Fred Matser
Réconcilier les polarités de la danse

Traduction libre 17/12/2023 Une brève introduction Fred Matser est le fondateur et le président de la Fondation Essentia et de la Fondation Fred, ainsi qu’un acteur humanitaire néerlandais de premier plan. Actif dans la transformation sociale et écologique, il est le fondateur et le cofondateur d’un large éventail de fondations caritatives qui couvrent les domaines […]

Traduction libre

17/12/2023

Une brève introduction

Fred Matser est le fondateur et le président de la Fondation Essentia et de la Fondation Fred, ainsi qu’un acteur humanitaire néerlandais de premier plan. Actif dans la transformation sociale et écologique, il est le fondateur et le cofondateur d’un large éventail de fondations caritatives qui couvrent les domaines de la santé, de l’environnement, de la conservation de la nature, de la paix et de la transformation mondiales. Les principes qui sous-tendent ces fondations reposent sur la cocréativité, l’autosuffisance, la responsabilisation, l’inspiration et l’harmonie.

Dans un essai destiné à nous donner matière à méditation pendant la période des fêtes, alors que nous faisons le bilan de l’année écoulée et des événements, tragiques ou non, qui l’ont marquée, l’auteur évoque l’importance de maintenir, avec maturité, l’équilibre dynamique entre les polarités souvent extrêmes qui caractérisent la société humaine.

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En séparant les polarités, la résistance crée une tension continue entre les opposés. Par « tension », je n’entends pas quelque chose de négatif, mais simplement une force, une traction. Dans notre cas, nous pouvons considérer cette tension comme l’impulsion qui sous-tend l’interaction entre (a) les modes d’être masculin et féminin, (b) les modes de connaissance intellectuels et intuitifs, (c), les pulsions ressenties de donner et de recevoir, (d) le pouvoir brut de l’affirmation de soi et le pouvoir enchanteur de la vulnérabilité, et bien d’autres polarités encore. Notre vie même repose sur le maintien d’une tension dynamique entre ces opposés, car sans cette tension, nous vivrions dans un monde de distanciation statique. La tension est la force motrice des personnes et des sociétés ; c’est ce qui les fait bouger, voire lutter ; c’est l’impulsion derrière chaque action, individuelle ou collective ; c’est le moteur de la croissance personnelle et sociale, de la croissance authentique.

Par conséquent, le secret d’une vie saine et fonctionnelle, ainsi que d’une société saine et fonctionnelle, réside — me semble-t-il — dans la garantie d’une harmonie dynamique entre les polarités, dans laquelle aucun pôle ne domine, ne subjugue ou n’écrase son opposé, mais, au contraire, la tension entre eux est maintenue. Cette harmonie dynamique peut être visualisée comme une danse exécutée par chaque paire d’opposés. Plus la danse est réussie, c’est-à-dire plus l’équilibre et l’harmonie de la chorégraphie sont raffinés, plus le résultat est fonctionnel. La danse des polarités n’a pas pour but d’atteindre un certain objectif ou une destination particulière, tout comme deux personnes dansant un tango n’essaient pas d’arriver à un endroit précis sur la piste de danse. L’objectif est la danse elle-même, tout comme l’objectif de la navigation est de naviguer, et non de contourner des bouées.

Pour saisir la valeur de la vie dans cette perspective, il faut avoir un certain sens de l’esthétique. Comme le suggère Platon, la beauté est la vérité. Le mode de vie le plus vrai et le plus fonctionnel est donc celui qui implique la plus belle danse, la chorégraphie la plus exquise. Et aucun tango n’est beau si l’un des partenaires est dominé ou piétiné par l’autre jusqu’à l’oubli, n’est-ce pas ?

Pourtant, soumettre l’un des pôles au profit de l’autre a toujours été, tout au long de notre histoire, notre mode de fonctionnement. Nous avons notamment mis sur un piédestal le pouvoir physique et l’affirmation de soi, tout en négligeant le rôle indispensable de la vulnérabilité dans la vie, que nous considérons comme une faiblesse. Mais sans le pouvoir enchanteur de la vulnérabilité, la vie serait impossible. Pensez à tous les animaux à naître et nouveau-nés, aux larves d’insectes, aux alevins de poissons, aux semis de plantes, etc. : combien ils sont vulnérables et pourtant indispensables ! L’utilisation de la puissance d’affirmation est parfaitement acceptable tant qu’elle est dynamiquement équilibrée par la puissance de vulnérabilité, de manière à maintenir une tension fonctionnelle. Hélas, même une observation superficielle de nos dynamiques sociales révèle que nous sommes loin d’atteindre un tel idéal.

Il existe de nombreux autres exemples de déséquilibre. Prenons, par exemple, la façon dont nous valorisons l’intellect bien plus que le sentiment et l’intuition, comme si seul l’intellect pouvait transmettre des informations valables et parvenir à des conclusions valables. Dès l’enfance, cette notion bizarre et biaisée est inculquée aux enfants : tout ce que vous savez par le sentiment ou l’intuition n’est acceptable que si l’on peut l’argumenter ou le justifier de manière convaincante en termes conceptuels, à l’aide de mots et de chiffres. Sinon, ce n’est que de la fantaisie, de l’illusion, des vœux pieux. Une telle dévaluation de notre faculté de sentir équivaut à une véritable amputation. Elle nous coupe artificiellement et arbitrairement des capacités dont la nature nous a dotés pour une raison précise. C’est comme si l’on s’arrachait volontairement un œil et que l’on croyait s’en porter mieux. Parce que l’amputation n’est pas aussi immédiatement visible qu’un membre ou un œil manquant, nous ne réalisons pas l’ampleur de notre perte.

De plus, l’intellect s’exprime de manière innée par la discrimination : il tente toujours de tracer une ligne entre le vrai et le faux, le bien et le mal, le valide et l’invalide, l’approprié et l’inapproprié, l’appartenance et la non-appartenance, etc. Les choix effectués par la médiation intellectuelle sont donc intrinsèquement exclusifs : ils excluent ce que nous jugeons faux, erroné, invalide, inapproprié ou non appartenant. En revanche, les choix effectués par la médiation de la faculté de sentir — les choix basés sur le cœur — tendent à être inclusifs, à rassembler les choses et les personnes sur la base de leurs forces uniques et de leur valeur relative. Par conséquent, notre tendance à valoriser l’intellect bien plus que la faculté de sentir conduit aux innombrables façons dont notre société exclut les gens, les communautés, les pays, les animaux et même la nature dans son ensemble.

L’un des déséquilibres les plus reconnus dans notre société et notre mode de vie est celui qui existe entre les modes de pensée, de sentiment et d’action masculins et féminins. C’est pourquoi la correction de ce déséquilibre particulier retient également l’essentiel de notre attention et de nos efforts. Le problème est que, même dans les contextes ou les situations où les femmes ont réussi à briser le plafond de verre et à atteindre des positions d’influence, le prix à payer pour y parvenir est souvent de sacrifier leur féminité même en imitant le comportement dysfonctionnel des hommes. Ce prix est trop élevé, car il va à l’encontre de l’objectif même des efforts déployés pour réduire le déséquilibre. En effet, le déséquilibre préjudiciable ici n’est pas simplement une question de genre, mais de modes d’être et d’agir.

Si notre société incarnait un véritable équilibre dynamique entre les modes d’être masculins et féminins — quel que soit le sexe — nous verrions sans doute moins de concurrence dysfonctionnelle, moins de guerres, moins de solitude, plus de compréhension, de partage et de compassion. Il y a beaucoup à gagner à œuvrer en faveur d’un équilibre dynamique.

Mais pour ce faire, nous devons être prêts à revoir nos valeurs. L’équilibre ne peut être atteint que si chaque pôle est apprécié en tant que tel, et non en fonction des qualités de son opposé. Il s’agit là d’un point subtil, mais crucial. Par exemple, les chefs d’entreprise masculins qui souhaitent sincèrement contribuer à un meilleur équilibre entre les principes masculins et féminins au travail peuvent encore valoriser l’intellect et le pouvoir d’affirmation au détriment de l’intuition et de la vulnérabilité ; ils soutiendront et promouvront donc des femmes qui pensent et agissent comme des hommes. En fin de compte, aucun équilibre n’est atteint.

Un bon équilibre dynamique exige une sorte de saut cognitif qui permet de contempler chaque pôle à partir d’un point de vue archimédien ; une perspective neutre à partir de laquelle on peut évaluer objectivement les polarités dans leur contexte global, en reconnaissant leurs contributions respectives à l’ensemble. Il est extraordinairement difficile d’atteindre un tel point de vue neutre, car nous sommes tous immergés dans les valeurs que nous incarnons. Pourtant, il est essentiel d’y parvenir si nous voulons vivre une vie harmonieuse et fonctionnelle. Tel est le principal défi à relever, et il est redoutable.

Texte original : https://www.essentiafoundation.org/reconciling-the-dancing-polarities/reading/