreuses sont les formes qui la perpétuent.

Le credo matérialiste de n’accepter pour vrai que ce qui peut être démontré, recoupe le credo scientiste, mais engendre une certaine confusion qui plonge ses racines dans la volonté de l’homme à découvrir la Vérité, sans recourir à un dogme. Pouvoir ne pas prendre pour parole d’évangile une affirmation que récuse son être profond, profite aux idéologies et celles-ci en profitent pour s’imposer aux esprits timorés. Quoi de plus naturel que de vouloir participer à une idéologie pour échapper au doute dont on voudrait se défaire.

C’est le désir de certitude qui explique qu’à un moment donné de leur histoire, les hommes s’imaginèrent, de bonne foi, que la science aurait réponse à tout. Des scientifiques voulurent offrir à l’humanité la formule magique englobant tous les phénomènes de la nature, inclus le phénomène humain.

Elle n’est pas encore trouvée, mais l’ère scientifique a donné naissance à un type d’individu qui s’efforce de tirer des conclusions d’expériences qui lui sont propres. Cette tendance explique le foisonnement de groupes, groupuscules ou communautés, s’appliquant à mettre leur expérience en commun pour découvrir ensemble une raison de vivre.

L’ère scientifique dirige les individus vers des lignes de recherches où l’expérience, si elle ne l’emporte pas sur l’imagination, est sensée compléter, prouver et valider les hypothèses envisagées.

L’expérience peut être, certes, améliorée, précisée et remise en question, mais l’homme de l’ère scientifique n’admet que ce qui apparaît comme satisfaisant à sa raison. C’est sa force et sa faiblesse. Sa force résulte du fait que le mode de raisonnement préconisé par la méthode scientifique, étayée par une démonstration susceptible d’être répétée pour vérifier les effets constatés, conduit à l’esprit critique.

L’homme ainsi formé n’acceptera pour vrai que ce qui a été démontré. Cette attitude critique peut développer chez l’individu ses qualités de discernement et s’il possède un certain degré d’honnêteté scientifique, des qualités contraires à tout sectarisme, donc des dispositions qui auraient été taxées autrefois d’humilité.

Le revers de la médaille est la difficulté que rencontre ce même individu à admettre que l’inconcevable soit possible. La science pourtant l’y pousse. Le doute scientifique s’apparente à une reconnaissance des possibilités offertes à la nature de manifester des lois encore inconnues.

L’homme de l’ère scientifique a nié trop longtemps de trop récalcitrants miracles pour admettre de gaieté de cœur que les phénomènes « psy » mettent en jeu des énergies dont on ne sait rien, que les guérisons ésotériques provoquées par la foi ou par l’imposition des mains font partie du vaste domaine de l’occulte qui a une réalité évidente et ne peut pas être rejeté comme chimérique.

Une œuvre gigantesque, un immense terrain à déchiffrer sollicitent, dès lors, ses facultés. Atteindre la Connaissance, maîtriser les lois de la nature, manier ces lois et jouer sur le clavier occulte des énergies invisibles, n’est-ce pas là un défi digne de ses moyens, digne d’être relevé ?

À ce stade, le credo matérialiste est battu en brèche, quoiqu’il tente d’adapter ses théories aux données métaphysiques si les phénomènes échappent à l’observation, tout en niant la transcendance.

L’éveil, en revanche, se révèle par l’initiation aux mystères, c’est-à-dire, par l’acceptation de la Loi qui découle d’un Ordre Supérieur.

Le doute scientifique peut, il est vrai, placer les hommes sur une voie qui est une voie d’ouverture. La conquête de l’énergie, celle de l’espace interstellaire, celle de la Lune, ont des aspects bénéfiques sur plusieurs plans.

Ils le sont parce qu’ils exaltent l’esprit d’entreprise, de dépassement et de réalisation. Cependant, lorsque l’homme aspire à la puissance, les énergies libérées par la science sont employées comme fléaux destructeurs et se transforment en forces maléfiques qui risquent de le détruire.

Il ne s’agit pas de tirer la sonnette d’alarme, mais sait-on que vingt millions d’hectares de forêts disparaissent annuellement ? Sait-on que les pays tropicaux se déboisent, que l’eau se fera rare, que l’extinction d’espèces végétales et animales s’accélère et que la concentration de bioxyde de carbone, ainsi que la raréfaction de l’ozone changeront l’atmosphère des couches élevées et influeront sur le climat de la Terre ? Sait-on que cela n’est qu’un aspect de la détérioration généralisée des conditions d’existence du globe ?

En fait, on le sait, mais la politique de l’autruche donne bonne conscience !

Ce que, en revanche, on oublie, c’est que le doute scientifique devrait profiter à l’humanité. Il peut et doit faciliter le dépouillement, le lâcher prise de ce qui semblait acquis et favoriser une remise en question, donc une plus grande compréhension nécessaire à la solution de problèmes paraissant insolubles, parce que mal posés ou escamotés.

La recherche scientifique rend évidente la complexité des ramifications énergétiques qui dévoilent le lien, véritable fil d’Ariane, lequel, grâce au rythme de la Vie, unit les phénomènes du Cosmos au principe créateur, autrement dit, au principe dynamique conditionnant l’évolution sur Terre.

L’erreur commence là où l’application et la recherche scientifiques aboutissent à un système technocratique clos, dans lequel tout est ramené aux données technologiques sans aucune échappée vers la spiritualité, sans reconnaissance d’une logique supérieure à laquelle, ni l’homme ni l’Univers ne sauraient échapper.

La méthode scientifique permet d’atteindre un but et d’ouvrir certaines portes, mais ne constitue pas en elle-même une clef universelle.

L’explication universelle des raisons, du sens, de la finalité du déroulement existentiel ne se trouve qu’au-delà de toute méthode. La science convie l’homme à observer pour savoir, la métaphysique l’invite à relier pour comprendre et puisque savoir et compréhension débouchent sur la Connaissance, la méthode scientifique représente l’un des degrés du développement humain et, en ces temps modernes, un tournant de son évolution.

Croire que la science est une fin en soi reste une croyance qui bloque les ressources de l’homme, donc son développement. L’investigation scientifique ouvre des champs nouveaux, et des intérêts différents de ceux de l’Antiquité, du Moyen Âge ou de la Renaissance.

Remercions donc la science, ou plutôt inclinons-nous très bas devant le génie humain, reflet du génie originel, qui l’a développée.