Vimala Thakar
Une nouvelle façon de vivre

Traduction libre La vie est un plaisir extrêmement engageant et intéressant si elle est vécue sans choix. La vie vaut la peine d’être vécue parce que c’est une romance entre le fini et l’infini, c’est une danse entre le limité et l’illimité. Le savoir est limité. On peut rassembler les connaissances du monde entier, de […]

Traduction libre

La vie est un plaisir extrêmement engageant et intéressant si elle est vécue sans choix. La vie vaut la peine d’être vécue parce que c’est une romance entre le fini et l’infini, c’est une danse entre le limité et l’illimité.

Le savoir est limité. On peut rassembler les connaissances du monde entier, de toutes les sciences, de toutes les théologies, et pourtant ce serait quelque chose de limité et d’étrangement fini. Il ne peut y avoir de savoir sans mots. Et le sens attaché aux mots est une invention humaine. Ainsi, même si l’on a l’impression de progresser dans le savoir, on saute en réalité d’une limitation à l’autre.

Comme le savoir, l’expérience est également limitée. L’activité d’expérimenter implique une référence constante au passé. Si un événement qui se produit en ce moment n’est pas renvoyé à la mémoire, identifié, nommé et reconnu selon la mémoire, l’événement ne devient pas une expérience.

La vie est infinie, elle est dynamique, mais le savoir acquis ou les expériences cultivées à différents niveaux, ont leurs propres limites. (Nous ne disons pas cela dans un sens péjoratif, nous soulignons les faits tels qu’ils sont).

Or ce savoir, cette expérience et cette mémoire limités (ou la pensée qui est la réponse de la mémoire) ont un rôle à jouer dans notre vie, aussi limités soient-ils, ils ont une utilité. Mais, est-il possible de laisser avancer ce savoir, cette expérience et cette mémoire des conditionnements sans créer un connaisseur ? Est-il possible de laisser le « mouvement » de la pensée prendre place en vous sans créer un penseur ? Il va se produire, que vous le vouliez ou non, est-il possible de permettre au mouvement de la structure de la pensée de se produire en vous sans créer un penseur ?

Le problème avec nous, c’est qu’au lieu de laisser la pensée jouer son rôle fonctionnel dans le domaine qui lui est propre, nous lui accordons de l’importance – une importance émotionnelle. Nous créons un sentiment de possession et de propriété à son sujet. Nous créons un sentiment de fierté à son sujet. Sans ce sentiment de possession et de propriété, une image ne peut être créée. Nous sommes occupés à créer des images de nous-mêmes, au lieu de laisser les talents s’écouler librement ou la structure de la pensée se déplacer selon sa propre dynamique. Nous introduisons le choix, la sélection, un sentiment de propriété et de possession. Cela conduit à un sentiment d’appartenance. « Ils m’appartiennent et je leur appartiens » – tout cela est appelé « identification » en termes de psychologie.

Une fois que cette identification du savoir, de l’expérience, de la mémoire, du conditionnement est là, vous commencez à en être fier. Vous vous limitez vous-même par ces conditionnements, par le processus d’identification et donc l’acte de vivre n’a pas lieu. Chaque aujourd’hui est poussé dans le moule d’hier. Nous essayons d’écraser le dynamisme et la fraîcheur d’aujourd’hui, du maintenant, de l’instant présent, en le poussant dans le moule d’hier. Autrement, qu’est-ce qu’un mécanisme de défense ? C’est un moule : pousser les « aujourd’hui » dans le moule des « hier » ou bloquer le mouvement pour demain. C’est en fait ce qui se passe dans notre vie. Nous ne vivons pas. Nous avons peur de cette infinité de la Vie, de la fraîcheur permanente, de la nouveauté permanente de la Vie. L’aube de ce matin n’était pas l’aube d’hier. Le chant que l’oiseau vous a chanté n’était pas une répétition du chant d’hier. Il n’y a pas de répétition de la vie. Elle est toujours fraîche, toujours nouvelle, toujours dynamique. Mais les yeux qui voient sont vieux. Notre regard sur la vie sent nos identifications, et nous écrasons la nouveauté, le dynamisme, nous le tuons presque pour l’adapter à nos convenances, à nos attentes, à nos ambitions. Aujourd’hui, ne reste pas aujourd’hui. (Je disais qu’il est très agréable de vivre si l’on vit sans choix).

Est-il possible de laisser le mouvement de la pensée se dérouler en nous sans cette identification constante et ce sentiment de propriété, de possession et d’appartenance ? Si vous appartenez au passé, si vous appartenez aux morts, comment pouvez-vous vivre ? Le passé, l’hier est mort, il a disparu. Est-il possible de laisser le savoir se déplacer sans imposer le connaisseur ? Est-il possible de laisser le savoir que vous avez acquis se déplacer sans créer un penseur ? Jouez avec ces questions mes amis.

Quand on comprendra que tout cet héritage de savoir et d’expériences n’a qu’une utilité fonctionnelle, s’efforcera-t-on de créer un penseur, un connaisseur, un expérimentateur et une image de ce connaisseur, ou de créer une personnalité à partir de lui ? On est en train de dire quelque chose qui va choquer et étonner les psychologues occidentaux et peut-être les Indiens aussi.

Si l’on permet au mouvement de la structure de pensée de passer à travers vous, d’opérer en vous et à travers vous, sans créer un penseur, savez-vous ce qui se passera ? Il y aura une tout autre relation avec ce savoir, cette expérience et cette mémoire limités – une relation complètement et qualitativement différente !

Qu’implique le mot « relation » ? Quand utilise-t-on une voiture ? Parce que vous avez une voiture, vous ne restez pas assis dedans pendant vingt-quatre heures. On monte dans la voiture quand on doit faire un long trajet. Vous ne vous accrochez pas à la voiture toute la journée et toute la nuit. De la même manière, la pensée, le savoir, la mémoire sont utilisés lorsqu’ils sont pertinents et dès que l’utilisation est terminée, vous vous en retirez.

On essaie de communiquer qu’il est possible de vivre sans créer un nouveau souvenir, un nouveau conditionnement, de nouvelles cicatrices sur la conscience du passé. Laisser le passé se déplacer sans créer de nouvelles cicatrices et éraflures. En d’autres termes, du matin au soir, se déplacer dans le corps, le cerveau, la structure de la pensée sans créer de résidu, sans permettre à aucun résidu de rester en tant que mémoire.

Nous parlons ici d’une toute nouvelle façon de vivre : vivre sans créer une nouvelle mémoire, laisser l’ancien bouger sans créer un nouveau fardeau. Ainsi, tout au long de la journée, il y aura un temps, des moments où le mouvement de l’ancien n’est pas nécessaire, où le mouvement de la structure de la pensée n’est pas nécessaire. Vous pouvez avoir une demi-heure, vous pouvez avoir deux heures, vous pouvez avoir entre cinq et dix minutes. Vous savez qu’il y aura un moment, un espace où le mouvement de l’ancien n’est pas justifié. Que se passera-t-il quand le mouvement de l’ancien n’est pas justifié ? Il y aura une relaxation. Mais s’il y a une dépendance, vous essaierez d’évoquer le passé mort, de le regarder et d’en tirer du plaisir ou de ruminer la douleur que vous avez endurée – en jouant avec la mémoire, vous restez ainsi occupé par ce mouvement. Si vous n’êtes pas dépendant, si vous n’avez pas créé une relation psychologique avec le passé, si le passé n’est pas traité comme un investissement pour l’avenir, alors il y aura suffisamment de liberté. Dans les vingt-quatre heures, il y aura des moments où vous pourrez être totalement détendus.

C’est une nouvelle façon de vivre, une nouvelle relation avec le connu, le limité, le conditionné, le passé. On ne peut pas faire disparaître le passé, on ne peut pas nier et rejeter le passé. Donc, lorsque le mouvement de l’ancien, du passé, du conditionné n’est pas nécessaire, n’est pas justifié et, si psychologiquement vous êtes complètement libre de tout attachement à ce mouvement, alors il y aura relaxation. Cette relaxation est le contenu du silence, dans lequel une nouvelle énergie est libérée et l’émergence de l’individualité devient possible. Au-delà de la particularité, au-delà de la périphérie et de la circonférence de tous les conditionnements, il y a l’émergence de l’individualité qui est la Totalité Individualisée ; non pas particularisée, mais la Totalité Individualisée, qui ne peut être divisée, ne peut être fragmentée, ne peut être imitée.