(Revue Le chant de la licorne. No 26. 1989)
Les maladies sont des langages symboliques avec lesquels nous allons tenter d’exprimer, parfois avec acharnement, avec désespoir… ou parfois avec plaisir ce que nous ne pouvons pas dire avec des mots, avec nos langages habituels, ce aussi à quoi nous n’avons pas directement accès et qui pourtant se crie en nous.
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Si la communication avec autrui (le fait de mettre en commun) est vitale pour chacun, la communication avec nous-mêmes reste essentielle. Il s’agira d’écouter les impacts, sur notre corps et sur notre imaginaire, de notre histoire récente ou passée. Les mots du silence sont aussi violents à l’égard de nous-mêmes qu’à l’égard d’autrui.
Quand on ne peut le dire avez des mots, on va le crier avec des maux
Cette affirmation préliminaire peut sembler un paradoxe et risque de blesser, de heurter et de m’aliéner à tout jamais le lecteur de cet article. Car celui qui est en souffrance pense surtout à se débarrasser de son mal, ce qui équivaut à le bâillonner, donc à ne pas l’entendre.
Nous allons tenter d’en dire plus et de témoigner de notre approche pour une meilleure communication, c’est-à-dire une communication vivante pour des relations en santé. Sur le plan des relations humaines, nous voyons aujourd’hui deux phénomènes apparemment opposés et certainement complémentaires.
– D’un côté une incommunicabilité de plus en plus grande entre les individus (je parle ici de la communication proche, intime, de la communication vitale et non de la communication de masse confondue avec une sur-information, avec une consommation de mots et d’images qui ne nous nourrit pas pour autant). Autour de cette incommunicabilité, de cette difficulté à se dire, à être entendu, à recevoir, il y a une immense souffrance, une infinie détresse assimilée à la négation ou à la dévalorisation de soi (ou de l’autre vécu comme mauvais, inaccessible ou barré) qui conduit à la solitude [1].
– De l’autre côté un intérêt, une recherche de plus en plus exigeante, individuelle, personnelle pour tenter de mieux se connaître, de mieux vivre, d’être un meilleur compagnon pour soi-même et par là même pour autrui. Et cette recherche me semble elle aussi essentielle et vitale car il y va de notre survie. En effet, nous avons peu de prise sur les phénomènes sociaux qui nous environnent (et nous conditionnent). Ce sont les multinationales qui prévoient (sans nous) notre alimentation de demain, nos modes de loisirs, nos habitats et nos éléments de vie. Notre pouvoir réel et personnel sur les options sociales est quasi nul, nous avons peu de maîtrise sur tous ces phénomènes qui nous échappent. Il nous reste un pouvoir potentiel possible, c’est sur nous-mêmes, sur la conduite de notre vie quotidienne et surtout sur ce qui en fait l’intérêt – nos relations proches.
La seule aventure humaine qui nous reste est celle des relations humaines, la découverte de nos possibles et de nos impossibles
C’est sur ce courant que nous souhaitons nous appuyer car notre santé physique s’y trouve liée. En effet, malgré les progrès étonnants, fabuleux de la médecine et de la chirurgie, nous constatons qu’il y a de plus en plus de gens, non pas malades, mais en difficulté, en souffrance physique et psychique (la surconsommation de médicaments est liée à la non-convivialité avec autrui et avec soi-même). La maladie ou la santé ne nous tombent pas dessus comme ça, au hasard.
Les bactéries, les bacilles, les virus ou les accidents, nous les recevons, nous les accueillons et très souvent nous les gardons en les entretenant avec beaucoup de soins! C’est bien notre corps, notre organisme qui les accueille, les entretient ou les rejette. Il serait même possible de dire que nous fabriquons nos affections (ah que ce mot est ambigu).
Nous allons tenter d’illustrer nos réflexions par quelques exemples vécus, recueillis et explorés dans les sessions de formation portant sur le développement et le changement personnel.
Il ne s’agit pas ici de faire ni de la provocation ni de tomber dans des généralisations abusives et donc aveugles mais bien de tenter de comprendre un ensemble de phénomènes dans lesquels nous sommes parties prenantes, non pas sur un mode volontaire mais plus sur un mode interactionnel.
Chacun d’entre nous peut avoir observé, repéré, écouté quelques-uns des phénomènes psychiques, quelques-uns des vécus décrits plus loin et qui se sont inscrits comme des stress, comme des portes ouvertes, comme des appels au soma. Disons-le simplement: les maux (qui deviennent parfois des maladies) sont des langages symboliques avec lesquels nous allons tenter de dire:
* Les conflits intrapersonnels et interpersonnels.
* Les situations inachevées (et en particulier le ressentiment lié à ces situations).
* Les séparations, pertes.
* Les messages anciens de fidélité ou de réparation, de soumission ou de conformité.
Les conflits intrapersonnels et interpersonnels
« Le téléphone sonne et une amie m’apprend que je suis invité à une soirée, qu’elle a même pris un engagement pour moi. Sur le moment je ne dis rien, je réponds des banalités et je raccroche. Dans l’heure qui suit, j’ai des réactions fébriles, ma gorge me fait mal, j’ai tous les symptômes d’une angine… »
Combien d’angines, de grippes ne sont-elles que « l’expression » mise en acte d’un refus qui n’a pu se dire, d’une expression personnelle qui n’a pu trouver son passage pour se faire entendre.
Cette femme a épousé un alpiniste émérite, voire téméraire, qui l’entraîne chaque été sur les plus hauts sommets alpins. Elle suit son mari, mais a une peur terrible de certaines ascensions et surtout, surtout voudrait faire entendre sa demande qui serait de rester… au chalet à lire… à rêver pendant que lui ascensionne. Chaque été elle produit un herpès qui lui mange la moitié de la lèvre… elle « profite » de ce dérangement pour refuser les relations sexuelles [2]. Le jour où elle a pu entrer en conflit ouvert, c’est-à-dire confronter ses besoins réels avec ceux de son mari… et prendre la décision de les respecter, l’herpès disparut totalement.
Michèle, dix-huit ans, vit chez ses parents et sort avec un ami qui est devenu son amant. Elle doit rentrer à minuit moins dix. À chacune de ses sorties, durant le temps de la rencontre, elle se sent malade. « Une barre là, sur le front, des crispations à l’estomac, des crampes dans le bas-ventre. Toute la soirée j’étais mal foutue, vraiment patraque. C’était devenu un fait acquis. Cela s’arrêtait net quand vers onze heure trente je proposais qu’il me ramène. Les dix dernières minutes se passaient bien. On n’a jamais fait l’amour que dans sa voiture, juste avant le retour ».
Les séparations, les pertes
Elles sont vécues à des degrés divers, suivant l’âge et la phase de développement. Souvent l’émotion, les sentiments réels qui s’y rattachent ne sont pas directement exprimés, ne peuvent être dits, le travail de deuil ne peut se faire… et cela va s’inscrire dans le corps, dans un signe, une trace qui se révèlera plus tard à partir d’un petit évènement déclenchant.
Cet homme de cinquante ans raconte avec une émotion intense faite de désespoir et de colère mêlés cet épisode de ses sept ans où au retour de l’école il découvre « Boum Boum » son ami le cochon, éventré contre le mur de sa ferme. Son père avait tué son meilleur ami, son confident. Il se cacha toute la nuit avec un sentiment immense de culpabilité. « Il n’avait pas su protéger son ami ». Et pendant de longues années, aux temps de Noël, il trouvera toujours moyen de se blesser, de se tailler, de se couper, de se mutiler. Son corps porte la trace de nombreuses cicatrices… qui témoignent de son impuissance à sauver son animal préféré, « l’être le plus cher au monde » dans cette période de sa vie.
Cette femme, mère de quatre filles, est allergique « depuis toujours » dit-elle (il faut toujours se demander quand commence le « toujours » dans une vie). Allergie à certaines odeurs et pollen, liée à la perte d’une poupée jetée à la décharge parce que « trop vieille, trop sale ». « Tu ne vas pas garder cette cochonnerie dans ton lit » avait décrété la mère. Et chaque année au mois d’octobre (mois où la poupée avait été jetée), elle produit une sinusite infectieuse, tenace, agressive. Ces traces en elle furent retrouvées, le jour où en rangeant le grenier elle découvrit la première poupée de sa fille et éclata en sanglots, sans comprendre nous dit-elle.
La petite Louise avait neuf ans quand elle perdit sa mère nourricière, la seule mère qu’elle ait connue. Celle-ci avait soixante ans au moment de sa mort et cinquante et un ans plus tard Louise, devenue grand-mère, fit une dépression nerveuse. Elle dira bien longtemps après à son fils: « Tu sais, moi aussi j’avais pensé mourir à soixante ans comme ma mère ».
Les messages anciens de fidélité ou de réparation
Ils se jouent souvent sur le mode de la soumission, de l’identification ou de la dette.
Jean, trente-sept ans, produit plusieurs fois par an des sinusites, des rhumes mauvais qui se prolongent longtemps. Jusqu’à ce qu’il puisse dire à sa mère avec quelques trente ans de retard « la vérité » sur un évènement de son enfance. A sept ans il avait failli se noyer et avait caché cela à ses parents. Ce jour-là, oui, en l’écoutant enfin, sa mère ouvrit ses bras et lui dit: « mon pauvre petit ». Il put pleurer longuement et « lâcher » à ce moment- là toute l’eau angoissante qu’il avait gardée pendant tant d’années… et « lâcher » ainsi ses sinusites chroniques.
Fidélité à des messages anciens, à des engagements à tenir, à des réparations à faire.
Cette ex-petite fille a voulu « redonner » et « offrir » ainsi à sa mère le petit bébé que celle-ci avait péri lors d’une fausse couche, un petit garçon, par exemple, qui aurait comblé de joie la grand-mère; mais dans l’histoire conjugale de ce couple, il n’y avait pas de garçon, « seulement » trois filles… et quelques années plus tard cette femme (l’ex-petite fille) produira un kyste sur l’ovaire gauche (à la table familiale la mère était toujours à sa gauche).
Oui, quand nous écoutons, quand nous acceptons de laisser s’associer tant de signes produits par le corps, nous commençons à entendre des histoires fabuleuses… et pas nécessairement dramatiques.
La mémoire du corps est incroyablement riche et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle se dise. Il arrive ainsi au corps de hurler dans le silence des mots. Ne dit-on pas « à corps et à cris ». Il va tenter de parler, de lâcher les conflits, de déposer des sentiments trop lourds, des demandes refoulées, des sentiments de dette ou de réparation. Ainsi le corps peut devenir un champ de bataille, extraordinairement fécond par les « discours » contradictoires qui s’y affrontent.
Le dilemme des écoutants et des soignants est le suivant: « Si je soigne, je détruis le symptôme, je bâillonne donc ce qui tente de se dire par cette médiation ». C’est pour cela que la médecine classique qui vise à rétablir le fonctionnement, à supprimer les conséquences d’une infection risque de passer à côté de l’essentiel: entendre ce qui se dit, ce qui se crie, ce qui se débat dans l’expression d’une somatisation.
Très souvent, sans que cela soit nécessairement conscient, il y a quand même réparation symbolique dans la relation avec le soignant. Ce sera à l’occasion d’un geste, d’une parole, d’une association que se rétablira le lien dans une chaîne de signifiants qui échappent à la fois au soignant et au soigné. C’est la qualité de certains thérapeutes d’introduire ainsi dans leur relation des équivalents symboliques qui restaurent cette dimension chez l’autre.
La cause d’une maladie n’est pas son sens
Dans trop de démarches de compréhension et de « soins » il y a confusion entre la recherche de la cause (pour expliquer, justifier la maladie) et la tentative d’en comprendre le sens.
Trop souvent, en effet, nous donnons une explication à la maladie, c’est-à-dire que nous trouvons une cause matérielle ou physiologique ou une cause psychologique. « Depuis que mon mari m’a quittée, j’ai des insomnies ».
Cette tentative d’explication d’une somatisation, d’un dérangement, d’un disfonctionnement constitue pour moi un leurre. Il ne s’agit pas de rechercher la cause, l’explication de la maladie, du traumatisme mais bien sa signification, c’est-à-dire concevoir la maladie comme un langage dans une chaîne de signifiants qui nous échappe. Ainsi les insomnies de cette femme peuvent avoir comme sens une auto-privation, une punition qu’elle s’inflige pour avoir désobéi à son père qui lui avait dit: « tu ne dois pas te marier avec un type comme ça, tu me déçois beaucoup ». Cherche-t-elle ainsi à renouer avec son père, à lui marquer son allégeance: « tu avais raison papa, regarde comme je suis punie ». Nous n’en savons rien, mais en « travaillant » sur la recherche du sens, plus que de la cause, nous obtenons souvent un changement, un abandon du symptôme, une restructuration d’une relation essentielle.
Quelle signification prennent ces otites chez ce bébé? « Maman, tu ne m’entends pas, tu n’entends rien ». C’est bien d’oreilles à déboucher qu’il s’agit, mais pas de celles que l’on croit.
Combien de psoriasis invincibles, traités, soignés depuis plusieurs années par des dermatologues compétents… mais parfois sourds, vont « éclater », se dissoudre littéralement quand la violence qui les contient pourra se dire.
La colère terrible de cette femme de trente-deux ans contre sa sœur qui lui avait volé le prénom de sa poupée… à cinq ans, lui permettra de « lâcher » un psoriasis tenace… qui ne demandait qu’à être entendu !
C’est le retour du refoulé qui va libérer ces points de fixation, d’ancrage et permettre de lâcher prise sur une « inscription, un germe de conflit, un point de tension ».
Bien sûr, la mère de cette jeune adolescente de treize ans ne sait pas qu’elle inscrit dans le corps de sa fille un « jugement sans appel » contre ces gens qui ne savent pas aimer une seule personne à la fois » (elle parlait peut-être de son ami qui a plusieurs relations). Et quand cette jeune fille de quinze ans va se sentir attirée par deux garçons à la fois… elle sera prise de violentes crises (diagnostiquées comme crises d’appendicite) – c’est son conflit qu’elle dira (je tiens à eux, à tous les deux) ou son attachement à sa mère (je ne veux pas la décevoir) et à l’image qu’elle a intériorisée (je ne veux pas être vue comme une fille facile ou une putain..). A la troisième crise (quelques minutes avant de partir à l’hôpital pour l’opération de l’appendice), un échange avec un ami de passage « ouvrira » le conflit, fera éclater « l’abcès » de ses contradictions et lui permettra de s’accepter mieux dans ses attirances multiples.
Stéphane a huit ans, c’est le soir de son anniversaire. Sa mère, célibataire, a réuni autour de lui ses grands-parents et une tante. Tout s’annonce bien, il est joyeux, détendu. Et puis le téléphone sonne, c’est l’ami de sa mère qui souhaiterait passer quelques jours avec elle. Elle l’invite, donc. Très peu de temps après l’arrivée de l’ami, Stéphane commence une poussée fébrile, il sera ausculté, palpé avec prise de température, il a 40°8. Il s’alitera. Le repas d’anniversaire se passera sans lui… autour de l’ami de maman.
Cette petite fille de dix ans et demi rentrant de camp de ski fut prise de maux de ventre violents, de vomissements, de malaises. Cela dura plus de deux mois jusqu’au moment où elle put dire à sa grand-mère qu’elle avait embrassé un garçon sur la bouche et qu’elle avait entendu à la radio que le sida pouvait s’attraper par le baiser.
Paule, mariée depuis douze ans, deux enfants, est enceinte pour la troisième fois. Son mari n’accepte pas sa grossesse et lui dit: « si tu gardes ce troisième enfant… je divorce. » Paule fera une IVG et depuis, elle a des hémorragies importantes, brutales, irrégulières. Sur le plan physique « tout est en règle ». Qui lui permettra « d’entendre » où se trouve sa blessure? Qu’est-ce qui saigne en elle? Qui l’écoutera pour qu’elle entende, elle, cette partie blessée qui s’est révélée avec l’interruption de grossesse? Paule mettra ainsi six ans (avec l’aide d’un tout petit évènement) pour découvrir et reconnaître que ce qui était blessé, « fissuré » en elle, c’est la relation avec son mari. L’enjeu qu’il avait posé, « c’est moi ou l’enfant », avait cassé quelque chose dans leur relation… et le sang des hémorragies disait cette béance entre eux.
Il s’appelle Jean et c’est le prénom du frère de la mère, mort très jeune. Il porte ce nom comme une trace, celle de la blessure vécue par sa mère, petite fille, qui adorait ce grand frère. Comment peut-il avoir du plaisir et se présenter comme un être de sensualité? Sa fidélité… lui dictera de s’autopunir, de s’anesthésier au niveau des sens et du plaisir et de ne pas entretenir trop vivante la vie qu’il porte. Jean a une relation suivie avec une jeune femme depuis six ans, mais il n’éprouve « aucun plaisir avec elle ». Ses érections ne le conduisent qu’à s’introduire puis à attendre… et il ne se passe rien. Son « impuissance » à entrer dans le plaisir le conduit à consulter un sexologue.
Pierre est un Israélien qui fait ses études en France. Il fréquente une jeune fille avec laquelle il vit et dans quelques mois, il aura son diplôme d’ingénieur. Ses parents décident de venir le voir, avec l’intention de lui rappeler ses engagements à l’égard de son pays, c’est-à-dire qu’il devra rentrer après son diplôme. Pierre est partagé, il aime son amie, il s’est attaché à la France et n’envisage pas de rentrer « tout de suite » dans son pays. Quand ses parents décident d’abréger leur séjour et de repartir, Pierre propose de les accompagner en voiture à l’aéroport. Sur l’autoroute, juste à quelques kilomètres de l’aéroport, il s’arrête dans un parking pour satisfaire un besoin élémentaire et… en descendant simplement de sa voiture… il se casse une jambe (double fracture, hospitalisation, plaques de fixation…). Pierre, lui, ne croit pas du tout que cet « accident » a un quelconque rapport avec son conflit et sa relation à ses parents… ou à son amie. Si nous ajoutons que la première épreuve de son examen devait avoir lieu la semaine suivante… qui faudra-t-il convaincre ?
Jeanne a décidé de se marier quoi qu’il arrive avant la fin de l’année. Le jour du réveillon du nouvel an, au cours du repas, elle s’engage à l’égard d’un ami, de façon impromptue mais formelle… Toute sa famille est présente. Et le lendemain matin elle se réveille « malade comme une bête ». Pendant trois mois, elle sera malade tous les jours avec les mêmes symptômes (maux d’estomac, brûlures, maux de tête…). Au bout de trois mois elle part au Maroc avec son ami et décide de prendre la pilule. Au retour, les symptômes s’amplifient et se polarisent sur les huit jours précédant les règles. « Chaque mois pendant toute une semaine j’étais malade à en crever ». Elle se marie à l’automne et pendant seize ans elle sera ainsi chroniquement malade, dérangée, en souffrance plusieurs jours par mois… sauf dans les deux périodes de sa grossesse. « Les nausées de la grossesse, connais pas… ». Dans son couple, pendant toutes ces années, pas de disputes, pas de reproches, pas de revendications. « Jamais un mot plus haut qu’un autre, mais jamais plus bas non plus… ». « Nous étions vus comme le couple idéal ». Un jour un conflit éclata entre son mari et elle. « Une sorte de révolte m’a prise. J’ai hurlé, je suis malade depuis que je te connais, je n’avais rien eu avant… Tu te présentes comme une victime mais c’est moi qui suis coincée dans notre relation ». Après cette « sortie » sauvage, véhémente, mes maux disparurent et je retrouvai ma santé de jeune fille… mais la relation avec mon mari, elle, devint difficile, c’est-à-dire réelle. J’avais commencé à changer et surtout à reconnaître combien mon engagement du réveillon de fin d’année était un passage à l’acte et non un véritable désir… que j’avais payé pendant tant d’années avec mes somatisations. J’ai pu dire plus tard à mon mari que la colère que j’exprimais envers lui, c’était contre moi que je l’avais de m’être dupée moi-même. »
Marie, mère de trois enfants, a perdu à neuf ans son père qui en avait trente-neuf. Elle se souvient bien de l’évènement. Elle faisant ses devoirs à la fin de l’après-midi, à la « tombée de la nuit », quand son père s’est levé, a fait quelques pas puis est tombé comme une masse près de la cheminée. Pendant des années elle a vécu ce moment précis, la « tombée de la nuit », avec agitation, irritation, « une sorte de malaise ». Elle reliera son comportement au souvenir de la mort du père le jour même de son anniversaire… à trente-neuf ans.
Les associations de dates sont inscrites en nous et se réactivent à des moments-clés pour dévoiler une situation difficile ou inachevée.
« Chaque fois que je me mets en situation conflictuelle sans pouvoir exprimer ma position, sans pouvoir être entendu, j’ai un incident, un accident de voiture, jamais grave mais… coûteux (tôles froissées, phares, portières, roues…). Aussi j’ai pris l’habitude, après un conflit non ouvert, de prendre un taxi… »
Esquisses thérapeutiques
Si nous acceptons que les « maux » produits par le corps (et qui deviennent parfois des maladies et des somatisations fonctionnelles) sont des langages symboliques, cela veut dire qu’il sera possible de les soigner non à partir de leur symptôme mais à partir du sens, du discours caché dans lesquels ils s’inscrivent, et de les traiter par des réponses symboliques. Ainsi nous proposons parfois des « réponses symboliques » qui vont être entendues et devenir des éléments actifs dans la guérison ou provoquer la disparition des symptômes.
Le petit Thomas, six ans, a depuis deux ans et demi de l’asthme. Son père a quitté la mère quand il avait trois ans et demi (c’est l’élément déclencheur). Il joue seul, refuse d’intégrer frère ou sœur dans ses jeux, refuse la vie sociale proposée par la mère, se coupe de tout. Il dit souvent: « j’aime pas l’air de cette maison, je préfère l’air de papa ». Nous proposons à la mère d’utiliser une grande bouteille (appelée Dame-Jeanne) sur laquelle elle collera une étiquette: « Bonbonne d’air de papa », avec un petit tuyau pour aspirer. Et ce jour-là, Thomas joue dans sa baignoire, appelle sa mère et lui dit: « regarde, je fais le poisson, je respire sous l’eau ». Elle nous dira: « il n’a plus fait de crise d’asthme de ce jour. »
Nous proposons aussi ce que nous appelons des jeux, des prescriptions symboliques portant sur un aspect du discours ou du symptôme entendu comme ayant une forte charge symbolique. Il nous est arrivé de prescrire à une personne de faire écouter du Mozart à ses reins ou à son foie. De faire visualiser sa nuque comme une éponge desséchée qui se gonfle lentement, lentement d’eau en descendant dans la mer…
Le petit René, quatre ans et demi, va à l’école maternelle pour la première fois et dès le troisième jour se met à faire caca dans sa culotte. Son père se fâche, le menace et lui promet une raclée s’il continue « car tu es grand maintenant ». René dira à sa mère: « je ne peux pas me retenir, ça sort tout seul, ça pousse et ça sort ». Nous proposons à sa mère de lui raconter sa naissance. Elle éclate en sanglots: « je ne lui ai jamais parlé de ça pour ne pas le traumatiser, il est né par césarienne ». Elle accepte cependant de lui dire son vécu à elle, la décision prise par l’obstétricien… Elle nous dit que les difficultés anales de René ont disparu dès le lendemain de ce récit.
Cet enfant avait douze ans lorsque son père s’est suicidé par pendaison. Le silence autour de cet évènement tant du sa famille que dans sa vie fait que souvent il a mal au larynx (étouffements, étranglements). Pendant trente ans de sa vie, il subira de multiples opérations: amygdales, kyste, ganglions autour de la gorge, du cou, de la nuque. Dans un jeu symbolique il parlera à son père et lui dira sa colère… et son amour, sa fidélité aussi à travers toutes ses cicatrices. Autant de preuves de l’existence de ce père qui s’est dérobé trop tôt… et à qui il a été impossible de dire « je t’aime et je t’en veux ».
En conclusion provisoire…
Dans cette démarche qui consiste à écouter les maux du corps pour mieux l’entendre se dire, l’écueil à éviter sera la confusion entre la cause et le sens. Nous avons trop tendance à rechercher la cause, c’est-à-dire l’explication d’une chose. Nous remplaçons trop facilement la compréhension qui est une recherche du signifié par l’explication qui est une recherche de savoir, de contrôle et de maîtrise.
Trop souvent nous parlons de notre corps… nous parlons sur lui au lieu de lui laisser la parole. Nous pouvons aussi « parler » à notre corps avec des langages symboliques.
Nous avons surtout le besoin d’être entendus, d’être écoutés plus que d’être contrôlés. La qualité de la relation avec autrui passera par notre capacité à être un meilleur compagnon pour soi-même mais ceci est déjà une autre histoire.
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BIBLIOGRAPHIE
PARLE-MOI, J’AI DES CHOSES À TE DIRE, par Jacques SALOMÉ, Ed. de l’Homme
RELATION D’AIDE ET FORMATION À L’ENTRETIEN, par Jacques SALOMÉ, P.U.L. Lille
LES MÉMOIRES DE L’OUBLI, par Sylvie GALLAND et Jacques SALOMÉ, Ed. Le Regard Fertile
1 La pire des solitudes, ce n’est pas d’être seul, c’est d’être un mauvais compagnon pour soi-même.
2 Nous savons tous le nombre d’infections vaginales, tenaces, douloureuses, qui s’installent sans « causes » évidentes, avec des analyses négatives. Elles disent souvent les malentendus, les refus non exprimés, les « violences » relationnelles.