(Revue Être Libre, Numéro 264, Juillet-Septembre 1975)
La mise en évidence de la nature spirituelle de l’essence de la Matière par un nombre de plus en plus important de savants éminents du monde actuel, comportant une majorité de physiciens nous oblige à reconsidérer tous les concepts relatifs aux problèmes de l’évolution, du finalisme, de la téléologie.
Les conclusions des travaux et recherches du célèbre « groupe de Princeton » nous révèlent en effet que :
1) Les êtres et les choses ainsi que l’Univers qui nous est familier sont l’envers (wrong side) d’un Endroit (right side) unique et fondamental qui en constitue la base essentielle.
2) Que cet « Endroit » ou base fondamentale (le champ unitaire spinoriel non linéaire des physiciens occidentaux ou « l’océan » de la proto-matière des soviétiques) est une Conscience Cosmique.
3) Que le comportement des constituants ultimes de la Matière, électrons, molécules etc., loin d’exprimer une intelligence ou une conscience vague, confuse, inférieure à la nôtre, est bien au contraire, la manifestation d’une intelligence supérieure à la nôtre.
Nous voyons immédiatement les bouleversements qu’entraînent de telles conclusions. Nous nous trouvons ici face à une double alternative.
A. En effet, si déjà et de tous temps, une intelligence et une conscience infiniment supérieures à l’intelligence et la conscience humaines existent et œuvrent au cœur de la Matière, bien avant l’homme, bien avant les mammifères, bien avant les protozoaires, bien avant les algues bleues du Précambrien il y a plus de deux milliards d’années, les processus et les mécanismes que nous observons dans la Nature ne sont pas motivés par la réalisation d’une intelligence à atteindre puisqu’elle existe déjà, non seulement aux ultimes profondeurs des niveaux spirituels mais aussi au niveau de l’essence du nom de matériel.
La Nature n’œuvrerait donc pas vers la réalisation d’une intelligence qui n’existerait pas encore, puisque déjà, ici et maintenant cette intelligence existe au cœur même de la Matière.
Le fait est là. Il est fondamental et son caractère de priorité apparaît de plus en plus évident aux yeux de certains physiciens et surtout dans le cœur et l’esprit des êtres humains authentiquement « éveillés » ou « réalisés ».
De ce point de vue, les idées de « plan » ou de « buts à atteindre » élaborés par une « entité cosmique » ou Dieu personnel, apparaissent comme des anthropomorphismes puérils et enfantins.
Nous redécouvrons alors toute la validité de l’ancienne notion indienne de « Lila », de Jeu Cosmique, d’activité créatrice, spontanée, sans but. Ceci est valable pour autant que nous accordions au monde qui nous est familier un caractère de réalité.
B. Il existe une autre option. Celle-ci consiste à ne plus considérer l’Univers qui nous est familier et nous-mêmes, sous l’angle selon lequel nos perceptions sensorielles nous le révèlent. Cet angle est conditionné par des valeurs, de temps, d’espace, de durée. Il est fortement influencé par l’aspect « surfaciel » des êtres et des choses dérivant d’une échelle d’observation très limitée.
La seconde option consiste en une approche de l’Univers et de nous-mêmes, non par la périphérie, non par l’envers mais par le centre, par l’Endroit. En fait, notre être réel est le centre. C’est à ce niveau que réside la Réalité fondamentale des êtres et des choses.
Par rapport à cette Réalité fondamentale, l’ensemble de l’Univers matériel, les formes que perçoivent nos sens, l’ensemble des objets apparemment solides, les couleurs, les singularités, les innombrables propriétés, tout cet ensemble complexe fait figure de « mirage ». Mirage fameusement épais, solide, apparemment stable, mais mirage tout de même.
L’identification totale à ce mirage pose une foule de problèmes qui ne sont, de toute évidence, que des pseudo-problèmes.
La plupart de ceux-ci résultent d’anthropomorphismes c.-à-d. de valeurs humaines de temps, d’espace, de buts à atteindre, de commencement, de fin, d’évolution vers, de plans etc.
Pour de nombreux physiciens le monde matériel qui nous est familier résulte d’une superposition extraordinairement complexe d’interférences, d’interactions.
Pour ceux que s’identifient entièrement au mirage, il y a une « chute », une « progression vers », un « devenir », un « avoir », un « avoir plus », une « évolution » vers la réalisation d’un plan, d’un projet, un « pourquoi », un « but ».
L’homme de science moderne tend à rejoindre l’optique de l’Eveillé. Pour lui, un seul verbe s’applique tant à l’Univers qu’à l’être humain : le verbe « Etre ».
A ceux qui partagent l’option A, d’une réalité relative de l’Univers matériel, tout en accordant une place de priorité à son Endroit ou à son essence spirituelle de Conscience Cosmique, reste le problème de l’existence dans l’Univers extérieur, de conflits, de situations de déséquilibres.
Les savants du groupe de Princeton donnent une réponse à ce problème. Elle nous semble parfaitement valable pour ceux qui partagent l’option A.
Nous en donnons un extrait emprunté à l’admirable ouvrage de Raymond Ruyer, dans la « Gnose de Princeton » (édit. Fayard, Paris 1974, p. 78).
« A l’analyse, il n’y a ni matière, ni esprit. Il y a simplement superposition de domaines s’embrassant les uns les autres en accolades plus ou moins larges… Plus le domaine est large, où se fait l’ordre des domaines subordonnés, plus il y a un aspect spirituel. Plus il y a une poussière de microdomaines insuffisamment coordonnés plus il y a aspect matériel.
Il n’est pas surprenant que le domaine des domaines, c.-à-d. l’Univers, l’espace-temps dans son unité cosmologique, apparaisse comment l’Esprit par excellence, comme Dieu, pour peu qu’il paraisse établir un ordre domanial unitaire ou qu’il fasse une action unitaire. Mais il n’est pas surprenant non plus qu’il apparaisse comme Matière inconsciente, quand il domine mal la foule et la poussière des domaines moins larges qu’il englobe… L’espace-temps n’est pas l’Aveugle absolu, mais apparemment, il n’est pas non plus une sorte de cortex visuel en toutes ses propriétés, car les perceptions et les mouvements qui s’y jouent ne sont que très grossièrement conjugués. L’Esprit Cosmique « sait » qu’une planète et qu’une grosse météorite se rapprochent, mais il ne fait rien pour éviter leur collision. Il est pareil à une conscience très distraite ou très détachée du détail. Il est pareil à une organisation de circulation urbaine qui ne s’occuperait que des itinéraires généraux, sans s’inquiéter des accidents laissés à la vigilance des conducteurs ».
Pour ceux qui partagent l’option B, il semble qu’il n’y ait aucun problème, ni en tous cas, aucun pseudo-problème, pour autant qu’ils dépassent le niveau des concepts et s’engagent dans le processus de l’expérience fondamentale elle-même. Il s’agit là d’ailleurs de l’exigence la plus impérieuse quelles que soient les options choisies.