(Revue Spiritualité. No 2. 15 Janvier 1945)
Avant d’aborder le côté pratique de la spiritualité, je voudrais faire ressortir la quintessence des grands enseignements qui nous parviennent à travers tous les temps.
Il est une expérience passionnante à tenter ; certains l’ont entreprise et tous en sont revenus émerveillés. Ils ont voulu confronter les Écritures sacrées et partant de la Bible, ont fait le tour des Livres Saints de la terre d’Asie pour revenir aux Évangiles.
Pour ces hardis chercheurs, une vérité unique s’est dégagée de tous ces enseignements :
« Tat twam asi ! Tu es Cela ! », prononcent les Védas,
« Je suis en eux et tu es en moi » déclare le Christ, s’adressant à son Père dans sa prière pour ses disciples.
« Il n’y a pas d’autre Dieu que le Dieu manifesté dans l’homme purifié », affirme Krishnamurti.
Et c’est bien là le point central de la plus haute philosophie. Si nous nous rappelons que dans toutes les écoles initiatiques, le « Ciel » a toujours désigné la nature spirituelle de l’homme par opposition à la « Terre », symbole de sa nature physique, émotionnelle et intellectuelle, nous comprendrons que le « Royaume des Cieux » est au-dedans de nous et que le « Père qui êtes aux Cieux » est cette Réalité profonde, unique, qui sommeille en notre être.
La foi que réclame Christ est cette même foi dont Krishnamurti nous dit qu’elle est « la certitude que nous pouvons avoir de posséder en nous-mêmes la potentialité et la totalité ».
Lorsque Christ parle de Dieu, il faut donc constamment se souvenir de cette phrase-clef : « Je suis en eux et tu es en moi » et cette autre : « Le Père et moi sommes un », qui attestent l’unité de l’être libéré avec le Dieu qu’il porte en lui. Relire les Évangiles à la double lumière du Vedanta et de l’enseignement de Krishnamurti c’est bondir de surprises en surprises, car tout l’édifice d’un Dieu personnel, extérieur à nous-mêmes, s’écroule avec fracas. Une seule réalité essentielle nous retient la Vérité, la totalité, ce que nous appelons Dieu est au-dedans de nous.
Toute la spiritualité consiste donc à exprimer cette Réalité, à la manifester en actes matériels après en avoir pris conscience.
Comment en prendre conscience ?
Ce qui s’oppose à l’expression de la totalité est la limitation à une de ses parties. Étant attachés à notre personnalité, nous sommes en quelque sorte voilés au tout.
Nous enlever, à nous-mêmes, briser notre égoïsme est le seul moyen possible d’arriver à saisir cette Unité que tous les Sages affirment être notre nature réelle.
Lorsque nous croyons aimer un être, c’est nous que nous aimons à travers une image, c’est notre joie que nous servons lorsque nous souhaitons l’avoir auprès de nous. Nous pouvons dire que nous « aimons » quand le bonheur de l’être cher trouve en nous une égale résonnance, que ce bonheur lui soit donné par notre amour ou par celui d’un autre. Lorsque son départ vers une autre affection nous fait goûter l’extase que ne vient plus ternir aucune mélancolie, nous faisons l’expérience de la Totalité au-dedans de nous-mêmes et nous ne demandons plus à aucun guide le moyen sûr de la réaliser.
Pour un éducateur, par exemple, c’est prendre chaque enfant dans son amour, comme s’il était le sien, c’est pénétrer les jeunes âmes « par l’intérieur », de manière à sentir ce travail d’éclosion qu’il lui faut favoriser avec une infinie délicatesse.
Pour l’être jeune, toute personne âgée devient comme « sa » maman ou « son » vieux père. Il sent en lui les besoins de cet âge et y répond tout naturellement.
Tout être faible ou malheureux doit nous devenir proche.
Lorsque cette compassion vivra en nous, non à l’état de devoir rigoureux mais en un rayonnement spontané, nous n’aurons plus besoin d’explications savantes pour admettre qu’en nous vit la Totalité.
Car le seul, le grand moyen de nous unir à ce Dieu intérieur, c’est la force d’amour, non un amour universel de commande, de principe, mais un amour vrai, réel, senti.
Pour y arriver, nous dit Krishnamurti, une seule voie la souffrance.
La souffrance seule nous rapproche de Dieu parce qu’elle nous fait nous recueillir et rechercher la cause dont elle provient. Si nous nous scrutons avec impartialité, nous constaterons que l’égoïsme et l’ignorance sont à la base de toute souffrance. Lorsque nous prenons clairement conscience combien notre égoïsme est source de souffrance. Ce désir même de bonheur qui sommeille en tout être nous oblige à entreprendre la grande lutte contre nous-mêmes. A partir de cet instant béni, nous allons vers nos frères avec des mains qui donnent au lieu de sans cesse réclamer notre part.
Nous passons par trois grands états dans nos rapports avec les êtres : au bas de l’échelle, l’indifférence, puis vient l’attachement avec toute sa passion, ensuite le véritable amour qui est détachement parce que rayonnement.
Dans ce dernier état l’homme échappe à la douleur, il goûte l’extase d’être parce qu’il est le Tout, mais en même temps il est baigné d’une infinie compassion parce qu’il porte en lui toute la souffrance du monde : c’est l’état du Christ l’état de libération auquel est arrivé un Krishnamurti.
Pour pouvoir réaliser cette libération il nous faut donc plonger profondément nos racines dans la vie quotidienne parce qu’elle seule peut nous donner le vaste champ d’expériences dont nous avons besoin.
C’est en purifiant constamment notre action que nous pouvons approcher Dieu. Tous les grands Êtres nous parlent de l’action
Christ nous déclare : « Tous ceux qui me disent : Seigneur! Seigneur! n’entreront pas tous au royaume des cieux, mais celui-là seulement qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. »
Cette volonté nous est transmise par la conscience car le Père est en nous, suivant l’affirmation du Christ lui-même, et n’est autre chose que la Totalité dont parle Krishnamurti.
Celui-ci nous répète : « La libération se trouve dans le monde de la manifestation, non pas en dehors de lui… Vie veut dire conduite, action, la manière dont nous nous comportons avec les autres. Quand ce comportement est pur, il est la vie libérée en action. »
Il ne s’agit donc pas d’extases extraordinaires, de réalisations psychiques, d’expériences dans l’occulte. Tout cela est une face du problème mais non ce qui importe. Pour nous qui sommes appelés à vivre dans la matière, la conquête du Réel doit se faire dans l’action.
La vérité n’est pas conquise une fois pour toutes, par un quelconque miracle, nous devons nous en approcher par un effort constant, et ce n’est que peu à peu qu’elle illumine tout notre être.
Pour y arriver, nous dit encore Krishnamurti, il faut une foi intense en la réalité que nous portons en nous, une concentration de tout l’être, un effort continu. Chaque acte doit devenir un gage de réussite dans cette recherche de l’Absolu.
Devant chaque événement, nous pouvons vérifier de quelle nature sont nos désirs, nous pouvons mesurer si réellement nous poursuivons la grande Recherche.
Scrutons nos actions pour en découvrir les mobiles, ne craignons pas d’aller vers l’expérience, car c’est le seul moyen de nous en rendre maîtres, mais, le faisant, restons lucides.
Si nous osons poursuivre notre route avec audace, avec sincérité, de nos erreurs elles-mêmes, jaillira la lumière. Tous nos efforts doivent se tendre vers le but. L’homme dont les désirs se nouent en un faisceau unique est sûr de la victoire.
Mais faut-il nous baser sur notre seul effort et rejeter tout ce qui nous a été dit de la prière et de la méditation ? Tous les grands Instructeurs les considèrent comme des leviers puissants de régénération.
Qu’est-ce donc que la prière ?
La vraie prière n’est pas une supplication adressée dans un but égoïste à un être ou une force extérieurs à nous-mêmes, mais une prise de contact avec les sources les plus profondes de l’âme.
La prière est l’expression de notre ardent désir de découvrir la réalité mais, pour être efficace, elle doit être une prise de pouvoir par le Dieu intérieur effaçant son image déformée : la personnalité égoïste de l’homme.
La méditation est le reflet de notre effort pour arriver au but.
C’est pourquoi l’une comme l’autre ne doivent pas se pratiquer à heures fixes mais tout au long de la journée. Elles doivent constamment se mêler à l’action; elles doivent la vivifier et non la remplacer.
Elles sont le grand remède à apporter au déséquilibre trop souvent constaté entre les réalisations de l’esprit et leur traduction sur le plan matériel.
Ne séparons pas l’élan de Dieu de ce qui nous entoure. Si Dieu est au dedans de nous, Il est également en toutes choses et si nous parvenons à nous en pénétrer, c’est avec un amour grandissant que nous accomplirons notre tâche quotidienne, que nous aborderons les êtres.
Notre effort seul ne peut pas nous conduire au triomphe, car il est encore, nous dit Krishnamurti une expression de notre moi : « renouvellement, la nouvelle naissance doivent être spontanés et non le résultat de l’effort. »
Le secret de cet état spontané nous est révélé dans le summum de la Prière enseignée par Christ : « Que Ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Adressée à ce Dieu intérieur, elle soumet notre volonté propre (appartenant à la « terre », à notre personnalité) à Ce qui est réel en nous (au ciel : dans notre être spirituel), elle subordonne tous nos désirs à l’harmonie de la vie, elle crée en nous un état de paix, de sérénité, qui permet à la Réalité de se révéler par la joie extatique dont elle nous inonde.
La prière ramène notre moi à sa juste mesure : c’est l’illusion qui prie pour obtenir son propre anéantissement devant la Vérité.
N’oublions pas nous-mêmes, en tant que personnalités séparées du tout, nous ne sommes rien.
« Nous sommes intelligents dans la mesure où nous l’Intelligence cosmique étinceler en nous.
» Nous sommes aimants dans la mesure où l’Amour du Divin peut rayonner à travers nous.
Nous sommes forts dans la mesure où l’Énergie universelle peut s’inscrire en nos membres.
Nous ne sommes autre chose que le reflet de l’Infini ».
***
Solitude par Madeleine Groffier
(Revue Spiritualité. No 3. 15 Février 1945)
La solitude aimée aux ailes d’insondable
S’éveille en coupe d’or, comme soudain scintille
Au détour de la sente où crissent les aiguilles,
L’étang silencieux aimanté d’impalpable.
Baignée de ferveur elle s’immobilise :
Symphonie d’amour aux notes d’irréel
Vibration de rêve en l’immatériel
S’irradie la joie qui brûle et divinise.
***
Consécration par Madeleine Groffier
(Revue Spiritualité. No 3. 15 Février 1945)
Je veux que chaque instant soit une perle d’or
De ce joyau secret, dans la vie latent,
Chaque goutte d’espace en l’infini du temps
Un scintillant miroir de l’éternel trésor…
Les heures se défont de leur voile de mort,
Entrouvrant leurs écrins à mon ravissement
Tout est gestes sacrés de l’invisible amant,
Tout est gage béni d’un lumineux essor.