Daniel Giraud
Ramana Maharshi et Arunachala

Son enseignement proche de l’advaïta-védanta de Shankara était donc basé sur la Réalisation de la Non-Dua­lité. En gommant son « moi » (représenté par l’AS) il a réalisé le « Je », le Soi, symbolisé par le centre de toute carte du ciel, le centre symbolique du monde, aussi bien extérieur (sur terre) qu’intérieur (l’être). Tous les astres réintégrant ce centre il n’y a donc plus de « thème » pour le Délivré.

(Revue Question De. No 46. Février-Mars 1982)

Rentrant d’un long séjour en Inde l’auteur nous parle ici de la Connaissance de l’Être qui passe par le détachement des phénomènes illusoires et de l’advaïta vedanta, védanta non-duel, qui concerne l’aspect le plus métaphy­sique de la spiritualité hindoue, tel qu’il l’arencontré.

C’est surtout à partir de Shankara, dont le maître était Gaudapâda, que la Réalisation de la non-dua­lité se développa. Il naquit à midi, le cinquième jour de la quinzaine claire du mois de Vaishakha sous la constellation Purnavasu.

Shankara est né dans le Kerala comme nombre de védantins, tel Krishnamenon, dont l’ashram, repris par le fils de ce grand Sage méconnu, existe encore.

Il vécut en parcourant l’Inde, discutant avec de nom­breux sages ou érudits, commentant des textes sacrés, principalement les Upanisad. Depuis, les sad-gurus, vrais maîtres établis à Kancipuram dans le pays Tamul, sont appellés « Shankaracharya ».

Qu’un tel maître soit shivaïste tout comme le sera en notre siècle Ramana Maharshi dont il va être question n’est pas l’effet d’un hasard. Voie abrupte et directe vers l’Absolu, l’enseignement du dieu de la destruction et de la transmutation, Shiva, va au plus vif du sujet sans objet : la Connaissance, laissant de côté les chemins gra­duels de la dévotion et de l’action.

Ainsi est-il dit dans l’Isvaragità (ch. IV 23, 24), le chant de Shiva : « Certains voient, grâce à la méditation, d’autres grâce à la Connaissance, d’autres grâce à la dévo­tion, d’autres grâce à l’action. Mais de tous mes fidèles, celui que j’aime le mieux est celui qui me consacre par la Connaissance et non autrement. »

Observons à présent le thème natal d’un des derniers grands Sages (Maharshi) quasiment contemporains, ainsi que la Révolution Solaire de l’année de son Éveil et les transits du jour de cette Révélation.

Dans la nuit du 29 au 30 décembre 1879 à une heure du matin naquit dans l’Inde du Sud à Tiruchuli, non loin de Madurai, celui qui allait atteindre l’état de Délivré-vivant (jivan-mukta) et témoigner encore au XXe siècle de la Réalisation spirituelle : Bhagavan Ramana Maharshi.

Thème astral

Survolant son thème de R.S. nous remarquons pour une fois l’importance d’un aspect « secondaire » : le quin­conce (150°) dont la signification d’expansion et d’ouver­ture se vérifie ici par Jupiter qui l’envoie à la Tête du Dragon (Nœud Lunaire Nord) et au Soleil, par Mercure qui fait de même à Pluton-MC-Neptune tout comme Saturne d’ailleurs. Ce sont ces quinconces (non inscrits ici sur le thème pour ne pas le surcharger) qui, partant de la base solide (Saturne-Mars-Vénus sextile à Mercure-Soleil) s’élèvent aux astres en culmination au MC.

Dans cette Révolution Solaire Jupiter résout l’opposition de Mars à Pluton-MC-Neptune par un trigone au premier et un sextile au second. Et l’Axe du Dragon placé dans le FC-MC de naissance se retrouve dans l’AS-DS : la prise de conscience potentielle est concrétisée.

Le 16 juillet 1896 à dix-sept ans, bouleversement intérieur : les transits montrent Uranus en trigone à la conjonction Soleil-Vénus. C’est alors l’irruption de la peur de la mort : le trio Pluton-Neptune-Lune au MC se trouve dans la VIIIe Maison natale et le transit de la Lune en quadrature à Pluton natale en VIII… Tandis que cette Lune natale est très forte au MC dans l’Axe du Dragon. Cette crise mystique conduit à la prise de conscience du Soi (l’Atman) dans la perspective métaphysique : Mer­cure transite en IXe Maison natale sextile à Uranus, Nep­tune et trigone à Jupiter de naissance. La figuration céleste de son illumination se retrouve dans la conjonc­tion de transit Soleil-Vénus en XI (RS) appliquant un double trigone à Vénus natale (maître de l’AS) et Vénus de Révolution Solaire.

La montagne sacrée

Il part sur la montagne sacrée « Arunachala » et demeu­rera dans le temple de Shiva jusqu’en 1922, vivant ensuite dans une grotte puis dans quelques maisons où se déve­loppera son ashram au pied de la même montagne, jus­qu’à la fin de son existence… Attitude très Capricornienne. Comme puissance de méditation on peut voir à l’AS de la RS un triangle harmonieux par sextile à Saturne lui-même sextile à Mercure en trigone à l’Ascendant.

Sa pratique spirituelle « l’atmâ-vichara », l’introspection du Soi est motivé par Pluton en IX (RS) sextile à Jupiter (nommé en sanskrit : Guru…) très bien placé.

Il ne parlait presque pas. Remarquons déjà dans son thème natal Lilith en Gémeaux, effaçant toute parole superflue (renforcé par la conjonction à Pluton) et le Soleil à la Tête du Dragon était en quadrature à Saturne qui indique le Silence, dans la joie (trigone à Jupiter de la RS). Rappelons que chez les guides spirituels le Bélier sera guru par la parole et le Capricorne guru par le silence, comme disait Jean Carteret.

Des milliers de personnes vinrent s’imprégner de sa Présence (popularité de la Lune au MC) de son regard (les Luminaires traditionnellement représentent la vue). Il paraît que des dizaines de personnes s’effondraient en crise de larmes et de conscience quand elles croisaient le rayonnement de son regard.

Il meurt le 14 avril 1950 à 20 h 47. Inutile de faire son thème de mort, il était déjà libéré de son karma accom­plissant l’aphorisme des Anciens qui signalaient que « le Sage régit ses astres ».

Son enseignement proche de l’advaïta-védanta de Shankara était donc basé sur la Réalisation de la Non-Dua­lité. En gommant son « moi » (représenté par l’AS) il a réalisé le « Je », le Soi, symbolisé par le centre de toute carte du ciel, le centre symbolique du monde, aussi bien extérieur (sur terre) qu’intérieur (l’être). Tous les astres réintégrant ce centre il n’y a donc plus de « thème » pour le Délivré.

« Votre devoir consiste à être, et non à être ceci ou cela. « Je suis celui qui suis », voilà le résumé de la vérité toute entière. » (L’évangile de Ramana Maharshi.)

Ce vide au centre du thème, dont ne parle bien sûr aucun astrologue « psychologue » ou « scientifique », (pas même ceux qui se prétendent « traditionnels » mais qui ne font que de la caractérologie), ce vide donc, au centre du thème astral, que l’on croirait simulacre de néant et qui pourtant permet la « voyance » de la carte du ciel, est au fond éclair de vacuité, point suprême, bindu de la tra­dition hindoue.

Par delà la voyance proprement dite, l’origine n’est pas exprimable bien que ce soit elle qui permette toute forme d’expression et de manifestation. Il y a là une conscience du Silence entre les mots, les choses et les individus, qui est issue du Vide, issue de ce que la Tradition primordiale nomme : NON-ETRE.

C’est alors que se repose la question, sinon la remise en question, de l’Astrologie… Un autre Sage, Sri Nisagar­datta qui vient de mourir à Bombay, discret car ne se faisant pas connaître ( « I am That » n’est toujours pas traduit en français) répondait ainsi aux invocations des astres par ses disciples : « Stoppez votre adoration des planètes avant de méditer, excepté d’une planète votre « je suis la Connaissance que vous êtes »…

Après la mort de Ramana des dissensions entre les sadhus et les brahmanes de l’ashram se firent sentir. Certains sadhus préférèrent quitter les lieux à cause de quelques sordides histoires d’argent et d’autres ascètes se reti­rèrent dans la colline où vécut leur maître tandis que les brahmanes s’occupèrent de l’entretien et de la gestion de l’ashram.

Aujourd’hui c’est une personne de la famille de Ramana Maharshi qui s’occupe activement, dans un sens très commercial, de la bonne marche des lieux et des affaires. Il accepte ou élimine les visiteurs tout en organisant les ventes de livres, photos et disques du maître disparu. Étrange adoration (mais paradoxe bien indien) envers un Sage détaché des contingences du monde mais dont leportrait se retrouve à présent partout, jusque sur des rideaux vendus par l’ashram.

« La vérité est que l’individualité doit être consumée » disait Ramana (La Connaissance de l’être).

Dans l’intéressante revue (en anglais) « The mountain path », parmi de nombreux textes plus ou moins impor­tants concernant le maître, on peut remarquer au milieu des publicités celles concernant les « rupies » de certaines banques, image vile et mercantile ne pouvant néanmoins ternir le sans-image, l’Inconditionné.

Un lien paisible

L’importance de cette « récupération » n’arrive heureu­sement pas à la dimension des affrontements comme ceux qui déchirent aujourd’hui à Auroville l’ashram Aurobindo et la Sri Aurobindo society (sans parler du gouvernement indien).

Mais tous ces problèmes de pouvoirs et d’oppositions paraissent bien dualistes par rapport à l’advaïta-védanta… Quand le maître n’est pas là les souris ne dansent-elles pas ? Bien entendu dans toute dévotion authentique c’est le divin qui est adoré et non l’individu… mais pourtant quand l’importance de l’adoration est telle c’est alors l’image de l’individu que l’on (re)présente et que l’on adore, et non la part divine et invisible de son être. Ce qui peut entraîner une affirmation et une glorification de l’ego.

À présent un vieux sadhu nommé Swami Saty Ananda se rappelle son maître Ramana qui lui apparaît en rêve. Il accueille chaleureusement les visiteurs venus de loin pour s’imprégner de tels lieux sacrés. Il garde précieusement les objets que lui ont laissé Ramana : canne, peau de tigre, etc.

Ceux qui connaissent bien les voyages en Inde où l’at­mosphère d’exode semble surchargée d’hystérie collective, s’étonneront d’apprendre qu’il est des lieux paisibles (et enseignant en eux-mêmes) où il est même possible de s’isoler…

Tiruvanamalaï, dans le pays Tamul est de ceux-ci. Il suffit pour y aller de laisser tomber le circuit côtier où se rencontre tant de français entre Mahabalipuram et Pondichéry et d’obliquer vers l’intérieur du pays.

Vivre quelques jours dans l’ashram est déjà intéressant, les paons y sont si beaux et la bibliothèque si enrichis­sante… Malgré les rituels et la discipline la présence de Ramana Maharshi semble planer en cette place, éliminanttoute spéculation apparente, et conduisant vers la Toute-Présence du Tout-Autre…

Mais à ce séjour à l’ashram n’est qu’un point de départ, un à pied terre pour mieux s’élever au ciel. Car c’est Aru­nachala qui s’élève au-dessus de l’Ashram qui est ce lieu reliant la terre des humains au ciel divin.

Inutile de partir tout d’abord vers son sommet ou encore d’aller voir, par simple curiosité, la grotte où vécut le Maharshi ou encore la maisonnette où vivait sa mère non loin. Bien que des sadhus entretiennent ces endroits, il est dangereux de s’y promener la nuit tombée. L’Inde est un pays des extrêmes où tout peut se produire, le meil­leur comme le pire.

En fait il faut d’abord mériter la montée en faisant, dans le sens de la marche du soleil, à pied, autour d’Aruna­chala, la circumbulation rituelle : Pradakshina.

6.15 a.m. Offrande de lait à Sri Bhagavan et sa distribution.

6.30 a.m. Petit déjeuner.

8.00 a.m. Chants des Védas face au tombeau de Sri Bhagavan.

9.15 a.m. #

8.30 a.m. Pooja* au tombeau de Sri Bhagavan et à celui

9.15 a.m. de sa mère.

11.30 a.m. Déjeuner (nourriture d’Inde du Sud).

4.15 p.m. Café.

5.00 p.m. Chants des Védas face au tombeau de Sri Bhagavan.

5.45 p.m. #

5.30 p.m. Pooja* au tombeau de Sri Bhagavan et à celui

6.15 p.m. de sa mère.

7.30 p.m. Dîner.

5.00 p.m. SRI CHAKRA POOJA au tombeau de la mère

8.45 p.m. tous les Vendredis, les jours de Pleine lune et le premier jour de chaque mois Tamil

Fasse que la Grâce bienfaisante de Sri Maharshi demeure toujours dans tout.

* Pooja : fête, culte, adoration, hommage rendu aux Sages ou aux divinités.

Pour mieux connaître l’histoire et les temples rencontrés, prenez avec vous une brochure comme « Arunachala, holy hill » de Skandananda, à moins qu’un swamy vous accompagne, et partez à l’aube.

Tout au long de ce chemin qui tourne autour d’Aruna­chala se trouve de nombreux temples généralement déserts, quelques lingam, phallus de Shiva, jalonnent le parcours et de rares villages rappellent la vie quoti­dienne dans les campagnes indiennes.

Cet itinéraire est si serein que ce n’est qu’en arrivant à la Kanji Road, vers le milieu de la journée, après avoirfait une quinzaine de kilomètres, que la fatigue peut se faire sentir. Il reste presque autant à marcher pour finir la circumbulation. En arrivant à la petite ville de Tiru­vanamalaï il est bon d’entrer dans le gigantesque temple : « Sri Arunachaleswara » construit en forme de mandala (il suffira de monter dans la colline pour s’en rendre compte).

Nus pieds vous pouvez entrer sur le sol brûlant de la cour intérieure du temple vous recueillir devant des lingam, caveaux et sanctuaires où parfois se découvre l’image de Ramana.

Le soir tombe, la dernière route qui conduit à l’ashram, point de départ de ce trajet, paraît assez dure mais untel parcours est parmi ceux qui laissent des traces non seulement dans le souvenir, ce qui n’a aucune importance, mais dans la conscience d’être.

Ainsi se souvient-on des paroles de Ramana Maharshi : « Le monde physique n’existe pas hors et indépendam­ment de la pensée. (…) En dehors du corps, le mondeexiste-t-il ? Dites, y a-t-il quelqu’un qui ait vu le monde sans le corps ? »…

Qui était Ramana ? Qui suis-je ? Qui est Shiva ? N’enten­dez-vous pas la voix que l’on dit de Ramana murmurer :« Shankara, l’Illuminateur du Soi, peut-il être différent de notre propre Soi ? Qui d’autre que lui, ce jour, établi en tant que le plus intime Soi en moi, énonce ceci… ? »