Robert Linssen
Les voies erronées du yoga

L’essor considérable du yoga dans les pays occidentaux aurait été un élément positif et bénéfique pour la santé physique et morale de tous ceux qui le pratiquent si des déformations dangereuses et malsaines ne s’étaient pas progressivement répandues dans des cercles de plus en plus nombreux. Voyageant beaucoup, l’auteur de cet article a recueilli, non sans amertume et stupéfaction, de navrants témoignages relatifs à des pratiques dangereuses entraînant de nombreuses personnes naïves et sincères dans des voies absolument morbides responsables de troubles physiques et psychiques d’une exceptionnelle gravité.

(Revue Être Libre, Numéro 263, Avril-Juin 1975)

L’essor considérable du yoga dans les pays occidentaux aurait été un élément positif et bénéfique pour la santé physique et morale de tous ceux qui le pratiquent si des déformations dangereuses et malsaines ne s’étaient pas progressivement répandues dans des cercles de plus en plus nombreux.

Voyageant beaucoup, l’auteur de cet article a recueilli, non sans amertume et stupéfaction, de navrants témoignages relatifs à des pratiques dangereuses entraînant de nombreuses personnes naïves et sincères dans des voies absolument morbides responsables de troubles physiques et psychiques d’une exceptionnelle gravité.

La plupart des occidentaux sont victimes de leur impatience et de leur avidité. Ils veulent tout de suite obtenir des résultats, avoir des « expériences », voir du « sensationnel », être les témoins de « visions », entendre des « voix », entrer en « transes », éveiller la Kundalini, etc. etc.

Depuis plus de 40 années que nous parcourons le monde, nous avons constaté de plus en plus, des cas de déséquilibre, d’égarement, d’exploitation spirituelle à tel point affligeants, qu’il nous a paru nécessaire de dénoncer les pratiques absurdes et malsaines de certains yogas prétendus « mystiques » ou « spirituels ». Ces yogas n’ont absolument rien de mystique ni de spirituel.

Les instructeurs indiens, chinois ou tibétains authentiques (ils sont de plus en plus rares) avec lesquels nous avons vécu, sont infiniment plus sévères encore que nous dans leurs condamnations des recherches de Siddhis (pouvoirs), visions, prétendus éveils de la Kundalini par entraînement spécialisé, transes pseudo-extatiques artificielles etc.

Nous parlerons plus spécialement aujourd’hui des pratiques érotico-mystiques douteuses et des aberrations incroyables du fameux Hatha-Massa Maya Yoga comportant tout l’ensemble des côtés négatifs et morbides de la Bhakti (ou « voie de l’Amour »), qui, bien entendu, exempte de ces déformations est l’une des plus belles voies de réalisation.

Disons immédiatement que les pratiquants de ces Yogas sont en général des personnes naïves, sincères mais manquant totalement de discernement (Viveka) et de maturité psychologique.

Le fait que ces malheureux naïfs, s’imaginent au cours de leurs transes artificielles et morbides, être « visités » par la « Shakti divine » suffit à démontrer à quels bas fonds leur manque de discernement a rabaissé le principe divin.

Une partie de la phase d’entraînement de cette pratique consiste à réaliser une suspension du souffle (Bhaya Kumbaka) et la maintenir jusqu’aux limites extrêmes de la résistance de l’organisme.

A ces limites ultimes, la sagesse instinctive du corps humain sonne l’alarme. Celle-ci se manifeste à divers niveaux et notamment au niveau nerveux par de vives réactions spasmodiques provoquant un état de transe accompagné de diverses perturbations psychosomatiques.

Il n’y a là, rien de mystique, ni de religieux, ni de surnaturel.

Les phénomènes inhérents à une déconnection provisoire du mental n’ont rien de spirituels. Ils sont provoqués artificiellement dans une situation d’ignorance totale et n’ont éliminé en rien le réseau des résistances de l’ego, qui, au contraire, s’en trouvera puissamment renforcé aux niveaux les plus subtils. Il en est de même pour le « japa » récitations très longues de « mantras » ou pour les drogues.

Le fait que de telles pratiques sont vécues dans les sectes mystiques indiennes n’est pas à prendre comme argument en faveur de l’authenticité spirituelle de telles expériences.

L’accès véritable au divin et la disponibilité à ce que certains maîtres indiens symbolisent par l’expression « Shakti divine » exigent la réalisation d’un processus de méditation autrement sérieux.

Cette méditation fondamentale consiste à briser le mirage de l’ego. Cette libération ne peut se faire que par une prise de conscience très claire et précise du fonctionnement de la pensée dont les erreurs sont précisément à l’origine de la formation de ce mirage.

La pratique essentielle doit se réaliser, de toute évidence, dans la réalité et non au niveau du rêve.

Les rêveurs postulent, à priori, la réalité absolue de leur rêve et qualifient de « pratiques » les méthodes leur apportant des « résultats positifs » dans leur rêve, et qualifient assez paradoxalement, les « Eveillés » de « rêveurs »…

Il va de soi que la véritable pratique consiste à délivrer le rêveur de sa situation de rêve et de dissiper les mirages résultant des erreurs de fonctionnement de son mental.

La première tâche qui incombe à ceux qui souhaiteraient se rendre disponibles à ce que certains appellent « la shakti divine » c’est de se rendre compte de la vanité d’un désir de sensations ou d’expériences extraordinaires et, par conséquent, d’en arriver à ne plus rien attendre, rien rechercher absolument, par le fait que tout est là, qu’il n’y a rien à « acquérir », qu’il n’y a rien à « faire » au sens accumulatif du terme, mais plutôt à défaire.

La première tâche de la méditation consiste à nous voir totalement tels que nous sommes, c’est-à-dire des jouisseurs en quête de sensations grossières ou subtiles, d’expériences soi-disant supérieures, qui, loin de nous délivrer du mirage de l’ego et du rêve, ne font que le renforcer.

Toutes les pratiques des « yogas spéciaux » soi-disant « ésotériques » tels que le Hatha Massa Hatha Yoga avec ses transes morbides et le Kundalini Yoga avec ses recherches volontaires de pouvoirs, aboutissent évidemment à des résultats, à des expériences. Mais ces résultats et ces expériences ne sont que des pièges égarant le chercheur sincère. Tandis que le malheureux, mal conseillé ou mal guidé croît accéder à des expériences spirituelles il s’engage à son insu sur des voies fausses conduisant à des états de dégradation physiologiques et neuropsychiques souvent incurables.

Ces voies sont jugées avec une grande sévérité par les instructeurs indiens et tibétains authentiques qui nous ont enseigné durant plus de quarante années.

Ceux-ci considèrent ces transes pseudo-extatiques, ces samadhis mineurs, ces diverses recherches de sensations et de pouvoirs comme autant de pièges que nous tend le « Vieil homme » ou l’Ego qui cherche à s’éprouver et s’affirmer.

Selon l’expression très sévère et brutale de Sam Tchen Kham Pâ il s’agit là de pratiques malsaines à classer au niveau d’une sorte de masturbation psychologique ou spirituelle.

Parmi les inconvénients résultants de ces recherches artificielles de transe, il faut indiquer tout un ensemble de troubles névrotiques graves, affaiblissement de la résistance nerveuse, épuisement nerveux, périodes de cérébrations intenses, insomnies de plus en plus longues et persistantes, impuissance sexuelle, diminution de la faculté de penser non par méditation saine mais par intoxication nerveuse.

Pour beaucoup de chercheurs engagés dans cette voie malencontreuse il serait préférable de reprendre une activité normale, au besoin sexuellement équilibrée. C’est à ce niveau que, selon les données de la Nature, il leur sera possible de découvrir l’ampleur de leurs recherches de sensation et les pièges de l’ego.

Un maître chinois disait que dans le Jeu de la Vie il faut jouer avec les cartes que nous avons en mains et ne point en imaginer d’autres parce que des insensés nous ont suggéré d’en imaginer d’autres.

Les recherches de sensations subtiles sont les plus dangereuses car les moins apparentes. Certains ont tendance à mépriser les recherches de plaisirs physiques et matériels tandis qu’ils vénèrent et recherchent des plaisirs subtils. Tandis que les premiers sont limités en vertu de la nature même des organes qui les procurent, les seconds n’ont pas de limite et peuvent égarer les chercheurs sincères durant une vie entière. Tel est le cas de certains « Nirvikalpa Samadhis » indiens où le mystique et le chercheur, fascinés par l’ampleur de sensations mystiques aboutit à une situation d’absence totale au monde extérieur et doit être nourri par d’autres personnes.

* * *

Face à ces attitudes morbides (qui donneraient raison à Freud, s’il n’y avait pas d’autres attitudes vraiment spirituelles et saines) l’Eveillé suggère les enquêtes et questions suivantes.

Au moment où vous commencez votre rétention négative, où vous vous forcez de suspendre la respiration, posez-vous clairement et ferment les questions :
a) qu’est ce que je recherche exactement ?
b) qu’est ce que j’attends exactement ?
c) pourquoi ma recherche se fait-elle dans cette direction ?
d) quelle est la nature de cette pensée qui me pousse dans cette direction ?
e) qui est ce « moi » qui recherche quelque chose ?

A cet instant, il sera possible de prendre conscience de la fausseté, de la vanité, du caractère étriqué de nos recherches, de nos désirs de jouir de quelque chose, d’attendre quelque chose, de vouloir « devenir », en un mot, nous prendrons conscience de notre conjugaison perpétuelle des verbes « avoir » et « devenir » alors qu’il suffit de conjuguer le verbe « ETRE ».

Le verbe « Etre » nous délivre du mirage de l’égo formé par les avidités de « devenir », d’avoir, d’avoir plus.

« Etre » est présent. Il est dans la momentanéité de l’instant.

« Devenir » et « avoir, avoir plus » vont VERS l’avenir, VERS quelque chose ou VERS quelques situations idéales imaginées mentalement et masquent à nos yeux, la plénitude généralement inconnue de notre être vrai.

Parmi tous les yogas, il en est un, équilibré et sain entre tous.

C’est un yoga intégral dont le climat a été défini, soit par le yogui Vashishta il y a des milliers d’années, soit actuellement par Krishnamurti. Pour eux, le Yoga intégral est un état naturel de perception unifiée, dégagée des mirages de l’ego, résultant lui-même d’un mauvais fonctionnement de la pensée.

Ce vice de fonctionnement de la pensée peut être défini de la façon suivante. La pensée, qui ne devrait être qu’un instrument, qu’une fonction, s’est prise pour une entité.

Le niveau mental de l’être humain, au lieu d’être un instrument souple vigilant, effacé est au contraire l’objet de tensions énormes, tensions continuelles provenant d’une identification au réseau considérable des mémoires accumulées.

Ce réseau de mémoires, appelé parfois le « Vieil homme » chez les chrétiens et désigné par le « connu » dans l’enseignement de Krishnamurti s’est pris pour une entité. Cette pseudo-entité émet continuellement des pensées, des images qui ne sont que les échos mécaniques du passé et ne perçoit pas que ces pensées et ces émotions ne sont qu’une projection et une émanation d’elle-même.

Entre la pseudo-entité et ses pensées se crée un réseau de tensions de plus en plus complexes, qui, loin de délivrer l’être humain l’enferment profondément dans les murailles psychologiques de l’ego.

Ainsi que l’expriment actuellement Krishnamurti, et dans l’antiquité les maîtres du Ch’an chinois, la méditation consiste en la prise de conscience de l’unité de la « pensée et de la pseudo-entité du penseur ».

Cette prise de conscience volatilise instantanément les tensions artificielles existant entre la pseudo-entité du penseur et les pensées soi-disant distinctes. La disparition de ces tensions volatilise instantanément l’illusion de la conscience personnelle séparée.

Dès lors se réalise l’état naturel de la parfaite disponibilité à la Nature profonde des êtres et des choses nous révélant ses richesses inépuisables d’Amour, d’Intelligence pure complètement étrangères à nos manipulations mentales, à nos attentes, à nos intérêts égoïstes ou recherches subtiles de plaisir. A ce moment nous pouvons nous rendre compte de l’abîme séparant certaines notions indiennes mineures de la Shakti divine et la réalité vécue dans sa fraîcheur, dans sa spontanéité, dans son jaillissement, dans son impersonnalité. Et ceci est encore « une façon de parler » illusoire. Dans l’intensité créatrice, non dualiste et présente de la vraie contemplation, toute activité de comparaison ou d’analyse d’un observateur est éteinte parce que le mirage de l’entité est définitivement dissipé.

C’est alors que se réalisent des transformations considérables dans le corps, dans le psychisme, à tous les niveaux de l’énergie physique, psychique et spirituelle mais ces transformations ne résultent plus de manipulations d’un égo agissant à la requête de motivations inévitablement fausses et ignorantes. Ces transformations sont au contraire la manifestation normale de la Nature profonde des choses. Les traditions indiennes l’appelaient « Sat-Chit-Ananda », certains bouddhistes l’appelaient la « Vacuité » ou le « Corps du Bouddha », le Zen l’appelle parfois le « Mental Cosmique », Krishnamurti la désigne par l’Inconnu ou l’Intemporel. Peu importent ces mots. Une seule chose importe : c’est que nous cessions de nous limiter au domaine des lectures, des discussions, des niveaux intellectuels stériles et que nous vivions réellement cette Réalité dans la bénédiction d’Amour qu’elle est au plus profond de nous-mêmes et de toutes choses.