Robert Linssen
Sommets des méditations spirituelles

Le silence intérieur constitue la condition essentielle de l’Eveil spirituel. Lui seul est capable de nous révéler la Lumière suprême de la « Non-pensée ». La réalisation effective est l’une des difficultés majeures de la plupart des méditants. Ils peuvent, à titre provisoire, étudier les enseignements du Zen, du Ch’an de l’Advaita Védanta, du Sentier Sublime tibétain et de Krishnamurti. Ceux-ci contiennent de véritables trésors présentant des sources d’inspirations spirituelles innombrables.

(Revue Être Libre, Numéro 320, Décembre 1990)

Le silence intérieur constitue la condition essentielle de l’Eveil spirituel. Lui seul est capable de nous révéler la Lumière suprême de la « Non-pensée ».

La réalisation effective est l’une des difficultés majeures de la plupart des méditants.

Ils peuvent, à titre provisoire, étudier les enseignements du Zen, du Ch’an de l’Advaita Védanta, du Sentier Sublime tibétain et de Krishnamurti. Ceux-ci contiennent de véritables trésors présentant des sources d’inspirations spirituelles innombrables.

Nous en conseillons, à titre provisoire, la lecture et la relecture.

Nous disons bien « à titre provisoire » parce qu’il est important de souligner que la compréhension intellectuelle de ces enseignements est, à elle seule, absolument insuffisante. Le niveau verbal ne peut à lui seul nous faire accéder au domaine lumineux de la « non-pensée ».

La pratique spirituelle ne se limite pas à l’étude de textes, ni à leurs comparaisons, ni à leurs récitations ou mémorisations.

Il est important de s’engager dans une attitude de vie exprimant à tous les niveaux d’énergie participant à notre constitution très complexe, la perception de l’unité de l’Univers.

Celui-ci doit être vu et senti comme « Corps d’un seul et même Vivant ». Il constitue la source unique de toute Lumière, de toute vie, de toute conscience.

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Il est important de comprendre, de voir et sentir que la nature profonde de ce Vivant est absente de toutes les propriétés, de toutes les qualités qui nous sont familières. En fait, les profondeurs de notre être, au-delà du niveau physique, du psychique et du mental sont VIDES. Ce VIDE n’est pas néant mais Pure Lumière nouménale, conscience infinie, intemporelle, a-causale, sans directions privilégiées, sans buts semblables à ceux qui nous sont familiers. Cette plénitude est AUTRE, totalement AUTRE que ce que nous concevons, nommons, imaginons.

Il est donc important que notre mental se vide de toutes les images suggérées par l’apparence extérieure des choses et se vide des images et mémoires suggérées par nos lectures et nos expériences passées. Notre mental est encombré d’images résultant d’un automatisme d’une grande puissance. Cet ensemble d’affichages mentaux engendre un véritable vacarme psychique dont le bruit constant nous empêche d’être à l’écoute du silence intérieur. Il est indispensable que nous prenions conscience de la nature des énergies qui entretiennent en nous cette bruyante et constante agitation. Aussi longtemps que nous sommes sous son emprise, la gloire du Corps spirituel de Lumière nous échappe. Nous sommes des exilés, séparés de notre nature véritable.

Comprenons et sentons qu’il n’y a pas d’ego mais simplement un énorme réseau d’images et de mémoires résultant d’un instinct de conservation dont les origines remontent dans un lointain passé.

La lumière et l’Amour de la conscience cosmique ne demandent qu’à nous livrer les richesses que la Nature nous destine. Mais nous résistons ? Pourquoi ? Comment ?
La méditation véritable doit nous permettre de répondre à ces questions.

Un texte remarquable du Maître Zen Tetsugen peut nous inspirer.

Il déclare que :
« Tous les phénomènes de l’Univers transformé sont des yeux. La terre et le ciel manifestent la Lumière foncière. Si l’on s’éloigne instantanément et à jamais de la dualité du voyant et du vu. Le monde des dharmas sans limite est le Diamant. » (Masumi Shibata, Sermons de Tetsungen, pp. 23-24, édit. Risosha, Tokyo.)

Nous sommes la Réalité mais nous ne le savons pas. Nous sommes aveuglés, déformés par notre éducation, par la « pesanteur psychique » de milliards de mémoires et d’automatismes d’une grande puissance.

Cet ensemble de résistances, échos résiduels du passé, est symbolisé par l’expression « Vieil homme » dont les mystiques chrétiens nous suggèrent le dépouillement.

Les mémoires résiduelles du passé forment donc obstacle à la vision de notre être véritable. Elles constituent un véritable écran intérieur sur lequel restent collées et s’accumulent continuellement les milliards de poussières mentales résultant de notre constante agitation intérieure. Ces tourbillons ou poussières mentales formées par nos pensées, nos images, ont une telle densité qu’ils confèrent à nos énergies mentales une certaine solidité. Cette solidité est artificielle quoique de nature psychique mais elle nous égare et contribue à nous percevoir comme de véritables entités. La pensée, qui n’était qu’une fonction, un simple instrument, s’est prise pour une entité durable et continue. Cette confusion est, du point de vue spirituel, d’une gravité qu’il est important de souligner. Elle est à l’origine de toutes nos erreurs, de toutes nos souffrances et nous empêche de voir et de sentir que nous ne sommes rien. « Etre rien » en tant qu’ego, est le secret de l’équilibre, du bonheur, tant individuel que collectif.

Ainsi que l’enseignent les Sûtras et notamment le Prajnaparamita Hridaya Sûtra :
« Si l’on voit que les cinq agrégats sont tous VIDES, on peut se délivrer de toutes les souffrances. Les cinq agrégats sont : la matière physique, les impressions ou émotions, les concepts, les formations mentales, la conscience personnelle ».

De son côté, Tetsugen déclare également :
« Si l’on reconnaît bien que les cinq éléments sont originellement vides, ne sont rien, et que l’on voit clairement cette vérité; il est possible de se délivrer de toutes les souffrances, de la naissance et de la mort et de s’harmoniser avec le Substantiel du Corps d’Essence ».

Nous avons intentionnellement insisté sur le caractère substantiel du niveau spirituel cosmique dans notre livre « L’Univers Corps d’un seul et même vivant ». La claire vision et surtout la « perception-sensation globale » de cette corporéité ainsi que son caractère prioritaire par rapport à la corporéité physique sont parmi les facteurs fondamentaux conduisant à l’Eveil intérieur ainsi qu’à la vision de la Claire Lumière nouménale. Ceci est à notre avis d’une importance fondamentale. Il est nécessaire que la totalité de notre être en soit pénétrée de façon constante, quotidienne, quelles que soient les circonstances. Cela ne peut se limiter à un concept, ni à une image. Ceux-ci doivent faire place à une perception immédiate, claire, globale, non mentale, sans référence aux exposés verbaux des livres ou des enseignants, aussi avancés soient-ils.

Si nous ne respectons pas ce qui vient d’être rappelé, les images ou affichages mentaux qui se présentent continuellement à l’esprit peuvent non seulement nous perturber mais — ce qui est plus grave — elles peuvent occuper une place et un rôle prioritaires. Elles constituent une perte d’énergie constante et considérable et paralysent toute disponibilité ou vision spirituelle. Elles donnent une place de priorité au « Résiduel » au détriment du Vivant.

Nous ne sommes pas, individuellement, les seuls responsables de l’inertie psychologique et spirituelle qui nous entrave et aggrave les difficultés que nous éprouvons à dépasser l’emprise des images et mémoires qui nous paralysent. Pourquoi ?

Parce que l’humanité est faite d’environ cinq milliards d’êtres humains. Ceux-ci, depuis des milliers d’années, ont pensé, souffert, émis des images mentales nobles ou ignobles. Ces images ont été enregistrées et forment des ondes psychiques indestructibles et cumulatives.

Elles se situent au niveau des « champs psychiques » existant dans une autre dimension.

Ceux-ci forment des mondes substantiels dont le plus matériel est le monde visible au sein duquel se poursuit notre existence, mais nous perdons de vue que les niveaux psychiques ou spirituels invisibles pour notre vue physique sont également substantiels.

Les traditions anciennes en ont fréquemment énuméré les propriétés, qualités et rôles. Depuis le monde physique comprenant les éléments solides, liquides et gazeux ainsi que le niveau éthérique (ou prânamayakosha), le niveau émotionnel (ou kama mayakosha), le niveau mental inférieur (ou râpa manas), le niveau mental supérieur (ou arupa manas), le niveau bouddhique, l’Atma qui, dans le brahmanisme, symbolise l’étincelle divine résidant dans la « caverne du cœur » (hridaya guhayam) et finalement le niveau ultime : Brahma.

Les quatre milliards d’êtres humains ayant vécu et ceux vivant actuellement sur la planète ont émis et émettent encore d’innombrables ondes psychiques ou « champs morphogénétiques » (selon l’expression du savant anglais Rupert Sheldrake). Ces champs ont une influence puissante et constante. Ils sont indestructibles et cumulatifs et forment un immense réseau composé de milliards de mémoires. Celles-ci influencent considérablement l’inconscient de tous les êtres humains. Ces derniers sont profondément marqués par ces puissants résidus psychiques du passé et restent enfermés et prisonniers de leur ego. Dans l’enseignement de Krishnamurti, il est fait allusion à l’existence de cet immense réseau de mémoires. Il l’appelle « l’ego de l’humanité ». Il ne s’agit pas ici d’une image, d’un symbole, mais d’une réalité substantielle dans laquelle baignent les niveaux conscients et inconscients de tous les êtres humains.

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Pour Krishnamurti, les êtres humains sont UN et comportent beaucoup plus de similitudes qu’ils veulent l’admettre, quelles que soient leurs races, leur situation géographique, leurs opinions, leur hérédité, leurs différences physiques et physiologiques.

Au cours des dialogues qui se sont déroulés entre David Bohm et lui, Krishnamurti déclare (« Le Temps aboli », p. 272, édit. du Rocher, 1987) :
« Je crois que le cerveau humain n’est pas un cerveau spécifique; il n’appartient en propre ni à moi, ni à quiconque. C’est le cerveau tel qu’il se présente à l’issue de son évolution sur des millions d’années. Au cours de cette évolution, il a accumulé une somme fantastique d’expériences, de connaissances et aussi toute la cruauté, la vulgarité et la brutalité de l’égoïsme. Peut-il se dépouiller de tout cet acquis et changer de nature ? Parce qu’apparemment nous fonctionnons suivant certains schémas. Que ce soient des schémas religieux, scientifiques, commerciaux, familiaux, tout fonctionne toujours en petits cercles étroits. Ces cercles s’entrechoquent et s’opposent, indéfiniment, semble-t-il. Qu’est-ce qui serait susceptible de briser cet enchaînement de structures, d’empêcher la formation de nouveaux schémas et de détruire définitivement tout ce réseau de systèmes figés, qu’ils soient agréables ou désagréables ? Après tout, le cerveau a encaissé bien des chocs, relevé bien des défis, subi bien des pressions et s’il n’est pas capable de se renouveler ou se régénérer, il ne reste que peu d’espoir ? Le cerveau peut-il avoir conscience de son propre fonctionnement ? Non seulement avoir conscience de son propre mouvement mais avoir suffisamment d’énergie propre pour briser son carcan et échapper aux schémas ? »

La réponse de Krishnamurti est positive.

Ainsi que nous l’avons répété à dessein, l’ego est l’incarnation de milliards de mémoires. Il est essentiellement résiduel, mécanique, limité. Ce réseau de mémoire s’est cristallisé sous la forme d’une image à laquelle les êtres humains se sont exagérément identifiés. Ils vivent tous sous le signe de la peur : peur de la mort, peur de perdre leurs possessions matérielles ou intellectuelles.

Ils ne conjuguent que les verbes « avoir », « avoir plus » « paraître, durer, continuer ». Dans le bouddhisme, le « désir de durer ou de posséder » est désigné par le terme « Tanha ».

C’est Tanha qui enferme les êtres humains dans le « Samsara » ou cycle des naissances et morts successives. Telle est la raison pour laquelle Krishnamurti déclare que « ce qui est continu emprisonne ». En fait, les êtres humains sont « exilés » parce qu’ils vivent en dehors de leur véritable nature qui est Lumière, Unité, Amour, Conscience infinie. A ce niveau, il n’y a ni murs, ni cloisons, ni barrières, ni obstacle, ni séparation. Nous sommes ici dans le domaine de la non-séparativité, de l’interdépendance, de l’interliaison et de l’interfusion de toutes les énergies à tous les niveaux. Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons insisté sur le fait que l’Univers doit être considéré comme le Corps d’un seul et même Vivant dont nous sommes les membres apparemment séparés.

Le principal obstacle à la vision claire de cette unité est formé par l’écran des milliards de mémoires accumulées que Krishnamurti considère comme le « monde de la vulgarité » (the world of vulgarity).

Telles sont les raisons pour lesquelles le célèbre sage tibétain Tilopa déclarait :
« Interromps le cours du samsara, la croyance en un ego. Reconnais ta vraie nature comme une mère reconnaît son enfant.  Ceci est l’intelligence transcendante qui se connaît d’Elle-même, au-delà des mots, l’objet de la Non-pensée. Cette spiritualité souveraine, lumineuse, dans laquelle il n’y a pas de mémoire pour te préoccuper, ne peut être appelée une chose »…

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Le caractère relativement illusoire du corps et de l’ego a été admirablement souligné par le Docteur Roger Godel :
« Le corps visible et senti, au même titre que les autres élaborations sensorielles, est un produit de l’activité nerveuse; il dépend pour son existence même d’un certain état de neurones; il dépend des relations réciproques unissant les centres. De telles relations sont précaires. Cet instable et étrange phénomène qu’est le « moi » ou ego échappe à toute définition… Peut-on conférer raisonnablement les caractères du Réel à ce jeu de forces sans identité ni durée, à des flux électroniques en perpétuelle mutation ? La notion concrète du « moi » corporel ou psychique s’évapore, ou plutôt elle rejoint dans le monde intérieur des images les autres expériences subjectives. Examinons de près ses titres à l’existence : ce sont ceux-là mêmes que possède tout objet perçu par nos sens. Le « moi » n’est rien d’autre qu’un objet au regard de la pensée discriminative établie sur le niveau le plus profond de la sphère intellectuelle et cet objet — comme toute représentation psychosensorielle — situé sur le plan relatif, s’évanouit à l’analyse. »

Evoquant le caractère illusoire de l’ego, le problème de la mort et les énigmes du temps, le Docteur Renée Weber a publié quelques lignes remarquables dans l’ouvrage collectif dirigé par Ken Wilber (« Le paradigme holographique », édit. Le Jour, Montréal, p. 74) :
« C’est le penseur et non la conscience qui est voué à la mort. La mort psychologique se produit quand la conscience s’accorde au rythme du présent toujours en mouvement et en renouvellement ne permettant à aucune de ses parties de devenir prise ou fixée en tant qu’énergie résiduelle ».

Remarquons ici la façon dont le Docteur Renée Weber insiste sur le caractère résiduel de la mémoire et l’obstacle que constituent les fixations mentales ou mémorielles. Celles-ci sont responsables du sentiment de continuité de la conscience égoïste, continuité que Krishnamurti considère comme une prison. « Ce qui est continu, emprisonne », répète-t-il souvent.

Le Docteur Weber confirme et reprend l’importance de ce que nous venons de souligner et déclare que :
« C’est l’énergie résiduelle qui pourvoit le cadre de ce qui deviendra le penseur, qui consiste en expériences non digérées; en mémoires, en « patterns » d’habitudes, en identifications, en désir, en aversions, en projections, en fabrication d’images… La mort de l’ego démantèle cette superstructure, la remettant à sa juste place, à l’arrière-plan de nos vies, au lieu de la laisser dominer et désordonner l’avant-plan, comme c’est présentement le cas. »

David Bohm soutient qu’un tel geste entraîne une augmentation plutôt qu’une diminution de l’adaptation biologique et de la santé, et n’a pas à nous menacer. Au contraire, la « mort » ainsi comprise est en réalité sa négation, nous faisant entrer dans le présent intemporel hors des atteintes de la mort.

QUESTIONS – REPONSES

Question : Que signifie « être présent au Présent » ?

R.L. — L’image taoïste de Tchouang-Tseu nous aide à le comprendre, mais hélas ce n’est qu’une image. Il déclare que nous devons être comme le parfait miroir. Le parfait miroir voit tout mais il ne prend rien, ne compare rien, ne juge rien, ne condamne rien, n’approuve rien. Il « voit » tout simplement et sa vision est pénétrante car elle est délivrée des pertes d’énergies résultant de l’identification aux mémoires et à l’ego.

Question : Est-ce que la présence au Présent éclipse ou renforce les mémoires ?

R.L. — Ni l’un ni l’autre. Il faut bien comprendre que !es mémoires sont toujours là. Elles se situent à un niveau d’énergie inférieur à celui de la conscience supérieure. Les mémoires « collent » à nos cellules, ce sont des champs indestructibles et cumulatifs. La mémoire est un processus naturel et nous ne pourrions pas vivre sans elle. Les « Eveillés » ne sont pas des amnésiques ! Au contraire. Mais ils sont libres de l’identification à leurs mémoires. Il faut bien comprendre et il est nécessaire de le répéter : l’attention parfaite de la vision pénétrante se situe à un niveau d’énergie supérieur et beaucoup plus profond que celui des mémoires.

Question : Qu’est-ce que Krishnamurti et les maîtres taoïstes entendent par le « non-effort » ?

R.L. — Cette question est très importante parce que de nombreuses personnes confondent le « non-effort » avec un « laisser aller », de la négligence, de la permissivité et une absence complète de discipline. Les cas sont très nombreux. De telles confusions peuvent être graves et entraîner la perte de la santé physique et de l’équilibre psychique. Des phases de dépression psychique peuvent parfois en résulter.

Il est utile de signaler, à titre d’exemple, que l’attitude personnelle et concrète du comportement de Krishnamurti reflète au contraire, une discipline d’une exceptionnelle rigueur : sévérité dans le régime alimentaire, vie ascétique, organisation de vie et d’activités parfaitement régulières, discipline sévère dans la pratique des exercices de yoga. Cette pratique est étrangère à toute recherche de pouvoirs psychiques, ni « visions spirituelles ». Krishnamurti souhaite la réalisation d’un parfait équilibre des fonctions neuro-physiologiques des cellules du cerveau.

Le véritable « non-effort » se situe aux niveaux psychiques et spirituels. Krishnamurti dénonce les conditionnements impliqués dans le mental faisant continuellement effort pour obtenir l’illumination, atteindre des états spirituels, devenir, avoir, avoir plus. Nous trouvons une exigence semblable dans le taoïsme, le Zen et le Ch’an évoquant fréquemment la nécessité d’un « lâcher-prise » ou d’être présent au Présent, Ici et maintenant.

Il ne s’agit pas de « faire », ni d’agir au sens accumulatif du terme, mais plutôt de « défaire », de déblayer les possessions mentales ou matérielles inutiles.

Il ne faut absolument pas confondre « spontanéité » et « impulsivité ». Cette dernière donne souvent libre cours à toutes les fantaisies de l’égo, à la permissivité, à l’incohérence conduisant à l’autodestruction par des gaspillages d’énergies considérables.

La véritable spontanéité est l’état sans effort du silence mental parfait. C’est l’état de la « non-pensée » qui, loin d’être négatif, est suprêmement positif. La pensée n’est pas l’intelligence. Elle n’est que mémoire résiduelle.

Les maîtres taoïstes donnent l’exemple du parfait miroir. Le parfait miroir voit tout mais ne prend rien. Il n’accumule rien, ne juge rien, ne condamne rien, ne nomme rien, ne compare rien. Mais les êtres humains ne sont jamais semblables à la pureté du miroir. Au contraire : ils prennent, ils manœuvrent, ils calculent pour posséder, pour dominer, pour s’affirmer. Telles sont les causes de tous les conflits et les souffrances individuelles et collectives.

La compréhension intellectuelle de ces vérités, de la nécessité du lâcher-prise, du « non-effort » véritable, de l’illusion de l’égo et du temps est de très peu d’utilité. Elle n’est cependant pas inutile évidemment. Nous connaissons de très nombreuses personnes très informées du contenu de toutes les œuvres de la plus haute sagesse, du Zen, de Krishnamurti, du Bouddhisme, des Voies abruptes enseignant l’inexistence de l’égo. Mais, hélas, en dépit de tout cela leur comportement reste entaché d’égoïsme. Nombreux sont ceux qui comprennent l’importance du moment présent. Ici et maintenant, tout en vivant dans le passé ou se perdant dans des hypothèses sur l’avenir.

Question : Comment peut-on expliquer de telles contradictions ?

R.L. — D’abord, parce que tous les êtres humains sont « piégés ». Depuis des milliers d’années, les sages de l’advaita védanta, les maîtres taoïstes, du Ch’an, du Zen, des mystiques chrétiens comme le Maître Eckhart, le Bouddha, ont consacré leur existence entière à proclamer l’erreur de l’égo, la fausseté du processus de perception entièrement corrompu par un vice de fonctionnement de la pensée. Celle-ci qui n’est qu’un instrument, une fonction, s’est prise pour une entité. C’est en cela que se situe le sens véritable du « péché originel » : l’illusion de la conscience de soi et ses abus. Le problème est très vaste, parce que depuis des millénaires les êtres humains sont piégés par le réseau énorme de milliards de mémoires dont ils sont l’aboutissement et l’incarnation. Tel est le symbolisme du « Vieil homme » dont il faut se dépouiller. Ce réseau de mémoire est une réalité d’une grande puissance énergétique. Il forme l’inconscient collectif et correspond à ce que Krishnamurti appelle : l’égo de l’humanité (au Tibet c’est le Kunyi, en Inde l’alaya Vijnana).

L’origine de ce processus est très lointaine. Il faudrait remonter à la naissance d’un univers avec les continuelles associations qui ont présidé à sa manifestation et son développement. Mais toutes ces explications pourront laisser le chercheur attentif « sur sa faim » et ne l’aideront que peu dans le processus de son auto-éveil. Seule, la vigilance de tous les instants et la prise de conscience de l’univers comme plénitude indivise d’un seul et même vivant et du dépassement de toutes les fixations, de toutes les mémoires, permettra l’ouverture totale à la Lumière. Tout dans l’univers n’est que processus et événements provisoires fuyants se profilant sur la toile de fond toujours neuve de ce que David Bohm appelle le « holomouvement ». Et celui-ci ne peut être « perçu-vécu » que dans le présent, dans le silence mental parfait révélant enfin l’Amour véritable.

Il existe une réalité fondamentale en état de flux et de recréation constante. David Bohm l’appelle l’holomouvement. Nous l’appellerons « l’holomouvement-conscience », quoiqu’il est évident qu’un mot ne puisse la décrire. Cette réalité est l’essence divine de toute chose. Tout dans l’Univers n’est que mouvement, événement éphémère, processus, y compris l’être humain. Le « non-effort » consiste à se rendre disponible à cet holomouvement-conscience et le laisser opérer en nous, plutôt que de vouloir opérer sur lui ou sur les énergies qui en émanent et retournent inévitablement vers Lui.