Consultez n’importe quel épistémologue, n’importe quel théoricien de la scientificité. Il vous dira que la Science n’est pas une photographie; que le fait scientifique n’est pas une constatation, mais une construction; que tout fait scientifique, comme cette électricité que vous voyez (ou plutôt ne voyez pas) courir, est inséparable d’une théorie, c’est-à-dire d’un ensemble de concepts, lui-même in séparable des faits qu’il abstrait, édifie, organise. Que les concepts n’ont rien d’absolu; que ce sont des modes dialectiques de relations entre l’homme et le monde; qu’ils se transforment et même changent assez radicalement avec le temps, et du même coup les faits. Que l’histoire des Sciences n’est pas tant celle d’une addition ou d’une cumulation de connaissances que de mutations de connaissances; pas tant celle du déploiement de la Raison que de métamorphoses de raison; pas tant continuité conceptuelle que discontinuité conceptuelle. Bref, la Science, c’est une succession — quand ce n’est pas une juxtaposition — hétérogène autant que homogène, de grilles, c’est-à-dire de modèles ou supermodèles, qui intelligibilisent et opèrent circonstanciellement le « réel »; la dernière grille ayant l’avantage de résoudre les difficultés des précédentes, jusqu’à ce que se découvrent les siennes, et ainsi de suite indéfiniment.