(Revue Panharmonie. No 197. Janvier 1984)
« Le UN sans forme
est au sein de toute forme ».
Rabindranath TAGORE
Cet exposé voudrait être une sorte de méditation collective visant à la recherche de la Divinité, mais n’a aucunement comme but de mettre en accusation des religions, ni de heurter quelques convictions particulières.
L’enseignement moïsiaque nous révélait l’existence d’un seul Dieu, mais aussi connaissait différents dieux, les Élohim. La plupart des traditions ont trouvé la notion de « familles de dieux », souvent réunies par trois, à l’image de la famille humaine, c’est-à-dire, père, mère et enfant. Le dogme chrétien révéla le mystère de la Trinité, c’est-à-dire d’un Dieu Unique en trois Personnes, dogme qui ne fut promulgué dans l’Église qu’à partir du IVe siècle, en 325 exactement, au Conseil de Nicée, et ceci dans une confusion totale, en s’écartant délibérément du monothéisme hébreu.
Mais reprenons le schéma qu’ont parcouru tous les spiritualistes du monde, et reposons-nous les mêmes questions : Dieu, quel est-Il ? Quelle est Sa nature ? Pourquoi, si Dieu est tout-puissant, y a-t-il eu plusieurs créations, nécessitant par la suite un ou plusieurs déluges ? Disons en passant que pour justifier ces deux créations, l’exégèse catholique les présente comme deux récits, l’un de source, l’autre sacerdotal. Elle envisage même pour certains récits une troisième source dite « Élohiste » où Dieu est justement désigné comme Élohim.
Autre question : si Dieu est omniscient, pouvait-Il ignorer ce que l’homme ferait de sa liberté et comment n’a-t-Il pas prévu ce qu’on appelle « chute » ? Troisième ou quatrième question : si Dieu est Un, comment a-t-Il pu s’incarner, mystère de l’incarnation, afin de sauver, autre mystère, mystère de la rédemption, ces êtres infimes que sont les hommes de la terre, alors que dans l’immensité du Cosmos on peut supposer que, depuis Fontenelle, il existe la pluralité des mondes habités par des êtres pensants éparpillés dans les diverses galaxies ? Pourquoi tous ces mystères supplémentaires ? Or, nier un des attributs de Dieu, c’est Le nier tout entier.
Dans le mythe de Sisyphe, Albert Camus pose les mêmes problèmes, mais d’une façon différente : « Ou bien, dit-il, nous ne sommes pas libres et Dieu tout-puissant est responsable du mal ; ou bien nous sommes libres et responsables, mais Dieu n’est pas tout-puissant ! » Et il conclut : « Toutes les subtilités d’écoles n’ont rien ajouté ni rien soustrait au tranchant de ce paradoxe ».
Le Chrétien n’accepte pas cette alternative, affirmant que ce n’est pas Dieu le responsable du mal, mais une sorte de « contre-Dieu » appelé par eux « Satan » ou « Anti-Christ », ou « Ange déchu ». Mais c’est compliquer le problème sans le résoudre, suscitant un personnage supplémentaire, créé par Dieu et devenu son rival qui annihile sa Toute-puissance.
Il ne nous appartient pas ici d’innover en matière de dogme, mais chacun peut et doit réfléchir sur la vraie révélation divine, afin de la dégager de sa gangue religieuse. De toute façon le Dieu Absolu ne se nie pas plus qu’Il ne se prouve. Si on Le suppose, on y croit, mais si on ne Le suppose pas, on ne peut y croire. D’ailleurs on peut croire qu’il y a un Dieu, mais on ne pourra jamais savoir s’il y en a un. Alors réfléchissons sur l’idée qu’on peut se faire du vrai Dieu. Essayons de nous livrer à une recherche historique, philosophique, métaphysique, même si certains peuvent s’étonner de différentes positions, mais chacun conviendra que ces problèmes sont délicats et obscurs par eux-mêmes et qu’ils ont été souvent volontairement obscurcis dans la suite des temps.
Et c’est tellement vrai que quatre Papes successifs, pour parler Église Catholique, quatre Papes successifs ont publié quatre encycliques en cinquante ans d’intervalle, entre 1893 et 1943, dans lesquelles ils ont envisagé la révision des Écritures, et même celle de la Vulgate, ce qui prouve le désarroi de l’enseignement dogmatique de l’église actuelle. On est loin de ne pas vouloir y changer un iota.
A propos de l’Église Romaine, nous allons « mettre en parenthèse » selon l’expression de Jean Borella dans sa « Préface de l’Ésotérisme Chrétien », la dogmatique officielle de l’Église Catholique, dont la dimension ésotérique ne paraît décelable que malgré l’Église et en dehors de ses formes reconnues. De toute façon il est difficile d’éclaircir ce que vingt siècles et plus, ont contribué à occulter. Tout d’abord parce que rares étaient les possibilités pour les laïques de parler et d’écrire en toute liberté sur ces questions dogmatiques et que, pour le clergé, ce fut encore plus délicat.
J’aimerais évoquer ici un souvenir personnel : Au moment de l’occupation allemande de la zone libre en 42, un Professeur du Grand Séminaire de Dijon, l’Abbé Chaume, bien connu, qui avait fait de très profondes recherches sur l’Église primitive, mais qui n’avait jamais rien publié par crainte de l’Église, est allé enfouir tous ses manuscrits, aidé de deux témoins, afin que personne ne puisse s’en emparer s’il venait à disparaître. Or sa mort est survenue et personne n’a jamais retrouvé ses manuscrits ! C’est dire combien on ne se livrait pas.
Terminons cet avant-propos avec la pose d’une pierre, scellée par Jean Charon : « On sait, dit-il, que les dogmes n’ont en général qu’une existence temporaire. » Cela semblerait s’accorder en grande partie avec quelques-unes des positions, mais pas toutes, posées actuellement par la contestation théologique.
Je ne parlerai pas de toutes les Hiérarchies d’Esprits du monde divin que l’on appelait autrefois dans l’antiquité les dieux, les anges, dans la chrétienté, et que l’on appelle parfois maintenant « guides » ou « Supérieurs inconnus », les confondant même avec les extra-terrestres dont on parle de plus en plus (car la confusion est caractéristique de notre monde actuel). Je parlerai de la Hiérarchie Divine.
HIÉRARCHIE DIVINE, LE DIEU SUPRÊME
Pour moi elle s’étage sur deux plans : premièrement le DIEU SUPRÊME, deuxièmement, les autres Dieux. Le DIEU SUPREME, appellation qui n’est qu’un symbole verbal, car Dieu ne saurait être nommé, c’est l’Être au nom Imprononçable, et c’était une règle absolue chez les Hébreux, car Yahvé, Adonaï ou El Shaddaï, ne définissaient pas le Dieu Suprême, le Dieu Suprême étant symbolisé dans la Kabbale l’AIN-Soph, l’Indéterminé, et paraissant placé au-dessus du tableau des Séphiroth, qu’on appelle justement « les Dix Numérations » ou « Archétypes Spirituels » des aspects divins, intégrés indistinctement dans le UN Suprême. Chez les Hébreux donc, seuls les attributs de Dieu, ses fonctions, ses qualités, que l’homme imagine, pouvaient être évoqués. Et l’Islam, de son côté, en démontre symboliquement quatre-vingt-dix-neuf, et c’est pour cela qu’il a quatre-vingt-dix-neuf grains dans le chapelet musulman, précédé du UN, l’Unique, le UN sans second, l’Esprit Absolu, l’Inconditionné, l’Essence sans essence. Car il est métaphysiquement impossible, dit l’Abbé Stéphane (dans une très belle introduction à l’Ésotérisme Chrétien). « Il est métaphysiquement impossible que l’Essence Divine, dans sa Réalité transcendante, puisse se révéler comme telle. Elle ne peut se révéler qu’à elle-même dans le mystère de l’irradiation divine ». Et Maître Eckhart de préciser : « Avant que les créatures fussent, Dieu n’était pas Dieu. Il était ce qu’Il était, la Déité ». Et cet état de Dieu constitue Sa réalité suprême : cette Déité. Guénon l’appelle « le Non-Etre » qu’il ne faut pas confondre avec le néant. Dieu est donc la Cause, la Cause sans cause, la Cause des causes, l’Incréé, l’Éternel, le Tout-Puissant, le Principe Initial et Parfait, la Lumière, l’Énergie, la Pensée à l’état pur. Il est en particulier Celui dont l’Amour a conçu l’idée de la Substance-Principe, la Vie, d’où émergeront les autres Dieux.
LES AUTRES DIEUX
Je reparlerai du DIEU SUPREME, mais tout d’abord, je vais parler des autres Dieux, comme je les envisage : ce sont les Esprits divins, les Dieux Opérateurs, les Dieux Intermédiaires et Médiateurs et d’abord les Dieux Formateurs des mondes, les Dieux qui gèrent la Manifestation et s’y incarnent parfois, car le Père de l’Univers (de notre Univers), comme le Sauveur de l’Univers (notre Univers), sont issus de l’Être des êtres.
Le récit de la Genèse va nous éclairer. Il présente, dès le premier verset « l’Esprit Divin planant sur les Eaux ». Or que signifie la surface des Eaux ? Telle la marche sur les Eaux de Jésus-Christ : cela symbolise les « Eaux Supérieures », c’est-à-dire la Manifestation informelle des états divins supérieurs. Autrement dit la naissance des Dieux Créateurs auxquels va justement être confiée la manifestation formelle, c’est-à-dire les Eaux Inférieures, la Création à l’état primordial. Nous retrouvons ce même thème symbolique dons toutes les traditions : « Brahma arpente le faîte de la mer », « Indra se tient à son gré sur le courant des eaux », Vishnou est vraiment « Celui qui marche sur les eaux ». Quant à Bouddha, Il y marche aussi « comme si elles étaient une terre solide ». Je viens de prononcer des termes très lourds de signification : manifestation formelle, naissance des Dieux Créateurs, cela demande explication.
Dieu, puisqu’Il est unique par définition, ne peut avoir d’associé. I1 est donc unique créateur, mais il est nécessaire de définir ce qui est véritablement la Création et quel est le rôle créateur de Dieu. « Il y a création, dit Isha Schwaller de Lubicz, quand quelque chose se fait de rien. Par contre il y a seulement puissance créatrice ou génératrice quand, par la graine ou par la semence il y a concrétisation de la substance abstraite ». Telle est, ce que j’appellerai « la ligne de partage » entre le Dieu créateur et les Dieux formateurs. « Dieu crée Ses propres membres qui sont les Dieux » disent les vieux textes sacrés. « Dieu Se crée éternellement Lui-même » riposte Eliphas Lévi, dans « La Clé des grands mystères ». « J’étais un trésor caché, dit Dieu », cite un magnifique texte Soufi, mais J’ai aimé à être connu et J’ai créé le Créateur ». Précisons encore en reprenant Isha Schwaller de Lubicz, que « La Création propose le devenir de l’Univers qu’elle se situe nécessairement hors du temps, puisque la durée est le propre de la créature. La Création est un acte momentané de transition entre l’indivisibilité et les formes, acte momentané par rapport à l’effet produit. Mais obligatoirement fonction continue de concrétisation de l’abstraite substance ». En langage clair et simplifié, le Dieu Suprême a crée l’abstraite substance qui fait partie de Lui-même (nous l’expliquerons ci-après), et créé les Dieux pour mettre cette substance en forme.
LES EL-OH-IM
Revenons à notre Esprit Divin qui planait sur les Eaux. Or avant même d’avoir évoqué ce symbole, la Genèse indique le nom de cette divinité créatrice, « les Élohim : « Béréchit Bra Élohim », voilà les trois premiers mots de la Genèse ! On les traduit couramment par : Béréchit, au commencement ; Élohim, Dieu ; Bra, créa (plus la fin de la phrase) : créa le Ciel et la Terre. Or ces trois premiers mots sont l’occasion de gloses interminables chez les Rabbins, alors que les Chrétiens acceptent passivement une traduction complètement erronée, celle que j’ai donnée, qui infirme toutes les dogmatiques. Ils acceptent qu’on fasse d’Élohim, complément pluriel, un sujet singulier qui inverse toute la phrase, et qu’on traduise ce mot par Dieu.
Le Docteur Chauvet, dans son magistral ouvrage : « L’Ésotérisme de la Genèse », où, en trois volumes, il ne traite que les dix premiers chapitres de la Genèse, propose la traduction suivante : Béréchit : le Principe ou le Créant, Bra : avait créé ou avait conçu, Élohim, les Élohim, les Dieux ou l’Angélisme (plus les lois cosmiques et l’Astralité) etc. Ainsi donc, l’ordre de la phrase est respecté et la traduction devient logique et satisfaisante. Béréchit, sorte de participe présent, reste le sujet traduit par le Principe ou le Créant et non pas par « au commencement », parce que Dieu ne peut avoir de commencement et que Sa Création est forcément continue : Bra, troisième personne du singulier = traduit par un plus-que-parfait, parce que la Genèse cosmogonique écrite, faisait partie, faisait suite, à une théogonie orale, comme d’ailleurs tous les Livres Sacrés, Avesta, Védas, Tripitaka, etc… etc…, qui possèdent trois parties, théogonie, cosmogonie et authropogonie. Le troisième terme : Élohim, pluriel, masculin, venant de Elah singulier, féminin, indique des êtres à double énergie, positive et négative, comme nous le verrons plus loin pour le Dieu Suprême. Il y a d’ailleurs dans la Genèse elle-même, juste après ce que l’on appelle « la chute » (mais ce terme là n’existe même pas dans la Genèse), il y a une excellente confirmation de ce pluriel qui ne peut être alors, comme le prétend le Christianisme, ni un collectif singulier, ni un pluriel de majesté. Il s’agit du troisième chapitre, verset 22 de la Genèse que je cite textuellement : « Yahvé-Dieu dit : Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous ». C’est Yahvé, Lui-même, qui révèle qu’il existe d’autres Dieux semblables à Lui. Personne ne me convaincra qu’il s’agit du Dieu Suprême. D’ailleurs la Bible ne parle pas seulement des Élohim, sorte de nom générique d’Êtres divins, mais elle-même nomme aussi Adonaï, El Shaddaï et enfin, Yahvé. Or ce qui est curieux, en Araméen on employait encore aux temps christiques, le mot Eli ou Eloï, signifiant les Dieux. Et la Bible de Jérusalem qui est une Bible parfaitement catholique, ajoute que cette appellation provenait probablement de l’influence de l’hébreu « Élohim », ce qui expliquerait différemment la phrase prononcée par Jésus Lui-même sur la croix : « Eloï, Eloï, lama sabatchtani » , « O Dieux, pourquoi m’avez-vous abandonné ? »
DU DIEU SUPRÊME A L’HOMME
Tout d’abord, essayons de situer le Dieu Suprême. Voilà ce qu’en dit Mircea Eliade dans son « Histoire des Religions » : « Je le définirai simplement au point de départ comme Principe Transcendant et autonome, Réalité unique, universelle et éternelle, engagée dramatiquement dans l’illusion temporaire de la Création, irréductible, dépourvu de qualités, sans désir, éternellement libre ».
Et maintenant essayons très rapidement d’envisager tous les échelons, tous les degrés qui descendent de Dieu et qui vont jusqu’à l’homme.
De ce Principe initial et parfait, de cet archétype fondamental, proviennent donc ces manifestations plus ou moins parfaites que sont ces Dieux formateurs, appelés aussi les Principes divins. Ces Principes divins décrètent les lois, les « Noumènes » qui sont les Réalités intelligibles. Ces lois engendrent leurs effets, les « Phénomènes » qui sont les réalités sensibles. Quant à l’homme, par ses sens, il constate les phénomènes du monde extérieur ; par son intelligence, il découvre progressivement les lois qui les commandent ; par son être spirituel, il peut entrevoir un peu, mais seulement un peu, les Principes d’où viennent ces lois ; l’Infini, l’Éternité… Mais les causes sont en général, sauf extase ou vision mystique, hors de son entente, englué qu’il est dans son enveloppe matérielle, le fameux « vêtement de peau » de la Genèse. Quant à la Cause Suprême, elle est humainement inconcevable, En cela réside le vrai et le seul mystère de Dieu.
Le nom « mystère », que signifie-t-il ? Il vient du latin mystérium et du grec musttrion et du verbe « mucin » (en grec toujours) qui signifie « se taire ». Cette racine « mu » a donné en latin mutus, muet, le même mot en grec, « muthas » ou bien le verbe « muo » signifiait aussi « initier », être initié aux mystères, être initié au silence. Le mot mystère n’est donc pas tellement mystérieux, il est silencieux. Et Dieu est mystérieux parce que silencieux.
ESPRIT ET MATIÈRE
Donc le mystère de Dieu est le seul et vrai mystère, parce que Dieu est en même temps Esprit et Matière. Cette matière, matière prima, appelée aussi « Vierge Cosmique », qui fait croire que Dieu était un être androgyne et, en cela réside toute la confusion hébraïque, celle de Yahvé, car le Yod-Hé-vau-Hé révèle bien un Yod masculin et un Hé-Vov-Hé féminin (Ève), mais le Yahvé biblique n’est pas le Dieu Suprême, mais seulement un Dieu formateur de notre monde. Cependant, avec l’Esprit et la Matière, nous entrons dans les premières dualités de Dieu. Nous en verrons bien d’autres !
Ainsi, dans la Bhagavad Gîta, le Seigneur bienheureux se proclame « l’Esprit du Temps et le Destructeur du monde », ce qui signifie que l’aspect redoutable et terrible du Divin existe tout autant que Son aspect de bienveillance et de bonté. Celui-ci étant le seul qui ait été retenu par le Christianisme, ce qui amène bien des confusions. Or Héraclite disait déjà au Ve siècle avant Jésus-Christ, que « Dieu est le jour et la nuit, hiver et été, paix et guerre, satiété et famine ». Tout cela nous permet d’affirmer que la Dieu Suprême est essentiellement pour nous l’Unificateur des contraires. Mais ceci est une notion quasi impénétrable pour l’intelligence humaine, incapable de comprendre que Dieu peut être à la fois l’Immanent et le Transcendant, l’Immanent dans le monde et hors le monde, le Transcendant par rapport à l’Être et au Non-être. En somme le UN et le TOUT, infini, indéfini, indéfinissable et inconnaissable. « Tout revenant au Tout, mais Tout étant en Tous, le Tout est UN », proclame une maxime druidique à laquelle le Tao répond : « Celui qui a fait que tous les êtres fussent limités, est Lui-même illimité ».
Jean Biès, dans un ouvrage facile et intéressant : « Passeport pour les temps nouveaux », précise que « le non-dualisme des enseignements primordiaux a transcendée matérialisme et spiritualisme dans une unité supérieure ». Mais ce que beaucoup de spiritualistes ont du mal à admettre n’est pas tellement que le Dieu Suprême étant le Tout puisse réunir en Lui-même l’Esprit et la Matière, mais surtout qu’Il puisse Se manifester sous une troisième modalité — je ne dis pas troisième personne — toutes trois issues de Son Unité.
TROISIÈME MODALITÉ
Platon l’avait pourtant déjà pressenti : il disait dans le Timée que deux choses sont toujours liées entre elles par une troisième qui dépend à la fois de l’une et de l’autre. C’est la Triade, la Trinité, la Tri-unité, parce que toute loi est trinitaire, étant l’expression d’un rapport, troisième terme, entre les deux autres.
C’est cette idée de Triade Sacrée, « pur symbole et modèle des Dieux », disait aussi Pythagore, qu’on trouvait depuis des millénaires en Égypte, à Sumer, à Babylone, aux Indes et en Chine, avec une similitude extraordinaire. Or quel est le lien entre l’Esprit et la Matière ? Quelle est cette troisième modalité ? C’est la FORCE-ÉNERGIE qui agit justement en un constant mouvement vibratoire, comme un balancier, entre l’Esprit et la Matière. Ce principe intermédiaire permet aux deux principes opposés, de se connaître, de s’influencer, de se contrebalancer. Dieu est la potentialisation universelle, équilibrante, vivifiante et magnétisante, en même temps que mouvement et repos (je ne dis pas inertie). Il se transforme constamment, un peu comme l’eau, comparaison tout à fait banale, comme l’eau qui devient glace ou vapeur, c’est-à-dire passe par différents corps, solide, ou gazeux, sans aucunement affecter Sa nature. C’est trois modalités, Esprit, Force, Matière, que certains appellent Essence, Mouvement ou Énergie et Substance, sont toutes les trois réunies dans le Dieu Suprême.
Cette proposition amène tout de même quelques remarques : premièrement, ce terme d’énergie. Fernand Pinatel, dans un magnifique livre « l’Annonciade », le propose comme introduction de l’Évangile de Jean. Il le traduit ainsi : « Au commencement était l’Énergie spirituelle, l’Énergie spirituelle émanait de Dieu et l’Énergie spirituelle s’exprimait comme Dieu. » L’Énergie spirituelle est en effet l’expression même du Dieu Suprême, Sa Pensée, Son Divin Vouloir. Sa Parole. Or cette manifestation du Principe Divin c’est ce que les Grecs appellent le « Logos », le divin créateur des univers, des ondes, des formes, de la substance, de l’Énergie spirituelle. Ayant à travers cette substance engendré l’énergie physique, elle lui transmet le souffle de vie, l’homo spiritus est créé, mais l’Énergie spirituelle n’en continue pas moins son action pour réaliser l’idée divine sur le plan humain et le fécondant, en le dirigeant, en l’orientant en toute liberté. C’est ce qu’on appelle : « l’entendement de la vie ». Cette manifestation du Logos, c’est la Lumière qui luit dans les Ténèbres, mais les ténèbres du monde ne voient pas la Lumière. Et le Principe de l’Énergie spirituelle, Fils de Dieu, se manifestant comme Fils de l’Homme, est venu habiter parmi nous, nous apportant la Vérité du DIEU SUPREME. Tel est l’enseignement de Jean l’Évangéliste, qui se situe au plus profond du Christianisme initial, aux antipodes de ce qu’est devenu l’Église Romaine au bout de vingt siècles. L’Évangile de Jean est l’Évangile énergétique de l’Esprit.
Deuxième remarque : il faut noter cependant qu’il y a une différence fondamentale entre la Matière inorganisée et amorphe et la Substance organisée et vitalisée. Voici ce qu’en dit Saint-Yves d’Alvèdre dans son Archéomètre, un livre qu’on ne lit plus : « Loin d’être la même chose, ce sont des contraires. MAT, la racine MT — on supprime les voyelles dans les langues antiques — MT, racine du mot « matière » ; cette racine en chaldéen, en syriaque, en hébreu, signifie facilité, inertie, mortalité. Le sanscrit et le pali indiquent l’idée d’avoir, l’idée d’une chose possédée. La Matière, en somme, est un rejet, un excrément inorganique et amorphe de la Substance organique et morphique. Mais à peine excrémentée d’un organisme antérieurs, à peine chaos matériel, elle est reprise par les forces en travail dans les milieux d’organisation. Leur activité entraîne de nouveau son inertie à sortir de sa condition de Matière chaotique et à rentrer dans celle de Substance définie dans un corps et qualifiée dans une forme. Car l’état du corps n’implique pas seulement l’état matériel, mais au contraire, celui de substance et de forme en fonction d’harmonicité et d’organicité spécifiques. » Et Saint-Yves d’Alvèdre ajoute un excellent exemple : « Un morceau de fer n’est pas de la matière, car celle-ci est inorganique et amorphe, tandis que le métal ou le minéral est complètement organisé selon son espèce et caractérisé par une arithmologie et une morphologie spéciale. » La même idée est reprise par Teilhard de Chardin dans son « Hymne à la Matière », quand il évoque : « La matière où germe et grandit la Substance élue ». Il provoque les hurlements de certains Chrétiens qui ne connaissent pas les trois modalités du Dieu Suprême, quand il invoque la « Sainte Matière » et surtout quand il parle « du Christ dans la matière ». C’est en effet très audacieux ! (A suivre)
(Revue Panharmonie. No 198. Avril 1984)
Et ceci m’amène à la troisième remarque : ces trois modalités de Dieu, ces trois aspects du Divin, pourraient presque, quoiqu’avec une erreur certaine, être comparés aux trois fonctions appelées, à tort, dans le Christianisme : « les trois Personnes de la Trinité ». Le Père signifiant l’Esprit-Essence, l’Esprit la Force d’Énergie et le Fils la Matière-Substance.
Revenons aux trois modalités qui sont toutes trois réunies dans le DIEU SUPREME, puisque tout est en Dieu et que Dieu est en tout. A quoi Saint Paul ajoute : « Afin que Dieu soit Tout en nous », sans quoi Dieu ne serait pas Dieu, tout provient de Dieu et tout retourne à Dieu, tout part de l’Unité et retourne à l’Unité. Non pas dans un sens panthéiste ou immanentiste, mais plutôt dans le sens franciscain du terme « Mon frère, le Soleil, ma sœur, la Lune, mes frères, les animaux, mes sœurs, les plantes, etc. ». Or tout récemment, à la télévision, j’entendais l’astrophysicien, Hubert Reeves, ajouter poétiquement : « Les pierres et les étoiles sont mes sœurs » et Saint Jean insiste : « Toutes choses ont été prévues par Lui et en dehors de Lui rien n’a été produit ». Et l’Abbé Stéphane de dire : « Il possède toutes les possibilités créaturielles et la multiplicité indéfinie des êtres est éternellement contenue principiellement dans l’unité de Son essence divine ».
DUALITÉ DE LA FORCE ÉNERGÉTIQUE
Mais il y a lieu de préciser que cette Force est duelle et que ce Mouvement, cette Énergie, comporte selon la terminologie scientiste, attraction et répulsion. Le Brahmanisme l’a d’ailleurs bien compris, lui qui parle de l’inspire et de l’expire de Brahma. Cet inspire et expire, c’est le DIEU SUPREME qui aspire et respire l’existence de toutes les créatures. « Car la Création, dit Péronnik, dans sa « Quête du Graal » est un processus cyclique décomposable en deux temps, un temps de déploiement, extension, expire du Père, et évolution ; suivi d’un temps de reploiement, contraction, inspire du Père = involution. » Ce que les scientifiques traduisent par « Entropie et Néguentropie », soit diminution ou augmentation du potentiel énergétique. Paul Le Cour exprime cela d’une façon plus poétique, en disant : « Le Cosmos serait en quelque sorte un cœur gigantesque, le cœur du DIEU SUPREME, de même que le Soleil serait le cœur de notre Démiurge ».
Et voilà la raison pour laquelle il y a eu tant de religions solaires, à commencer par le Christianisme. Or cette Force duelle est déjà connue des Alchimistes, avec leur formule : « Solve et coagula », « Séparez et rassemblez » ! Si Dieu sépare pour unir, il unit pour multiplier, disent les Pères de l’Église, enfin l’ésotérisme prétend que « l’UN est dans le multiple, l’éternel dans le présent et l’essence dans la substance ». Mais il nous faut pénétrer encore davantage l’idée de cette Force-Énergie et poursuivre ses conséquences et prolongements jusqu’au bout. En effet, attraction et répulsion ne sont pas seulement des forces contraires agissant sur le plan cosmique en tant que Forces actives et passives ; ou bien se manifestant sur le plan scientifique en tant que pôle positif et négatif ; ou encore sur le plan de la physique en tant que lumière et ténèbre ; mais s’exprimant aussi sur le plan sentimental en tant que sympathie et antipathie, amour et haine ; et se transformant sur le plan moral en Bien et en Mal.
ORIGINE ET NATURE DU MAL
Le Mal n’a pas d’existence propre et indépendante. Le Mal en tant que mal n’est pas une réalité, c’est une absence du Bien, comme l’ombre est l’absence de la lumière. Toutes les forces de la nature sont neutres et statiques. Ainsi le mal ne peut exister que parmi les êtres pensants, tels que l’homme. C’est l’homme qui invente le mal. Dès qu’il utilise ses énergies dans le mauvais sens, dès qu’il déséquilibre l’harmonie générale. Le mal est donc un désaccord, un déséquilibre, provenant d’une opposition humaine, d’un refus, d’une défection, d’un abandon, d’un manque ou d’une simple faiblesse. Il provient du désaccord de l’homme avec Dieu. Sous ces différentes formes : la haine, la laideur, le mensonge, le matérialisme, la famine, la guerre, la cruauté, la révolution, la maladie, la souffrance et la mort. Le mal est le contraire du bien, de l’amour, de la beauté, de la droiture, de la spiritualité, de l’abondance, de la paix, de la douceur, du calme, du bien-être, de la vie. Tout cela provient de la force duelle, la troisième modalité de la nature du DIEU SUPREME. Pulsion énergétique universelle, inspire et expire de Dieu, mystère évidemment incompréhensible pour l’homme, pour la logique humaine.
Mais le DIEU SUPREME qui est aussi l’Harmonie universelle, arrive à équilibrer constamment son mouvement pendulaire, d’action et réaction, d’attraction et de répulsion. Tandis que l’homme, avec son libre-arbitre, a toujours le choix, la possibilité de peser, de s’appesantir davantage d’un côté ou de l’autre. Il lui faut se livrer continuellement à une action similaire à celle de Dieu, c’est le sens des Triades Celtiques, la troisième force équilibrant les deux autres, mais par paradoxe, ce qui est naturel chez Dieu, exige une attitude surnaturelle chez l’homme, et pourquoi ? Parce que l’homme ne possède pas le discernement total que possède Dieu.
Ici se situe l’histoire imagée de ce qu’on appelle : le Paradis terrestre, qui n’est ni un paradis, ni terrestre, c’est un milieu organique spirituel, non localisé. Sortons des légendes, l’homme, dans l’épisode de la tentation (mot qui ne figure pas dans la Genèse), n’a pu déchirer qu’une partie du voile d’ignorance dont le démiurge créateur l’avait revêtu et qui l’a empêché d’accéder à la connaissance totale laquelle ? La connaissance du bien et du mal. Je cite la Genèse : « … de peur qu’il ne devienne comme l’un de nous pour connaître le bien et le mal ». Je n’invente pas ces termes-là, c’est en toutes lettres, c’est écrit, l’humanité a toujours pu le lire. « … de peur qu’il ne devienne comme l’un de nous pour connaître le bien et le mal… ». Cette connaissance est exactement la troisième modalité du DIEU SUPREME. C’est sa face duelle. Alors, dit la Bible, « Yahvé-Dieu fit à l’homme et à la femme des vêtements de peau » (ce qui signifie un nouvel obscurcissement et non pas une sotte histoire de décence extérieure) « afin que, dit-Il — je reprends la Genèse — l’homme ne cueille pas aussi de l’Arbre de Vie, qu’il n’en mange pas et qu’il ne vive pas pour toujours ». C’est-à-dire que pour un peu, l’homme aurait pu accéder à l’immortalité, mais Yahvé l’en empêche. Ce sont les paroles textuelles de la Genèse ! L’homme n’a donc eu accès qu’à une connaissance limitée, il n’a obtenu que des forces limitées, il est donc un être limité, face à Dieu, Être illimité. Et cela il ne l’accepte pas, il veut être l’égal de Dieu. Il a découvert qu’en mettant quelques gouttes d’énergie dans quelques rouages mécaniques, il pouvait tourner autour de notre pois chiche ! Et il croit aussi rivaliser avec l’incommensurable énergie de Dieu. Évidemment il possède son libre-arbitre, le libre-arbitre de ses actes, de ses choix, de ses options. Son orgueil le pousse à la révolte et chaque révolte le fait retomber encore un peu plus bas. Tel est le rythme involutif du monde. D’autant que, comme nous le disions, l’homme a aussi un discernement limité, au point que le chemin qu’il croit être celui du bien, le conduit parfois au mal, l’histoire en est pleine : les scandales de l’Inquisition, les guerres de religions, notre situation actuelle, etc.
« Peu de gens, disait le Pasteur Martin Luther King, ont assez de rigueur d’esprit pour porter un jugement critique et discerner le vrai du faux, le fait de la fiction. » I1 faut, pour l’équilibre du monde, que le bon grain reste mêlé à l’ivraie, car l’absolu bien comme l’absolu mal, serait pour la terre sa destruction, sa disparition. Par l’absolu bien tout serait divin, il n’y aurait plus rien de mal, ce serait le ciel sur la terre, la patrie des anges ; par l’absolu mal tout serait maléfique, même satanique, et ce serait l’enfer sur terre, l’empire des démons. L’équilibre, le balancement est donc nécessaire. C’est la Loi d’action et de réaction, la Loi de l’alternance sur le plan physique, la Loi de Justice sur le plan moral et enfin, sur le plan esthétique (permettez-moi de vous donner un petit exemple musical) : consonance et dissonance pourraient être comparées au beau et au laid ou au bien et au mal (mais comme toute comparaison celle-ci a ses limites). Ainsi donc une œuvre musicale composée avec les seules consonances serait d’une platitude lamentable et par contre une œuvre musicale entière qui n’aurait que des dissonances deviendrait insupportable a entendre. Car il n’y aurait aucun repos possible pour l’oreille. Or, disons en passant, l’art en général, qu’il soit musical, pictural, littéraire et architectural, aurait bien tendance, actuellement, à devenir satanique. Enfin, sur le plan vital, il faut un équilibre entre la vie et la mort.
Or, justement, à propos de la mort, nous pensons que cette idée du plan vital pourrait aider à mieux faire comprendre le rôle divin dans ce domaine du bien et du mal. Car c’est Dieu qui commande et qui provoque la mort sans être Lui-même la mort, puisqu’Il est non seulement immortel, mais éternel. Or devant cette dualité de la vie et de la mort, il se situe au-dessus et en dehors de l’une et de l’autre. Car Dieu est au-delà de toutes les polarités au-dessus et en dehors. C’est-à-dire que Dieu n’est pas le Bien, Dieu n’est pas le Mal, mais au-dessus et en dehors d’eux. Il les réunit et les oppose tout à la fois, étant la force, le mouvement, l’énergie qui les propulse tous les deux.
C’est en toutes lettres qu’écrivait le Prophète Isaïe (XV, 7) : « C’est Moi, Dieu, qui fais le bonheur (le bien) et qui provoque le malheur (le mal), c’est Moi, Dieu, qui fais tout cela ». Tandis que l’homme, image de Dieu, mais n’en possédant ni sa toute-puissance, ni sa toute-liberté, est obligé de dire avec Saint Paul : « Je fais le mal que je ne voudrais pas faire et je ne fais pas le bien que je voudrais faire ».
« Dieu a deux faces — dit l’enseignement ésotérique — et le mal est la face sombre de Dieu. » Or dans la perspective orientale, « tout bien contient un mal et inversement ». C’est exactement le symbole de Yin et du Yang. D’ailleurs, selon Sri Aurobindo, « le mal, c’est souvent le bien qui se désintègre pour préparer le bien supérieur ».
DIEU SUPRÊME, UNIFICATEUR DES CONTRAIRES
Tout cela nous confirme dans notre affirmation du début, le DIEU SUPREME est l’Unificateur des Contraires et de ce fait il est Créateur de l’Harmonie, mystère inexplicable répétons-le, et absolument incompréhensible pour l’homme, parce que Dieu reste l’Inconnaissable. « Dieu, c’est le Père inconnu, or l’inconnu ne peut pas être connu, dit Eliphas Lévi, l’infini ne peut pas être fini, l’incommensurable ne peut pas être mesuré, l’indicible ne peut pas être nommé, autrement dit, Dieu est ineffable, c’est-à-dire inexprimable. Par contre, ajoute encore Eliphas Lévi, « Dieu est une hypothèse, mais une hypothèse tellement nécessaire, que sans elle tout théorème deviendrait absurde ou douteux, Dieu est donc nécessaire. Dieu, continue-t-il, est un mystère, car l’existence de celui pour qui seul tout est sans mystère, est pour nous le grand mystère de l’infini. Dieu est nécessairement le plus inconnu de tous les êtres, puisqu’Il n’est défini qu’en sens inverse de nos expériences et qu’Il est tout ce que nous ne sommes pas, c’est l’infini opposé au fini par hypothèse contradictoire. C’est pourquoi Dieu est ce que nous apprendrons éternellement à connaître et que, par conséquent, nous ne saurons jamais, car seul Dieu peut connaître Dieu. Si Dieu était défini par l’homme, Il serait fini, car Il est la conception indéfinie d’une Entité Suprême ». C’est non pas, comme le prétendent les religions dogmatiques, la pensée et le dernier défini du monde hypothétique. « C’est en cela, en cela seul que la foi commence et la science finit », dit encore Eliphas Lévi. « Nul n’a jamais vu Dieu », dit Saint Jean. En effet, la figuration d’un Dieu personnel, créé par l’homme à l’image de l’homme, est la négation de la Divinité, n’en déplaise à certains linguistes cartésiens. Si bien que Voltaire a pu dire : « Dieu a fait l’homme à son image, mais l’homme le lui a bien rendu ! ».
Et Dieu est tellement inconnaissable, qu’à y bien réfléchir, aucune prière, aucune invocation ne s’adresse véritable à lui, mais aux Médiateurs. Même le Pater des Chrétiens, n’en déplaise cette fois à certains théologiens. Et déjà Hermès Trismégiste l’affirmait à son disciple Asclépios : « Aucune de nos pensées, disait-il, ne saurait concevoir Dieu, ni aucune langue le définir. Ce qui est intemporel, l’invisible, sans forme, ne peut être saisi par nos sens, ce qui est éternel ne saurait être mesuré par la courte règle du temps, Dieu est donc ineffable. Il peut, il est vrai, communiquer à quelques élus la faculté de s’élever au-dessus des choses naturelles pour percevoir quelque rayonnement de la Perfection Suprême, mais ces élus ne trouvent pas de paroles pour traduire en langue vulgaire l’immatérielle vision qui les a fait tressaillir. Ils peuvent expliquer à l’humanité les causes secondaires qui passent sous leurs yeux, mais la cause première demeure voilée et ils ne parviennent à la comprendre qu’en traversant la mort ».
Je voudrais présenter maintenant une figuration de ce que je viens de dire. Je n’ai pas encore parlé des autres Dieux.
TABLEAU SYMBOLIQUE DES TROIS MODALITÉS DIVINES
Visuellement imaginons un tableau, celui du DIEU SUPREME, avec son UNITE principielle et ses trois MODALITES : Esprit ou Essence, Matière ou Substance, Force-Énergie ; ces trois modalités ont chacune leur plan. Le plan métaphysique est ce qu’on appelle en général dans toutes les traditions, le pôle supérieur de la Manifestation. Cela se traduit par le mot « ciel ». En hindou, c’est Purusha, en chinois le Khien ; c’est le symbole vertical de la hauteur. Sur le plan cosmologique nous avons la Matière-Substance, c’est ce qu’on appelle le pôle inférieur de la Manifestation, la Terre, Prakriti ou Khouen, selon les langages. Comme symbole, c’est le symbole horizontal et donc l’expression de la durée. La troisième modalité, la Force-Énergie, se situe dans le plan physique, c’est le mouvement pendulaire qui engendre au point de vue cosmique attraction, répulsion, au point de vue énergétique positif/négatif, au point de vue physique lumière/ténèbre, au point de vue sentimental amour/haine, au point de vue moral le bien et le mal. Chose très curieuse, c’est que cette Unité principielle avec ses trois modalités, dont la deuxième est la Force duelle, engendre ainsi en quelque sorte le quaternaire. Or c’est l’aboutissement fatal, selon Raymond Abellio, de tout principe trinitaire. C’est un des thèmes principaux de : « la Fin de l’Ésotérisme », l’ouvrage de Raymond Abellio. Et ces trois modalités, avec une petite différence d’ailleurs, la tradition hindoue les assimile aux Trois Gunas, Sattva le pôle de la lumière, Tamas le pôle de l’obscurité et entre les deux Rajas, l’activité.
Pour mieux faire comprendre sa pensée l’homme est souvent obligé de recourir à des symboles qui sont parfois des constructions géométriques. En voici trois Par lesquelles nous essayerons d’évoquer la tri-unité du DIEU SUPREME, l’Esprit souvent représenté par le « Point », parce que le point n’a aucune dimension, ni aucune localisation. « Quand l’Inconnu des inconnus, dit le Zohar, voulut se manifester, il commença par produire un point. » La petitesse du point semble en contradiction avec la grandeur de Dieu. « Mais, dit Simone Weil, la puissance de Dieu en ce monde est un infiniment petit. » Quant à la Matière, elle se représente souvent par le carré dont les quatre côtés, les quatre angles, évoquent les quatre dimensions terrestres, les quatre points cardinaux, etc. Quant à la Force elle peut se représenter par un balancier à une ou deux branches dont le mouvement de va-et-vient perpétuel, l’inspire et l’expire, balaye le monde un peu comme l’onde de nos radars modernes ou comme la rota ésotérique universelle : attraction-répulsion ! Je vais vous donner un exemple de la force d’attraction, c’est l’aimant, ce corps métallique qui attire d’autres corps métalliques par magnétisme. Et bien ce mot aimant est à comparer avec le participe présent du verbe aimer, aimant, autre forme de magnétisme sentimental et même social, car cette loi d’attraction et de répulsion s’exerce constamment sur le plan social dans les balancements sociopolitiques comme si des courants constructeurs et destructeurs jouaient avec les peuples.
Voici deux exemples de cette phase répulsive actuelle, premièrement la découverte de la désintégration atomique, véritable mal planétaire, préparation volontaire de l’humanité à l’anéantissement, et deuxièmement l’extension mondiale du mal marxisme. Je ne fais pas de politique, mais je suis obligé de le dire.
Alors, le voici, ces trois signes symboliques, et ces trois modalités réunies formeraient une figuration, je ne dis pas une figure symbolique, je dis simplement figuration, parce que les symboles trop poussés ou trop expliqués, risquent de susciter des contre-sens socio-temporels et même des non-sens, mais en plaçant le point initial de l’Esprit au sommet du carré de la Matière, celui-ci se trouverait balayé par la Force pendulaire selon des zones d’influence et de densité, allant en s’estompant au fur et à mesure qu’on s’éloigne du point de départ. C’est ce qu’on appelle la cristallisation de la matière. Soit au sommet du carré, attraction, positif, lumière, amour et bien ; et à la base du carré, négatif, ténèbre, haine et mal.
Mais voici un autre symbole qui est bien plus ancien, je l’ai retrouvé dans les tombes égyptiennes. Tout le monde connaît la colonne de la stabilité, le pilier de la matérialité, dont le chapiteau se termine par quatre lignes horizontales. Évidemment ici il y a plusieurs symboles qui se superposent et s’entre-compénètrent, car on trouve au-dessus la Croix Ansée qui est l’Ankh, la Croix de Vie des Égyptiens anciens : on la voit constamment en Égypte. Quant à ce cercle aplati évoquant l’orbite des astres, c’est l’Être Suprême dans les bras d’Isis et de Nephtyo, que l’on appelle « les deux Divines » ; symbole de la Création qui tend vers l’ETRE. Redescendant au deuxième étage, on a les Dieux-Créateurs ou Formateurs avec les trois hypostases, Père, Sagesse et Verbe, la Sagesse étant le plan des Eaux Primordiales que féconde le Verbe Créateur, et puis à l’étage d’en bas le monde manifesté. Une deuxième lecture de ce symbole graphique donne : 1° l’Esprit-Essence, 2° la Force-Énergie-Mouvement, et 3° le Monde Manifesté-Matière-Substance. Mais je crains bien que nous, êtres du XXe siècle, nous soyons des êtres déformés qui ne sentent plus la lumière.
LES AUTRES DIEUX, ASSOCIATION DES COMPLÉMENTAIRES
Venons-en à ces Esprits formateurs et médiateurs, à ces Puissances formatrices chargées de mettre en forme la matière des Dieux pour l’organiser et la maintenir en vie. Nous avons deux exemples très différents de ces formateurs, le Formateur spirituel que le Christ a été, Lumière de la Lumière, ce thème est extrait de ce qu’on appelle chez les Chrétiens « le Credo de Nicée ». Dans ce même Credo il y a la caractéristique de l’autre Formateur, le Formateur de la Matière, en proclamant : « factorem (et non « creatorem ») coeli et terrae » = Celui qui a modelé et non créé l’homme avec la glaise du sol. Ces Dieux créateurs sont les intermédiaires entre l’Absolu infini et le monde fini (ou non fini) qui est le nôtre. Ils sont exactement, mais seulement, l’Association des Complémentaires, intelligence et sensibilité, connaissance et amour, et ces complémentarités ont poussé plusieurs traditions à en faire le type même de l’androgyne avec le double sceau du masculin et du féminin. Et voici une citation que je tire de Paracelse (dont j’ignore les sources) : « Il s’appelait YLIASTER et pour créer le monde il se scinda en Esprit femelle nommé COGNASTER et en esprit mâle nommé LUCIFER ». Il y aurait beaucoup de choses à dire là-dessus. Voilà pourquoi, peut-être, quand e premier homme fut formé, je parle du pré-adamique, il fut conçu à l’image du Dieu Formateur, c’est-à-dire androgyne ; et ce n’est qu’au deuxième essai qui suivit, avec la création d’Adam, qu’il devint mâle et femelle, Aich et Acha. La tradition chrétienne par contre, rehaussant le symbole des complémentaires, nous présente un homme-Dieu avec ses deux natures divine et humaine réunies, le Verbe, le Démiurge, se fait chair, se fait homme. Le Christ affirme d’ailleurs lui-même, cette authenticité comme Fils du Père et rappelle justement, je cite : que « le Père, seul vrai Dieu, est plus grand que lui ». De plus Saint Jean précise que le Verbe est Théos, c’est-à-dire Dieu, un des Dieux et il ne dit jamais LE Dieu, le DIEU UNIQUE et SUPREME.
Je me suis amusé (si l’on peut dire) à compter en relisant les chapitres 5, 6, 7 et 8 de Saint Jean, combien de fois dans son Évangile, il répète que « Jésus se dit envoyé par son Père ». Il le dit 19 fois. Mais jamais il ne se dit Dieu. Devant Pilate qui le questionnait : « Dis-nous vraiment si tu es le Fils de Dieu ? » Il répond : « C’est toi qui le dis ! » (Ce qui signifie : ce n’est pas moi qui le dis). Et disons encore, pour les Chrétiens, que ceci est confirmé par Saint Paul à plusieurs reprises. Dans l’Épître aux Hébreux dont l’idée essentielle et constante est celle du Verbe Médiateur : « Le Christ ne s’est pas attribué à soi-même la gloire de devenir Grand-Prêtre (c’est-à-dire homme spirituel), mais il l’a reçu de celui qui lui a dit (faisant probablement allusion au baptême de Jésus) : « Tu es mon Fils, Moi, aujourd’hui Je t’ai engendré » (Héb., V, 5). Dans la première Épître à Timothée (II, 5), Saint Paul dit : « Il y a un seul Dieu et aussi un seul Médiateur ». Le mot, je ne l’ai pas inventé, c’est dans Saint Paul : « un seul Médiateur entre Dieu et les Hommes, le Christ Jésus ». Troisièmement dans la première Épître aux Corinthiens (VIII, 6) : « Il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, mais un seul Seigneur, le Christ, par qui tout existe ». Dans la même Épître il redit (I Cor., XI, 3) : « Le Chef du Christ, c’est Dieu ! ». On ne peut pas être plus clair, plus explicite. C’est l’affirmation catégorique d’un DIEU SUPREME qui a engendré un Médiateur qui est sous son obédience et non pas sur le même pied d’égalité. Le DIEU SUPREME est l’Entre d’Esprit par excellence, les Dieux Formateurs sont des Êtres de Science. En effet, la Création, quoique continue, a ses limites ; mais l’Esprit n’en a pas.
Ainsi donc le Démiurge est un miroir qui exprime l’image réfléchie du DIEU SUPREME dans les ondes du temps sans borne. « Par lui, dit Isha Schwaller de Lubicz, l’informe substance reçoit forme. Il participe à la puissance et à la grandeur divines, sans toutefois les posséder entièrement, sans avoir la suprême habileté, ni sa suprême prévoyance. » C’est pourquoi « la création du monde, dit Paul Le Cour, n’a pu être réalisée sans divers tâtonnements, car le Démiurge a été tributaire des résistances de la matière et de l’esprit des hommes ». Et Frithjof Schuon émet la même hypothèse : « Dieu, le Démiurge, aurait fait plusieurs brouillons avant d’arriver à l’homme ». Ce que Jean Biès explique : « En raison, dit-il, de la difficulté d’une élaboration animique issue d’une substance informelle ».
Parmi ces tâtonnements citons les deux créations (citées dans la Genèse et dans Saint Paul), la chute des Anges, la chute de l’homme, l’involution matérialiste du monde actuel. C’est d’une clarté extraordinaire !
Enfin, puisque nous avons étudié plus haut la symbolique du DIEU SUPREME, disons que celle du Démiurge semblerait être assez bien figurée par le « cercle-circonférence » qui indique une certaine limitation. Mais ne faisons pas le contre-sens de l’appliquer au DIEU SUPREME, ce qu’on fait habituellement.
CONCLUSION
Après ces nombreuses citations et ces nombreux témoignages vous pouvez vous rendre compte que je ne fais pas surgir un nouveau Dogme de rien, ni de ma propre imagination, mais qu’au contraire, cette conception était celle de l’Église primitive, dont je vous ai très peu parlé, celle de Saint Paul, celle du Johanisme, celle des Gnostiques dont je ne vous ai pas parlé du tout — je parle de la Gnose chrétienne et non des sectes gnostiques qui sont tout autre chose ; il faut faire la distinction ! C’était celle de plusieurs Pères de l’Église, celle surtout de toute la tradition originelle et enfin, celle de nombreuses personnes spiritualistes de notre temps.
Cette conception, je la résume rapidement, était la suivante : D’une part un seul DIEU SUPREME de qui tout découle, car tout part de l’Unité et tout retourne à l’Unité, d’un DIEU SUPREME qui possède les trois modalités : Esprit-Essence, Substance-Matière, Force-Mouvement énergétique. Pour cette raison Dieu est l’Unificateur des Contraires et en même temps le Créateur de l’Harmonie, ce qui le rend inconnaissable et incompréhensible pour l’homme.
D’autre part, les Dieux Formateurs, Dieux Intermédiaires et Médiateurs qui sont créés par le DIEU SUPREME, l’Association des Contraires, et chargés de mettre en forme l’informe substance créée par le Créateur, de susciter et d’entretenir la manifestation divine, de façonner les êtres vivants, dont l’homme, création matérielle et animique (c’est le message de l’Ancien Testament) et parfois, de rallumer dans l’homme la vraie loi d’amour, création spirituelle, soit par le Christ (et c’est le message du Nouveau Testament), soit par tous les grands Missionnés et Prophètes qui ont maintenu de par le monde, et chacun selon son temps, son époque, la vraie connaissance du Grand Oublié : celle du DIEU SUPREME.
Sur Louis Liébard lire http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Li%C3%A9bard