Colin Todhunter
Riz mutant et rats de laboratoire de Bill Gates : grandes expériences dans les champs de l’Inde

Les préoccupations relatives aux droits de propriété et aux DPI (droits de propriété intellectuelle) sont au cœur des critiques formulées à l’encontre du riz génétiquement édité en Inde. Le débat va au-delà de la biosécurité et des risques environnementaux et porte sur des questions plus larges, telles que l’autonomie des agriculteurs, la souveraineté des semences et le transfert du contrôle des institutions publiques vers les détenteurs de brevets privés.

Fin 2024, Bill Gates a suscité l’indignation en Inde après avoir décrit le pays comme « une sorte de laboratoire pour essayer des choses » lors d’un podcast avec Reid Hoffman. Gates a souligné la stabilité du pays en tant que « terrain d’essai » pour les initiatives mondiales.

Ses propos ont été largement condamnés. Les médias sociaux se sont déchaînés, de nombreux Indiens accusant Gates de réduire leur pays à un simple terrain d’expérimentation pour les intérêts occidentaux. Les internautes ont qualifié les Indiens de « cobayes » dans le laboratoire de Gates et se sont interrogés sur l’éthique et les motivations d’une telle expérimentation.

Une réponse largement diffusée sur X a illustré ce sentiment :

« L’Inde est un laboratoire et nous, Indiens, sommes les cobayes de Bill Gates. Cette personne a pris le contrôle de tout, du gouvernement aux partis d’opposition en passant par les médias. Son bureau fonctionne ici sans FCRA, et notre système éducatif a fait de lui un héros ! Je ne sais pas quand nous nous réveillerons ! »

(FCRA fait référence à la loi sur la régulation des contributions étrangères, qui encadre les contributions étrangères afin de s’assurer qu’elles ne nuisent pas à l’intérêt national).

La controverse a refait surface avec l’annonce, le 5 mai 2025, que l’Inde est devenue le premier pays à lancer officiellement deux variétés de riz génétiquement modifiées : Kamala (DRR Dhan 100 Kamala) et Pusa DST Rice 1. Ces variétés ne sont pas considérées comme des organismes génétiquement modifiées (OGM). Contrairement aux OGM traditionnels, qui introduisent de l’ADN étranger, ces variétés éditées génétiquement utilisent les technologies CRISPR-Cas SDN-1 et SDN-2 pour modifier les gènes existants.

Cette distinction est fortement encouragée par l’industrie agrobiotechnologique dans le but de s’assurer que les cultures génétiquement modifiées contournent les réglementations strictes en matière de biosécurité et les essais sur le terrain sur plusieurs années requis pour les OGM. En 2022, le gouvernement indien a exempté ces plantes des règles relatives aux substances dangereuses prévues par la loi sur la protection de l’environnement.

Le fait d’exempter les cultures éditées de ces évaluations rigoureuses de la biosécurité suscite des inquiétudes quant aux risques potentiels pour la santé et l’environnement. Bien que cette technologie soit vantée par l’industrie pour sa « précision », il s’agit plus d’une question de relations publiques que de science. Même de petites modifications génétiques peuvent avoir des effets imprévisibles. En effet, George Church, biotechnologue à Harvard, a décrit CRISPR comme « une hache émoussée », mettant en garde contre de graves conséquences et risques non intentionnels.

Les critiques soutiennent que des tests transparents et indépendants sont essentiels avant l’adoption à grande échelle des cultures génétiquement éditées. L’exemption réglementaire actuelle en Inde est considérée comme prématurée et potentiellement illégale, d’autant plus que la Cour suprême continue d’examiner de près l’édition génétique en agriculture. Les militants affirment que les agences de régulation subissent des pressions de la part des lobbys biotechnologiques pour contourner les protocoles de sécurité et marginaliser l’examen public et scientifique.

Bien que ces variétés aient été développées par l’ICAR (Conseil indien pour la recherche agricole), des groupes de la société civile, notamment la Coalition for a GM-Free India (Coalition pour une Inde sans OGM), soulignent que les outils d’édition génétique tels que CRISPR/Cas9 sont des technologies propriétaires, ce qui soulève des inquiétudes quant à la souveraineté des semences et aux droits des agriculteurs. Les brevets sous-jacents pourraient accroître le contrôle des entreprises sur l’agriculture indienne et porter atteinte aux droits traditionnels des agriculteurs de conserver et d’échanger des semences.

Les préoccupations relatives aux droits de propriété et aux DPI (droits de propriété intellectuelle) sont au cœur des critiques formulées à l’encontre du riz génétiquement édité en Inde. Le débat va au-delà de la biosécurité et des risques environnementaux et porte sur des questions plus larges, telles que l’autonomie des agriculteurs, la souveraineté des semences et le transfert du contrôle des institutions publiques vers les détenteurs de brevets privés.

Les critiques réclament la transparence concernant le statut de la propriété intellectuelle de ces nouvelles variétés de riz et remettent en question l’utilisation des ressources publiques par l’ICAR pour développer des cultures qui pourraient bénéficier principalement aux intérêts des entreprises. Le manque de transparence sur le processus de développement, les données de sécurité et les détails relatifs à la propriété intellectuelle de ces variétés est profondément problématique.

La militante chevronnée Aruna Rodrigues, qui s’oppose depuis longtemps à la commercialisation des OGM en Inde, avertit que le gouvernement répète les erreurs du passé (comme l’échec du coton Bt dans le pays ; voir Le coton Bt en Inde est un modèle d’OGM pour une catastrophe monumentale et irréversible) en introduisant des technologies insuffisamment testées sans contrôle approprié. Elle a dénoncé des manquements à la réglementation, notamment la commercialisation de riz basmati tolérant aux herbicides (HT) sans autorisation appropriée, qualifiant ces actions d’illégales et de violation des règles régissant les organismes dangereux et génétiquement modifiés (voir l’article Bayer Loves Basmati).

Elle a également averti que les actions de l’ICAR mettaient en péril le lucratif marché d’exportation du riz biologique de l’Inde et bafouaient une recommandation du comité d’experts techniques (TEC) nommé par la Cour suprême en faveur d’une interdiction totale des cultures HT en raison de leurs risques pour l’environnement.

Rodrigues affirme que les agences de réglementation sont confrontées à de graves conflits d’intérêts, les organismes gouvernementaux promouvant et supervisant à la fois les cultures OGM et les cultures génétiquement éditées, ce qui se traduit par une captation de la réglementation par les intérêts des entreprises. Le ministère de la science et de la technologie, le ministère de l’agriculture et l’ICAR promeuvent tous activement les cultures alimentaires OGM et, à présent, les cultures génétiquement éditées, tout en étant chargés de leur surveillance.

Aruna Rodrigues affirme qu’il y a eu une appropriation totale de l’appareil réglementaire par les intérêts des entreprises, les agences gouvernementales agissant en tant que servantes de l’industrie biotechnologique.

La Coalition pour une Inde sans OGM et Rodrigues ont exposé à maintes reprises les défaillances et les conflits d’intérêts au sein des autorités indiennes chargées de la biosécurité. Le TEC susmentionné a constaté des lacunes importantes dans l’évaluation de la biosécurité et a appelé à une révision de la réglementation, mais ces problèmes demeurent non résolus plusieurs années plus tard.

Les partisans du riz génétiquement édité reprennent les arguments avancés pour les OGM : augmenter les rendements, nourrir les affamés, aider les agriculteurs et s’attaquer aux problèmes climatiques. Ces affirmations sont délibérément trompeuses et servent de sujets de discussion dans le but d’ouvrir le système agroalimentaire indien au contrôle des entreprises. La détresse des agriculteurs indiens est due à des échecs politiques, et non à une faible productivité, et les systèmes agroécologiques basés sur les petites exploitations ont des avantages avérés (voir Remettre en question les prémisses erronées qui sous-tendent l’introduction des OGM dans l’agriculture indienne) en termes de résistance au climat et au stress, et de rendement.

Les allégations d’augmentation des rendements du riz génétiquement modifié rappellent les promesses non tenues des cultures OGM, négligeant les variétés indigènes à haut rendement qui ont déjà contribué à une production substantielle de riz.

La Coalition pour une Inde sans OGM et les représentants des agriculteurs contestent les allégations selon lesquelles les deux variétés de riz génétiquement éditées entraîneront des augmentations de rendement de 25 à 30 %, en invoquant l’absence de données transparentes et accessibles au public sur les essais sur le terrain. Ils demandent des comptes et des essais en conditions réelles, soulignant que l’Inde a déjà une production de riz excédentaire et que des affirmations de rendement non vérifiées ne peuvent justifier l’introduction de cultures génétiquement éditées risquées. La déréglementation des techniques d’édition génétique sans tests de biosécurité est considérée comme illégale et non scientifique, ce qui jette un doute sur la crédibilité des affirmations relatives à l’amélioration des rendements.

L’Inde a déjà été le théâtre d’allégations farfelues concernant l’augmentation des rendements. Les développeurs de moutarde GM de l’université de Delhi ont fait des déclarations similaires qui ont été démenties par une série de déclarations sous serment soumises par Aruna Rodrigues à la Cour suprême.

Les opposants accusent le gouvernement de céder au lobbying des entreprises et de présenter l’édition génétique comme précise et sûre, en dépit d’une abondante littérature scientifique soulignant les risques et les incertitudes (documentée en détail sur le site Web de GMWatch.org). L’adoption par l’Inde des cultures génétiquement éditées, encouragée par des personnalités comme Bill Gates et facilitée par des autorités réglementaires compromises, est un cas de mainmise des entreprises et de subversion réglementaire.

Bill Gates, défenseur de longue date des cultures génétiquement modifiées, a rencontré le premier ministre Modi en mars 2025, peu avant l’annonce par le gouvernement du riz génétiquement édité. Bien que la séquence des événements puisse être une coïncidence, l’influence de Gates sur la biotechnologie agricole n’est plus à démontrer. La sécurité alimentaire et la santé écologique futures de l’Inde dépendent de la résistance aux technologies non éprouvées et du rétablissement de l’intégrité réglementaire à l’abri de l’influence des entreprises et des philanthropes-ploutocrates.

En raison de sa richesse, Gates est souvent traité comme un roi par les médias et les hommes politiques, mais son idéologie technosolutionniste réduit les problèmes sociaux, politiques et économiques complexes à des solutions techniques. Trop souvent, cette ignorance volontaire conduit à faire de certains pays des « terrains d’essai » pour des interventions facilitées par des gouvernements et des régulateurs cooptés qui, en fin de compte, servent à concentrer le pouvoir entre les mains des entreprises. Pendant ce temps, les solutions authentiques sont mises à l’écart et dénigrées.

Bon nombre des questions abordées dans l’article ci-dessus sont traitées dans le livre en ligne en libre accès de l’auteur intitulé Power Play : The Future of Food (Jeu de pouvoir : l’avenir de l’alimentation). Bagha Books distribue actuellement des exemplaires imprimés (en hindi et en anglais) aux groupes de la société civile, aux établissements d’enseignement et aux lecteurs intéressés en Inde.

Colin Todhunter est spécialisé dans l’alimentation, l’agriculture et le développement. Il est chercheur associé au Centre de recherche sur la mondialisation à Montréal. Vous pouvez lire ses deux livres gratuits Food, Dependency and Dispossession : Resisting the New World Order et Sickening Profits: The Global Food System’s Poisoned Food and Toxic Wealth ici.

Texte original publié le 12 mai 2025 : https://off-guardian.org/2025/05/12/mutant-rice-and-bill-gatess-lab-rats-grand-experiments-in-indias-fields/