Patrice Sammut
Vers une nouvelle médecine

(Revue Le chant de la licorne. No 23. 1988) Le monde de la santé est à l’heure actuelle en pleine mutation. Malgré un certain progrès de la médecine matérialiste officielle, on observe un intérêt croissant, tant de la part des patients que de celle des praticiens, pour des thérapies plus naturelles, moins polluantes, pour une […]

(Revue Le chant de la licorne. No 23. 1988)

Le monde de la santé est à l’heure actuelle en pleine mutation. Malgré un certain progrès de la médecine matérialiste officielle, on observe un intérêt croissant, tant de la part des patients que de celle des praticiens, pour des thérapies plus naturelles, moins polluantes, pour une prise en charge globale du malade, pour un art médical à visage humain. Mais ce type d’approche de l’art de guérir n’en est pas moins exigeant, tant dans le mode d’apprentissage que dans les qualités de celui qui le pratique.

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La science et la médecine aujourd’hui

Pour la plupart des Occidentaux, l’homme n’a cessé d’effectuer, depuis des lointaines origines, des progrès techniques et scientifiques qui l’amèneraient aujourd’hui à un niveau de vie jamais égalé. L’évolution considérable de ces dernières décennies a même carrément coupé l’homme dit civilisé de ses racines, et occulté les imperfections et les dangers des récentes découvertes. De cela résulte, particulièrement dans les milieux savants, une grande suffisance, allant jusqu’à l’intolérance caractérielle, arbitraire, pour tout ce qui ne repose pas sur le même mode de pensée ou de raisonnement ; ceci se rapproche plus d’un esprit de secte que d’une démarche qui serait authentiquement scientifique.

Si on prend du recul, on s’aperçoit, en fait, que loin d’être basée sur des idées nouvelles, la science occidentale actuelle, et la médecine en particulier, demeurent rattachées au rationalisme étroit et au mécanisme issus de la réduction de la pensée de Descartes (1584-1650). Dès lors, ne sont autorisés à exister que les objets ou forces que les moyens d’investigation du moment, quelle que soient leurs limites, permettent de mettre en évidence. Tout phénomène non démontrable, non reproductible ou concrètement objectivable, est automatiquement rejeté, et ce d’autant plus qu’il émane d’un système de pensée différent du raisonnement analytique, remettant en question les principes même de l’édifice dominant. La métaphysique devient alors, pour le scientifique, sujet tabou ; l’analogie, sur laquelle repose l’immense majorité du savoir traditionnel, est considérée comme le fruit d’un savoir archaïque et naïf. La médecine moderne naîtrait avec Magendie, et les œuvres médicales antérieures ne seraient que ramassis de superstitions et fabulations, ne laissant entrevoir que trop rarement un éclair de génie préfigurant un point de vue actuel. Enfin, après des millénaires d’obscurantisme, depuis quelques décennies, serait apparue la lumière !

La sagesse des anciens

Pour certains toutefois, les anciens possédaient une sagesse sur le point d’être oubliée de nos jours. Dans tous les corps de métiers, dans l’art et même en médecine, les traditions anciennes ont laissé des chefs-d’œuvre étonnants. Comment les Égyptiens ont-ils pu édifier les trois pyramides, qui défient aujourd’hui encore nos possibilités technologiques ? Comment égaler la perfection dans les formes, les couleurs, l’harmonie, des cathédrales médiévales ou des œuvres picturales et sculpturales de la Renaissance ? On cite souvent les guérisons quasi-miraculeuses de médecins comme Hippocrate ou Paracelse, alors qu’eux non plus ne disposaient pas de nos moyens et que les maladies à juguler étaient redoutables (peste, lèpre, tuberculose…). Loin de constituer un âge d’or, la période actuelle est plutôt une phase de dégénérescence pour l’homme d’aujourd’hui, qui a perdu ses racines. La connaissance, qu’elle soit médicale ou autre, ne peut être complète que si l’on est relié à cette tradition passée. Elle doit s’intégrer dans un espace-temps, où l’homme constitue l’intermédiaire entre le ciel et la terre. Ne pourra alors être considéré comme un homme de connaissance que celui qui a intégré l’ensemble des données, tant métaphysiques que techniques, tant cosmologiques que biologiques, et non le spécialiste d’un fragment infime de l’ensemble du savoir. Toujours relié à ses racines, mais également aux impératifs cosmiques et aux modérations éthiques, celui qui sait agit alors pour le bien de ses semblables et non pour l’accumulation d’un quelconque pouvoir, personnel ou collectif.

Cette recherche d’un retour aux sources, dans un esprit droit, est sans doute une des causes de la résurgence de certains compagnonnages, en particulier dans le domaine de la santé, et d’un vif intérêt en Occident pour les traditions orientales où ces connections avec les racines de l’humanité ne semblent pas interrompues.

Un bilan mitigé

Depuis l’avènement du matérialisme, la médecine dite moderne a acquis un savoir analytique et des capacités techniques considérables. Par contre, elle a peu évolué dans sa connaissance profonde des ressources de la nature. Que ferait un médecin occidental si une situation imprévue le laissait dans un environnement naturel, dépourvu de son matériel d’investigation sophistiqué, de ses batteries d’analyses, de ses possibilités chirurgicales et de ses produits chimiques ?

La quasi-totalité de la pharmacopée actuelle est synthétique. Les molécules élaborées ou isolées sont dotées d’une puissance énorme, mais qui malheureusement ne possède pas l’« intelligence » des remèdes naturels. Ainsi, alors que ces derniers sont toujours des mélanges savamment équilibrés de nombreuses substances (chaque plante contient souvent plusieurs dizaines de principes actifs différents), ce qui permet une atténuation des effets secondaires et limite les phénomènes d’accoutumance et de dépendance, les molécules nouvelles peuvent être aussi dangereuses, sinon plus, par leurs effets toxiques ou allergéniques, que les maladies qu’elles sont sensées guérir. Ainsi, chaque année, les accidents iatrogènes se comptent par dizaines de milliers en France, et sont responsables de plusieurs milliers de décès.

Si la médecine officielle est coupée de la terre, elle l’est également du ciel. Le temps est en effet devenu un facteur négligeable, comme si l’homme pouvait, dans son fonctionnement interne, échapper aux rythmes journaliers, mensuels, saisonniers… qui animent l’ensemble de la nature. La date d’apparition ou de recrudescence de la maladie, celles de la prise d’un traitement ou d’une intervention thérapeutique, ne sont pas prises en considération et laissées le plus souvent au hasard. Et alors que dans toutes les traditions, le médecin avait, et a encore, un statut et une position privilégiés, intermédiaire entre les forces de guérison universelles et le malade (d’où l’exigence accrue de ses compétences), il a tendance à devenir dans notre société un travailleur ordinaire, fonctionnaire de la santé et non plus artiste, spécialiste plutôt qu’omniscient, le maillon d’une chaîne horizontale et non plus verticale, basée beaucoup plus sur le rendement matériel que sur la compassion.

Les résultats de ce système sont d’ailleurs trompeurs : contrairement à ce qu’affirme le corps médical, il est peu de maladies actuellement guérissables. En effet, dans la plupart des pathologies, les traitements proposés ne restaurent pas la santé, le malade ne revient pas à un état analogue ou meilleur à celui qui précédait la maladie. Les remèdes « allopathiques » sont pour la plupart des béquilles chimiques, qui ne vont pas régler les causes du déséquilibre, mais simplement en compenser les effets les plus grossiers. C’est ce qui explique les rebonds à l’arrêt des anti-hypertenseurs, la recrudescence des crises lors de la suppression des antiépileptiques, la dépendance provoquée par les anxiolytiques… La plupart de ces traitements doivent donc être pris à vie, ce qui prouve bien que la cause initiale et profonde du déséquilibre n’est pas réglée. À l’inverse, des systèmes prenant en compte des facteurs plus subtils dérouteront le matérialiste incrédule. On ne peut pourtant nier les excellents résultats de la médecine tibétaine sur l’hypertension artérielle, les rhumatismes, le diabète. De nombreux témoignages des contemporains de Paracelse tendent à prouver que ce dernier guérissait définitivement, avec des traitements spagyriques, des épileptiques, des lépreux et bien d’autres malades jugés incurables.

Loin de vouloir dénigrer ici un système qui permet de soulager grand nombre de patients, il convient toutefois de relativiser les résultats obtenus par la médecine occidentale actuelle et de tempérer l’enthousiasme et la superbe qui entravent l’analyse critique indispensable et préalable à toute évolution, dans quelque domaine que ce soit.

Le médecin et la mort

Toujours du fait du nihilisme qui sous-tend la pensée de nos contemporains en Occident, la mort est actuellement un sujet tabou, occulté, et le médecin n’a apparemment pas perdu l’illusion de parvenir à vaincre cet ennemi implacable. Cela aboutit finalement, de la part du praticien, à deux attitudes déplorables : soit un acharnement thérapeutique, envers et contre toute logique, une charge héroïque et désespérée plutôt que d’accepter l’inéluctable, soit, devant l’inconfort de sa propre impuissance, l’abandon un peu couard de celui que l’on a suivi et aidé, à un moment pourtant fondamental où la relation qui s’est développée pourrait permettre de soulager bien des souffrances et des angoisses, et procurer à celui qui s’en va une fin de parcours digne et lucide. Là encore, le contraste est frappant avec toutes les sociétés traditionnelles, où la mort est un événement important pour toute la communauté, un passage qu’il faut franchir selon des coutumes et protocoles précis et où le médecin représente souvent un guide éclairé, un sujet de méditation qui rappelle à chacun sa propre impermanence et la nécessité de vivre avec intensité, humilité et solidarité l’instant présent au sein du groupe.

L’enseignement médical

Si les fondements de la médecine officielle occidentale paraissent fragiles, c’est également dû à une déficience de son enseignement.

Autrefois, et aujourd’hui encore dans les systèmes traditionnels, un minimum de motivation et d’éthique conditionnait l’accès au savoir médical. A Cos, par exemple, les élèves d’Hippocrate devaient prêter le serment maintenant célèbre préalablement à tout enseignement.

L’éthique tient de nos jours une place infime dans les programmes. « Primum non nocere » concernera hélas tout autant le confrère dont il faut être solidaire, quelle que soit son incompétence, que le malade, de plus en plus gênant du fait de son exigence croissante.

Comme les structures pédagogiques en général, le système universitaire est essentiellement basé sur des processus d’acquisition. L’étudiant, pour être admis à poursuivre le cursus, doit posséder un certain nombre de données, dont la compréhension globale et synthétique n’est même pas vérifiée du fait des nouvelles modalités d’examen obligeant à des réponses courtes. Le candidat n’a le plus souvent qu’à cocher ou rayer certaines réponses préimprimées, comme dans les psychotests de certaines revues.

À l’inverse, l’enseignement traditionnel vise plus l’être que l’avoir, de la même manière qu’à celui qui a faim, il vaut mieux enseigner la culture ou la pêche que donner à manger. L’apprentissage de l’art de guérir constitue ainsi une réelle édification pour l’élève. La médecine devient alors un vecteur de transformation, une véritable voie initiatique, et la compassion, un impératif technique. Paracelse, l’un des grands maîtres d’une lignée de médecins de la Tradition, précise : « A propos de cet apprentissage et de cette initiation à l’œuvre, sachez qu’on ne peut devenir médecin sans enseignement ni expérience, en un tour de main. Il y faut du temps. Personne ne peut en effet, sans un enseignement et une expérience très prolongés, devenir médecin. La fleur n’éclate pas avant le mois de Mai, le blé ne mûrit pas avant la moisson ni le vin avant l’automne ; il est aussi peu possible, en chaque événement, de transgresser la durée. Or l’expérience dure de la jeunesse à la vieillesse et elle approche la mort de tout près : l’on ne reste pas dix heures sans s’instruire ».

Un tel fonctionnement, où le temps amène chaque chose à maturité, n’est possible que sur un sujet stable. Or, les connaissances actuelles évoluent si vite qu’à la fin de ses études, une grande partie de ce que le médecin a appris est déjà périmée. Dans le meilleur des cas, il entreprend sans tarder une course-poursuite pour ne pas se laisser distancer par les progrès ou les modes, jusqu’à ce que la routine ou le flétrissement ne le fige dans une pratique dépassée dont on aura pourtant alors reconnu insuffisance, voire les risques pour les malades.

Il n’est pas question de refuser les progrès de la science matérialiste. Dans de nombreux domaines comme la chirurgie, la réanimation, le niveau atteint est remarquable. L’apprentissage de ces disciplines présente d’ailleurs, par les conditions exigeantes qu’il implique, quelques analogies avec celui des confréries de chirurgiens du Moyen-Âge et de la Renaissance. Mais un enseignement où l’éthique et la compassion sont laissées au rebut et où l’étudiant est trop souvent assimilé à une outre qu’il s’agit de remplir, ne peut former un médecin complet, solide devant la souffrance voire l’agonie de ses malades, capable de prodiguer une aide technique, mais aussi de développer une attitude relationnelle juste, capable enfin d’avoir une ouverture d’esprit suffisante pour permettre les remises en question de ses croyances et de sa pratique, et d’adopter tout ce qui pourra être utile à la santé de ses patients.

Médecine et énergie

En effet, la médecine occidentale est aujourd’hui à un tournant majeur. Malgré les gigantesques moyens mis en œuvre, elle semble plafonner et demeure incapable d’apporter le soulagement définitif aux souffrances, tant physiques que morales, causées par la maladie. Or, à côté d’elle se développent des pratiques et des systèmes qui, sans bruit ni moyens comparables, parviennent à amener de réels progrès. Alors que, conformes à l’étroitesse de vue de l’ensemble de la société, les médecins matérialistes refusent tout ce qui dépasse le cadre bien établi des équations biochimiques, du hasard et des probabilités, d’autres rattachent la vie, la santé et la maladie à des causes plus subtiles, élargissant ainsi considérablement leur champ de compréhension et d’intervention. Or, si on approfondit ces pratiques, un dénominateur commun se détache sans conteste : l’énergie. Le passage d’une médecine matérialiste à une médecine énergétique, parallèlement à l’évolution de la société vers plus de subtilité, plus de spiritualité, est le grand bouleversement qui se profile nettement à l’aube de ce nouveau millénaire.

La notion d’énergie n’est certes pas nouvelle. Depuis plus de quatre mille ans, elle est à la base du système médical chinois, ou le « chi » est décrit comme cette force issue des métamorphoses du Yin/Yang, à l’origine du mouvement, de la chaleur et de l’animation de la matière, dans tous les processus de vie. Mais on ne peut pas non plus parvenir à une compréhension profonde des autres systèmes traditionnels, qu’ils émanent des civilisations grecque, hindoue, tibétaine, des théories de l’hermétisme occidental ou d’autres horizons encore, sans un regard global, analogique, et polarisé sur cette notion d’énergie.

Les vents, biles, phlegmes de la médecine tibétaine font sourire les scientifiques, qui n’en retiennent que l’image matérielle et donc anecdotique. Une compréhension plus subtile de cette dialectique permet, au contraire, d’en tirer des données essentielles sur les mécanismes de fonctionnement normal et pathologique de l’organisme, et débouche sur une attitude thérapeutique précise et efficace. De même, les tempéraments hippocratiques sont en fait des morphotypes où prédomine l’expression de l’une des quatre modalités énergétiques spécifiques à cette dialectique (sang, bile, atrabile, lymphe). La médecine hermétique, grâce aux analogies qu’il est possible d’établir entre le fonctionnement humain et l’évolution de la matière au laboratoire, donne encore d’autres clés débouchant sur des procédés thérapeutiques aux effets incroyables pour un esprit borné, mais démontrés chaque jour par l’expérience de ceux qui la pratiquent.

Encore plus proche de nous, l’homéopathie ne repose pas sur une approche matérialiste, mais plutôt dynamique, de la vie et de la santé, de la maladie et du remède. Les pères de cette discipline, ont parfaitement compris et énoncé cette notion de force dynamique, perturbée chez l’homme malade, et exacerbée dans le remède par les opérations de dilution et de succussion. Les réticences des esprits matérialistes, devant l’utilisation de remèdes dilués à un tel point qu’ils ne possèdent même plus un atome de la substance de base, sont alors caduques : le remède homéopathique n’agit pas par sa matière mais par son énergie (cela explique également que la dose n’ait pas non plus une grande importance).

Ne recherchant plus seulement des troubles ou des anomalies à un niveau matériel, mais étant à l’affût des mécanismes subtils, profonds, dynamiques, à l’origine de la santé et de la maladie, le thérapeute élargit sa vision de l’homme et donne à son art une autre dimension : il devient alors capable de servir le malade dans sa globalité.

Pour un apprentissage traditionnel de la médecine énergétique

Les structures qui permettaient actuellement, en Occident, d’aborder l’art de guérir d’un point de vue traditionnel et énergétique, sont extrêmement rares. Pour celui qui, ayant une vocation médicale, n’est pas attiré par le matérialisme de la faculté, pour celui qui ne peut s’expatrier et plonger dans une culture totalement différente de la sienne, pour celui qui ne peut dépenser son temps, son argent et son énergie en de multiples formations successives, destinées chacune à le spécialiser dans un petit domaine mais sans une approche réellement globale, s’offrent bien peu de solutions. Mais la quête du savoir n’est-elle pas déjà une épreuve à franchir pour celui qui désire sincèrement s’engager sur une telle voie de connaissance ?