Houei-Neng
Sermon

(Revue Être. No 1. 1992) Un garçon de treize ans, appelé Shen-Huei, né dans une famille Kao, de Siang-Yang, vint au monastère de Yu-Tchuan pour rendre hommage au patriarche. « Mon savant ami, dit le patriarche, cela a dû vous paraître très dur d’entreprendre un aussi long voyage. Mais pouvez-vous me dire quel est le […]

(Revue Être. No 1. 1992)

Un garçon de treize ans, appelé Shen-Huei, né dans une famille Kao, de Siang-Yang, vint au monastère de Yu-Tchuan pour rendre hommage au patriarche.

« Mon savant ami, dit le patriarche, cela a dû vous paraître très dur d’entreprendre un aussi long voyage. Mais pouvez-vous me dire quel est le principe fondamental ? Si vous le pouviez, vous en connaîtriez le possesseur ? Essayez, s’il vous plaît, de me dire quelque chose.

Le non-attachement [1] est le principe fondamental.

En connaître le possesseur, c’est réaliser la nature propre, répliqua Shen-Huei.

Ce novice n’est bon à rien, si ce n’est à parler à la légère », réprimanda le patriarche.

Sur quoi, Shen-Huei demanda au patriarche :

« Dans votre méditation, Seigneur, voyez-vous ou ne voyez-vous pas votre propre nature ? »

Lui donnant trois coups de bâton, le patriarche lui demanda s’il éprouvait ou non de la douleur.

« J’en ressens et n’en ressens pas, répliqua Shen-Huei.

Je vois et je ne vois pas, rétorqua le patriarche.

Comment est-il possible que vous voyiez et ne voyiez point ? demanda Shen-Huei.

Ce que je vois et que je vois souvent, répliqua le patriarche, c’est ma propre faute. Ce que je ne vois pas, c’est le bien et le mal, le mérite et le démérite des autres. Voilà pourquoi je vois et je ne vois pas. Dites-moi, à présent, ce que vous vouliez dire par douloureux et non-douloureux ? Si vous ne ressentiez pas la douleur, vous seriez insensible comme un morceau de bois ou de pierre. Par contre, si vous ressentez de la douleur et que, par là, la colère et la haine soient réveillées en vous, vous serez dans la même situation qu’un homme ordinaire. Le « voir » et ne « pas voir » dont vous parlez sont une paire d’opposés, tandis que « douloureux » et « non-douloureux » appartiennent à la partie de dharma qui devient et qui cesse [2] et, sans avoir réalisé votre propre nature, vous vous permettez d’aveugler les autres. »

Shen-Huei s’excusa, s’inclina devant le patriarche et le remercia de son enseignement.

S’adressant de nouveau à Shen-Huei, le patriarche dit :

« Si vous êtes dans l’illusion et n’arrivez pas à réaliser votre propre nature, vous devriez demander conseil à un pieux et savant ami. Quand votre esprit sera illuminé, vous connaîtrez la nature propre et vous pourrez suivre le Sentier, conformément au bon chemin. A présent, vous êtes dans l’illusion et ne connaissez pas la nature propre. Au lieu de chercher conseil, vous vous permettez de demander si je connais ou ne connais pas ma propre nature. Si je la connais, je la réaliserai moi-même ; mais le fait que je la connaîtrais ne vous empêcherait pas d’être dans l’illusion. De même, si vous connaissez votre propre nature, votre connaissance ne serait pour moi d’aucune utilité. Au lieu de questionner autrui, pourquoi ne pas la découvrir par vous-même et la connaître d’après vous-même ? »

Lui rendant plus de cent fois hommage, Shen-Huei exprima de nouveau ses regrets et demanda au patriarche de lui pardonner.

Depuis lors, il travailla assidûment en qualité d’intendant du patriarche, se tenant toujours à la droite ou à la gauche de son Maître.

S’adressant un jour à l’assemblée, le patriarche dit :

« J’ai un article qui n’a ni tête, ni nom, ni appellation, ni endroit ni envers. Savez-vous ce que c’est ? »

Sortant de la foule, Shen-Huei répliqua :

« C’est la source de tous les Bouddhas et la nature bouddhique de Shen-Huei.

Je vous ai déjà dit que c’était sans nom et sans appellation et, cependant vous l’appelez « source des Bouddhas » et « nature bouddhique », réprimanda le patriarche. Même si, pour une ample étude, vous vous confinez sous un abri de nattes [3], vous ne serez qu’un étudiant de méditation avec une connaissance de seconde main [4]. »

Après la mort du patriarche, Shen-Huei partit à Loyang, où il répandit largement l’enseignement de l’Ecole de l’Illumination subite. L’ouvrage populaire intitulé : « Traité explicite sur l’enseignement de la méditation » fut écrit par lui. Il est généralement connu sous le nom de : Maître de méditation Ho Tsai.

Se rendant compte que de nombreuses questions lui étaient posées avec mauvaise foi par des disciples de diverses écoles et qu’un grand nombre de questionneurs se rassemblaient autour de lui, le patriarche, par compassion, s’adressa à eux comme suit :

« Celui qui marche sur le Sentier devrait se débarrasser de toutes pensées, des bonnes aussi bien que des mauvaises. Ce n’est qu’à titre d’expédient (de pis-aller) que la nature propre est ainsi nommée. En vérité, elle ne peut être appelée d’aucun nom. Cette nature de non-dualité, dite la Vraie Nature, est à la base de tous les systèmes d’enseignement. On devrait réaliser sa propre nature dès qu’on en entend parler. »

Ayant entendu cela, tous rendirent hommage au patriarche et lui demandèrent la permission de devenir ses disciples.

Extrait des « Discours et Sermons » de Houei-Nêng « collection spiritualités vivantes ».

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1 Sur le non-attachement, il est intéressant de rapporter le dialogue suivant entre Manjushri et Vimalakîrti. Manjushri demanda à Vimalakîrti :

« Quelle est la source de notre corps ?

La convoitise et le désir, répondit Vimalakîrti.

Quelle est la source de la convoitise et du désir ?

L’illusion et la différenciation.

Quelle est la source de l’illusion et de la différenciation ?

Les points de vue inversés.

Quelle est la source des points de vue inversés ?

Le non-attachement.

Quelle est la source du non-attachement ?

Le non-attachement n’a pas de source. Avec le non-attachement comme base, s’établissent tous les dharmas. (Vimalakîrti-nirdhesha-sûtra).

D’autre part, dans ses Essais sur le Bouddhisme Zen (p. 905) D. T., Suzuki s’exprime ainsi : … « Aussi lisons-nous dans le Vimalakîrti-nirdesha-sûtra que toutes choses sont établies dans le « non-fondement », qui est la Vacuité et, dans le Vajracchedikâ-sûtra que : « les pensées doivent surgir sans avoir de fondement nulle part. »

2 C’est-à-dire éléments conditionnés ou provenant d’une cause.

3 Comme le font habituellement les bhikshus.

4 C’est-à-dire connaissance livresque et d’autorité verbale au lieu de la Connaissance obtenue intuitivement.