Kenneth White
Nul dieu à célébrer

(Revue Itinérance. No 1. 1986) Kenneth White est un poète et penseur contemporain, né le 28 avril 1936 à Glasgow. Il réside en France depuis les années 80 à Trébeurden (Bretagne). Théoricien de la « géopoétique », poétique porteuse de sens et de pensée, il alterne des récits de « voyages philosophiques » et les […]

(Revue Itinérance. No 1. 1986)

Kenneth White est un poète et penseur contemporain, né le 28 avril 1936 à Glasgow. Il réside en France depuis les années 80 à Trébeurden (Bretagne). Théoricien de la « géopoétique », poétique porteuse de sens et de pensée, il alterne des récits de « voyages philosophiques » et les poésies épurées entretenant un rapport avec les éléments (mer, terre, eau, pierre…). Influencé par Henry David Thoreau, Walt Whitman, Friedrich Nietzsche, Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Jack Kerouac, les haïkus et les philosophies orientales, il a pu être comparé à Gary Snyder. Il est l’auteur de nombreux livres.

Peu enclin à la conversation
quand les langues commençaient
à débiter les opinions
il préférait partir
se promener le long du fleuve

« Pourquoi des poètes en un temps de
manque ?…
je fais ce que je peux du mieux que je peux…
tout appartient
au travail en cours »

C’était aux jours rouges d’automne
le raisin était mûr
sur les coteaux de Garonne
et il gardait le souvenir
d’amis embarqués
au promontoire venté.

Là-bas en Allemagne
il n’y avait rien pour lui
mais il y retournerait
il y retournerait
pour trouver quoi ?
une fenêtre sur une forêt, peut-être
un peu de lumière philosophique…

Chaque jour des bateaux quittaient le port
pour les Indes, les Amériques
il arpentait les quais
et les regardait partir
son voyage à lui
le conduisait ailleurs
mais jusqu’où pourrait-il aller
quand tout avait disparu
sous l’habitude et l’insignifiance
et les opinions creuses ?

On pouvait bien penser à la Grèce
traduire les tragédies
se complaire à cette hyperbole archaïque
rêver à l’idéal
le paysage avait changé
totalement changé
il l’avait senti cette horrible nuit
en traversant l’Auvergne
perdu
dans la glace et la neige
il l’avait senti
le paysage avait changé
plus froid
plus escarpé
informe
la poésie elle-même devrait changer

Nul dieu à célébrer
dans un théâtre ensoleillé
un néant à affronter
dans un espace ouvert…

Errant dans les rues de Bordeaux
aux jours rouges de septembre
il regardait les ombres
lentement se déplacer
voyait à quelque haute fenêtre
un beau visage
apparaître, puis disparaître
Il lui faudrait apprendre
à voyager seul.

Traduit de l’anglais par Marie-Claude White