Réclamer Krishnamurti pour l’Anarchie

Traduction libre  Toute autorité de toute sorte et surtout celle qui s’exerce dans le champ de la pensée et de l’entendement est destructrice, néfaste. Les maîtres détruisent les disciples et les disciples détruisent les maîtres. Il vous faut être votre propre maître et votre propre disciple. Il vous faut mettre en doute tout ce que […]

Traduction libre 

Toute autorité de toute sorte et surtout celle qui s’exerce dans le champ de la pensée et de l’entendement est destructrice, néfaste. Les maîtres détruisent les disciples et les disciples détruisent les maîtres. Il vous faut être votre propre maître et votre propre disciple. Il vous faut mettre en doute tout ce que l’homme a accepté comme étant valable et nécessaire.

J. Krishnamurti, Se libérer du connu

Ayant bien compris que nous ne pouvons compter sur aucune autorité pour provoquer une révolution totale dans la structure de notre psyché, nous éprouvons une difficulté infiniment plus grande à rejeter notre propre autorité intérieure celle qui résulte de nos petites expériences particulières, ainsi que de (accumulation de nos opinions, de nos connaissances, de nos idées et idéaux. Hier, une expérience vécue nous a appris quelque chose et ce qu’elle nous a appris devient une nouvelle autorité. Cette autorité née de la veille est aussi destructrice que celle que consacrent dix siècles d’existence. Pour nous comprendre, nous n’avons besoin ni d’une autorité millénaire ni de celle d’hier, car nous sommes des êtres vivants toujours en mouvement selon le flot de l’existence, jamais au repos. Si l’on s’examine du point de vue qu’impose l’autorité d’un passé mort, on manque de comprendre ce mouvement vivant, ainsi que la beauté et la qualité de ce mouvement.

Être libre de toute autorité, de la nôtre et de celle d’autrui, c’est mourir à tout ce qui est de la veille, de sorte qu’on a l’esprit toujours frais, toujours jeune, innocent, plein de vigueur et de passion. Ce n’est qu’en cet état que l’on apprend et que l’on observe. Et, à cet effet, il faut être conscient avec acuité de ce qui a lieu en nous-mêmes, sans vouloir le rectifier ni lui dire ce qu’il devrait être ou ne pas être, Car dès que nous intervenons, nous établissons une autre autorité : un censeur.

J. Krishnamurti, Se libérer du connu

Lorsqu’on m’a demandé de rédiger un article dans ce numéro spécial « Spiritualité » de Green Anarchy (GA), je me suis retrouvé dans une situation rare et inhabituelle de perte de mots. Certes, je pourrais régurgiter toutes les critiques évidentes du monothéisme, du polythéisme et de la religion en général, mais il est peu probable que j’introduise de nouveaux concepts dans ce discours plutôt ennuyeux et fastidieux (Un anarchiste a-t-il vraiment besoin d’être convaincu que l’autoritarisme est à la racine de tous les paradigmes religieux ?). J’ai aussi (brièvement) envisagé de scruter l’adoption réactionnaire et non critique au néopaganisme et aux conceptions cosmologiques orientales (ce que j’appelle les « religions de substitution ») de tant d’anarchistes autoproclamés, mais là encore, je n’ai pas été capable de susciter un enthousiasme sincère pour un exposé aussi ennuyeux et inutile (Après tout, élever des formes et structures mythologiques au rang de vérités éternelles ne séduit que ceux qui craignent le mystère magnifique et tourbillonnant du chaos et qui cherchent à lui imposer un « ordre » illusoire ; ceux qui sont affligés d’un besoin pathologique d’un « système de croyances » pour étouffer leurs propres insécurités).

Il était également tentant de s’attaquer à la métaphysique de la gauche (matérialisme dialectique, raison, logique, science, progrès), mais le passe-temps du dénigrement de la gauche commence à devenir un peu redondant dans les pages de GA et je déteste à donner à cette vision du monde en phase terminale plus d’importance qu’elle n’en mérite. La vérité, c’est que je trouve que presque toutes les communications sur la « spiritualité » sont grotesques, des âneries surnaturelles, sans parler de leurs extrêmes prétentions ; la théologie m’est aussi utile qu’un livre d’allumettes détrempées et la morale n’est rien d’autre qu’un engagement pour rester sourd, muet et paralysé, une interdiction sociale des expressions instinctives et une acceptation volontaire d’une liberté mutilée. De même, je déplore toute notion de « sainteté » et de « perfection » humaine (politique, éthique ou autre), ainsi que l’enfermement de l’intelligence dans des châteaux (ou monastères) de sable transcendants.

Pourtant, dans ce contexte de mépris irrévérencieux pour toutes les croyances surnaturelles et les conjectures éthérées, j’ai parfois rencontré des écrits « spirituels » qui m’ont inspiré dans ma propre quête de libération personnelle. Par exemple, les réflexions taoïstes de Lao Tseu et de Chuang Tzu (qui semblent parfois tenir compte de la domestication et du processus de civilisation lui-même), ou certaines des versions plus « primitives » (pré-religieuses) du zen (qui incluent des éléments rafraîchissants de folie, de bouffonnerie et des absurdités dans leurs spéculations sur la conscience). Il y a aussi certains intellectuels occidentaux hérétiques‚ comme William Blake, Percy Shelley, l’amoraliste français Jean Genet et le philosophe dadaïste profondément sous-estimé, Tristan Tzara‚ qui ont « spirituellement » enrichi mon existence par leurs prises radicalement subjectives de la liberté et de l’autonomie.

Mais à mon (parfois) humble avis, le penseur « spirituel » qui est le plus pertinent pour la théorie anarchiste (en vertu du fait qu’il était anarchiste !) est J. Krishnamurti, un « anti-gourou » iconoclaste de l’Inde qui a consacré sa vie à enterrer le cadavre putride de la religion, du spiritualisme superstitieux et de toute autre mystification qui entrave l’expérience d’être vivant.

Un perturbateur de la paix

La guerre est la projection spectaculaire et sanglante de notre vie quotidienne. C’est un précipité de nos vies de tous les jours. Et sans une transformation de nous-mêmes il y aura forcément toujours des antagonismes nationaux et raciaux, de puériles querelles idéologiques, une multiplication de soldats, les saluts aux drapeaux et les brutalités sans nombre qui concourent à créer le meurtre organisé. L’éducation dans le monde entier a fait faillite, elle a produit des destructions et des misères de plus en plus grandes. Les gouvernements sont en train de dresser les jeunes à devenir les soldats et les techniciens dont ils ont besoin ; l’enrégimentement et les préjugés sont imposés et entretenus. Prenant ces faits en considération, nous devons nous interroger sur le sens de l’existence, ainsi que sur la signification et le but de nos vies. Il nous faut découvrir des moyens bénéfiques pour créer un nouveau milieu ; car le milieu peut faire de l’enfant une brute, un spécialiste insensible, ou l’aider à devenir un être humain sensible. Il nous faut créer un gouvernement mondial qui sera radicalement différent de tous ceux que nous avons, qui ne sera pas basé sur le nationalisme, sur des idéologies, sur la force.

J. Krishnamurti De l’Éducation

Jiddu (J.) Krishnamurti (1895-1986) était une figure unique de la pensée philosophique du XXe siècle. Il n’appartenait à aucune religion, secte ou pays, et ne souscrivait à aucune école de pensée politique ou idéologique. Il a déclaré, plutôt, que ce sont ces mêmes facteurs qui nous divisent les uns des autres et qui provoquent les conflits personnels et sociaux, le sentiment permanent d’être déconnecté et, en fin de compte, la terrible épreuve de la guerre. Le siècle dans lequel Krishnamurti a vécu était marqué par deux guerres mondiales, une violence politique, ethnique et religieuse continue, des massacres de masse d’une ampleur sans précédent, l’anéantissement physique de la biosphère et le développement et la prolifération de régimes génocidaires dans le monde entier. Krishnamurti a parlé de cette crise mondiale dans presque toutes ses interventions publiques, appelant ses auditeurs à accorder une attention particulière aux structures psychologiques qui engendrent la violence, le conformisme, l’obéissance, l’exploitation, la stupidité, les tendances serviles et la misère dans leur vie.

Contrairement à la plupart des anarchistes qui examinent ces circonstances désespérées d’un point de vue entièrement économique ou matérialiste, Krishnamurti considérait que notre situation planétaire était à la mesure d’une crise de conscience bien plus grave et plus profonde (comme dans « non discutée »). De son point de vue, le règlement de ce dilemme repose sur une inspection impitoyable de notre environnement intérieur ; en d’autres termes, il s’agissait de rechercher, de localiser et de renverser les chaînes symboliques, les « cadres moraux » délabrés, et les forteresses idéologiques qui s’enveniment sous le monde extérieur des apparences ; les concepts et les idéaux qui rendent la perception esclave et provoquent un empoisonnement généralisé de la conscience, qui est à la base de la société despotique dans laquelle nous vivons.

Krishnamurti n’était pas intéressé à fournir à son « public » des systèmes plus ritualisés, schématiques et occultes sur lesquels baser leurs vies. Il n’a laissé derrière lui aucun livre « sacré » ni de principe dogmatique, aucune formalité cérémonielle ou « prière spéciale » pour ceux qui cherchaient à faire de lui le « sauveur ». Au contraire, Krishnamurti a catégoriquement nié la validité de toute autorité doctrinale et de tout conventionnalisme « spirituel » et était inébranlable dans sa conviction que tous les systèmes de croyances et d’idéologies conditionnés aboutissent inévitablement à un monde de conscience obscurcie, comprimée, à une perception déformée pleine de restrictions, de murs bloquants la voie de la liberté. Et sa préoccupation centrale est restée toujours : l’autorité et l’ossification de la conscience qui résulte de notre acceptation de celle-ci.

Krishnamurti n’a jamais parlé de façon abstraite et n’a offert aucun principe fondamental de « transcendance » consolant pour ceux qui ont à cœur la misère et les difficultés de ce monde ; plus précisément, il a insisté sur le fait que la « réponse » à la souffrance humaine (guerre, aliénation, oppression politique, les innombrables variétés de pauvreté) ne se trouvait pas dans un au-delà fantastique, mais dans l’ici et maintenant. Ce ne sont pas des problèmes à résoudre par les « spécialistes » spirituels ou les « divinités » surhumaines externes, mais plutôt un héritage accumulé d’ignorance culturelle et de conformisme qui nécessite la volonté active de tous ceux qui désirent vraiment la liberté, de garder les yeux et les esprits ouverts au milieu de toute la tyrannie, des carnages et de l’insensibilité qui les entourent ; de s’engager dans un examen honnête et sans faille de toutes les réponses conventionnelles, de toutes les routines conventionnelles et de tous les jeux conventionnels que nos esprits dégradés et socialisés rejouent chaque jour, comme sur un pilote automatique.

Allumer la flamme de la conscience

Se révolter en restant dans le cadre de la société pour l’améliorer un peu, pour promouvoir certaines réformes, c’est comme une révolte de détenus visant à améliorer la vie dans l’enceinte de la prison: ce genre de révolte n’en est pas une, c’est juste une mutinerie. Voyez-vous la différence? La révolte circonscrite à la société, c’est comme une mutinerie de détenus réclamant une meilleure alimentation, un meilleur traitement au sein de la prison ; mais lorsque la révolte naît de la compréhension, l’individu rompt avec la société, et c’est cela, la révolution créatrice.

Si vous, en tant qu’individu, vous rompez avec la société, cet acte est-il motivé par l’ambition? Si tel est le cas, il ne s’agit pas du tout d’une rupture, vous êtes toujours à l’intérieur de la prison, car la base même de la société est l’ambition, la soif de posséder, l’avidité. Mais si vous comprenez tout cela et opérez une révolution dans votre cœur, dans votre esprit, alors vous cessez d’être ambitieux, d’être motivé par l’envie, l’avidité, la soif de posséder, et par conséquent vous serez totalement en dehors d’une société fondée sur de telles bases. Vous êtes alors un individu créatif et votre action sera la semence d’une autre culture.

Il y a donc une immense différence entre l’action de la révolution créatrice et l’action d’une révolte ou d’une mutinerie internes à la société. Tant que vous ne vous préoccupez que de simples réformes, ou de décorer les barreaux et les murs de la prison, vous n’êtes pas créatif. Une réforme en appelle toujours une autre, et n’apporte qu’un surcroît de misère et de destruction. Alors que l’esprit qui saisit dans toutes leurs dimensions les mécanismes de la soif de posséder, de l’avidité, de l’ambition, et qui rompt avec tout cela – cet esprit-là est en état de révolution permanente. C’est un esprit expansif, créatif, qui agit donc à 1’image d’une pierre provoquant des vagues dans un bassin d’eau calme: ces vagues formeront une civilisation radicalement nouvelle.

Krishnamurti, Le sens du bonheur

Krishnamurti a reconnu que l’âge dans lequel nous vivons est celui des carnages, de la pensée brutale, du contrôle de la pensée, de la concentration aveugle et stupide sur des trivialités extérieures. Donc, une honnêteté intérieure absolue était, à son avis, la première exigence pour nous dégager de tous les artifices mentaux, des mirages trompeurs et des labyrinthes de nos systèmes de croyances conditionnées, dans le but d’effacer tous les vestiges de la subordination psychologique de notre conscience. Dans la pensée de Krishnamurti, la solitude conserve une fonction essentielle en tant qu’outil méthodologique.

Krishnamurti souligne à maintes reprises que la solitude intérieure permet de dissiper l’arbitraire de la culture et de l’autorité ; elle est un instrument indispensable pour amplifier l’attention et la sensibilité qui sont un prérequis à la « connaissance de soi ». Krishnamurti a souligné que non seulement la voie de la solitude était fondamentale pour « l’illumination » ou la réalisation de soi, mais qu’aussi l’expérience était nécessaire, plutôt que les rituels ou les doctrines extérieurs à soi. Combien faudrait-il de solitude ? Combien faudrait-il d’observation de soi et de réflexion ? C’est précisément à l’individu de le découvrir, sans attendre qu’une « autorité » pour l’autoriser ou le persuader à poursuivre.

Pour le développement total de l’être humain, la solitude et la quête de clarté qu’elle complimente deviennent une nécessité catégorique pour l’individu cherchant à discerner à quel point son esprit est encombré de pensées réglementées et conditionnées. Krishnamurti a conçu la solitude comme une séparation des artifices sociaux et des ajouts de la culture oppressive qui nous entoure, et comme le seul moyen fiable de nous émanciper de toutes les entraves psychologiques de notre conditionnement. Si nous pouvons nous débarrasser de tout ce qui est simplement dépendant de la culture, dit Krishnamurti, nous pourrons nous épanouir en tant qu’individus, oui, mais libres aussi.

Pas de défenses et pas de masques

Nous ne voulons pas être dérangés, nous voulons que nos pensées roulent selon des habitudes faciles. Nous établissons des habitudes de pensée facile, de vie facile, d’avoir un travail confortable et là nous stagnons. Pour la plupart d’entre nous, c’est la paix, comme un ciel clair. Mais dans cette clarté, il se passe beaucoup de choses, une grande perturbation dans l’atmosphère que nous ne voyons pas. Ce que nous voyons est très superficiel, ce n’est que la surface. Le genre de tranquillité que nous désirons est un calme superficiel, une existence facile. Mais la paix n’est pas si facile à trouver. Nous ne pouvons comprendre la paix que lorsque nous comprenons la grande perturbation, le mécontentement dans lequel chacun de nous est pris, lorsque l’esprit est libéré de la pensée facile, des modèles habituels et faciles de l’action, lorsque nous sommes vraiment perturbés, ce que nous évitons tous. La plupart d’entre nous ne veulent pas être dérangés. Mais la vie ne vous lâche pas. La vie est très perturbée, la vie étant celle des pauvres, des riches, du chameau qui souffre de tant de poids sur son dos, du politicien, de la révolution, de la guerre, des querelles, de l’amertume, du malheur, de la joie et des ombres obscures de la vie. Nous continuons ; et passons à côté de la beauté de la vie.

J. Krishnamurti

La critique de Krishnamurti de l’autorité en tant qu’entrave à la libre recherche est bien connue. Sa critique de la fuite des perturbations en tant qu’autre obstacle majeur à la libre recherche est considérablement plus subtile et probablement moins largement reconnue. Selon Krishnamurti, tous les murs, même les « murs tendres », entravent la libre enquête et chaque individu doit choisir en fin de compte entre confort et conscience, ou comme il le dit parfois, on doit choisir entre sécurité et vérité.

Dans ses écrits et ses entretiens publics, il a toujours constamment averti de se méfier de ceux qui offrent un réconfort, « un piège dans lequel vous êtes pris comme un poisson dans un filet ». C’est l’une des nombreuses métaphores vives qu’il utilisait pour exprimer l’urgence de faire face à la réalité dans un état d’esprit plus robuste et plus vigoureux, afin de se débarrasser des pièges étouffants de la religion, du nationalisme et de toutes les autres formes d’évasion idéologique. Très tôt dans sa vie jusqu’à ses derniers jours, il a déconseillé de poser des signes « Prière de ne pas déranger » lorsque la maison dans laquelle nous vivons est en flammes. Krishnamurti a vu dans la crise de notre temps une opportunité sans précédent pour une révolution de l’individu, une révolution de l’esprit, où le mythe de l’autorité extérieure serait abandonné de manière conclusive et où l’impasse matérielle/spirituelle de notre culture troublée serait résolue.

Dans le noir, il n’y a que vous …

La guerre est intellectuellement justifiée en tant que moyen de ramener la paix ; quand l’intellect a la haute main sur la vie humaine, il provoque une crise sans précédent. Il y a d’autres causes qui indiquent aussi une crise sans précédent. L’un d’eux est l’extraordinaire importance que l’homme attache aux valeurs sensorielles, à la propriété, à la renommé, à la caste et au pays, à l’étiquette que vous portez. Les choses faites à la main ou par l’esprit sont devenues si importantes que nous nous tuons, détruisons, massacrons, liquidons à cause d’eux. Nous approchons du bord d’un précipice ; chaque action nous y conduit, chaque politique, chaque action économique nous amène inévitablement au bord du précipice, nous entraînant dans cet abîme chaotique et déroutant. La crise est donc sans précédent et exige une action sans précédent. Pour quitter, sortir de cette crise une action intemporelle est nécessaire, une action qui ne soit pas basée sur une idée, sur un système, car toute action basée sur un système, sur une idée entraînera inévitablement une frustration. Une telle action ne fait que nous ramener à l’abîme par un autre chemin. Comme la crise est sans précédent, il faut également une action sans précédent, ce qui signifie que la régénération de l’individu doit être instantanée, et non un processus temporel. Cela doit avoir lieu maintenant, pas demain ; car demain est un processus de désintégration.

Si je pense à me transformer demain, j’invite la confusion, je suis toujours dans le champ de la destruction. Est-il possible de changer maintenant ? Est-il possible de se transformer complètement dans l’immédiat, dans le maintenant ? Je dis que c’est possible. Du fait que la crise a un caractère exceptionnel, alors pour la rencontrer il faut une révolution dans l’esprit ; et cette révolution ne peut avoir lieu à travers un autre, à travers un livre, à travers une organisation. Cela doit passer par nous, par chacun de nous. C’est alors seulement que nous pourrons créer une nouvelle société, une nouvelle structure, loin de cette horreur, loin de ces forces extraordinairement destructrices qui s’accumulent, qui s’empilent ; et cette transformation ne se produit que lorsque vous, en tant qu’individu, commencez à prendre conscience de vous-même dans chaque pensée, action et sentiment.

J. Krishnamurti

Il devrait aller de soi que cette approche extrêmement individualiste de la déprogrammation culturelle avec son rejet des traditions formalisées, des structures « sécurisées » et de l’autoritarisme extrême de la relation gourou/disciple n’est pas destinée aux serviles, aux faibles d’esprit ou aux esprits dépendants. Si la « spiritualité » (pour utiliser un terme très chargé) doit être assimilée à la conscience de soi, il s’agit alors d’une recherche qui impliquera de reconnaître certaines vérités très dures sur ce qui se passe réellement dans notre psyché déformé et refoulé. Cela impliquera une confrontation avec tous les tampons et isolants psychologiques que nous érigeons pour empêcher une procédure aussi effrayante que l’auto-investigation de se produire, ainsi que les mécanismes sophistiqués avec lesquels nous détournons l’exploration de nos vies intérieures. C’est une tâche incroyablement ardue et difficile, pour des animaux socialisés aux prises avec des siècles de conditionnement autoritaire, pour pouvoir démasquer nos prédilections enracinées envers la soumission et ainsi entrer critiquement en conflit avec les puissants schémas de méfiance de soi qui font désormais partie de nos structures psychiques.

Toutefois, quiconque souhaite se gouverner lui-même bénéficiera, de manière pragmatique, d’une telle déconstruction complète de ses mentalités socialement implantées, tout en gardant à l’esprit que toute poussée vers la « conscience de soi » n’a pas de finalité ; il n’y a pas d’état statique « d’illumination » auquel aucun d’entre nous puisse aspirer. La conscience de soi est plutôt une expérience vivante, fluide et continue qui ne peut jamais être liée à des représentations verbales, à des signifiants visuels ou à tout autre type de réification. C’est une aventure qui est totalement unique pour chaque individu et pour laquelle il n’y a pas de carte ou de guide externe ; c’est l’aspect interne de notre révolution contre l’autorité, le délogement de tous les mensonges et hypocrisies confortables qui étouffent notre vitalité créatrice intrinsèque et nous rendent si vulnérables aux manipulations autoritaires.

En fait, si « spiritualité » est synonyme de conscience de soi, ceux qui ne la recherchent pas sont tous fous à lier. C’est-à-dire qu’ils sont tous des robots et des somnambules ; détachés, pour ainsi dire, du fonctionnement de leurs propres esprits et esclaves à toutes les acrobaties mentales de la malhonnêteté personnelle ; car sans un effort volontaire pour nous comprendre, nous restons des aveugles irréfléchis vivants dans un pays imaginaire collectif de tourments sociaux sans fin, de stupéfaction intérieure et de comportement standardisé…

Quand nos esprits et nos cœurs brûlent :

Quelques citations finales de Krishnamurti

Du moment que vous suivez quelqu’un, vous cessez de suivre la vérité. Je ne suis pas concerné si vous faites attention à ce que je dis ou non. Je veux faire une certaine chose dans le monde et je vais le faire avec une concentration inébranlable. Je ne me préoccupe que d’une chose essentielle : aider à libérer l’homme. Je souhaite le libérer de toutes les cages, de toutes les peurs, et non pas à fonder des religions, de nouvelles sectes, ni à établir de nouvelles théories et de nouvelles philosophies. Si une organisation est créée à cet effet, elle devient une béquille, une faiblesse, un esclavage et doit paralyser l’individu et l’empêcher de grandir, d’établir son unicité, qui réside dans la découverte par lui-même de cette vérité absolue et inconditionnée.

J. Krishnamurti

Malheureusement, à l’heure actuelle l’éducation vise à vous inciter au conformisme, à vous adapter et à vous ajuster à cette société de l’avoir. C’est tout ce qui intéresse vos parents, vos professeurs et vos livres. Tant que vous vous conformez, tant que vous êtes ambitieux, âpre au gain, que vous corrompez et détruisez les autres dans la course au pouvoir et à l’influence, vous êtes considéré comme un citoyen respectable. On vous apprend à vous insérer dans la société – or cela, ce n’est pas de l’éducation, ce n’est qu’un simple système qui vous conditionne à vous soumettre à des schémas établis. La véritable fonction de l’éducation n’est pas de vous former à la carrière d’employé de bureau, de juge ou de Premier ministre, mais de vous aider à comprendre tous les rouages de cette société pourrie et de vous permettre de grandir dans la liberté, de sorte que vous couperez les ponts et créerez une société différente, un monde nouveau. Il faut qu’il y ait des gens révoltés – pas partiellement, mais totalement en révolte contre l’ancien monde –, car seuls ceux-là peuvent créer un univers nouveau, un monde qui ne soit pas fondé sur le désir de possession, le pouvoir et le prestige.

J. Krishnamurti, Le sens du bonheur

D’une cage à l’autre

Je connais beaucoup de personnes qui pratiquent quotidiennement certains idéaux, mais leur compréhension se détériore de plus en plus. Ils se sont simplement transférés d’une cage à une autre. Si vous ne recherchez pas le réconfort, si vous remettez continuellement en question, et vous ne pouvez questionner que lorsque vous êtes en révolte, vous êtes alors libre de tous les enseignants et de toutes les religions ; alors vous êtes suprêmement humain, n’appartenant à aucun parti ni à aucune religion ni à aucune cage.

La crise embrase la flamme

Tant que votre esprit évite soigneusement et subrepticement les conflits, qu’il cherche le réconfort par la fuite, personne ne peut vous aider à mener à bien votre action, personne ne peut vous pousser à une crise qui résoudra votre conflit. Du moment que vous réalisez cela, que vous le voyez non seulement intellectuellement, mais que vous en ressentez également la vérité, alors votre conflit créera la flamme qui le consumera.

Jetez vos béquilles

Amis, pourquoi n’adorez-vous pas un nuage ? Pourquoi ne priez-vous pas l’homme qui travaille dans les champs ou ne vous délectez-vous pas des ombres portées sur des eaux tranquilles ? Pendant que vous adorez dans un sanctuaire fermé, la Vie danse dans la rue et vous échappe. Si vous ne testez pas votre force en jetant vos béquilles, comment pouvez-vous connaître votre intégrité, votre vitalité ? J’ai fait toutes ces choses et je sais donc que… ces choses sont des ombres. Si vous brûlez pour la Vérité, vous devez sortir de votre ombre … et apprécier ce qui crée toutes choses.

Être autonome

Si vous refusez toute forme d’attachement à quelque chose qui vous réconforte, sans savoir où cela vous mènera dans cet état d’incertitude, dans cet état de danger, c’est un déni. Dans cette recherche de contentement, de confort, vos pensées et vos sentiments deviennent superficiels, stériles, triviaux et la vie devient une coquille vide. L’esprit humain est léthargique ; il a été tellement assommé par l’autorité, tellement formaté, contrôlé, conditionné, qu’il ne peut pas être autonome. Mais être indépendant est le seul moyen de comprendre la vérité. Êtes-vous vraiment, fondamentalement intéressé à comprendre la vérité ? Non, la majorité d’entre vous ne l’est pas. Vous êtes seulement intéressé à soutenir le système que vous possédez maintenant, à trouver des substituts, à rechercher le confort et la sécurité ; et dans cette recherche, vous exploitez les autres et vous-même vous êtes exploités. En cela, il n’y a pas de bonheur, pas de richesse, pas de plénitude. Soyez dérangé pour le restant de votre vie.

« Pourquoi voulez-vous lire les livres des autres quand il y a le livre de vous-même ? »

J. Krishnamurti