Alexandra David-Neel
Une voie de l’Attention selon le bouddhisme

La méditation est la base profonde de la vie du bouddhiste, la base de la doctrine bouddhiste, elle-même issue de la méditation de son fondateur, Siddhârta Gotama, le Bouddha. De même que l’on ne peut logiquement dénommer chrétien un homme qui ne prie pas, celui qui ne médite point n’a aucun véritable droit de s’intituler […]

La méditation est la base profonde de la vie du bouddhiste, la base de la doctrine bouddhiste, elle-même issue de la méditation de son fondateur, Siddhârta Gotama, le Bouddha.

De même que l’on ne peut logiquement dénommer chrétien un homme qui ne prie pas, celui qui ne médite point n’a aucun véritable droit de s’intituler bouddhiste.

Un bouddhiste vraiment fidèle aux enseignements du Maître ne prie ni dieu ni saints, et n’accomplit non plus aucune cérémonie rituelle. Il n’attend pas le salut de la grâce ou de la compassion d’une divinité. Il n’espère pas non plus qu’il puisse être le résultat de l’efficacité d’un culte, de formes religieuses, de pèlerinages, d’offrandes, de macérations ou de pratiques ascétiques quelconques. Il sait que les bonnes actions elles-mêmes ne peuvent avoir pour résultat qu’une « félicité » céleste temporaire, et que le salut lui-même — c’est-à-dire la Délivrance de la Douleur, le passage du domaine de l’illusion à la Réalité, de la mort à l’immortalité [1] — est une chose purement intellectuelle où l’émotion n’a aucune part.

Rien n’est à faire, tout est à défaire. Quelque chose doit être vu et connu, une erreur dissipée, une « torche apportée dans les ténèbres ». Il faut que le monde illusoire contemplé dans le rêve s’écroule. Et une fois que l’éveil s’est produit, toutes les actions faites ensuite le sont dans un esprit différent et produisent des résultats différents. Entre les bonnes actions d’une personne animée des meilleures intentions mais dénuée de la Connaissance, et les actions de la personne parvenue à l’illumination, il y a, disent les Écritures, la même différence qu’entre l’homme compatissant mais aveugle, qui essaye gauchement d’aider les autres, et l’homme à la vision claire, qui sait où il va, ce qu’il y a devant lui, quelle aide il convient de donner, et comment il doit se comporter pour parvenir effectivement à son but.

Certains prétendent qu’il est impossible de pratiquer la méditation sans l’aide d’un guide spirituel, d’un gourou, comme l’appellent les hindous. Cela peut être vrai si l’on entend par méditation les pratiques de yoga ayant pour but l’exécution de certains tours de force psychiques et de divers exercices que l’on peut qualifier d’acrobaties mentales. Mais ces pratiques n’ont aucun rapport direct avec le but ou les enseignements du bouddhisme. La véritable méditation bouddhiste est à la portée de tout homme ou femme intelligent, et on peut la pratiquer seul et sans aide. Elle demande uniquement une résolution ferme et une persévérance énergique. Ces conditions sont essentielles ; si elles ne sont pas remplies, les résultats obtenus ne peuvent être qu’insignifiants.

Comment pratiquer la méditation ? Les méthodes sont nombreuses et variées, et de gros traités ont été écrits sur le sujet. Il ne sera donné, ici, que des indications générales et essentielles, mais elles contiennent l’essence de tous les développements que l’on trouve dans les livres bouddhistes, ou que l’on peut apprendre des instructeurs spirituels orientaux, aux Indes, en Chine, à Ceylan, en Birmanie, au Tibet, ou au Japon [2].

Généralement parlant, l’entraînement peut être divisé en deux parties, dont chacune est le complément indispensable de l’autre. Ce sont l’attention et la concentration de l’esprit. Ce sont là respectivement les septième et huitième degrés du Noble Octuple Sentier, qui, selon le bouddhisme, constitue la Voie menant à la délivrance de la douleur.

Nous avons dit que, dans le bouddhisme, le salut consiste dans la libération de la douleur.

La douleur provient de l’erreur, de l’aveuglement ; de l’ignorance, suivant l’expression des Écritures. Ce qui est nécessaire, indispensable, c’est de voir et de savoir non point d’une manière fantaisiste, mais conformément à la réalité.

Le premier degré du Noble Octuple Sentier est appelé Vue juste. Il est par suite facile de comprendre que l’examen, l’analyse, la réflexion, constituent la base de la méthode qui s’impose à nous tout d’abord.

La plupart des gens, même instruits et intelligents, mènent une vie purement impulsive et irréfléchie. Ils ressemblent, sous ce rapport, aux moutons d’un troupeau. Ils courent quand les autres courent, mêlent leur voix à celle des autres, croient ce que croient les autres, sans se rendre compte pourquoi, sans avoir jamais la curiosité de regarder au-delà des causes immédiates et apparentes de leurs actes ou de leurs pensées. Ils sont bornés et dépourvus d’initiative.

Chasser cette irréflexion, éveiller un désir sincère de connaître les racines d’où surgissent, en nous et autour de nous, les phénomènes, les actes, les impressions, les impulsions, les sentiments, les idées, tel est le premier pas à faire sur le Sentier bouddhiste. Il faut prendre l’habitude de se poser cent fois par jour des questions comme celles-ci : comment cela se produit-il ? quelle est la cause de ceci ? Puis, une fois la cause immédiate trouvée, la cause de cette cause doit être elle-même recherchée, et ainsi de suite. La chaîne des causes et des effets doit être remontée aussi loin que l’on est capable de suivre le fil des associations logiques, et en apportant la plus extrême attention à vérifier chaque anneau de cette chaîne pour ne pas laisser l’enquête dévier dans une fausse direction. Cet exercice est le début d’intéressants voyages à travers des sentiers non battus, et conduit vers des horizons insoupçonnés. Toutes considérations philosophiques ou mystiques mises à part, on pourra trouver dans une telle recherche une véritable source de récréation et de plaisir intellectuel. Au point de vue même purement et matériellement utilitaire, elle est précieuse pour former une intelligence claire, capable de se diriger dans toutes les entreprises et au milieu de toutes les circonstances.

Quand nous sentons s’élever en nous un sentiment de colère, de joie, ou toute autre émotion, nous devons l’arrêter, de même qu’un concierge arrête pour les interroger les étrangers qui pénètrent dans la maison.

Qui es-tu, sentiment qui surgis en moi ?… D’où viens-tu ?… Quelle cause t’a donné naissance ? Oui, je sais, maintenant. Je suis en colère parce qu’un tel a désobéi à mes ordres, parce que tel autre ne m’a pas témoigné un respect convenable, parce que j’ai été trompé dans telle ou telle affaire. Pour quelle raison ai-je désiré que mes ordres, cet ordre en particulier, fussent obéis ?… Pourquoi ai-je désiré, dans telle et telle circonstance, recevoir des témoignages de respect ?… Pourquoi ne puis-je pas accepter avec indifférence d’être trompé dans une transaction commerciale ?

L’on recherche ensuite, à leur tour, les causes exactes des raisons d’où naissent le désir d’être obéi, d’être respecté, de n’être pas trompé, et l’on continue en s’efforçant de découvrir les causes de ces causes, aussi loin qu’elles peuvent être reconnues.

Tout le monde est capable de pratiquer l’attention de la façon indiquée ci-dessus, en observant les autres et soi-même, en étudiant la cause des changements survenant dans son esprit.

Pourquoi me sentais-je heureux aujourd’hui ? À quelle cause attribuer cet état ?… La cause en est-elle à quelque événement qui s’est produit, ou n’est-elle que l’effet sur mes nerfs d’un brillant soleil succédant à une période de jours pluvieux ?…

Telle est la première espèce d’attention que le débutant doit pratiquer constamment.

Une deuxième façon de pratiquer l’attention est de la faire porter sur nos croyances et opinions. L’exercice est fort semblable à celui qui vient d’être décrit. Bien qu’il puisse et doive être pratiqué partout, et dans toutes les circonstances, il est préférable et commode de lui consacrer spécialement quelques instants de tranquillité, chaque jour, ou tout au moins une fois par semaine.

Quelles sont mes croyances au sujet de la vie et de la mort ? Au sujet du résultat des actes ?… Que crois-je au sujet de l’origine de l’univers et de sa fin ?… Que crois-je au sujet des nombreuses religions qui toutes se targuent d’une révélation spéciale et infaillible ; au sujet des Écritures sacrées, dont toutes contiennent plus ou moins de vérité mélangée à des superstitions et des enfantillages ?… Qu’en est-il de tous ces dieux, dont chacun prétend être la seule divinité réelle ?… Pourquoi est-ce que j’appartiens à cette religion, à cette église particulière, ou ne suis-je attaché à aucune ?…

Il faut essayer de voir clairement la raison pour laquelle on en est venu à croire telle et telle chose, et à révoquer telles autres en doute. Il importe de prendre bien garde à ne pas se contenter de réponses partielles ou illogiques. La vérité des dogmes de votre religion n’est pas prouvée par le fait que vos ancêtres l’ont crue vraie, que vous y trouvez du réconfort, ou que de saints hommes partagent votre croyance. Vos parents et d’autres peuvent s’être trompés. Ils peuvent, comme vous, n’avoir jamais examiné sérieusement et avec un esprit critique les fondations de leur religion. Les fictions mensongères, les espoirs et les rêves illusoires sont, parfois, très réconfortants momentanément. Les médecins et les infirmières savent que tel est le cas pour bien des malades comme pour les enfants. Quant aux saints, il y en a chez tous les peuples religieux, ainsi que chez les athées. L’émotion, la révérence, la gratitude, ne sont pas des preuves.

Le plus grand obstacle qui se dresse sur la route de l’illumination est l’acceptation de doctrines ou d’affirmations sans examen de leur origine et de leurs bases. Cette habitude est malheureusement très répandue. Même parmi les gens instruits, nombres d’idées religieuses, morales ou philosophiques et quantité de faits scientifiques sont énoncés sans que ceux qui en parlent leur aient jamais accordé une minute d’attention vraiment sérieuse.

Nombreuses sont les personnes qui ont été au bord de la mer et ont vu les marées se produire. Mais combien, entre dix mille personnes ordinaires, connaissent, véritablement, la cause des marées ? Une majorité répondra que la lune en est la cause. Mais de quelle façon ? Certains ajouteront qu’il s’agit là de l’attraction de la lune. Fort bien, mais en quoi consiste cette attraction ? Il est amusant de se livrer à une petite enquête sur ce point, ou sur toute autre question analogue, et de noter combien de personnes, dans notre entourage, peuvent réellement épuiser le sujet et en donner une explication claire. Demandez quelle est la cause des saisons. Le soleil ? La réponse n’est pas satisfaisante. Comment le soleil est-il la cause des saisons, de la différence de température, de la longueur plus ou moins grande des jours et des nuits ? Insistez pour avoir une explication complète, et vous verrez qu’une très petite minorité est seule capable de vous la fournir.

Il est tout à fait compréhensible que la grande masse des hommes demeurent ignorants des questions scientifiques abstruses. Le bouddhisme, bien que recommandant à ses adhérents de chercher à s’éclairer autant qu’ils le peuvent sur toutes choses, ne songe pas à exiger d’eux qu’ils soient tous des savants de premier ordre. Il insiste seulement, mais très fortement, pour qu’ils ne s’abandonnent point à la funeste tendance, née de la paresse intellectuelle, qui porte à adopter des opinions et des croyances que l’on n’a pas vérifiées ou que l’on n’est point décidé à réviser conformément aux lumières supplémentaires que l’on pourrait acquérir.

La marée et les saisons sont des faits. Ne pas chercher à en apprendre les causes est fort regrettable, mais il est bien pire d’émettre, sans étude préalable, des affirmations telles que : cette action est bonne, celle-ci est mauvaise ; ceci est convenable, ceci est inadmissible ; cette doctrine est vraie et bonne, celle-là dangereuse ; si je prie ce dieu, il fera droit à ma requête ; il y a un enfer éternel, etc. Ces affirmations ne sont pas des faits, mais uniquement des opinions, et un vrai bouddhiste n’exprime pas des opinions empruntées à autrui, et ne répète pas, comme un perroquet, des formules toutes faites.

La seconde espèce d’attention est donc la surveillance de nos croyances, tant religieuses que philosophiques, morales, scientifiques, politiques ou autres.

La troisième espèce d’attention nous conduit plus avant dans l’entraînement mental bouddhiste. Bien qu’elle puisse, comme les deux premières, être pratiquée au milieu de la foule, le débutant fera bien de se réserver chaque jour quelques instants où il puisse être seul dans une chambre aussi isolée et silencieuse que possible. Les meilleures heures pour se livrer à l’exercice de ce genre de méditation sont au début de la matinée ou tard le soir, alors que le bruit de la rue s’est éteint et que les gens dorment. L’absence de bruit ou des autres causes qui peuvent troubler la méditation est très importante pour le commençant.

Assis dans une position confortable mais qui n’incite pas au sommeil, on doit en premier lieu faire le calme dans son esprit, chasser toute préoccupation, toute pensée quelle qu’elle soit, puis, dans un silence intérieur parfait, se poser cette question : « Que suis-je ? » — « Un être, un être pensant, une personne, un moi » — « Qu’est-ce qu’un être, une personne, un moi ? D’où vient-il ? … »

Voici un corps assis sur une chaise, un corps très différent en forme, poids et apparence du petit enfant né il y a tant d’années, et que je crois avoir été moi. Cette forme, faite de chair, d’os, de sang, etc., qui apparut alors, était sans aucun doute produite par mes parents. Leur substance formait la base de l’embryon qui se développa graduellement grâce à la transformation de la nourriture absorbée par la mère. Si la mère ne s’était pas nourrie, elle serait morte et l’enfant n’aurait pas pu se former. Si la mère avait été insuffisamment alimentée, l’enfant serait né faible et petit.

Mais, une fois né, cet enfant a été moi-même ; chaque jour de sa vie il a mangé ; la nourriture s’est transformée en chair, en os et en sang, de sorte que le germe original n’est plus visible, mais est devenu, en évoluant, un homme ou une femme adulte, le moi assis sur cette chaise.

Où était le moi durant ce processus de transformation ? — l’entité permanente, le soi ?… Le soi peut-il être ce corps dont je puis retrouver l’origine et dont la forme actuelle n’est que la transformation de diverses substances empruntées à l’entourage ?

Et qu’en est-il de l’esprit ? Avais-je une intelligence quand je naquis ?… Je ne peux me rappeler ni ma naissance ni les sentiments qui l’accompagnèrent. Avais-je des pensées à cette époque, ou même quelques mois plus tard ?… Si oui, puis-je m’en rappeler quelques-unes ?… Mais, maintenant, mon esprit est plein de pensées, d’idées, d’impulsions. Ne puis-je pas saisir la racine de certaines d’entre elles dans la mentalité de ma mère, de mon père, ou de quelqu’un de mes ancêtres ?

J’ai lu, j’ai reçu des leçons ; j’ai entendu exprimer bien des opinions. J’ai vu les actions des autres. Quelles ont été les actions et les réactions produites par le contact entre ces choses et cette substance héritée de mes ancêtres et des aliments qui l’ont fait croître et durer, cette substance qui compose mon être ?

Peut-être, par suite d’un antagonisme marqué entre la nature et le caractère qui me viennent de mon hérédité et de mon atavisme, ai-je réagi contre certains enseignements, certains exemples ; m’en suis-je détourné. Pourquoi ?… Peut-être la route qu’ils m’indiquaient était-elle meilleure que celle que j’ai suivie. Peut-être, en croyant choisir, faire acte de liberté n’ai-je été que l’esclave de tendances héritées et inconsciemment acquises. D’autres individus, morts depuis longtemps, m’ont entravé de cette façon. Ce sont eux qui ont agi, non pas moi. Ou peut-être les habitudes formées dans ma jeunesse — en bien ou en mal — ont-elles été des barrières entre un vieux moi et un autre moi qui veut naître et se manifester par quelques-unes des impulsions qui se font actuellement jour dans ce moi multiple, sans cesse mouvant, insaisissable, que j’appelle mon moi.

Je désirais avancer, devenir meilleur et plus conscient : plus « vrai », mais je n’ai pas pu me libérer des idées, des préjugés et des habitudes qui m’enchaînent. J’ai fait non ma volonté, mais la volonté de ceux qui, vivants ou morts, ont contribué à mon éducation, qui ont, par leurs livres, semé dans mon intelligence leurs idées et leurs croyances.

Ou encore, en dépit de l’hérédité, de l’atavisme, des habitudes mentales, de l’exemple, en dépit de ma propre volonté, au milieu des luttes et peut-être de la souffrance, j’ai fait ce que je n’aurais jamais rêvé pouvoir faire. J’ai marché, laissant les autres derrière moi, brisant tous les liens, frayant de nouveaux sentiers, pour mon bien ou pour ma perte. Et pourquoi ? Par suite de quelque lecture, d’une connaissance de hasard, d’une conversation fugitive. Quelque chose de plus fort que mon ancien moi a pris possession de moi. Et de ma vie, qu’en est-il advenu ? D’autres vivaient à travers moi, jusqu’alors j’étais leur médium. Des nouveaux venus sont arrivés et règnent maintenant à leur place. Mais moi ? Où suis-je, moi ? Que suis-je, moi ? Qui suis-je, moi ? Je veux voir en face ce soi. Je veux le chercher, le pourchasser, de près ou de loin, au-dedans et au-dehors.

Mais, s’il n’y a point de « soi » ? S’il n’y a que le cours incessant des phénomènes, la chaîne sans fin des causes et des effets ; si les actes, les pensées, les activités tant physiques que mentales que j’ai cru miennes sont les résultats d’activités analogues qui les ont précédées, ce sont donc alors uniquement ces activités qui sont moi-même. S’il en est ainsi, ce n’est pas moi qui accomplis les actions, qui prononce les paroles ou pense les pensées, mais celles-ci sont le moi.

« En dehors de la flamme, de la chaleur, de la teinte rougeoyante il n’y a pas de feu », disent les Upanishad.

L’activité, les transformations incessantes, sont les constructeurs du soi. En dehors de ce torrent intarissable il n’y a ni soi, ni être, ni personne, ni moi.

Le bouddhisme enseigne la doctrine Anatta (Anatma), selon laquelle il n’y a de soi en aucune chose, ni de propriétaire à aucune des propriétés. Mais le bouddhisme ne nous demande pas d’accepter aveuglément ses enseignements. De même que nous devons faire la preuve de toutes les autres doctrines et croyances, de même nous devons examiner le Bouddha-Dharma afin de comprendre qu’il n’est pas fondé sur de simples dogmes ou opinions, mais sur des faits. Jamais le Maître n’a demandé une foi aveugle à ses disciples. Bien au contraire, il condamna toujours cette manière de faire. Le véritable disciple suit le Sentier foulé avant lui par tous les Bouddhas, le Sentier de la recherche et de la réflexion. Aussi, tant qu’il n’a pas obtenu une compréhension claire de la question du soi, il ne doit pas cesser d’en faire l’objet de ses méditations, cherchant de toutes ses forces à saisir un moi réel s’il le peut trouver.

S’il n’existe véritablement aucun moi, aucun soi, d’où vient la croyance presque générale à son existence ? Cette question est souvent passée sous silence ; cependant elle est importante, particulièrement pour les Occidentaux, dont l’esprit a généralement une tendance plus scientifique que celui des Orientaux.

Une des réponses à cette question peut s’énoncer à peu près comme suit : nous parlons chaque jour du lever et du coucher du soleil, tout comme le faisaient nos ancêtres qui croyaient au mouvement du soleil d’un côté de la terre à l’autre. Nous sommes maintenant parvenus à comprendre que ce « lever et coucher de soleil » n’est qu’une façon de parler qui ne correspond à aucune réalité, et nous savons pourquoi le soleil paraît se lever et se coucher. Il en est exactement de même de l’illusion du soi, mais la grande majorité des gens n’ont pas encore sur ce point corrigé leur conception comme ils l’ont fait pour l’expression « lever et coucher du soleil ».

Voici donc, esquissées à grands traits, les trois formes principales d’attention.

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Article emprunté à la Buddhist Review, vol. 8, n° 4, octobre-décembre 1921, où il figurait sous la signature de « Sunyananda », son nom d’initiée.

(L’orient Intérieur. Collectif. Autrement 1985)

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1 Ce terme « immortalité » est employé faute d’en trouver un autre en français. Il n’est point question d’une nouvelle existence succédant à celle-ci, et qui, elle, ne sera jamais tranchée par la mort. Ce qui est entendu ici est un état d’éternité dans lequel les concepts commencement et fin, naissance et mort, être et non-être, n’ont pas de place.

2 L’auteur du présent article a personnellement connu nombre d’éminents gourous au cours de ses voyages et séjours dans ces différents pays, et a consacré — spécialement dans l’Himalaya et au Tibet septentrional — des années à expérimenter leurs méthodes, ainsi que les pratiques de yoga auxquelles il est fait allusion.