Supposez qu’hier ma femme m’ait dit quelque chose, se soit moquée de moi, m’ait fait du chantage, ou qu’elle ait été contente de moi, m’ait donné du réconfort, etc., la pensée a construit une image à son propos. Et je vis selon cette image, elle fait de même, par rapport à l’image qu’elle se fait de moi. Donc je me dis, pourquoi la pensée procède-t-elle ainsi? Ne répondez pas encore, s’il vous plaît, donnez-moi deux minutes pour aborder le sujet. Vous ne pouvez le faire que si vous n’avez pas d’idées préconçues à ce sujet, si vous ne dites pas « ceci c’est comme ça, et ça c’est comme ça », en vous précipitant tout de suite sur les mots. Donc, nous devons découvrir pourquoi la pensée agit ainsi.
Elle le fait parce qu’elle trouve une sécurité dans l’image. Je suis en sécurité dans l’image de ma femme. Attendez un instant, contentez-vous d’écouter. Mon pays – d’accord? – sécurité, mon groupe, sécurité. L’image que je me suis créée au sujet du groupe, ou de la nation, ou l’image que je me suis faite, que j’ai créée à travers l’endoctrinement religieux – qu’il s’agisse du Christ ou des dieux hindous. Et donc la pensée crée de telles images parce qu’elle y trouve de la sécurité. Que cette sécurité se trouve dans la névrose, les croyances névrotiques, ou dans une belle image virtuelle, le processus est le même. La pensée trouve de la sécurité, en veut, mais pourquoi?
Un auditeur : Il me semble que la pensée veut survivre, la pensée est transitoire et donc cherche la sécurité.
Krishnamurti : Oui, Monsieur, poursuivez, ne vous arrêtez pas là. Vous avez dit quelque chose, enquêtez, avancez. Êtes-vous sûr de ce que vous dites? Ne théorisez pas à ce sujet. Sauf à parler à partir des faits, le reste n’a pas de signification.
L’auditeur : Sûreté, sécurité, et certitude.
Krishnamurti : Ce qui veut dire quoi? Être sûr, être en sécurité, tout cela demande une sécurité totale et inviolable. Un instant. Pourquoi? Pourquoi la pensée réclame-t-elle cela?
Dans le cas de ma femme, par exemple, je la possède, elle est à moi, etc. Dans cela il y a une grande certitude, une grande sécurité. Je me suis identifié à elle. Elle a gratifié mes désirs. Et c’est pareil de son côté, c’est une exploitation mutuelle, interactive. Désolé d’utiliser un mot si laid, mais c’est un fait. Donc je me dis que la pensée cherche la sécurité, mais la sécurité est-elle dans l’image? J’ai cherché la sécurité dans ma femme ou ma petite amie, j’ai construit une image à son sujet et dans cette image il y a de la sécurité pour moi. Mais c’est une image. Vous comprenez? C’est un mot, un souvenir, une chose si fragile, mais pourtant je m’y cramponne.
L’auditeur : Monsieur, je suis conscient du passage du temps, je crains que cela ne prenne fin, donc je recherche la permanence dans les images que je crée.
Krishnamurti : On cherche la permanence en tout. Donc, je demande, pourquoi la pensée la cherche-t-elle? Examinez cela. Je cherche la sécurité dans un symbole traditionnel, comme la croix, je cherche la sécurité dans cela. La croix, toute la structure, et tout ce qu’il y a derrière, les rituels, le dogme, dans tout cela, je trouve la sécurité. Pourquoi? Et je sais logiquement, si j’en suis conscient logiquement, que c’est un produit de la pensée. Et pourtant la pensée s’y cramponne. Pourquoi?
L’auditeur : Le conditionnement.
Krishnamurti : Est-ce là une partie de notre conditionnement? Une partie du fait que nous sommes conditionnés depuis l’enfance à croire dans les symboles – Rama, Krishna ou le Christ. Pourquoi? La pensée y trouve de la sécurité et pourtant, quand la pensée examine cela, je dis: « Mon Dieu, il n’y a pas de sécurité là-dedans, c’est seulement une idée – que la pensée a construite. Donc, quand la pensée se cramponne à une image, c’est l’essence même de la névrose. Je sais qu’il y a danger, et pourtant je m’y cramponne. Voyez-vous l’absurdité de cela?
L’auditeur : Oui, c’est vrai.
Krishnamurti : Attendez un instant. Vous voyez réellement l’absurdité de cela?
L’auditeur : Oui, je la vois.
Krishnamurti : Alors, c’est fini, vous ne créez plus d’images. Mais attendez, si ma femme me traite d’idiot, vais-je écouter cela sans former d’image? Ou bien y aura-t-il la vieille tradition, l’habitude, le conditionnement, la réaction par formation d’image? Vous me suivez?
Elle me traite d’idiot, mais il n’y a pas de formation d’image. Est-ce possible? Ou bien quand elle me flatte, ce qui est la même chose, l’autre face de la pièce de monnaie. Allons-nous examiner cela? Ma femme me traite d’idiot, parce que j’ai dit ou fait quelque chose qui ne lui a pas plu. La pensée est conditionnée, donc la réaction immédiate est une image. Je ne suis pas un idiot. Il y a une image. Alors puis-je l’écouter – je vous en prie, trouvez – sans cette réaction? Ce qui ne veut pas dire l’accueillir dans l’indifférence. Puis-je l’écouter quand elle me dit: « Chéri, tu es merveilleux! » – ce qui est une autre image? Puis-je l’écouter, aussi bien quand elle m’appelle merveilleux que quand elle me traite d’idiot sans l’emmagasiner, sans l’enregistrer. Comprenez-vous ma question? Ceci est très important, faites un effort pour comprendre un peu cela. Le mécanisme du cerveau consiste à enregistrer. D’accord? Il enregistre. Et il est conditionné de telle manière qu’il enregistre « idiot » tout de suite. Ou bien, quand elle dit quel homme merveilleux je suis, « merveilleux » est enregistré. Maintenant, est-ce qu’il peut ne pas y avoir d’enregistrement quand elle me traite d’idiot ou me qualifie de merveilleux? Ce qui ne veut pas dire que je devienne indifférent, dur et sans pitié. Maintenant, je ne peux que faire cela, s’il vous plaît, écoutez bien ceci – je ne peux seulement ne pas enregistrer que quand j’accorde une attention totale à ce qu’elle me dit. Qu’elle me qualifie de merveilleux ou qu’elle me traite d’idiot, quand j’accorde une attention complète il n’y a pas d’enregistrement.
Je vous en prie, faites-le, faites-le maintenant pendant que vous êtes assis ici. C’est-à-dire, vous avez une image au sujet de votre épouse ou votre petite amie, ou votre petit ami – mon Dieu, ce garçon, cette fille, cet homme, cette femme, je commence à en avoir marre. Nous allons continuer comme ça jusqu’à notre mort, c’est trop bête. Je mets l’accent sur le fait que la fabrication des images est le processus de la pensée. La pensée a créé l’image, donc il y a conflit dans tout cela. Et je vois l’énorme danger que recèle un conflit, que ce soit entre l’Inde et le Pakistan ou entre la Russie et l’Amérique. Il y a un danger énorme parce que les gens s’entretuent. Donc, je vous demande, la fabrication des images peut-elle s’arrêter? Oui, elle le peut. Pourquoi l’esprit crée-t-il ces images? Il trouve en elles une assurance, une sécurité – et pourtant la pensée sait à quel point c’est absurde. Et quand la pensée se cramponne à quelque chose d’irrationnel, elle est névrosée.