Gabriel Monod-Herzen
Silence et Langage

Ce n’est pas facile d’obtenir le silence intérieur et d’empêcher les pensées de remonter à la surface. Un des moyens est de leur opposer l’indifférence. Si nous laissons les impulsions intérieures déterminer notre conduite, notre attitude, nous sommes pris dans le piège, alors que si nous sommes indifférents… Les Indiens disent que nous sommes des postes émetteurs-récepteurs, les huit-dixièmes de ce que nous pensons a été pensé par quelqu’un d’autre. C’est une pensée qui court dans l’air, mais nous affirmerons : « Je pense… ». Or il faut évincer le « Je ». Nous sommes inconscients d’une grande partie de notre activité psychologique où le « Je » est absent. Pourquoi ne serait-ce pas pareil ailleurs ? Nous attribuons tout à notre petit moi et alors, il n’y a pas de silence possible.

Le titre est de 3e Millénaire

(Revue Panharmonie. No 177. Mai 1979)

Compte rendu de la rencontre du 7.2.1979

Il y a plusieurs espèces de silence, le silence mental, le silence affectif et il y a le silence qui permet à quelque chose de supérieur de se manifester. Certaines personnes, bien entraînées, arrivent à faire abstraction du bruit.

Quelle en est l’utilité ? C’est de nous permettre de voir ce qui dépend de la personnalité et ce qui n’en dépend pas. Si tout est en mouvement, si vos sentiments, vos préférences, vos souvenirs, etc…, viennent se mélanger avec vos pensées, vous n’en sortirez pas. La première condition pour voir clair, c’est d’avoir un certain degré de silence intérieur et la maîtrise des formes de notre propre conscience. Alors, au fur et à mesure que vous arriverez à obtenir le silence intérieur, vous vous apercevrez que d’autres choses sont possibles.

C’est très difficile à expliquer avec des mots ordinaires, car cela ne fait pas partie des choses banales. Nous croyons diriger notre conscience par notre volonté, ce n’est pas sûr du tout. Notre activité de conscience est automatique, la preuve, c’est que nous rêvons la nuit et que, pendant ce temps, la conscience est active, souvent très active, en tous points comparable à la vie d’éveil.

Ce n’est pas facile d’obtenir le silence intérieur et d’empêcher les pensées de remonter à la surface. Un des moyens est de leur opposer l’indifférence. Si nous laissons les impulsions intérieures déterminer notre conduite, notre attitude, nous sommes pris dans le piège, alors que si nous sommes indifférents… Les Indiens disent que nous sommes des postes émetteurs-récepteurs, les huit-dixièmes de ce que nous pensons a été pensé par quelqu’un d’autre. C’est une pensée qui court dans l’air, mais nous affirmerons : « Je pense… ». Or il faut évincer le « Je ». Nous sommes inconscients d’une grande partie de notre activité psychologique où le « Je » est absent. Pourquoi ne serait-ce pas pareil ailleurs ? Nous attribuons tout à notre petit moi et alors, il n’y a pas de silence possible.

Question : Il doit y avoir une différence entre le calme et le silence. On peut avoir un calme intérieur et quand viennent les pensées, les accueillir calmement.

M. Monod-Herzen : Le calme, c’est autre chose, c’est de ne pas avoir de tension musculaire et nerveuse. Le but à atteindre, c’est d’avoir le moins possible de pensées et de n’accepter que celles que l’on veut. C’est pourquoi la méditation commence par le choix d’un sujet auquel on peut réfléchir, mais en […] ne pas en sortant. C’est moi qui pense, mais j’ai choisi mon sujet. C’est cela la forme de la méditation simple. Elle donne une maîtrise dans la limite d’un certain sujet, c’est-à-dire en éliminant les autres. Cela développe l’attention remarquablement bien.

Il y a en nous une instance supérieure au fait d’être mentalement actif, de supérieur à la simple impulsion qui proviendrait d’une quelconque pensée, de supérieur à ce fameux « Moi ». Vous pouvez devenir maître de votre conscience en limitant son activité en faveur de ce qui lui est supérieur en vous.

On dit toujours que les Hindous sont très religieux. C’est vrai ! Mais ils sont terriblement positivistes quand il s’agit de questions spirituelles ou psychologiques. Ce qu’ils veulent, c’est l’expérience. Alors la méditation n’est pas une histoire de conscience, mais d’expérience. Si vous faites une méditation simple pendant cinq minutes, c’est déjà un bon commencement. C’est accessible à tous. Les Japonais font parfois des méditations intensives de six à huit heures par jour, mais par périodes de trente minutes interrompues par une marche autour de la pièce. Vingt minutes, c’est très bien pour quelqu’un qui n’est pas entièrement voué à ce travail. Il ne faut jamais rien forcer sous peine d’avoir la tête qui se congestionne ou de devenir nerveux, ce qui est tout à fait contraire à ce qu’on veut obtenir. Nous avons chacun nos limites.

Admettez que vous méditez sur une tulipe. Vous pouvez ensuite aller plus loin et avoir choisi une des tulipes. A présent, maintenez-en l’image en vous et ne pensez plus. La conscience reste immobile, votre concentration vous amène à un état de conscience impersonnel. C’est ce qu’on appelle la connaissance par identification. Il y a un moment où la distance entre sujet et objet disparaît. Le vrai silence mental c’est de concentrer votre attention sur le fait d’être conscient, sans rien de plus. Alors vous avez un arrêt complet au point de vue mental et affectif, le grand calme total. Cet état peut durer pendant toute une journée. Mais attention ! Chaque fois que la méditation est considérée comme un processus pour obtenir autre chose, cela devient dangereux.

Le silence est une chose admirable quand on veut faire quelque chose à fond. Vous avez des gens qui méditent sans le savoir. Quand un artiste peint un tableau, sa conscience est absolument limitée à ce qu’il fait. La méditation fait partie de la vie normale. Quand on s’y exerce, on arrive peut-être pendant quelques minutes à ne pas penser.

Au sujet des attitudes à adopter pendant la méditation : Le maître mot c’est « lâcher prise », les membres, les épaules, le visage, la détente complète, alors vous ne sentez plus votre corps, c’est une liberté extraordinaire qui vous donne la possibilité de choisir un sujet et d’y rester. Naturellement il ne faut pas consommer d’excitants. Il n’est pas absolument nécessaire d’être végétarien, quoique ce soit certainement préférable.

Question : Peut-on méditer sur sa propre conscience ?

M. Monod-Herzen : Non, parce que vous allez tout de suite la mettre en marche. La conscience est un état et non une chose, un objet. Il consiste à ne pas être endormi. Vous ne pensez à rien et pourtant vous ne dormez pas. Il y a donc autre chose qui est là.

Une participante : N’y a-t-il pas un certain rythme dans la méditation ?

M. Monod-Herzen : Je crois que c’est le rythme même de la circulation du sang.

Une participante : Ne pourrait-ce être provoqué par des vibrations qui nous entourent et dont nous sommes faits ?

M. Monod-Herzen : Certes ! Elles prennent la forme d’une image, d’une pensée ou d’un sentiment. C’est là que l’intuition entre en jeu. Intuition est un terme très vague. Elle contient tous les procédés de la connaissance qui ne sont ni mentaux, ni affectifs. Vous avez tout à coup la conviction, la certitude absolue que quelque chose est comme cela. C’est un phénomène qui se développe d’autant plus qu’il y a plus de silence. Mais pour qu’elle se produise, il faut que vous désiriez connaître un sujet défini et là intervient la concentration.

Il y a une éducation permanente de soi-même. Quand surgit une pensée vous pouvez l’accepter ou la refuser. Si vous l’acceptez, elle s’intégrera à votre personnalité et elle laissera une trace plus ou moins grande dans votre mémoire. Vous pouvez ainsi vous transformer. Vous n’avez pas besoin d’un silence mental total pour faire un choix, la grande difficulté c’est d’oublier si cela vous plaît ou ne vous plaît pas.

Question : L’enfant n’a pas ce silence mental quand il vient au monde.

M. Monod-Herzen : Lorsque l’enfant naît il est l’image du plus parfait égoïsme, manger, dormir, c’est toute sa vie. Au fur et à mesure que sa conscience se développe en lui il faut le suivre et ne rien lui imposer. C’est le grand problème de l’éducation. Nous sommes des animaux pensants avec des responsabilités que les autres animaux n’ont pas. Vous ne pouvez pas exiger d’un être très jeune qui n’a qu’une partie de son mental, qu’il comprenne certaines choses. Mais il vous appartient à vous qui êtes forcément son modèle, de vous mettre à sa place et de sortir de sa conscience ce qui est véritablement humain et faire en sorte que le côté animal reste à sa place. L’exemple et l’attitude des parents sont extrêmement importants. Si l’expérience de Pondichéry a si bien réussi, c’est que tous les professeurs étaient disciples de l’Ashram et avaient un idéal commun.

Question : Tout ce qui est concentration ne développe-t-il pas la volonté personnelle ?

M. Monod-Herzen : Cela peut développer l’égoïsme et la croyance qu’on est un grand homme ! Le mot « attention » est préférable à « volonté » ; quoique celle-là dépende de celle-ci. La concentration, c’est de ne penser exclusivement qu’à un objet, d’éliminer tout le reste, de fermer les yeux pour ne pas être distrait et d’avoir un silence total. Cela développe certainement l’attention.

Question : Il ne faut pas vouloir un résultat.

M. Monod-Herzen : L’artiste qui peint pour vendre cher son tableau est un artiste fini. S’il peint, c’est parce qu’il ne peut pas faire autrement. Vous avez des paysans, des artisans, parfois incultes, qui ont acquis une capacité de concentration sur les choses grâce à quoi ils les connaissent bien. Dans leurs domaines ils sont imbattables.

Un participant : Un jour ma curiosité m’avait amené chez les Antoinistes. C’était très impressionnant, car le prêtre arrive à la tribune et reste dix minutes sans dire un mot. J’ai vu un homme partir en pleurant, parce que c’était un silence presque intenable.

M. Monod-Herzen : Quand on n’a plus rien devant soi, on se replie sur soi-même et quelquefois ce que l’on trouve vous fait pleurer

Les Orientaux qui diffèrent en cela des Occidentaux, vous diront que l’intelligence n’a jamais été faite pour trouver la vérité, elle est faite pour l’exprimer. La vérité se trouve par intuition. Le véritable Moi c’est ce témoin intérieur qui n’agit plus, mais choisit. Le choix est la manifestation essentielle de notre être véritable. La partie supérieure de notre conscience n’est pas active comme l’est notre conscience affective ou mentale. Ce qu’elle a c’est la possibilité d’accepter ou de refuser. Le vrai choix est fait directement par un acte d’intuition, il se fait d’en-haut par quelque chose qui est supérieur à notre mental. Cela explique dans certains cas des choix héroïques. A ces moments-là, il y a quelque chose de supérieur à la personnalité qui apparaît comme une nécessité.

En Orient on pense constamment à ce qui est au-delà de la personnalité, alors qu’en Europe on ne le reconnaît pas, sauf dans certains domaines religieux. Mais alors c’est limité, ce n’est plus objectif. Au sujet de la pensée hindoue : Elle trouve l’idée absurde qu’il puisse y avoir une création à partir de rien. La création de notre monde c’est la manifestation divine sous une forme extérieure. Le processus de création c’est ce que les gens appellent le passage du chaos au cosmos, l’introduction de l’ordre. Puis vous avez un retour vers le chaos, ce qui est capital pour les Hindous. La partie essentielle c’est la manifestation de cette partie divine. Ce n’est pas un commencement absolu, mais il y a des périodes de sommeil et d’éveil.

Question : J’ai l’impression que si j’arrive au silence mental je vais accueillir les objets qui sont autour de moi, les vibrations, les sons…

M. Monod-Herzen : Si vous avez le malheur d’imposer le silence : « non, je ne penserai pas », vous êtes dans la situation du récipient dans lequel on a fait le vide, qui a de petites fissures par lesquelles entre de l’extérieur d’autant plus que vous avez fait un effort plus grand. Il ne faut rien imposer, mais se détacher des choses.

Compte rendu de la rencontre du 7.3.1979

Le Langage

Le sujet de ce soir est celui du langage. Il est difficile parce qu’on ne s’entend pas très bien sur ce qu’on appelle le langage. Les animaux communiquent entre eux, mais ils n’ont pas de langage, dit Pierre Auger, c’est-à-dire qu’ils transmettent des informations, mais qu’ils ne peuvent pas faire un raisonnement. Ils transmettent l’information d’un sentiment, d’un état, quelquefois avec une précision étonnante, mais il n’y a pas d’intervention mentale dans leurs communications.

Le simple fait de transmettre une information — ce qu’on peut faire par gestes — est très différent du fait d’avoir un langage qui permette de développer une idée. Or notre organisme mental a son autonomie, il fonctionne bien souvent sans que nous le voulions. Il suffit d’une impression, d’un mot, pour que quelque chose se déclenche en nous et que nous croyions que c’est nous qui l’avons voulu. Nous n’avons fait que l’exprimer à la suite d’une réaction automatique. Le langage est intermédiaire entre la pensée et l’action, il est déjà une petite action, mais cette réaction ne vient pas de nous-mêmes.

Les Indiens distinguent le moi ordinaire du moi réel. Le premier est fait d’une quantité de souvenirs, d’aspirations, de désirs variés, etc…, qui sont là et qui surgissent dans notre conscience et déclenchent toute une série de phénomènes. D’où ce résultat très curieux : on entend mal ce qu’on vous dit, le cerveau complète, et on croit en toute bonne foi que la personne a dit quelque chose qu’elle n’a pas dite. Le conseil à donner à tous ceux qui s’intéressent au développement de la conscience, est de tâcher de calmer cet automatisme, parce qu’il est redoutable et que nous en avons pris l’habitude.

L’exercice proposé à Pondichéry, c’est d’essayer de se rendre compte du nombre de paroles inutiles que l’on dit dans la journée ! D’où l’importance non pas du silence mental, mais d’un certain calme pour pouvoir surveiller ce que l’on dit, si cela sert à quelque chose, si c’est le moment de le dire. C’est un exercice très utile. Les enfants de l’Ashram de treize et quatorze ans l’ont fait très sérieusement.

Souvent on vous rétorque : « Si je ne dis rien, qu’est-ce que je vais faire, qu’est-ce que je vais penser… » parce qu’on confond la pensée avec la parole. On peut être parfaitement conscient de quelque chose et n’en pas parler, même pas intérieurement, mais on ne peut pas faire un raisonnement sans parler, parce qu’on a besoin d’en fixer les étapes. Si l’on veut bien exprimer ce que l’on sent, il faut d’abord arrêter le reste, cette petite machine intérieure. Et quand l’enfant demande : « Qu’est-ce que je vais faire si je ne parle pas ? » on lui répond : « Rien ! Seulement regarde, si tu es en train de faire quelque chose, fais-le parfaitement. Regarde ce qui est autour de toi, regarde ce que tu fais au lieu de te laisser distraire en disant des mots inutiles. Rassemble toute ton énergie intérieure et toute ton attention pour te concentrer sur ce que tu fais en ce moment-ci. » Et alors on se rend compte qu’on regarde mal.

M. Monod-Herzen parle alors du Moi illusoire des Bouddhistes et de nos réflexes conditionnés par nos souvenirs et nos désirs, aussi bien dans nos paroles que dans les choix que nous avons à faire : On a bien le droit, dit-il, de parler à quelqu’un et d’attendre sa réponse, cela peut être passionnément intéressant, mais il ne s’agit pas pour chacun de donner son petit réflexe conditionné. Le véritable langage, c’est le langage vrai et non comme une réaction automatique, mais comme quelque chose de voulu, de choisi par vous-même. Si vous lâchez prise d’une part sur le passé, d’autre part sur l’avenir, vous allez enfin pouvoir vivre dans le présent qui est le vrai Moi et le seul moment où vous pouvez choisir.

Une participante se demande si ce conditionnement n’est pas une fuite devant soi-même.

M. Monod-Herzen : Oh non, ce n’est pas ça ! C’est tout simplement beaucoup plus facile de laisser se dérouler une mécanique toute seule, que de faire un effort d’attention. C’est de la paresse.

La participante : Moi, je le ressens comme une fuite constante, une peur…

M. Monod-Herzen : Une peur de quoi ?

La participante : Je ne sais pas !

M. Monod-Herzen : C’est ce qu’il faudrait savoir. Il n’y a pas de fuite. Votre mental et votre affectivité qui marchent automatiquement, remplissent votre conscience, tout est bouché, tout est rempli. Ce n’est pas de la crainte, ce n’est pas de la peur, c’est un mouvement automatique qui vous empêche de faire ce que vous voulez faire, ce que vous choisissez de faire. C’est de l’énergie gaspillée.

François : Alors, ce fait d’être paresseux proviendrait uniquement de cette charge inutile et affective qui parle à notre place ?

M. Monod-Herzen : Exactement, c’est un phénomène purement mécanique. On lit par exemple un texte un peu difficile et puis tout à coup on s’aperçoit qu’une autre idée est passée dessus. C’est pour cela que la méditation a été créée. Elle consiste précisément à choisir un sujet, à le parcourir dans tous ses détails, mais de ne pas en sortir, de n’avoir aucune distraction. Le faire pendant cinq minutes n’est déjà pas si mal !

La participante : J’ai l’impression que si on se sentait bien en soi, on aurait davantage de facilité pour vivre le moment présent.

M. Monod-Herzen : On est très bien en soi lorsqu’on se laisse distraire. Le fait de ne pas être d’accord avec soi-même n’est pas normal. Cela touche à l’unité de l’être. Ce n’est pas une question de perfection, vous pouvez très bien penser à un crime à commettre, tout en restant parfaitement uni avec vous-même. Il n’y a pas forcément de contradiction.

La participante : Je me suis rendu compte que j’ai vécu trop longtemps en ayant peur de la vie, parce qu’on m’a fait vivre constamment dans des projections. Je n’étais pas moi-même et je ne pouvais pas vivre le présent, j’étais toujours avant ou après parce que j’avais peur du présent. Je pense Que je ne sentais pas cette peur, mais elle était là.

M. Monod-Herzen : Comment pouvez-vous parler de peur si elle est inconsciente. C’est un raisonnement que vous faites maintenant pour expliquer votre attitude.

François : Vous pouvez avoir de la peur qui va se manifester par de la colère.

M. Monod-Herzen : Non, parce que à ce moment-là vous n’avez pas peur mais vous êtes en colère.

Francois parle de dérivations de sentiments, de complexes.

M. Monod-Herzen : Il n’est pas question d’avoir des complexes, ce que je vous ai dit tout à l’heure est vrai. Il faut se rendre compte que les impulsions automatiques qui peuvent ou vous donner des réactions de crainte ou, au contraire, des attractions, viennent d’un stock ou du passé ou de tendances vers l’avenir. La formule pour y remédier est de « lâcher prise ». Les souvenirs dont je me sers, c’est du matériel, ce n’est pas moi. Le vrai Moi est dans le présent, immobile et pourtant en mouvement, le présent n’étant que de l’avenir qui devient du passé. Nous avons tout le temps des possibilités différentes, parce que nous ne pouvons pas rester ce que nous étions l’instant d’avant. Alors si vous avez conscience d’être quelque chose qui évolue constamment, vous verrez combien tout devient différent. Pourquoi avoir peur du présent puisque c’est la seule chose que vous possédiez vraiment. Vous donnez à l’avenir et au passé une valeur qu’ils n’ont pas.

Ce sont de nouvelles habitudes à prendre, c’est cela l’entraînement spirituel, c’est une simple attention tournée vers vous-mêmes.

On reparle alors de ce fameux magasin intérieur d’accessoires dont les rayons sont chargés de souvenirs et de désirs futurs.

Une participante : On ne sait pas très bien comment utiliser ce magasin. Il y a deux ou trois ans j’ai eu envie de faire des études de médecine naturelle et de soigner des gens. Aujourd’hui, je ne sais plus très bien, cela m’intéresse sans plus. Alors je vais dans le magasin et qu’est-ce que j’en fais ? (Rires.)

M. Monod-Herzen : Je ne vois pas en quoi il y a une question à poser parce que votre intérêt a changé.

La participante : Je me demande si je fais bien de laisser tomber la médecine.

M. Monod-Herzen : C’est en effet une question importante. Il faut que vous sachiez exactement si les études projetées peuvent correspondre ou non à votre propre développement, à celui de votre conscience, de votre personne. Avez-vous été attirée vers cela pour des raisons extérieures, par exemple par la pitié pour les gens, ce qui est un beau sentiment, mais qui ne suffit pas pour faire une vocation comme celle d’un médecin. Car la médecine n’est pas un métier, mais une vocation. Il s’agit de trouver une activité extérieure, matérielle, qui sera l’expression du meilleur de vous-même, que ce soit facile ou difficile. Faites-le si vous avez la passion de le faire. La réussite matérielle est secondaire. Mais vous, vous aurez le bonheur de faire quelque chose qui vous permettra de vous développer indéfiniment dans une certaine direction.

Une participante : Il est très difficile de dialoguer avec soi-même, on ne trouve pas toujours la raison du changement qui s’est opéré en vous. Comment ne pas faire d’erreur pendant ce dialogue ?

M. Monod-Herzen : Mais des erreurs, vous en ferez ! Nous faisons tous des erreurs, ce seront les conséquences qui vous apporteront une réponse.

Une participante : Cela peut prendre des années pour faire un bon choix.

M. Monod-Herzen : Cela peut prendre des années surtout si on ne fait pas d’efforts pour trouver la solution. Si on regarde bien on trouve.

La participante : Donc, pour arriver au langage il faut savoir faire le silence ?

M. Monod-Herzen : Exactement ! C’est le silence qui permettra un langage qui sera vrai, c’est-à-dire qui correspondra à ce que vous êtes et non pas à ce que sont vos souvenirs ou vos désirs.

L’orientation fondamentale peut se faire en une année si on est sincère. Seulement, il faut oublier, il faut faire taire le magasin, toutes les questions d’intérêt, de plaisir, tous les souhaits de la famille et tout ce qui est autour. Pour une fois il faut être parfaitement égoïste : qu’est-ce qui me rendra capable de réaliser tous les progrès intérieurement, à quelle activité extérieure dois-je me consacrer ? Le mot « consacrer » n’est pas trop fort, ce que vous ferez vous devez le faire totalement, vous mettre entièrement dans ce que vous faites. Vous en aurez à la fois une impression extraordinaire de libération et puis cette joie merveilleuse de sentir que c’est vraiment pour cela que vous êtes fait. Alors la vie prend un sens.

François parle de certains conditionnements qui font que l’enfant a, à un moment donné, un passage douloureux qui le coupe de tout et qui fait qu’il n’est plus capable de « sentir ». « Nous tommes dans une phase de l’humanité où l’enfance est très douloureuse. Quand vous recevez une personne qui n’a pas mangé depuis huit jours, les belles paroles ne suffisent pas, la première des choses à faire est de lui donner de quoi manger.

M. Monod-Herzen : Saint François de Sales a créé son Ordre exactement pour ça. Mais il ne s’agit pas de cela du tout !

François : Je pense que c’est notre problème, nous avons effectivement des états douloureux et nous venons ici pour mieux comprendre et essayer de nous en sortir.

M. Monod-Herzen : Pas seulement, j’espère ! On ne vient pas ici seulement parce qu’on souffre, mais peut-être pour améliorer ce qu’on a de bon.

Vous donnez l’exemple d’une personne qui a faim. C’est exactement ce que je disais tout à l’heure, il faut aménager les contraintes. Vous vous mettez continuellement dans la situation d’une personne vis-à-vis d’une autre personne, moi je répondais à la question qu’elle pouvait se poser elle-même. Bien sûr, il y a des contraintes extérieures, mais nous ne pouvons pas tout faire, nous avons une intelligence et des forces limitées, une santé limitée, une fortune limitée, etc… Mais c’est justement dans ce cadre qu’il faut organiser ce qui permet d’être vous-même aussi profondément et aussi complètement que possible. Et en cela, vous êtes le seul à pouvoir le déterminer, personne n’a le droit de s’en occuper pour vous.

S’il s’agit de choisir un métier pour la vie, il importe de sentir parmi un tas d’autres, celui que vous devez faire. « Je sens que c’est cela qui fera non mon plaisir, mais mon vrai bonheur, celui qui correspondra à ma vraie nature. »

Pourquoi sent-on mal ? Parce qu’on ne sait pas regarder en soi-même. Cela s’apprend et c’est très important. Si vous êtes toujours projeté vers l’extérieur, vous ne sentirez plus ce qui se passe en vous et vous serez le jouet de vos impulsions. Tandis que si vous voulez bien calmer ce qui est extérieur et retourner en vous-même, vous sentirez très bien ce qui vous convient ou ce qui ne vous convient pas. C’est une question d’attention, d’attention désintéressée vis-à-vis de soi. Les choses seront ce qu’elles seront, elles ne correspondront peut-être pas à vos désirs, mais il faut que cela soit vrai. Vous sentez que c’est cela que vous devez faire, parce que cela vous donnera ce que vous cherchez réellement. Alors, allez-y ! Si vous vous trompez, vous vous en apercevrez…

Une participante : Ce ne sera pas forcément une erreur, cela a été ce qui convenait à un moment donné et qui a amené à autre chose.

M. Monod-Herzen : Exactement ! Comme ceux qui vont auprès d’un maître et qui, au bout d’un certain temps, ayant trouvé chez lui tout ce qu’ils pouvaient, passent à un autre. Remarquez que rien n’empêche que, pour des raisons matérielles, quelqu’un commence à faire un métier qui se présente, quitte à en changer plus tard.

On reparle du langage vrai par rapport au verbiage : Le verbiage est aussi un langage, mais il ne correspond pas à la vraie personne. Quand on est en face de quelqu’un qui a un langage vrai et que vous lui posez une question, il mettra un certain temps pour vous répondre. Mais ensuite, vous serez tout étonné d’avoir une réponse qui tombe juste. C’est impressionnant !

Je suis d’accord pour dire que la sincérité envers soi-même demande beaucoup de courage, parce qu’on découvre en soi des choses qui ne sont pas très belles.

Une participante : Je pense que c’est important d’avoir autour de soi une personne qui vous aide à réfléchir et qui sait vous poser des questions.

M. Monod-Herzen : Quand on a la chance d’en rencontrer, c’est merveilleux ! A défaut de cela il faut évidemment essayer de le faire soi-même. C’est déjà bien de savoir que l’on peut le faire.

On soulève la question de la possibilité d’un échange réel entre deux êtres. Quelles en sont les conditions soit du point de vue sentiments, soit du point de vue de la pensée ? Comment le langage peut-il être reçu par la personne qui se trouve en face ? Ce sera notre sujet pour la prochaine fois.