Daniel Verney
Quelques hypothèses de recherche à propos du psychisme dans le monde et dans l'homme

La première révolution copernicienne – celle de Copernic – n’a pas consisté uniquement (comme on le répète trop souvent) à remplacer une conception « fausse » du monde physique (centrée sur la Terre) par une conception « vraie » (centrée sur le Soleil), mais à relativiser le géocentrisme de sorte qu’il devint insoutenable en tant que dogme et qu’il apparut enfin comme ce qu’il était, c’est-à-dire un point de vue. Point de vue privilégié, certes, puisqu’il est jusqu’à nouvel ordre celui auquel nous oblige notre situation d’hommes sur la Terre, mais justement point de vue sur une réalité qui n’est pas centrée sur ce point : nous, ou moi.

(Revue Epignosis. No 2, Cahier 1. Octobre 1983)

Les réflexions qui suivent ne s’inscrivent pas dans la seule perspective d’une recherche « scientifique », mais dans celle, plus englobante, d’un changement radical de point de vue sur les réalités humaines : une sorte de « révolution copernicienne » qui concernerait l’attitude de l’homme envers lui-même, non seulement en tant qu’individu, mais surtout en tant qu’être en relations avec les autres et avec le monde.

La première révolution copernicienne – celle de Copernic – n’a pas consisté uniquement (comme on le répète trop souvent) à remplacer une conception « fausse » du monde physique (centrée sur la Terre) par une conception « vraie » (centrée sur le Soleil), mais à relativiser le géocentrisme de sorte qu’il devint insoutenable en tant que dogme et qu’il apparut enfin comme ce qu’il était, c’est-à-dire un point de vue. Point de vue privilégié, certes, puisqu’il est jusqu’à nouvel ordre celui auquel nous oblige notre situation d’hommes sur la Terre, mais justement point de vue sur une réalité qui n’est pas centrée sur ce point : nous, ou moi.

Cette révolution a engagé la science occidentale, et avec elle la pensée et peu à peu la conception commune des choses « extérieures », dans une démarche double qui a consisté d’une part à relativiser l’espace et le temps et d’autre part à tenter de retrouver un absolu sous la forme de lois « objectives » de l’univers.

Il en est résulté des développements théoriques et pratiques considérables quant à la connaissance des lois qui régissent certains types d’énergie et permettent, du moins en principe, de les maitriser et de les utiliser. Or, paradoxalement, ce fantasme de maîtrise de l' »homme » sur la « nature » s’effondre visiblement, alors même que la maîtrise de l’homme sur l’homme se manifeste presque partout de façon très concrètement perverse, qu’il s’agisse des diverses formes florissantes d’oppression ou de massacre ou de mille conduites individuelles quotidiennes qui font l’ambiance de la civilisation.

On pourrait dire, en raccourci, que la vision « habituelle » qu’a l’individu humain sur l’individu humain – lui-même… et l’Autre – n’a pas encore été atteinte par les effets de la première révolution copernicienne : elle est restée ego-centrée, et s’est durcie dans cette position au point que ce centrement même se trouve occulté, dénié. Il n’est mis en question que dans des zones « marginales » de la culture où se rencontrent – encore un paradoxe – des enseignements traditionnels et des recherches avancées.

Peut-on préparer, favoriser, réaliser cette deuxième révolution copernicienne qui affronterait le décentrement de l’homme, non pas en évacuant le sujet humain (comme la science classique a tenté de le faire et comme continue de la faire la biologie), mais en étudiant comment le sujet humain se constitue, vit et meurt du fait même d’un essentiel, fondamental et ontologique ex-centrement ? Cette question a une importance majeure devant les bouleversements qui de toutes parts s’annoncent, et dans la mesure où elle préparerait la voie à des conduites individuelles et collectives qui ne seraient pas uniquement déterminées par les pulsions de maîtrise et de destruction. Ce n’est peut-être pas de l’idéalisme, mais plutôt du réalisme que d’envisager une perspective où ce type de questionnement apparaîtra comme l’une des motivations pressantes de toute recherche…

Si l’on ressent cette urgence et cette pression, on ne manquera pas de considérer comme très secondaires des questions comme : peut-on prouver l’existence ou l’inexistence des phénomènes parapsychologiques ?, peut-on établir scientifiquement le bien-fondé ou l’absurdité de l’astrologie ? etc… Mais si par ailleurs on a été amené (et les cheminements de cette sorte sont nombreux et divers) à la conviction – en partie intuitive, en partie étayée – que ces phénomènes sont les manifestations de structures profondes qu’actuellement nous ne voulons ou ne pouvons pas percevoir, et qui pourtant régissent la formation (et la déformation) de notre psychisme [1] et ses multiples interactions avec le monde des formes et de la « matière », alors on est amené à essayer de revoir de fond en comble et de façon synthétique et « principielle » les bases mêmes de notre « compréhension » des structures psychiques et de leurs liens avec le physique et avec le « spirituel ». Et c’est dans cette perspective que l’on peut – sans doute avec quelque témérité – rechercher les axes d’une enquête qui ne serait pas seulement un jeu intellectuel.

I. PRINCIPES ET HYPOTHESES

Essayons de présenter en quelques propositions les « axiomes » de base d’une telle recherche.

A. La « densité de f onction psychique »

1. On postule la présence « dans l’univers » d’une « densité » de fonction psychique. Cette notion peut être vue par nous de différentes façons selon les époques et selon notre capacité de vision et de conscience ; elle pourrait par exemple englober l’inconscient collectif au sens de Jung et le « symbolique » au sens de Jacques Lacan, et renvoyer parallèlement aux deux « formes » complémentaires que sont, selon le Don Juan de Castaneda, le « nagual » et le « tonal ». Les relations entre ces quatre instances mériteraient d’ailleurs d’être approfondies dans cette optique…

Cette densité n’est pas uniforme : elle se concentre au voisinage des systèmes spatialement et dynamiquement structurés de façon simple (atomes, systèmes astronomiques centrés par exemple) ou autour de systèmes de nombres ou incarnant des structures numériques.

2. Cette fonction psychique est indépendante des formes « matérielles » en ce sens qu’elle n’est ni générée ni construite  à partir de la combinaison d’éléments « matériels » selon des lois de type causaliste.

3. Cette fonction psychique est dépendante des formes « matérielles » dans la mesure où sa dérive fondamentale la pousse  à s’incarner dans des manifestations complexes capables de la véhiculer, de l’enrichir, de la propager et de créer des formes nouvelles.

On notera,  à ce propos, que la science moderne, cherchant à réduire la nature au jeu d’un nombre limité d' »éléments » simples selon quelques règles (matérialisme ou réductionnisme), voit s’évanouir la notion de matérialité et de causalité â. mesure qu’elle avance dans sa tentative. Certains physiciens (par exemple J. E. CHARON) se voient obligés d’introduire de la « conscience » dans le monde de la microphysique ; ils ont raison, mais le mot et la notion de « conscience » ne correspondent pas à la réalité transcendante dont il est question ici car ce mot et cette notion sont trop étroitement liés à ce qui apparaît dans la philosophie occidentale comme la forme orgueilleuse du « je conscient ». Le non-conscient y joue un rôle essentiel, qui n’est pas seulement celui des pulsions d »‘en-bas » , mais aussi celui d’une in-fusion venant d »‘en–haut » (inspiration, amour, pulsions de création par exemple…).

B. La densité de fonction psychique et la genèse des formes vivantes

4. L’évolution des formes vivantes serait la manifestation localisée et de plus en plus complexe de la dérive de cette densité de fonction psychique. Si l’on met entre parenthèses les mécanismes (au sens évolutionniste du terme) de cette évolution des formes vivantes, on est amené à postuler que ces mécanismes ne fonctionnent que parce qu’il y a un niveau « transcendant » de réalité qui les déclenche et les oriente (mais qui ne les détermine pas et ne les « contrôle » pas).

5. L’évolution des formes vivantes dépendrait de la façon dont la densité de fonction psychique se trouve localisée et concentrée dans les systèmes simples qui portent l’environnement spatial et énergétique de cette évolution. Ainsi l’évolution des formes vivantes sur la Terre dépendrait des discontinuités de la densité de fonction psychique réalisées par le système solaire (de même qu’à un autre niveau, le système solaire, considéré comme un organisme « vivant », verrait son évolution « dirigée » par le champ de fonction psychique lié à un niveau de réalité englobant le système solaire (peut-être la Galaxie ?).

6. La nécessité d’une incarnation de la densité de fonction psychique en des formes simples serait liée aux structures numérales  (et sans doute aux structures des nombres premiers et des fonctions stables engendrées par ces nombres). Seules de telles structures peuvent transcender véritablement l’espace et le temps et relier des niveaux de réalités extrêmement éloignées (à nos yeux). Ces structures numérales constituent peut-être l’extrême limite de ce que nous pouvons concevoir de la densité de fonction psychique (celle-ci pouvant être vécue ou sentie dans d’autres expériences que l’expérience conceptuelle, par exemple l’expérience religieuse ou métaphysique).

7. Il y aurait une correspondance entre chaque type de système  biologique ayant une certaine autonomie (cf. la « circularité » ou le caractère « autopoiétique » des systèmes vivants — Von Foerster, Maturana, Spencer Brown) et certaines discontinuités de la fonction de densité  psychique au niveau englobant convenable. Il est vraisemblable de ce point de vue que le « corps » de l’homme est en correspondance précise, dans son anatomie et sa physiologie, avec la répartition de la densité de fonction psychique dans le système solaire — notamment en ce qui concerne le système nerveux et ce que la tradition chinoise désigne sous le nom de méridiens ou de courants d’énergie.

8. Il faudrait donc concevoir la notion de transcendance comme jouant dès qu’il y a changement de niveau, que ce soit dans des mutations qui nous paraissent modestement « matérielles » ou dans celles qui nous semblent hautement spirituelles : par exemple la mutation d’un gène qui modifie l’évolution d’une espèce en modifiant un individu, ou la mutation d’un mode de pensée ou de conception du monde ou plus généralement de vision des choses dans telle collectivité à tel moment de l’histoire. Dans chaque cas une certaine répartition de la densité de fonction psychique est en jeu ; le problème est de repérer les niveaux où cela se passe… Il y aurait donc jeu d’une transcendance lorsque la  densité de fonction psychique organisée autour de telle discontinuité spatiale (système solaire par exemple) — ou numérale ou spatio-numérale — réussirait à générer ou à modifier des formes dans une région du monde « englobée » par la discontinuité en question.

C. La densité de fonction psychique et la genèse de l’être humain

Si l’on veut étudier l’être humain il faut hiérarchiser les niveaux. Il faut considérer le biologique (anatomie-physiologie-métabolisme-fonctionnement microbiologique) comme un support pour l’émergence ou l’incarnation de réalités « transcendantes » et non comme la cause de cette émergence.

9. On considérera donc que le corps humain, tel que nous le connaissons et tel que nous l’ignorons (car, par exemple, il est certain qu’une grande partie du système nerveux échappe encore à la connaissance scientifique et que le fonctionnement de l’intuition, et d’autres phénomènes « paranormaux », est encore totalement incompréhensible), est le « résultat » d’une évolution des formes vivantes et de l’espèce humaine, évolution orientée, accélérée, ordonnée, par le champ de densité de fonction psychique du système solaire tel que ce champ est « perçu » par la Terre.

10. A partir de là, deux problèmes clés se posent :

— le problème de la genèse des formations psychiques liées  au corps humain individuel (psychogénèse de l’individu),

— le problème de la genèse des formations psychiques liées au groupement des corps humains vivant en collectivités.

En fait un troisième problème se pose, qui englobe les deux premiers, mais dont nous ne pouvons avoir à l’heure actuelle qu’un aperçu métaphorique : le problème de la genèse de la Terre en tant qu’individu psychique — problème qui se boucle sur celui de la répartition de la fonction de densité psychique dans le système solaire.

11. L’un des principes de la psychogenèse de l’individu serait le suivant :

Les formations psychiques du « moi » individuel, à savoir :

— les fonctions mentales et affectives, les compétences linguistiques, associatives, intuitives, etc…,

— les formations imaginaires liées au moi (image du corps propre, « amour-propre », narcissisme, identifications successives depuis la mère jusqu’à…),

— le désir (pulsion de dépassement ou de transcendance),

ne pourraient pas se développer si l’individu ne recevait  à la naissance une « engrammation » correspondant à la répartition de la  fonction de densité psychique du système solaire.

Cette engrammation a un double caractère :

— un caractère « universel » en ce sens que sa structure de base est la même pour tous les individus de la Terre appartenant à l’espèce humaine (et à un certain niveau pour tous les êtres vivants de la Terre) : cette structure est liée à l’ordonnance du système solaire telle que cette ordonnance est vécue par la Terre qui en fait partie ;

— un caractère strictement individuel absolument non répétable dans son intégrité, en ce sens que la configuration formée par le système solaire à tel moment, et telle qu’elle est vue d’un certain point de la Terre, est strictement individualisée, non reproductible.

Entre ces deux extrêmes de l’universel et de l’individuel, il y a place pour une circulation d’énergies et d’informations modelée sur l’évolution de configurations périodiques ou pseudo périodiques, comme par exemple celles qui sont liées aux mouvements des planètes extérieures du système solaire. Ces configurations seraient elles-mêmes en rapport avec les environnements naturels et humains de l’individu, et par exemple avec les formations psychiques collectives.

Si l’on adopte ce point de vue, ce que nous appelons « astrologie » nous présenterait en fait les règles le plus souvent dégénérées ou fossilisées d’une ancienne science de la psychogénèse individuelle et collective de l’homme.

12. I1 faut sans doute postuler également des niveaux intermédiaires qui permettraient à cette engrammation de se réaliser avec une certaine intensité, très forte au moment de la naissance, puis rapidement décroissante, mais pouvant  à certains moments résonner sous forme de pics d’intensité lors de certaines configurations de la fonction de densité psychique du système solaire. Ces niveaux sont sans doute à chercher du côté de ce que la tradition appelle « corps astral » et « corps éthérique », et dans les méridiens de l’acupuncture ; ceux-ci seraient peut-être l’application (au sens mathématique du terme) de la fonction de densité psychique de la Terre et du système solaire sur la surface du corps humain, surface non quelconque et déjà structurée :

— d’une part par l’évolution de l’espèce humaine,

— d’autre part par l’ontogénèse individuelle (vie intra-utérine + interaction avec l’environnement physique et dans une certaine mesure avec l’environnement psychique au cours de l’existence post-natale)…

13. Une conséquence des deux précédents « axiomes » est que tout ce qui se fait, se développe, se crée, se détruit, en rapport apparemment avec le « moi » individuel, vient de l’extérieur par l’intérieur et doit normalement être remis en circulation dans le monde.

Ainsi, le « moi » peut-il être vu comme une construction qui permet, à une certaine étape de la vie individuelle, l’incarnation de la fonction de densité psychique universelle en tel individu compte tenu de son engrammation « initiale », et qui se construit ainsi à partir de la physiologie du corps et de ses besoins. Mais ce noyau est destiné à « éclater » afin de laisser se répandre le germe de symbolique qu’il s’est vu confier.

On retrouve ici l »excentrement » dont il a été question plus haut ; tout ce qui peut apparaître à l’individu comme formant son centre, son « cœur », lui vient du monde en tant qu’éléments de structure, d’intensité (désir), qui ne se condenseraient que temporairement, s’il s’agit effectivement d’un flux de densité psychique particularisé à un certain moment.

L’écartèlement du sujet humain viendrait peut-être en fin de compte du fait que, de par sa structure (physique et psychique),  l’individu ne peut pas prétendre, à l’échelle de sa vie, à se constituer en noyau stable  de la densité de fonction psychique, comme la Terre ou le système solaire en ont inscrit le modèle et l’image en lui, à sa naissance, La permanence lui est interdite alors même qu’elle est posée « dans son inconscient » comme réalisée et réalisable dans le monde. C’est peut-être là l’une des lectures possibles du mythe du fruit défendu… ou du noyau glissant.

II. AXES DE RECHERCHES ENVISAGEABLES

1. Théorie de la densité de fonction psychique

On envisage ici une démarche par itération entre théorie et expérimentation et présentant aussi des bouclages à l’intérieur de la recherche théorique. Ainsi, les phases de cette recherche théorique pourraient alternativement porter sur :

L’approfondissement et l’explication de la notion de « densité de fonction psychique » ; quel peut être le mode d’être d’une telle fonction (son « ontologie »), par exemple en ce qui concerne sa dépendance et sa non-dépendance vis-à-vis des réalités « matérielles » ? Quelle est la logique ou le type de logique qui peut régler cette ontologie ; problème de contradiction et de non-contradiction? (cf. les travaux de Stéphane Lupasco qui expriment sous une forme « littéraire » le type de problème posé ici, en pointant d’une façon imparable les caractéristiques ontologiques du vivant et du psychique). Le caractère de « contradiction » de l’inconscient, reconnu par Freud, ne serait-il pas la traduction en logique classique (ou triviale) d’une caractéristique de la densité de fonction psychique ? (cf. aussi les travaux de Gotthard Günther sur les logiques associées aux ontologies à plusieurs valeurs). L’axe de recherche envisagé ici ne peut en aucun cas être « spécialisé » : il s’agit de croiser une démarche métaphysique et ontologique avec des modes de réflexion et des techniques de la logique, ce qui n’est peut-être pas orthodoxe du point de vue scientifique, mais qui permettrait d’avancer, à condition évidemment de prendre des risques en ce qui concerne la rigueur (prendre des risques veut dire ici : se mettre en situation de contradiction éventuelle, donc devant la possibilité d’avoir à reconnaître une erreur ou des incohérences temporaires).

— La recherche du type de mathématique et du type de calcul qui pourraient être en accord avec les axiomes avancés ci-dessus ainsi qu’avec l’ontologie et la logique correspondantes : type de formalisme impliqué, opérations permises et interdites ; à voir dans cette optique les travaux du groupe Systema sur la possibilité de représentation de phénomènes par des « relateurs arithmétiques » (recherche qui serait à envisager non pas du point de vue de la technique mathématique, mais plutôt des structures mathématiques en cherchant des « axiomatiques partielles » se prêtant à des phases de contradiction interne temporaire ; alors que les mathématiciens cherchent à éviter cela à tous prix…). Une investigation très sérieuse des trouvailles de Spencer Brown s’impose évidemment ainsi que des travaux de chercheurs (Varela) qui ont essayé de les appliquer au calcul de modèles self-référents pour des systèmes autopoiétiques (c’est-à-dire des organismes vivants).

— Une théorie de la transcendance est à construire : il s’agirait d’une théorie des changements de niveaux et des mutations qualitatives qui permettrait de rendre compte de phénomènes où interagissent des réalités de « niveaux » différents : information et forme, potentialisation et actualisation, manifestation du non-manifesté ou évanescence du manifesté (relativement à un certain niveau ou mode d »‘observation » ou de « regard »)  incarnation et émanation ; passage du désir à l’acte, etc…

2. Théorie des domaines de manifestations

Ce serait là le cœur de la recherche considérée ici : il s’agirait d’essayer de décrire par une théorie non complètement formalisée les deux processus fondamentaux suivants :

— le processus « descendant » par lequel un élément de la fonction de densité psychique s’incarne en créant un nouveau domaine de manifestation, en utilisant la plupart du temps des éléments « concrets » déjà existants ou parfois en créant des formes et des « matières » nouvelles. C’est le processus de chaque naissance — considérée dans tous ses aspects, et pas seulement sous l’angle physique, c’est aussi tout processus de création, c’est-à-dire de cristallisation d’un noyau psychique dans des formes d’un niveau plus concret ;

— le processus « ascendant » par lequel des éléments d’un domaine concret de manifestation peuvent se transformer – et parfois disparaître – pour faire émerger les éléments d’un domaine de manifestation plus « psychique » : ce peut être la mort, mais aussi toute mutation qui, telle une mue, fait qu’une certaine forme devient vide afin qu’une autre, à un autre niveau, prenne vie ;

— les bouclages et circulations de ces processus entre niveaux ontologiques de natures différentes, ayant des degrés d’objectivité/subjectivité et de réalité variables.

Pourquoi une telle théorie devrait être non complètement formalisée Parce que les processus dont elle aurait  à rendre compte ne sont pas tous des processus déterministes, ni même probabilisables ; le succès ou l’échec d’un acte de changement de niveau n’est jamais assuré, tout au plus peut-on essayer de dégager les conditions de possibilité de telles transformations.

Une telle théorie des domaines de manifestations pourrait être nommée théorie de la relativité ontologique : elle cherche à relativiser les uns par rapport aux autres des niveaux de réalité différents (par exemple elle ne considérerait plus comme des absolus des notions comme « esprit » et « matière », mais comme des degrés relatifs l’un à l’autre dans un certain domaine de manifestation). Bien entendu, comme toute théorie qui se veut relativiste, elle devrait compenser cette relativisation par la recherche, au moins en tant que point de repère idéal, d’un absolu. Mais dans cette perspective l’absolu ne saurait être ni spatio-temporel ni conceptuel : c’est là que réside un renversement mais aussi une intégration et un dépassement de la démarche scientifique, telle qu’elle a été pratiquée jusqu’à présent.

3. Investigation des manifestations physico-biologiques de la densité de fonction psychique

Les axiomes esquissés en IB ci-dessus impliquent en fait que les « champs » de gravité jouent un rôle essentiel dans la « physique » et la « biologie » de la densité de fonction psychique. La difficulté d’une telle démarche est qu’elle ne peut absolument pas être menée dans une optique strictement « physique » ou « biologique ». La notion de « mesure » et d »‘expérience répétable » demande à être revue, car il est vraisemblable que les seuls « appareils de mesure » que l’on pourrait consulter dans cette recherche seraient des systèmes ou organismes vivants… Sans doute également la notion de « champ » dont nous disposons est-elle inadéquate aux réalités envisagées ici, ou du moins partiellement non pertinente. Faute de mieux disons pour l’instant qu’une telle recherche portera sur l’articulation des « champs de gravitation » avec le problème des systèmes discontinus stables (type système solaire) et avec certaines structures du vivant.

L’une des difficultés est de repérer quels sont les niveaux de cette articulation : s’agit-il véritablement de systèmes vivants considérés en tant qu’organismes biologiques ou de systèmes psychiques « portés » par ces organismes vivants ? La deuxième hypothèse semblerait plus conforme  à l’ensemble des notions et hypothèses émises ici par ailleurs, Sans doute faut-il reprendre le problème des interactions gravitation-vivant-psychisme d’une façon toute différente de ce qui a été fait ou envisagé jusqu’à présent. La notion d’interaction suppose en effet des domaines de réalité indépendants qui peuvent se « payer le luxe » d’interagir ou pas…, alors que ce qui est envisagé ici est sans doute beaucoup plus imbriqué, dans la manifestation tout au moins.

Les efforts théoriques sont ici primordiaux pour éliminer les voies sans issues. Les problèmes posés sont certainement en rapport avec la question des « ondes de forme » mais il ne saurait être question de se lancer dans des expérimentations « aveugles » ou « statistiques », c’est-à-dire non guidées par des hypothèses théoriques explicites. En accord avec la notion d »‘autonomie du symbolique », il faut ici insister sur la primauté de l’hypothèse et de la fiction (hypotheses fingo : il s’agit d’être non-newtoniens… comme Newton lorsqu’il trouvait).

4. Exemple d’application des recherches envisagées

Etude des rapports entre le système solaire, la Terre et l’Homme du point de vue des structures psychiques. Il ne s’agit pas ici d’une recherche des « influences » cosmiques : l’optique préconisée est évidemment éloignée de la recherche d’un modèle causaliste « créant » du « psychique » par l’enchaînement et la combinaison de « faits » physiques.

L’idée de base est celle exposée dans l’axiome 11 du §I ci-dessus ; elle rejoint mes idées premières sur les fondements de l’astrologie, mais dans une optique beaucoup plus axée sur la notion de structure psychique non-consciente engrammée en l’homme, et représentant sans doute, de façon essentielle, la structure du désir de l’individu : c’est-à-dire une autre façon d’envisager les rapports du psychique et du physique ; le désir est l’écartèlement de l’être humain entre l’imaginaire et le symbolique, entre les pulsions et la « loi du monde ». Il s’agit bien d’une « concrétisation » de l’universel en chaque individu, conformément à la notion (même encore vague) de densité de fonction psychique.

5. Autre exemple : étude des sujets et phénomènes parapsychologiques

Il s’agirait de prendre le cas des sujets « doués » de dons « parapsychologiques » comme des domaines d’étude privilégiés, principalement du fait que :

— de tels sujets manifestent sans doute une « structure » du désir axée sur l’universel et cela « malgré eux » (c’est fondamental),

— leurs capacités particulières portent essentiellement (et peut-être même uniquement) sur l’interaction du psychique et du physique (pour parler en termes plutôt inadéquats, mais on n’a pas mieux pour le moment),

— ils réalisent des bouclages très serrés de la densité de fonction psychique : en effet si le thème natal représente une « concrétisation » forte de la densité de fonction psychique du système solaire sur l’individu, l’acte parapsychologique présente une telle concrétisation sous une forme également forte et ponctuelle et elle est réalisée par un individu qui est né, donc qui a un thème. Si le thème représente la structure du désir, il représente sans doute par là-même la structure de l’ensemble des filtres qui relient le psychisme individuel et la densité de fonction psychique du système solaire (et de l’univers : car il s’agit ici, rappelons-le, de micro – et de macrophysique – les bouclages sont à plusieurs niveaux).

Une telle étude nécessiterait certainement une expérimentation du  vécu (il ne saurait évidemment être question de reconstituer artificiellement les conditions de l’acte parapsychologique avec observateurs en embuscade comme cela se fait actuellement, mais plutôt d’étudier « avec amour » les phénomènes qui se produiraient… : là aussi la notion de mesure et d’expérimentation est à révolutionner).

CONCLUSION PROVISOIRE

Les « axiomes » ou principes posés au début de la présente étude n’ont aucune raison d’être définitifs à ce stade de la réflexion : il s’agit d’hypothèses de recherche destinées à donner une idée condensée de l’itinéraire que j’ai suivi et des perspectives que j’envisage. Celle que je prévois de concrétiser le plus prochainement est l’élaboration d’une théorie de la relativité ontologique : c’est là, me semble-t-il que se trouve actuellement le point de passage le plus crucial non seulement vers une nouvelle science, mais aussi et surtout vers un mode de connaissance que les traditions de l’humanité nous présentent de tous temps et que nous avons maintenant à faire revivre, et à vivre.

BIBLIOGRAPHIE (à titre d’esquisse)

Raymond Abellio — La Structure Absolue (Gallimard, Paris, Bibliothèque des Idées, 1965).

Jacques Lacan — Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (Le séminaire, livre XI. Editions du Seuil, Paris, 1973).

Gotthard Günther — Beiträge zur Grundlegung einer operationsfähien Dialektik (Felix Meiner Verlag, Hamburg, 1979 ; 3 vol.).

G. Spencer-Brown — Laws of Form, George Allen and Unwin, London, 1969; nouvelle édition en « paperback » par E. P. Dutton, New York, 1979.

Rudolf Steiner — L’Univers, la Terre et l’Homme, Editions Triades, Paris, 1977 (Traduction française de l’allemand : Welt, Erde und Mensch, onze conférences prononcées à Stuttgart en août 1908).

Th. Moulin, Cl. Vallet et D. Verney (Groupe SYSTEMA) — Sur la possibilité de représenter le réel au moyen  de relateurs arithmétiques, in Revue de CETHEDEC, Paris, 4ème trimestre 1971.

D. Verney, Cl. Vallet et Th. Moulin — Relateurs arithmétiques et systèmes ouverts (7ème Congrès International de Cybernétique, Namur, 1973).

Daniel Verney — Fondements et Avenir de l’Astrologie, Fayard, Paris, 1974.


[1] Le terme de psychisme est pris ici dans une acception provisoirement globale qui recouvre les réalités non manifestées sous des formes visibles et concrètes dans l’espace-temps habituel. Par exemple, ce terme désigne les différents niveaux du psychisme individuel et collectif, qu’il soit infra- ou non-conscient, conscient, ou supra-conscient. Il englobe les notions d’âme et d’esprit qui dépassent éventuellement l’individu ou même les groupes humains. Il va de soi qu’une définition aussi vaste ne peut être que provisoire ; elle ne tient que sous réserve d’une analyse approfondie qui sera à faire dans le cadre de la « théorie des domaines de manifestations » évoquée au cours du présent article.