Robert Linssen
Vers le “Non-Faire” et l’Ouverture Totale (2000)

L’essor inouï des sciences et des recherches spirituelles en moins d’un siècle était en tous cas préparé par les travaux des physiciens Joliot-Curie vers 1898 et ceux d’Einstein en 1905. Le moment était exceptionnellement favorable aux multiples bouleversements et mutations qui ne tardèrent pas à se produire avec une étonnante rapidité dans tous les domaines. Nous nous sommes nourris d’une foule de concepts et d’idéaux succédant au matérialisme et au scientisme triomphants. Ils ont préparé de la vision exaltante d’un univers considéré comme le corps d’un seul et même vivant dont nous étions partenaires indissociables. Cette vision semblait être un écho tardif d’environ deux mille ans, de Socrate, Plotin, Anaxagore aussi bien que celle d’un Bouddha ou de Shankaracharya.

Fallait-il attendre la fin janvier de l’an 2000 après d’intenses activités d’étude, de conférences et de contacts provisoirement nécessaires?

Ceux-ci ont-ils permis la libération et le dépassement des entraves de la conceptualisation?

Évoquons les enfin pour une dernière fois!

L’essor inouï des sciences et des recherches spirituelles en moins d’un siècle était en tous cas préparé par les travaux des physiciens Joliot-Curie vers 1898 et ceux d’Einstein en 1905.

Le moment était exceptionnellement favorable aux multiples bouleversements et mutations qui ne tardèrent pas à se produire avec une étonnante rapidité dans tous les domaines.

Nous nous sommes nourris d’une foule de concepts et d’idéaux succédant au matérialisme et au scientisme triomphants. Ils ont préparé de la vision exaltante d’un univers considéré comme le corps d’un seul et même vivant dont nous étions partenaires indissociables. Cette vision semblait être un écho tardif d’environ deux mille ans, de Socrate, Plotin, Anaxagore aussi bien que celle d’un Bouddha ou de Shankaracharya.

Notre sensibilité spirituelle s’est enflammée de la richesse d’une nouvelle physique de David Bohm. L’audace et la témérité de la vision de ses “variables cachées” nous donnaient le vertige d’horizons peut-être inaccessibles. Ceux-ci nous conduisirent dans les profondeurs à la fois secrètes et lumineuses du “monde quantique” nous faisant découvrir le jeu et l’extraordinaire activité créatrice de la mémoire de l’univers. Le mécanisme explosif des transitions virtuelles n’avait plus de secret.

Nous assistions à la fois stupéfaits et sceptiques à des processus se déroulant dans un monde infiniment petit où oeuvrent des phénomènes variant de 10-17 cm à 10-33 cm où l’on se demande s’ils pourraient encore être “signifiants”.

Nous assistions à une dématérialisation de la matière que certains, dont Teilhard de Chardin, écrivirent avec un M majuscule pressentant la présence cachée d’une réalité divine.

L’immensité des horizons nouveaux révélés par les nouvelles découvertes scientifiques fascinait notre esprit et nourrissait un intense courant de conceptualisations auquel se mêlait l‘enrichissement d’une sensibilité spirituelle de haut niveau.

Celle-ci était parfois intense et s’approchait des limites d’une extase.  Elle était un puissant facteur qui semblait favoriser le dépassement des cadres étroits de la conscience personnelle. Celle -ci s’aventura aux charmes de vastes espaces inconnus.

Ces appels à une mutation psychologique étaient d’autre part provoqués par nos entretiens avec Krishnamurti. Notre rencontre et collaboration avec Alexandra David-Neel la célèbre exploratrice du Tibet nous initia aux enseignements du bouddhisme. Ils se révélèrent complémentaires de la nouvelle physique naissante. Mme David-Neel donna à l’Institut des Sciences et Philosophie de Bruxelles une conférence très inspirée et reçut de la Reine Elisabeth la médaille d’Or de La Société Nationale de Géographie pour ses explorations extraordinaires. Huit ans plus tard, elle assista aux conférences que nous organisions pour Krishnamurti dans la grande salle du Palais des Beaux-Arts à Bruxelles.

Le développement de notre amitié avec Krishnamurti et David Bohm nous mit en contact avec le savant anglais Rupert Sheldrake, Membre de l’Académie des Sciences en Angleterre. Ses ouvrages fondamentaux “Une nouvelle science de la Vie” et “La mémoire de l’Univers” ont mis en évidence l’action importante des “champs de mémoire” présidant à l’évolution et à la conservation des espèces. En fait, suite à l’instinct de conservation et l’augmentation constante de la mémoire tous les êtres humains sont des milliardaires de la mémoire.

A l’enthousiasme provisoire que suscitèrent ces nombreux contacts et informations une période de crises et de questionnements nombreux ne tarda pas à se produire.

L’ampleur des processus de mémorisation contribue inévitablement au renforcement et l’isolement de l’égo. Celui-ci peut inconsciemment s’enfermer en lui-même par une identification excessive à l’image de sa personne et les rôles qu’il joue au cours de ses activités.

Le patrimoine des mémoires conduit à une mécanisation du comportement et l’inertie des forces de l’habitude. Ceci tend à écarter la spontanéité et freine le dynamisme créateur de la souplesse ou du renouvellement.

En ce qui nous concerne le succès non recherché des conférences entraîna la solidification des champs psychiques, la mécanisation stérile de l’image de soi, les artifices de la répétition verbale. Krishnamurti et les instructeurs de l ‘éveil déclarent que la répétition d’une vérité devient un mensonge.

Nous étions bien placés pour sentir les barrières du langage verbal et l’ampleur d’une mécanisation subtile s’introduisant dans nos pensées, nos paroles et nos actes.  À trop parler de liberté, de créativité, de spiritualité, de dépassement de l’égo on peut inconsciemment sombrer dans une conduite qui est la négation évidente de la liberté ardemment souhaitée.

L’audition de mots qui – dans un lointain passe – provoquaient l’enthousiasme ne laisse maintenant que le vide. La lassitude, la déception qu’apporte la répétition du connu. La continuité de cette atmosphère alourdit ce climat au point de le rendre insupportable.

La conceptualisation se révèle enfin être un poison.

Les mots de notre langage habituel tels “spiritualité de la matière” ou “monde quantique” ou “monde intérieur” se présentent à nous dans l’unique but que nous les utilisions pour en “faire quelque chose” ou pour nous évader dans la volonté de “faire”, “d’atteindre”, de “changer”.

Mais voilà que soudain l’angoisse de cette impasse se trouva brutalement interrompue par un incident apparemment étranger à la circonstance. Les cris aigus d’un couple de pies jouant dans le jardin transpercèrent le mur de la pièce où nous nous trouvions avec une force telle que la totalité de nos énergies physiques et spirituelles fut ébranlée. Les cris stridents des oiseaux étaient porteurs d’une plénitude de liberté véritablement magique. L’inutilité complète de “faire” quoi que ce soit se révéla avec une énergie incroyable. La pure joie du “Non-Faire”, l’insondable béatitude de l’absence de volonté permet enfin à la Source Vierge de reprendre la place qu’elle n’a jamais perdue. La priorité absolue de son rôle est irrésistible. L’envahissement de sa béatitude lumineuse sanctionna le bien fondé de la circonstance.

Ces quelques mots sont complètement incapables d’évoquer pour nous l’importance énorme de cet événement le plus simple qui soit et extérieurement inaperçu à part les larmes de joie qu’il provoqua.

Ainsi que le déclare Maharaj Nisargadatta: “Je suis dans la béatitude d’une immensité sans limite, solide comme un roc. Je ne suis jamais sorti de cela!”

Krishnamurti écrit: “Dans ce vaste silence survint l’être qui était solide, sans dimension et plus rien n’existait. Cette force qui était une bénédiction était avec nous d’une solidité énorme impénétrable… Aucune matière ne pourrait être d’une telle solidité.” (Carnets, éd. du Rocher, pp.59 et 115)