R.P. Kaushik
Sommeil, rêves et conscience

Traduction libre Au cours des entretiens précédents, nous avons discuté des facteurs qui détruisent la conscience. Les personnes qui parviennent à cette clarté de perception se demandent sans cesse quelle est la voie, quelle est la méthode pour rester dans cet état de conscience. Chaque fois que vous voyez la beauté, Dieu, la vérité, la […]

Traduction libre

Au cours des entretiens précédents, nous avons discuté des facteurs qui détruisent la conscience. Les personnes qui parviennent à cette clarté de perception se demandent sans cesse quelle est la voie, quelle est la méthode pour rester dans cet état de conscience. Chaque fois que vous voyez la beauté, Dieu, la vérité, la réalité, quelle qu’elle soit, vous vous demandez comment l’attraper. C’est une façon très arrogante de voir les choses. Comment pouvez-vous attraper cette immensité ? Comment l’ego, l’intellect, peut-il confiner cette immensité dans un système ou une méthode ? Il n’y a pas de système ou de méthode. Tout ce que l’ego peut faire, c’est découvrir pourquoi il revient sans cesse, et se projette entre la réalité et la perception de la réalité. L’ego vient encore et encore et se projette, et dans cette projection il perd de vue la clarté mais la clarté n’est jamais perdue. L’amour ou la beauté ne sont jamais perdus. C’est le désir, c’est la pensée, c’est le processus de pensée qui le détruit. Cette clarté peut être perdue par des processus de pensée inutiles, dont vous pouvez vous occuper par la méditation. Ou bien, elle peut être détruite par une nourriture inappropriée – mal choisie, en quantité inappropriée, au mauvais moment. Elle peut être perdue par paresse, par manque d’exercice. Elle peut être perdue par manque de sommeil, par un sommeil excessif ou par un état de léthargie. Puisque nous avons discuté de la nourriture et de l’exercice, je pense que nous devrions nous pencher un peu sur le phénomène du sommeil et des rêves, et sur la façon dont le sommeil et les rêves sont liés à la vie et à l’état de conscience.

Les scientifiques ne savent pas exactement ce qu’est le sommeil ni pourquoi les êtres humains ont besoin de sommeil, ni quelle quantité de sommeil est nécessaire, bien qu’ils aient établi certaines moyennes. Il n’y a pas de preuve directe sur la nature du sommeil. Certains processus involontaires se déroulent sans interruption pendant le sommeil, à un rythme plus lent : battements du cœur, respiration, fonctionnement des reins, mouvement des intestins – de nombreuses parties du corps ne se reposent pas. Certaines zones du cerveau sont également actives. Par exemple, les rêves ont lieu, et les réflexes vertébraux ne s’arrêtent pas complètement. Donc, si l’ensemble du cerveau et du corps ne se reposent pas, qu’est-ce qui a besoin de repos pour récupérer, pour se rafraîchir ; et qu’est-ce que le sommeil ?

S’il vous plaît, n’attendez pas que je réponde à cette question ; laissons chacun d’entre nous questionner, trouver et découvrir. L’interrogation et la recherche sont importantes pour comprendre l’ensemble de cette vie. Ce que je vous ai dit n’est pas tiré d’un livre de théologie ou de psychologie, c’est juste un questionnement. Et je m’interroge encore une fois avec vous maintenant. Je ne suis pas sûr de la conclusion à laquelle nous allons arriver, et où nous allons atterrir – je ne parle pas avec une idée préconçue de ce que je vais dire ici. Parce que dans mon esprit, nous n’avons pas ces discussions ou ces entretiens avec l’idée que je vais donner quelque chose aux gens qu’ils vont simplement répéter ou suivre. Il n’y a pas d’adeptes ; nous voulons simplement regarder ensemble, découvrir ensemble et explorer ensemble. Il est important que chacun d’entre vous exerce son esprit complètement et totalement, et ne se contente pas d’attendre que je vous donne une réponse. Posez-vous cette question et découvrez où l’esprit vous mène. C’est la façon d’aiguiser l’intelligence, la façon d’éveiller l’intelligence.

Lorsque cette enquête devient intense et qu’un véritable questionnement commence dans chaque esprit, pouvez-vous voir ce qui se passe ? Le questionnement même, cette enquête sur soi-même libère une énergie, libère une énorme quantité d’énergie. Peu importe la réponse que vous obtenez ; la réponse, la conclusion n’est pas importante. La question est de savoir si chacun d’entre nous peut soulever une question et activer l’intelligence, activer l’esprit. J’ai souvent parlé de la relation gourou-disciple en termes de dépendance. La voie de la dépendance mène à l’affaiblissement ou à la destruction de l’intelligence. Les personnes qui se disent plus savantes que vous, et que vous devez donc suivre, détruisent votre intelligence. On peut savoir plus ou savoir moins, mais la question est de savoir si l’on peut être réveillé pour savoir plus, au lieu d’être nourri par un autre pour le reste de sa vie.

Ainsi, lorsque nous observons le repos ou la récupération, et que nous constatons que certaines parties du corps ne cessent pas de fonctionner, que certaines parties du cerveau ne s’endorment pas vraiment, nous nous demandons alors qu’est ce qui nous fait dormir, et pourquoi le sommeil est nécessaire ? Nous savons tous qu’un peu de sommeil est nécessaire, qu’il s’agisse d’une, deux ou trois heures. Il peut être plus ou moins long selon les circonstances, mais le sommeil est nécessaire pour la plupart des êtres humains. Pouvons-nous regarder plus loin ?

Q : Je propose une réponse à votre question. Il me semble que pour que le corps se repose, il faut que l’ego soit endormi pendant un certain temps.

Dr : Très bien, quel est donc cet ego ?

Q : L’esprit conscient.

Dr : Très bien, alors l’ego inconscient peut continuer à fonctionner ?

Q : Apparemment, oui. Mais peut-être qu’en passant par des étapes de plus en plus profondes de repos et de méditation, on peut mettre tout cela au repos.

Dr : Laissez-moi reformuler votre réponse. Peut-être avons-nous besoin de sommeil pour résoudre le conflit entre le conscient et l’inconscient. L’ego conscient doit s’endormir pour que l’inconscient puisse fonctionner librement. L’inconscient ne créera pas de problème à moins qu’il y ait un conflit avec l’ego conscient. Le conscient ne créerait pas non plus de problème s’il n’y avait pas d’ego inconscient. C’est le conflit entre le conscient et l’inconscient qui détruit l’énergie ; lorsque le conscient et l’inconscient sont en harmonie, il n’y a pas de conflit. Il se peut qu’il réapparaisse, mais pour l’instant, le conflit prend fin.

Le sommeil est une tentative de rétablir la perte d’énergie qui résulte du conflit. Lorsque votre esprit devient paisible et calme et qu’il n’y a pas tant de conflits, le besoin de sommeil diminue proportionnellement, et toute petite quantité de sommeil que vous prenez rafraîchit et rajeunit les cellules du cerveau, rajeunit l’esprit. Lorsque le conscient devient calme, l’inconscient commence à se déployer à travers les rêves, et tend à résoudre les conflits inconscients. Parfois, nous nous souvenons de ces rêves et parfois non. Les scientifiques disent que nous rêvons la plupart du temps, que nous nous en souvenions ou non. Certaines personnes essaient de se souvenir des rêves afin de les interpréter et de résoudre les conflits non résolus de cette manière. Mais si nous ne rêvions pas du tout, il n’y aurait pas besoin d’interprétation. Le simple fait de se souvenir ou d’interpréter ces rêves ne va pas résoudre le problème des rêves ; les rêves continueront à se produire tant qu’il y aura ce conflit fondamental.

Q : Pensez-vous que les interprétations peuvent aider à voir le conflit ?

Dr : L’interprétation en soi ne vous aidera pas, mais ces rêves peuvent être utilisés pour voir la nature du conflit. La plupart des gens commencent à apprécier le plaisir de rêver et d’interpréter. Cela devient un autre passe-temps. Mais l’important, c’est de mettre fin au conflit et d’avoir un sommeil paisible et sans rêves. Ce serait donc une bonne chose si, avant d’aller au lit, nous pouvions prendre dix ou quinze minutes pour faire un bilan – et non pas une analyse – des différentes activités de la journée. Voir ce que vous avez fait, dans quels domaines des conflits sont apparus et la nature de ces conflits sans juger ou nommer, ni dire gentil ou bien, ou bon ou mauvais. Voyez simplement la nature du conflit et la nature de votre activité tout au long de la journée. Si vous pouvez l’examiner et le voir, alors dans la perception même de celui-ci, il est résolu. Vous n’aurez alors pas besoin de rêves.

Outre le type de rêves qui proviennent de l’inconscient pour résoudre des conflits, il existe aussi des rêves physiques qui sont dus à un estomac ou une vessie très chargés, à la fatigue ou à un autre phénomène physique extérieur. Il peut y avoir une troisième variété de rêves qui sont des indications de l’inconscient ou du superconscient. Il s’agit de rêves télépathiques, prophétiques ou intuitifs. De tels rêves peuvent se produire même après la fin d’un conflit, si et quand vous en avez besoin. L’inconscient peut vous envoyer certaines indications sur les événements à venir. Mais ce n’est que lorsque les deux premiers types de rêves ont pris fin que vous pouvez percevoir la nature des rêves intuitifs ou prophétiques. Vous comprenez ce que ces rêves signifient réellement grâce à la clarté ou à la lumière dans laquelle ils sont vus, qu’ils soient vifs ou moins vifs. Certains rêves sont donc des indications psychiques d’événements à venir, mais la plupart des autres rêves sont redondants et superflus.

Si vous ne vivez pas dans un conflit et que vous ne passez pas votre journée à des activités de pensée inutiles, non seulement vous avez besoin de moins de sommeil que d’habitude, mais votre sommeil acquiert également une qualité de conscience. Dormir et se réveiller ne sont pas vraiment si différents. Lorsque vous arrivez à ce stade, à mesure que vos conflits se résolvent et que vous atteignez une certaine clarté, la nature de vos rêves devient plus harmonieuse, moins conflictuelle avec votre processus de pensée quotidien. Sinon, les rêves sont parfois si bizarres et si étranges qu’ils vous choquent complètement ; des choses se passent dans des rêves auxquels vous ne penseriez jamais. Ce genre de rêves disparaît. Vous voyez la pensée inconsciente s’harmoniser avec une prise de conscience croissante. Vous devrez déterminer la quantité de sommeil dont vous avez besoin. Il devient moins important, mais par conditionnement, vous pouvez toujours l’utiliser et en avoir besoin. Mon sentiment est que votre sommeil se réduit progressivement mais qu’il vous faut encore un certain temps pour dormir. Vous dormez, non pas à cause du conflit, mais en raison des besoins physiques pour que le corps puisse se rafraîchir.

Q : Le sommeil devient-il alors davantage une méditation lorsque vous en êtes conscient ?

Dr : Toute la vie devient une méditation. Même votre sommeil devient une méditation, parce qu’il y a une qualité de conscience à cela. Actuellement, vous pouvez avoir besoin du sommeil et des rêves pour résoudre des conflits, et ils sont donc nécessaires à la survie si vous ne dormez ou rêvez pas vous devenez fou ; votre organisme se décomposera. Mais au fur et à mesure que vous allez plus profondément dans la conscience, les conflits disparaîtront et la plupart des rêves prendront fin.

Je voudrais maintenant dire quelques mots sur la prise de conscience (awareness), parce qu’il y a un point qui mérite d’être souligné ici. Vous avez entendu parler de certains systèmes qui préconisent la culture de la conscience. Pratiquer ou cultiver la prise de conscience est une chose très dangereuse. Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’est la conscience ? Nous semblons penser que la conscience est quelque chose de très spirituel, de très beau, et que nous devons avoir la conscience. En pensant cela, l’esprit humain peut essayer de cultiver la conscience ; il veut cultiver tout ce qui est beau. Mais il ne sait pas que le beau ne peut pas être cultivé. L’esprit humain n’est pas capable de créer une seule activité dans la vie qui soit belle. Il est mécanique, il est répétitif, et tout ce qu’il peut créer est mécanique et répétitif ; il ne peut pas créer quelque chose de beau. Si vous voyez cela, alors vous pouvez voir que la beauté ne fait que fleurir, la beauté ne s’épanouit que dans un esprit silencieux. Elle n’est pas créée par l’esprit, mais seulement reflétée dans un esprit qui est silencieux, qui est paisible et tranquille.

Alors qu’est-ce que la conscience ? Si ce n’est pas quelque chose de spirituel, si ce n’est pas quelque chose de beau, alors qu’est-ce que c’est ? Pourquoi les gens courent-ils après la conscience, pourquoi veulent-ils cultiver la conscience ? Il existe des systèmes de respiration profonde, d’observation de la respiration dans chaque narine pour cultiver la conscience. Certaines écoles pratiquent la conscience quand vous êtes assis, vous voyez que vous êtes assis ; quand vous êtes debout, vous dites « je suis debout  » ; quand vous marchez, vous dites « je marche  » ; quand vous mangez, vous dites « je mange  », et ainsi de suite. Dans certains livres, Bouddha aurait dit que si quelqu’un pratique cette prise de conscience pendant sept jours, il deviendra illuminé. Mon sentiment est qu’il sera absolument drogué. Bien sûr, après sept jours, aucune pensée n’interviendra peut-être dans votre esprit, mais vous créerez une terrible résistance en devenant aussi mécanique. Nous devons donc remettre en question cette prise de conscience.

Lorsque vous marchez, êtes-vous conscient de vos chaussures ? À moins que la chaussure ne vous pince l’orteil, êtes-vous conscient de la chaussure ? Et si votre chaussure vous pince les orteils, pouvez-vous vous empêcher d’en prendre conscience ? Si vous conduisez sur une autoroute où il y a beaucoup de circulation à grande vitesse, quelqu’un doit-il vous dire comment cultiver la conscience ? Avez-vous besoin qu’on vous dise que vous devez être conscient dans une rue très fréquentée ? Qu’est-ce que la conscience ? Si vous n’avez pas besoin d’un enseignant pour vous dire ce qu’est la conscience dans une rue ou sur une autoroute très fréquentée, ou si vous n’avez pas besoin d’un enseignant ou d’une super-âme pour vous dire d’être conscient lorsque votre chaussure vous pince les orteils, alors qu’est-ce que la conscience ?

Q : Pourquoi avons-nous besoin d’un enseignant pour nous dire que l’humanité entière souffre et est pleine de conflits, et que nous devons regarder en nous-même ?

Dr : Parce que vous êtes devenus si insensibles. Vous vous êtes tellement drogués avec vos idées et vos croyances, que vous avez besoin d’enseignants pour vous le dire.

Q : Mais pourquoi ces choses ne vous affectent-elles pas normalement comme vos chaussures vous affectent lorsqu’elles vous font mal ? Cette souffrance devrait vous affecter de la même manière.

Dr : Oui, mais voyez-vous la souffrance des réfugiés tibétains lorsque vous êtes assis à New York ? Voyez-vous ce qui pourrait se passer pendant la guerre civile en Irlande ? Lorsqu’un soldat américain se bat au Vietnam, il ne fait que se sauver lui-même. Il se bat pour survivre, il ne voit pas la misère et la douleur des Vietnamiens. Alors qu’est-ce qui détruit la conscience ? Les drogues. Et par drogue, je n’entends pas seulement le haschisch, la mescaline ou le LSD, mais des drogues comme le nationalisme : votre identification à une certaine race, à une certaine nation. Ces notions et ces idées détruisent la conscience.

Q : Mais si votre idéal est de prendre conscience de votre environnement, de votre pays, des partis politiques de votre pays, c’est le début de la prise de conscience des autres. C’est une étape de prise de conscience, pas nécessairement négative.

Dr : Devenir nationaliste ne garantit pas que vous deviendrez internationaliste. Si vous êtes stupide, vous le resterez à chaque étape. Si vous êtes aveugle, vous passerez aveuglément par toutes ces étapes. L’esprit humain invente ces étapes pour pouvoir penser que chaque esprit passe par un certain processus d’évolution. Il se peut que ce soit une illusion, qu’il n’y ait pas d’évolution du tout. Lorsque vous utilisez des étiquettes pour les autres êtres humains, vous détruisez la conscience ; vous vous enfermez dans ces étiquettes. C’est une pratique qui se fait au niveau international. Toutes ces guerres seraient impossibles à mener si l’autre groupe d’êtres humains n’était pas étiqueté « ennemis ». Une fois que vous les appelez « ennemis », il est si facile de les tuer. Avant qu’une guerre ne commence, il faut faire de la propagande de masse pour faire comprendre aux gens que l’autre partie est « l’ennemi  ». Ce ne sont plus des êtres humains, mais des barbares et des ennemis. Une fois qu’un chrétien étiquette quelqu’un de non-chrétien, une fois qu’un musulman étiquette quelqu’un de chrétien ou d’hérétique, une croisade devient possible. Ainsi, ce qui détruit la conscience, c’est l’étiquette que l’intellect fabrique pour poursuivre son comportement instinctif. Il ne peut y avoir de liberté, car l’intellect vous fournit toujours des raisons, une logique et des arguments pour justifier ce comportement. Vous pouvez justifier tout ce que vous voulez si vous avez un intellect aiguisé. Et c’est la plus grande tragédie de tous les temps : nous avons développé un intellect si puissant que nous pouvons justifier tout ce que nous faisons ; mais sous la surface, il ne s’agit que d’un comportement animal instinctif. Nous devenons pires que les animaux, parce que les animaux n’ont pas la capacité d’étiqueter d’autres animaux comme ennemis. Ils peuvent avoir à se défendre, mais leur combat avec d’autres groupes d’animaux se limite seulement à ce moment. Les êtres humains organisent des guerres avec leurs étiquettes et parlent entre-temps de paix. L’humanité parle de paix depuis dix mille ans et la paix n’est pas venue, parce que chaque paix est utilisée par l’esprit pour préparer une autre guerre. Chaque jour, vous dormez, mais vous créez plus de conflits le lendemain, de sorte que vous avez besoin de plus de sommeil, de plus de rêves. Ce n’est pas un soulagement. Les gens parlent de libérer ces tensions par le biais des rêves, de l’auto-hypnose, ou d’une méthode violente de méditation ou d’une technique quelconque, mais ils n’en voient pas la racine. C’est cette entité qui crée le conflit et la tension, c’est cet ego, qu’il faut aborder. La libération par les rêves, par l’auto-hypnose, la respiration profonde ou les techniques de méditation est un jeu superficiel, une évasion du problème fondamental du conflit humain.

Vous n’avez pas à cultiver la conscience ; elle vient à vous si vous êtes sensible. À moins que vos pieds ne soient devenus engourdis par un trouble nerveux quelconque, vous prendrez conscience d’un clou dans votre chaussure ; les êtres humains normaux sont toujours conscients. Si vous ne vous droguez pas avec ces étiquettes et ces concepts intellectuels, vous sentirez, vous pouvez toujours sentir ; vous n’avez pas besoin de technique.

Q : Comment la prise de conscience enlève-t-elle la souffrance ?

Dr : La prise de conscience vous rend conscient de la souffrance. Si vous êtes vraiment conscient sans résistance, sans justification, et que vous laissez juste cette conscience opérer, alors elle dissout la souffrance. Mais si vous ne savez pas comment être vraiment conscient, vous commencez à résister à la conscience, parce que vous n’aimez pas la conscience. Pourquoi les gens ont-ils besoin de médicaments ? Parce qu’ils n’aiment pas la conscience, ils n’aiment pas le chagrin et la souffrance, ils ne veulent pas la voir. Pourquoi y a-t-il tant d’alcooliques, pourquoi y a-t-il de l’héroïne et de l’opium et toutes ces drogues pour vous éteindre ? Il y a des tranquillisants et des somnifères parce que vous ne voulez pas voir la nature du conflit, vous ne voulez pas voir votre peine. Si par hasard vous la voyez, vous croyez que vous n’en avez plus, en pensant « je l’ai trouvée, je l’ai, j’ai la lumière  », et en disant cela, vous détruisez à nouveau cette conscience. Mais si vous pouvez simplement être conscient, laisser cette conscience opérer par elle-même et rester dans la lumière de cette conscience, alors cette conscience détruira à la fois le bien et le mal. Si vous êtes conscient de vos négativités, si vous êtes conscient de votre méchanceté, de votre étroitesse, de votre jalousie et de votre haine, alors la conscience détruit cette jalousie et cette haine. Si vous êtes conscient d’être une personne très noble, elle détruira votre noblesse. Faites donc attention à la conscience ; c’est une épée à deux tranchants. Elle détruira tout.

Q : L’homme peut-il contrôler cette conscience ?

Dr : Vous n’avez pas besoin de contrôler la conscience. Quand vous voyez que la perte de conscience va perpétuer votre misère, alors la conscience opère. Elle opère aussi longtemps qu’il est nécessaire pour elle d’opérer. Lorsqu’elle n’est plus nécessaire, elle disparaît d’elle-même. Tant que vous avez besoin de la conscience (awareness) pour survivre, elle est là. Et lorsque votre survie est assurée et que vous n’avez plus besoin d’être aussi vigilant, vous n’avez pas besoin de conscience ; la conscience s’en va aussi. Vous n’avez pas besoin de la cultiver, vous n’avez pas besoin de l’arranger, vous n’avez pas besoin de pratiquer la prise de conscience. Mais ne détruisez pas prématurément la conscience (awareness). Lorsque la conscience vous vient spontanément, il n’y a pas de limite où l’esprit humain peut aller, pas de limite à l’esprit humain dans sa découverte de lui-même. Vous ne connaissez pas ces dimensions. Par conséquent, ne mettez aucune limite, ne poursuivez pas de but dans cette prise de conscience, ne poursuivez pas de but dans la vie spirituelle. Il suffit de marcher sur la route et de voir la voie sans dimension, la voie sans fin. Alors vous ne demanderez jamais de techniques, de méthodes et de systèmes pour rechercher l’auto-satisfaction.

Je disais que lorsque la prise de conscience n’est plus nécessaire, la prise de conscience disparaît. Je pourrais ici faire référence à une façon traditionnelle de considérer cette prise de conscience, tirée du Yoga Darshan de Patanjali. Il écrit que lorsque vous n’êtes plus intéressé par la compréhension et la conscience, alors vous atteignez l’état le plus élevé du samadhi, qui est appelé dharma mega samadhi. Vous ne pouvez pas pourchasser ce samadhi ; il n’y a aucun moyen de le faire. Mais au fur et à mesure que vous le voyez, la conscience et la compréhension deviennent superflues, dénuées de sens. Vous avez alors le choix entre vous réveiller ou dormir. Vous pouvez dormir en étant assis et en parlant aux gens, ou en écoutant les gens. Vos yeux sont ouverts, vos oreilles sont ouvertes, mais vous n’entendez rien, vous ne voyez rien. L’esprit est absolument immobile, aucun enregistrement n’a lieu, aucune interprétation n’est faite. Tout est silencieux. Vous pouvez dormir en étant éveillé, et être éveillé en dormant. Il y a un verset dans la Gita qui dit que ce qui est la nuit pour l’homme éveillé est le jour pour l’homme endormi, l’homme du monde, et ce qui est le jour pour l’homme éveillé, le sage, est la nuit pour l’homme du monde. L’interprétation traditionnelle est que parce qu’un yogi se lève tôt, à quatre heures, et que les bhogis, ou les personnes qui se livrent au plaisir, dorment tard et se lèvent à neuf heures, le yogi et le bhogi ont des horaires différents. Je n’ai jamais accepté cette interprétation. Il fut un temps où je voyais cette signification : le yogi est conscient des domaines dans lesquels un homme du monde dort, et l’homme du monde est très actif et éveillé dans les domaines où un yogi dort – recherche du pouvoir, recherche du plaisir, ambition, avidité. Maintenant, j’y vois une signification différente, car qu’est-ce que le sommeil ? Nous en arrivons au sens littéral ; ce n’est pas une question d’interprétation. Pour l’homme éveillé, le sommeil est l’état d’éveil de l’homme du monde. Comme beaucoup de gens qui rêvassent ou qui sont distraits, le yogi ou l’homme éveillé peut se mettre dans un état assit, sans rien écouter, sans rien capter. La différence est que le rêveur est lié par son ignorance ou son sommeil ; il est limité. L’autre peut se réveiller s’il le veut, il a le choix, il est libre. Mais en ce qui concerne la manifestation extérieure, il n’y a guère de différence. C’est l’état intérieur que personne ne peut déterminer. La personne éveillée ne réagit pas, elle n’a pas de violence en elle. Si elle n’a pas de réaction et de violence, alors elle est éveillée ou illuminée. Elle-même ne se souciera même pas de savoir si elle est illuminée, car même cette prise de conscience n’est pas nécessaire. La conscience que vous êtes illuminé détruit la conscience, détruit l’illumination.

Q : Quelle est la nature de cette force qui fait monter et descendre la conscience ?

Dr : Ce sont ces forces inconscientes qui maintiennent la conscience en mouvement en haut-en bas. Profondément, quelque part, il y a une peur qui veut être rassurée, qui cherche la sécurité. Cette recherche de sécurité qui naît de l’insécurité est tout le jeu de l’inconscient.

Lorsque vous commencez à regarder les choses, à prendre conscience de l’inconscient, vous pouvez voir ces forces qui se présentent, d’où elles viennent, comment elles vous mettent sous pression et comment l’élan vous emmène dans une direction particulière dans laquelle vous ne voulez pas aller. C’est le moment d’être conscient de ces forces inconscientes.

Une fois que vous commencez à observer l’inconscient, sans le justifier ni l’interpréter, il commence à épuiser son élan. Vous commencez à voir la dysharmonie, votre conflit – la nature du conflit entre ce que vous êtes et ce que vous voulez être. Vous voyez comment, pour devenir autre chose que ce que vous êtes, vous ne faites que de la violence à vous-même et aux autres. Vous arrivez à un point où vous êtes en paix avec vous-même et il n’y a plus rien de stocké à l’intérieur, plus d’inhibitions ou de répressions. Alors votre conscient et votre inconscient ne forment plus qu’une seule feuille ; il n’y a plus de divisions, plus de compartiments étanches. Il n’y a qu’une simple conscience, une simple prise de conscience, une vie simple.

7 janvier 1974